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Le Silo

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Le Silo – Route de Bréançon 95640 MARINES © The Gaze of a Parisienne

Visiter le silo est une expérience à recommander pour les amateurs et ceux qui s’intéressent à l’art contemporain. Le franchissement du seuil est souvent le premier obstacle pour les novices ou les néophytes. C’est ainsi que Françoise et Jean-Philippe Billarant m’ont fait le récit de leur première rencontre avec l’art contemporain. Intrigués par une installation conceptuelle, ils ont osé rentrer dans la galerie et s’interroger sur le sens de l’oeuvre, conceptuelle.

Cécile Bart

Un couple de collectionneurs Françoise et Jean-Philippe Billarant

Les Billarant ont une prédilection pour l’art conceptuel, l’art minimal, « l’Op Art », les trompe-l »oeil à une époque où s’amorce le retour à la peinture traditionnelle, de chevalet. Même les plus réfractaires à l’art conceptuel doivent visiter le Silo : l’amateur est aussi un curieux et la visite représente le privilège d’être commentée et accompagnée par les Billarant eux-mêmes. Il n’y pas de fumisterie ni d’entourloupe dans l’art conceptuel. C’st ainsi que le visIteur comprend la portée de l’art conceptuel : le mouvement ou plutôt les artistes qu’ils représentent s’inscrivent dans une lignée artistique et ne renient pas leur héritage. Au contraire ils le dépassent et le réinterprètent. Tout parait simple avec l’oeuvre alors que sa réalisation est d’une grande complexité

2010, un silo à grains en béton

Le bâtiment, un silo en béton brut est déjà à lui tout seul une mise en bouche de ce que sera la visite. Une surprise dans cette campagne de la région parisienne, cette construction est très intrigante. Sur la façade, une inscription nous fait front : Two stones tossed into the wind (causing sparks) (deux pierres lancées dans le vent provoquant des étincelles). C’est exactement cette sensation que je ressens en arrivant face à ce bloc gris , contrastant avec la verdure des champs qui l’entourent. Après une année de travaux de 2010 à 2011, l’aventure du Silo a pu commencer. Et voilà j’y suis, accueillie chaleureusement par les deux collectionneurs Françoise et Jean-Philippe Billarant. Un moment unique, cette impression de tourner les pages d’un livre, chaque page étant la surprise d’une nouvelle façon de regarder l’art.

Dove Allouche

Et ainsi défilent les oeuvres, parfois déstabilisantes, inhabituelles, je reconnais certains artistes. La magie de ce lieu est aussi due à la générosité de nos hôtes qui nous offrent leur intimité artistique en partageant leur histoire, leurs connaissances.

Krijn de Koning

45 d’art contemporain

Cela fait 45 ans que nous sommes dans l’art contemporain, ce n’est pas le désir d’être collectionneur, c’était le désir de vivre dans notre époque, de connaître les artistes, d’échanger avec eux. Cela a été notre motivation de départ. C’est ce que l’on a fait, mais comme en 1975 on ne connaissait absolument rien sur l’art contemporain, on est parti un petit peu à l’aventure. On a découvert et poursuivi cette ligne à partir des années 82/83. On a compris que l’art s’apprenait, il faut savoir l’histoire de l’art, comment les choses viennent les une après les autres, tout passe par l’intelligence et ensuite l’émotion vient, car vous comprenez ce que veut dire l’artiste. Pour l’art ancien c’est facile, pour l’art contemporain c’est plus difficile. Il faut demander à chaque fois ce que veut l’artiste, d’où il vient. Notre collection, c’est une quarantaine d’artistes que nous suivons depuis 40 ans pour certains. Françoise Billarant

Felice Varini – Véronique Joumard, ressorts.

« C’est l’art conceptuel et minimal qui nous plait« 

Pour l’art conceptuel c’est le concept qui compte avant tout, la phrase écrite sur le fronton est celle d’un artiste américain Laurenz Brunner, cet artiste nous dit je suis sculpteur, j’écris cette phrase sur un papier, ce que vous achetez c’est ce papier signé par l’artiste et le notaire. Vous l’écrivez ou vous ne l’écrivez pas, le concept, avant tout. Dans l’art minimal, on utilise des matériaux industriels, l’artiste conçoit l’oeuvre, la dessine et utilise des matériaux existants.

Lawrence Wieiner « two stones tossed into the wind (causing sparks)  »

Les artistes

Véronique Joumard est une post-minimaliste, (car l’art conceptuel et minimal, date de la fin des années 60), elle enseigne à Cergy Pontoise, utilise des produits industriels, ici ce sont des ressorts, son travail consiste à nous parler de phénomènes physiques ondulatoires sur la lumière.

Véronique Joumard Paravent avec des parois lentilles Fresnel


Richard Serra est un grand artiste américain, cette oeuvre présentée Basic source, 1987 est un hommage à Malevich, en équilibre une pointe dans le sol et une ponte dans le mur, selon le bon principe de l’artiste, où rien n’est fixé, même pour un poids ici de 1,5 tonne, en continuant on peut voir un dessin qu’il avait fait pour la sculpture Clara Clara qui était aux Tuileries, retirée malheureusement du parc car les gens ne respectaient pas cette oeuvre (graffitis…)

Richard Serra

Felice Varini est un artiste suisse qui vit en France et travaille sur l’anamorphose.

Felice Varini « Trois carrés évidés, rouge, jaune, bleu » 2011

Alan Charlton a 71 ans, il s’est donné deux contraintes, d’abord repeindre tout en gris pour ne pas avoir à choisir la couleur et la 2e est la mesure, épaisseur et surface, tout est multiple de 4,5cm, car quand il était jeune et très pauvre ce qui coutait le moins cher mesurait 4,5 cm. A partir de ces deux contraintes il décline toutes sortes de formes géométriques.

Pour Claude Rutault le mur fait partie de l’oeuvre, il nous parle de l’histoire de l’art et rend hommage aux anciens, ici c’est Mondrian. On reçoit un livret, comme une partition avec la méthode et les contraintes, mais pas celle de la couleur, c’est au collectionneur de l’installer. Il y a quelque temps, l’artiste a eu une exposition au Musée Picasso.

Manifeste B.M.P.T 1969

Niele Toroni, artiste suisse de 82 ans, avec Buren, Mosset et Parmentier, ils se sont posé la question : que peut-on faire après le monochrome ? ils créent en 1966 le groupe BMPT avec ce principe de répétition du motif, , pour Toroni ce sera les empreintes de pinceau, pour Buren les rayures, Parmentier des bandes horizontales , Mosset : un cercle noir au centre.

Niele Toroni

Carl André, artiste américain dit : j’ai mis la colonne sans fin de Brancusi au sol et j’ai réduit la sculpture à sa plus simple expression, il dit également que le visiteur peut marcher dessus car il fait partie de l’oeuvre. Le socle devient pour lui la sculpture.

Carl André

François Morellet (1926-2016) attache beaucoup d’importance au titre, il travaille sur la géométrie, les chiffres, sur les nombres, cette oeuvre s’appelle still life qui veut dire nature morte. Il aime également jouer sur les mots d’un titre.

François Morellet

Jan Kammerling, jeune artiste allemand travaille sur l’ornement, tout ce qui a été l’histoire de peinture, il reprend le triangle de Malévich.

Michel Verjux travaille avec la lumière et dit qu’il fait de l’éclairage, une façon de faire de la peinture lumineuse à partir de projections de formes géométriques;

Anisotropie

Philippe Decrauzat filme de plusieurs façons un même objet , cette pièce s’appelle Anisotropie. Sa définition : anisotropie est une suite de séquences filmées en noir et blanc qui prend pour sujet une sculpture mise en rotation sur un axe

Carl André – Philippe Decrauzat

Bertrand Lavier a un principe : pourquoi inventer de nouvelles formes puisqu’il en existe tellement déjà. Les arcades du palais des Doges.

Bertrand Lavier

La suite de la visite est sur place. Françoise et Jean-Philippe Billarant ont réuni une collection remarquable par son identité et sa cohérence. Ce n’est pas toujours le propre des collections privées et le couple a forgé son goût par lui-même, par échange et contact avec les artistes qui sont devenus des amis. Leur histoire et leur parcours doivent être contées car elles sont riches d’enseignements pour ceux qui souhaitent débuter une collection. Il faut franchir le seuil et vaincre une certaine timidité pour être en contact avec l’art contemporain. Il faut pouvoir amorcer le dialogue, avec le galeriste, avec l’oeuvre, avec l’artiste.

Florence Briat Soulié

Daniel Buren

Informations :

Le Silo – Route de Bréançon
95 640 MARINES

Tel : 33 (0) 1 42 25 22 64

Email : lesilo@billarant.com

LE SILO

Françoise Billarant

Asia Now 2020

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PAR STEPHANIE DULOUT & FLORENCE BRIAT SOULIE

Alexandra Fain, directrice Asia Now- Otani Workshop -Yuji Ueda – Gallerie Perrotin – © The Gaze of a Parisienne

Asia Now, 2020, une édition attendue et remarquée ! Paris sans Fiac laisse libre champ à l’Asie artistique avec une première ouverture sur l’Inde. Alexandra Fain et son équipe ont réussi l’exploit de maintenir ce rendez-vous et nous offrir une sélection d’oeuvres très pointues en parallèle d’un programme passionnant avec le musée Guimet très tourné vers la création contemporaine. Cette année l’Inde et le Japon étaient à l’honneur et hier soir avait lieu le vernissage de l’Asie maintenant.

24. Remen Chopra – W. Van Der Vaart, Location-dislocation, 2020. Bibliothèque du musée @edtr.photography

Remen Chopra (née en 1980), artiste indienne, dans la bibliothèque et Reena Saini Kallat dans l’Hôtel d’Heidelbach (un des trois lieux du Musée Guimet) sont les deux artistes indiens invités.

Reena Saini Kallat . Verso-Recto-Recto-Verso Musée Guimet
Sophie Makariou, présidente du Musée Guimet © The Gaze of a Parisienne

Au deuxième étage du musée, sont présentées 11 oeuvres d’artistes japonais, travaillant la vannerie à partir du bambou. Le musée accueille pour sa première édition le Mingei Bamboo Prize qui sera donné le 24 novembre prochain et le public pourra également voter. Devant des sculptures d’un raffinement extrême, je suis tombée en arrêt devant les 3 Hito (femmes) de Nagakura Kenichi (1952-2018) qui appartiennent à une collection privée.

Nagakura Kenichi (1952-2018) – Hito (femme). 2016. Bambou, madake, rotin, laque, argile et jus de kaki vert.

La visite The Gaze par Stéphanie Dulout

ASIANOW 2020 Grand cru !

Min Jung Yeon – « Navires en silence » 2020 – Galerie Maria Lund

A2ZArtGallery

Stand A 100

BaoVuong

Bao Vuong « The crossing XXIII », 2020 Huile sur toile. 107 X 170 – A2Z Art Gallery

Ceci n’est pas un monochrome. Loin d’être figées dans la masse noire des empâtements de peinture, les vagues brillent à la lueur de la lumière au gré de ses variations et de nos déplacements. Cette toile n’est pas non plus une abstraction, elle raconte une histoire. Sous la masse sombre pailletée par ces reflets changeants et mouvants, gît, ou s’agite, un morceau d’océan, comme un lambeau de souvenir ; celui de la longue et périlleuse traversée accomplie par les parents de l’artiste, avec lui, alors qu’il n’avait qu’un an, et d’autres boat-people, pour fuir le Vietnam. Ayant trouvé sa terre d’accueil en France, Bao Vuong a voulu refaire le voyage pour extirper le souvenir de l’oubli, ou plutôt, l’imaginer et le recréer. Voici la trace de sa quête. Fascinant. 

Jeanne Bucher Jaeger

Stand A 207

SoloShowZarina

Zarina,These Cities Blotted into The Wilerness, Srebrenica, 2003, gravure sur papier Okawara, monté sur papier Somerset , 41,3 x 36,2 cm

Zarina,The Universe is Full of Paths and Orbits, 2016, collage de feuille d’étain et papier BFK light teinté à l’encre noire, monté sur papier Somerset Antique, 62,2 x 55,8 cm

Un magnifique hommage est rendu par la galerie Jeanne Bucher Jaeger, nouvelle venue à Asia Now, à l’artiste indienne Zarina Hasmi disparue cet été. Né en 1937, dans la région de l’Uttar Pradesh, elle fut l’une des quatre artistes à représenter le Pavillon indien lors de son entrée à la 54ème biennale de Venise en 2011, et est représentée dans les plus grandes institutions internationales, du Guggenheim de New-York, qui lui consacra une rétrospective en 2011, au Victoria and Albert Museum de Londres, en passant par le Centre Pompidou ou le LaM de Villeneuve d’Asq.

Ses œuvres, d’une grande beauté, baignées de nostalgie et d’érudition, sont principalement réalisées en papier – matériau des poètes et des lettrés, qu’elle considérait comme une seconde peau. Tour à tour gravé, tissé, percé, moulé, sculpté, il fut pour elle son compagnon de voyage, et porte magnifiquement les stigmates de son parcours initiatique chaotique. Des gravures sur bois donnant aux tracés cartographiques la beauté du signe aux sculptures en pulpe de papier couleur de pierre, on y décèle une réflexion sur le nomadisme, l’exil, le déracinement, les ravages de la guerre…, mais aussi, une quête mystique, notamment dans ses derniers collages à la feuille d’or (The Universe is Full of Paths and Orbits).

Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois

Stand A 203

SoloShowPeyback

Peyback (Iranian duet), Abrakan # 57, 2016, gesso, acrylique, encre et pastel sur toile, 189 x 189 cm

Fantastique duo iranien chez Georges-Philippe et Nathalie Vallois. 

Peyman Barabadi & Babak Alebrahim Dehkordi, alias Peybak, tous deux nés en 1984 et diplômés de la Tajasomi Pesaran Art School de Téhéran, composent à quatre mains des tableaux minuscules ou immenses où fourmillent des petits monstres, mi-homme, mi-embryon, évoquant le peuple des djinns ou des gobelins. Grouillant, culbutant, tournoyant, ils pullulent, sous de vastes horizons vides, sur des terres désertiques, qui parfois les aspire dans un grand maelstrom tourbillonnant vers le fond du tableau, comme avalés par un abîme, une trouée au centre de la toile… « Abrakan » est le nom donné par les deux artistes à ce royaume du chaos. Renversant.

Galerie Raibaudi Wang 

Stand A 210

LiChevalier

SoloShow

Tout remue, tout palpite, tout respire dans les paysages noirs et blancs de Li Chevalier : un ciel aqueux, des rochers écorchés et râpeux, une mer écumeuse, des brumes flottantes… Seuls quelques éléments d’architecture plantés ça et là dans le décor, semblent contredire cette palpitation des éléments. 

There is No Explosive in This – Objects confiscated at the Pierre Elliot Trudeau International Airport, Montreal, 2011, confiscated Objects at the Pierre Elliot Trudeau International Airport, Montreal, 110 x 462 x 78 cm,

Le secret de l’artiste ? : « l’encre expérimentale » par laquelle elle a révolutionné une pratique millénaire. Appliquant l’encre, non pas sur du papier, selon la tradition orientale, mais sur la toile, elle y mêle de la peinture acrylique, des pigments, du sable, des fragments de quartz et des collages de papier de riz… De là l’incroyable densité des matières, presque imperceptible à l’œil nu, qui donne vie à ces paysages lunaires et crépusculaires semblant surgis de la nuit des temps. Fantastique !

Li Chevalier.- Raibaudi Wang Gallery.

BIO

Li Chevalier est née à Pékin en 1961 et vit entre Paris et l’Asie. Installée en France depuis 1984, elle est diplômée de philosophie politique (DEA à la Sorbonne en 1990) et du Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. Exposé au ” Summer Exhibition ” de la Royal Académie des Arts de Londres en 2007, son œuvre a fait l’objet de plusieurs expositions monographiques – au musée d’Art contemporain de Rome en 2017, au musée national des Beaux-Arts de Chine en 2010, au musée des Beaux-Arts de Shangaï en 2011, au Centre d’Art contemporain La Base sous-marine de Bordeaux en 2014… Deux de ses tableaux majeurs sont exposés dans le salon de l’ambassade de France à Pékin au côté des œuvres de deux artistes franco-chinois : Zao Wou-Ki et Chu Teh-Chun…

Li Chevalier.- Raibaudi Wang Gallery.

Maria Lund 

Stand A 109

Min Jung-Yeon

Autre artiste virtuose de la peinture à l’encre et du dessin, Min Jung-Yeon (née en 1979 dans la campagne sud-coréenne, formée aux arts graphiques à l’université de Séoul avant de quitter son pays natal pour gagner la France et intégrer les Beaux-Arts de Paris dont elle sort diplômée en 2006) peint aussi des paysages imaginaires, des paysages intérieurs, à la lisière de l’abstraction et de la figuration, de la fantasmagorie et du cauchemar. Des mondes en fusion, en perpétuel métamorphose, où les formes – volcaniques, embryonnaires, osseuses ou rocheuses, utérines ou caverneuses… – tour à tour explosent, s’écoulent, fusionnent, se propagent ou se délitent… Mêlant à la fluidité de l’encre la minutie du trait, au chaos des taches et des éruptions calligraphiques la douceur et la délicatesse des tons pastels, ces paysages organiques fascinent tant par la puissance de leur vision que par la virtuosité de la technique graphique. 

MinJung-Yeon, Somewhere 2, 2020, encre de chine, crayon et crayon de couleur sur papier.

Galleria Continua  & Marella Rossi

Shilpa Gupta

Attention: master-piece !

Shilpa Gupta (née en 1979) Galleria Continua.

There is No Explosive in This – Objects confiscated at the Pierre Elliot Trudeau International Airport, Montreal, 2011, confiscated Objects at the Pierre Elliot Trudeau International Airport, Montreal, 110 x 462 x 78 cm,

Sur un grande table recouverte d’un drap de lin, pouvant évoquer l’univers carcéral ou l’hôpital, la table de dissection et les étalages archéologiques, sont alignés des objets recouverts d’une gangue de lin cousue, dont le titre de l’œuvre nous apprend qu’ils ont été confisqués à l’aéroport de Montréal. A cette troublante exposition d’objets cachés répondent des photographies des dits objets confisqués non camouflés, mais aussi d’autres œuvres de l’artiste évoquant l’enfermement, les pratiques clandestines, les flux migratoires, la porosité des frontières… 

Entre visibilité et invisibilité, fiction et allégorie, le dispositif de l’artiste indienne (née à Mumbai en 1976) conduit très habilement, par le jeu du paradoxe et du détournement poétique, à un questionnement éthique et politique qui ne peut nous laisser indifférent. 

Marella Rossi et moi devant un très beau paravent en laque de Coromandel du 17e siècle- Galleria Continua & Marella Rossi

La Galerie Continua fait ici une entrée magistrale à Asia Now…

AlmineRech 

Kim Tschang-Yeul

Attention : curiosités !

Autre grosse pointure à faire son apparition à Asia Now, Almine Rech honore le maître de la goutte d’eau, Kim Tschang-Yeul avec deux curiosités : de séditieuses mais très esthétiques Waterdrops bleues tracées à l’huile, en guise de point d’exclamation, sur une page du journal Le Monde datée du 3 juillet 1986 (signalons une erreur sur le cartel biffé, au passage…), ainsi qu’une très belle Nuit composée en deux temps à 36 ans d’intervalle ! Le fond monochrome entièrement recouvert au graphite en 1983 aura attendu 2019 pour se voir paré de ravissantes petites gouttes faisant ressortir dans leur fausse transparence la richesse de sa teinte de plomb. On en redemande !… 

Kim Tschang-Yeul. Nuit, 1983-2019. Graphite et acrylique sur toile. 162 x 130 cm.

La suite en image :

Asia Now

Asia Now

6ème édition du 21 au 24 octobre 2020

9 Avenue Hoche, Paris 8e.

Musée Guimet

L’Asie Maintenant

Jusqu’au 25 janvier 2021

Et aussi : Carte blanche à Daniel Ashram, Moonraker , dans la rotonde, son jardin zen en blanc et « bleu Guimet », oui je viens de l’apprendre, Emile Guimet avait son bleu fétiche.

Carte blanche à Daniel Arsham – Moonraker Musée Guimet – © EDTR.PHOTOGRAPHY –

Jusqu’au 21 janvier 2021

Galeristes 2020

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Galeristes 20020 – Carreau du Temple – 23 au 25 octobre 2020

Encore un jour pour découvrir Galeristes au Carreau du Temple. Un salon d’art contemporain, « comme à la maison » pour les amateurs d’art, mis en scène par l’architecte de la BnF, Dominique Perreault et Gaelle Lauriot-Prévost sur une idée de Stéphane Corréard, commissaire du Salon de Montrouge de 2009 à 2015. Une sélection pointue, orchestrée par ce dernier est proposée aux collectionneurs et aux amateurs, amis des galeristes.

Alexandre Hollan – Marie-Hélène de La Forest Divonne.

Comme l’affiche le slogan retenu par Stéphane Corréard, « sans Galeristes, la vie serait trop triste. » Le thème fédérateur est celui de la scène française, souvent sous-estimée en raison de la globalisation du marché de l’art à partir des années 60.

Marie-Victoire Poliakoff, galerie Pixi

Plus précisément, la foire s’ordonne autour d’une « Anthologie de l’art français » entre 1950 et 1980, avec, en particulier, un impressionnant Bernard Moninot (galerie Jean Fournier), de près de 5 m de long, Horizon n°5 (1997), d’un bleu mathématiques et abstrait, et une rétrospective de Robert Malaval (1937-1980), avec neuf panneaux, Une aventure de Boris the Spider (1967), à la galerie Pauline Pavec.

Stanley W. Hayter (1901-1988) – Galerie T&L – T. Hertzog & L. Legros

Tout en s’inscrivant dans cette filiation, avec Stanley W. Hayter (1901-1988), un passeur du surréalisme de Paris vers New York au moment de son exil aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale, créateur de l’atelier de gravure l’Atelier 17 (jeune galerie itinérante T & L), la foire déborde des rivages de l’art hexagonal, avec Maryan S. Maryan (Pinchas Burstein – 1927-1977, qui a fait l’objet d’une rétrospective au Mahj en 2013) pour s’aventurer vers l’art brut indonésien de Ni Tanjung, avec Yes, We love Project x Lucas Djaou.

Marjane Satrapi – Galerie Françoise Livinec

La galerie Françoise Livinec poursuit son exploration des femmes dans l’art, avec Zuka, qui sonde la mémoire de l’histoire américaine sur les Amérindiens, et Marjane Satrapi, avec ses oeuvres au titre-choc, « Femme ou Rien », une forte déclaration qui ouvre l’entrée du Carreau, où le rouge et le noir dominent.

Galerie Valérie Delaunay ©Galeristes

Une vraie rencontre entre galeristes, artistes et collectionneurs où le temps s’arrête autour des œuvres.

Florence Briat Soulié

En image, mes coups de coeur :

Réservez :

Une idée de restaurant 10 minutes à pied pour un déjeuner, JE SUIS FAN du chef SUGIO YAMAGUCHI :

Botanique Restaurant

71, rue de la Folie-Méricourt 75011 Paris 

+33 (0) 1 47 00 27 80

contact@botaniquerestaurant.com

INFORMATIONS :

Le Carreau du Temple
4, rue Eugène-Spuller
75003 Paris
contact@galeristes.fr
+33 6 23 82 57 29

Vendredi 23 octobre 2020
Samedi 24 octobre 2020
Dimanche 25 octobre 2020
14h/20h

Stéphane Corréard, fondateur et directeur

Léon Spilliaert (1881-1946)

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Lumière et solitude

au musée d’Orsay

PAR STEPHANIE DULOUT


Léon Spilliaert « Autoportrait aux masques » 1903. Mine graphite, lavis d’encre de chine, pinceau, plume et crayon de couleur sur papier. H. 27,4 ; L. 27,2 cm . Paris, musée d’Orsay, conservé au département des Arts Graphiques du musée du Louvre

Loin des grandes rétrospectives à grand rendement, arguant d’une exhaustivité scientifique souvent roborative et peu accessible au grand public, auxquelles on nous a habitués depuis quelques années  (ces monographies en 180, 200, voire 300 numéros au catalogue visant à présenter « tout l’œuvre » des grands artistes, à en montrer « tous les aspects, variés et inégaux », des chefs-d’œuvre aux œuvres ratées, en passant par les études et autres expérimentations d’atelier…), l’exposition que le musée d’Orsay, après la Royal Academy de Londres, nous donne le bonheur de voir, est un concentré, à déguster. 

Léon Spilliaert « Femme au bord de l’eau », 1910, encre de Chine, pinceau, crayon de couleur et pastel sur papier, coll. part.

De format dense et intimiste (trois salles dans les coursives), concentrée sur les années les plus intenses de la création du peintre belge, entre 1900 et 1919, elle donne à voir le point de basculement entre le Symbolisme et l’Expressionnisme en nous plongeant dans l’univers obsessionnel du maître des vertiges. 

“Je recherche le recul des immenses solitudes. “ Lautréamont, Les Chants de Maldoror, 1869

Dans le sillage de l’exposition du musée-galerie de la Seita à Paris en 1997, qui a marqué, en France, la redécouverte de cet artiste belge inclassable et proprement fascinant – tant par la puissance quasi-hypnotique de ses œuvres que par sa figure de dandy neurasthénique –, “ le propos, resserré sur ses années de jeunesse, a pour toile de fond sa ville natale d’Ostende, sur les rives de la mer du Nord. Jeune homme sombre et solitaire, de santé fragile“, explique Laurence des Cars, présidente du musée d’Orsay, dans la préface du catalogue 1, “ Spilliaert promène sur les plages d’Ostende sa mélancolie et livre au regard du spectateur autant de paysages symbolistes ou métaphysiques, traversés par des figures mystérieuses, que d’angoissantes scènes d’intérieur, dont sa série d’autoportraits constitue le point d’orgue. Economie de moyens, géométrie des lignes, couleurs très ténues et expressives forment ainsi un style inclassable, qui évoque tantôt le symbolisme, tantôt le minimalisme, tantôt l’expressionnisme, tout en restant unique. Des images d’une modernité surprenante, qui font écho aussi bien à l’univers cinématographique qu’à celui du roman graphique et continuent d’inspirer les illustrateurs aujourd’hui. “ 

Léon Spilliaert (1881 – 1946) Le Coup de vent 1904 Lavis d’encre de Chine, aquarelle et gouache sur papier 51 x 41 cm Inv. SM000003, Collection Mu.ZEE, Oostende.

Vertiges

Vertigineuse plongée dans la nuit – des regards hallucinés et des paysages engloutis par les noirs, des visages métamorphosés par l’effroi ou avalés par la nuit… Vertigineuse plongée dans « les gouffres amers » de la mer enchanteresse et prédatrice… Vertigineuse plongée dans la Solitude et le silence des crépuscules… Vertigineuse plongée dans “le puits sans fond du rêve“ 2… Procédant d’une transfiguration fantastique du réel, l’œuvre visionnaire, pour ne pas dire hallucinatoire, de ces années de jeunesse n’est qu’un vertige. 

Vertige des espaces infinis tracés à l’encre et au crayon de couleurs (parfois mélangés au pastel et à l’aquarelle) sur des feuilles de 20 à 50 cm… Vertige des cadrages hypertrophiés (distendus, resserrés, obliques, en plongée ou contre-plongée…) et des perspectives sans fin… Vertige des horizons transformés en abîmes, des architectures instables basculant dans d’ « obscures clartés » et des surfaces réfléchissantes happant le regard pour le perdre “dans les dédales des profondeurs des miroirs“ 3 démultipliant les images du vide…

Léon Spilliaert (1881 – 1946) Autoportrait au miroir 1908 Lavis d’encre de Chine, gouache, aquarelle et pastel sur papier 48 x 63 cm Inv. SM000037, Collection Mu.ZEE, Oostende

Telle une plongée sans cesse recommencée, toujours plus profonde, plus vertigineuse, plus absolue, dans les abîmes – du noir, des bleus et des gris envoûtants de la nuit, du vide et de l’opacité… —, l’œuvre visionnaire développée au cours de cette période apparaît ici dans toute sa force symbolique et expressive. Quête, tant plastique que métaphysique, obsessionnelle, elle nous conduit, de paysages nocturnes fantomatiques en autoportraits hallucinés, de déserts en abîmes, à l’instar des maîtres du fantastique, dans « l’inquiétante étrangeté » du réel, dans le monde des interstices, là où les contours se délitent et où les formes se dissolvent, là où le silence hurle et où le corps, étreint par la peur et la vastitude, vacille, au bord des précipices, entre l’ombre et la lumière…

« L’épouvante existe, en chair et en os. Elle est sous nous et sur nous. […] L’inattendu nous guette. Il nous apparaît, il nous saisit, il nous dévore, et c’est à peine s’il nous semble réel. La création est pleine de formations vertigineuses qui nous enveloppent et dont nous doutons. »  Victor Hugo, « La Mer et le Vent », reliquat des Travailleurs de la mer, 1865 (pub. posth. en 1911)

Le théâtre des ombres

Tour à tour enveloppée d’un voile de brume ou d’une nappe obscure, diluée dans le brouillard ou ensevelie dans les noirs, oscillant entre ombres et reflets…, les formes semblent se dissoudre dans les monochromies, les paysages, les architectures et les figures, se dilater, se déréaliser. De ces silhouettes-fantômes s’abandonnant à leur part d’ombre à ces dunes et ces digues englouties et transfigurées par la nuit, c’est un véritable « processus de métamorphose du réel » 4 que l’on voit ici mis en œuvre.

Loin du “maniérisme tourmenté “, morbide et déjà suranné d’un Fernand Knopff, d’un James Ensor ou d’autres de ses contemporains représentants du Symbolisme décadent, Spilliaert ne verse ni dans la fantasmagorie, ni dans la mythologie, ni dans l’ésotérisme, ni dans le pittoresque ou le grotesque : même ses personnages carnavalesques ont une allure fantomatique et funèbre (ainsi des Habits blancs, de 1912, et des Dominos, de 1913, faisant rôder la mort sous leurs capes noires et leurs draps blancs semblables à des linceuls). 

C’est bien le réel que dépeint (en dessinant comme on peint) Spilliaert, mais comme il le perçoit, c’est-à-dire à travers le prisme de son angoisse et de sa mélancolie.

Léon Spilliaert « Tête de femme » 1903. Dessin sur papier. 24,6 X 19,2 cm . Bruxelles, Bibliothèque Royale. KBR – Cabinet des Estampes – S.V 75053

Femme de pêcheur sur le ponton, Femme au bord de l’eau, Fillettes devant la vague, Plage à marée basse, Cabine de plage, Brise-lames au poteau, Phare sur la digue, Digue la nuit, Clair de lune et lumières…  Des architectures rectilignes scandant l’horizon marin si caractéristiques d’Ostende aux Flacons de parfum du laboratoire paternel, des promeneurs solitaires du soir aux intérieurs peuplés de plantes et de miroirs, c’est sous un jour fantastique que, dans tous ses dessins, apparaît son environnement quotidien.

« Les zones de la réalité universelle se tordent, au-dessus et au-dessous de notre horizon, en spirale sans fin. La vie est un prodigieux serpent de l’infini. […] deux babels en sens inverse, l’une plongeant, l’autre montant, c’est le monde. »  Victor Hugo, « La Mer et le Vent », Les Travailleurs de la mer, 1865 (pub. en 1911)

Léon Spilliaert.
A gauche : « Fillettes devant la vague » décembre 1908 , lavis d’encre de chine, pinceau, crayon de couleur sur papier. Coll. privée
A droite : Femme au bord de l’eau, 1910, encre de Chine, pinceau, crayon de couleur et pastel sur papier, coll. part.

La nuit transfigurée

Transfiguré par des éclairages irréalistes et des distorsions de perspectives quasi-cinématographiques, cet univers familier se voit transformé en un théâtre d’ombres où les promeneurs hantant le désert des digues et des promontoires ont des allures de fantôme, où les formes sont dissoutes par les brumes et les corps aspirés par l’obscurité ; un monde englouti par les vides où le ciel, la mer et la plage deviennent un “espace désert et hypnotique“ , “ l’espace inépuisable des rêves “ 2, le miroir des mirages et des songes… 

“contempler la mer étalée comme un songe dans le jour mourant “ 

Léon Spilliaert, 1935

C’est à la faveur de sa rencontre avec les écrivains symbolistes, et notamment, de Maurice Maeterlinck, dont il illustrera tout le théâtre, que Spilliaert adopte cette vision subjective, onirique et introspective du paysage. “ La mer est pour moi un enchantement […] Je vis dans une véritable fantasmagorie […] Tout autour de moi est rêves et mirages “, écrit-il dans une lettre en 1920.

Ainsi, “le réel […] devient l’irréel. L’environnement quotidien devient exploration d’une vision imaginaire. “ 5 La station balnéaire mondaine qu’était alors Ostende devient le décor tourmenté de rêves sombres, à la fois étranges et menaçants. Atrophiés ou hypertrophiés, raccourcis ou élargis, les espaces dessinés finissent par prendre l’apparence de lieux hantés. N’hésitant pas, ici, à rallonger ou étirer telle perspective, là, à rétrécir la largeur d’une pièce, Spilliaert parvient à faire naître l’impression d’un espace étrange.

 Entre ombre et lumière

Une impression d’étrangeté renforcée par le traitement fantastique de la lumière. Tour à tour clarté blafarde distillant son poison mortifère sur des visages exsangues ou « obscure clarté », halos blêmes faisant trembloter la nuit ou traînées de reflets transperçant l’obscurité…, la lumière semble parfois émaner du vide (ainsi, dans les marines les plus abstraites réduites à de purs espaces-plans décomposés en aplats géométriques par l’étagement de l’ombre et de la lumière).

« Cette obscure clarté qui tombe des étoiles »  Pierre Corneille (Rodrigue dans Le Cid, IV, 3)

Léon Spilliaert (1881 – 1946) Paysage nocturne. Dune et mer déchainée 1900 Dessin sur papier 15,4 x 26,8 cm Bruxelles, Bibliothèque royale KBR – Cabinet des Estampes – S.V 81424

De « l’irréalité du mouvement tourbillonnant de la lumière de la lune blafarde » dans Clair de lune et lumières, au flacon entouré d’un halo comme « enrobé d’une aura de mystère », selon Anne Adriaens-Pannier, experte de Léon Spilliaert, auteur du catalogue raisonné et conservateur honoraire des Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, cet isolement des visages, des silhouettes ou des objets par cet éclairage sépulcral procède d’une “volonté de soustraire les objets réels à leur environnement, à les investir d’un pouvoir étranger à leur fonction [… ” Ainsi, La Coupe bleue surgie de la pénombre par le truchement d’un brusque rayon de lune, semble abandonner le monde de la pesanteur. Portée par son ombre, elle entame un processus de dématérialisation pour ne laisser finalement qu’un corps dénué de substance. “ 3

Et l’on songe à cette étrange « transparence opaque » à travers laquelle Le Horla de Maupassant voit son double apparaître et disparaître, prendre forme puis se déliter… Mais aussi, à « cette noirceur d’où sort une lumière » par laquelle Victor Hugo évoque la puissance expressive de l’encre, dont il fut, avec Spilliaert, l’un des plus grands praticiens. 

L’œuvre au noir 

Maître des contre-jours, des clartés blafardes surgissant des profondeurs de la nuit, des effets d’ombre transformant un visage en spectre ou un arbre en squelette… Spilliaert a trouvé dans l’encre noire, et plus particulièrement l’encre de Chine, son matériau de prédilection. Offrant d’infinies possibilités par sa fluidité, d’infinis degrés de nuance et de profondeur, elle était la matière la plus apte à transmettre « le vertige des infinis », l’instabilité des espaces et l’immatérialité tapie dans la matérialité des êtres et des choses… La matière la plus apte aussi à exhumer la noirceur de sa mélancolie… A peindre le vide et ”en vide” 2

Autodidacte volontaire, il abandonnera rapidement “ses tentatives de peinture à l’huile, qui figent la matière et le mouvement“ 6, au profit de cette noire monochromie contenant tous les infinis et concentrant toute la palette expressive des couleurs. Outre le noir, qui donne au paysage sa dimension irréelle, il parvient, par la subtile superposition des voiles d’encre (que requiert la technique du lavis) à des nuances nocturnes (bleuâtres, brunâtres, grisâtres…) mêlant l’opacité à la transparence avec une virtuosité d’alchimiste.

Jeu de transparence.- Léon Spilliaert « Femme devant la mer, soir » vers 1902-1903. 26,6 X 35,7 Lavis d’encre de chine, pinceau, vernis, aquarelle et pastel sur papier.Bruxelles, Bibliothèque Royale. – Cabinet des Estampes

Alchimie

” …] Extraire l’essence, recueillir les effluves de la matière ” – à l’instar de son père parfumeur ?… Happer “ l’infini qui dort dans l’immobilité, la profondeur du verre “ 2 ou de la nuit… Chercher la “ dissolution de la substance “ dans la fluidité presque immatérielle de l’encre… Il y a bel et bien un art de l’alchimie dans « l’œuvre au noir » de Léon Spilliaert. 

“…] l’encre est parfois très diluée, parfois utilisée au contraire de manière très dense, avec l’ajout de vernis et la superposition de pastel et d’encre”, explique Leïla Jarbouai, conservatrice des arts graphiques au musée d’Orsay, co-commissaire de l’exposition. Et d’ajouter : “ il joue sur la transparence et l’opacité, le mat et le brillant, pour créer une riche gamme de noirs, des nuances de gris et de tons blêmes rehaussés de rouges, bleus, mauves verts […] Il crée des voiles de noir qui, en diluant les contours et donnant l’impression de profondeur parfois vertigineuse, participent à l’atmosphère mystérieuse et onirique“ et “opèrent une abstraction sur le réel [… “ 6

Monochromie et poétique du vide

“ [Abolissant] la frontière entre dessin et peinture, utilisant le dessin de manière picturale“ 6, Spilliaert fera de ces noirs, de cette quasi-monochromie, la caisse de résonnance du vide. Dans ses   “paysages en vide ou très peu habités “,d’après Stéphane Lambert, auteur d’uneautobiographie-fiction Etre moi, toujours plus fort, les paysages intérieurs de Léon Spilliaert, résonne “son très grand sentiment de solitude. “ Et c’est dans la correspondance entre sa “recherche formelle“ et “ses profondeurs intérieures“ que, selon lui, repose “l’intensité de son œuvre“.

Léon Spilliaert « Femme de pêcheur à la jupe orange » 1910. Encre de chine, pinceau, pastel gras, pastel et crayon de couleur sur papier. 64,3 X 48,9. Collection part.

” chez Spilliaert, la vision et l’objet se cofondent ”, enchérit Leïla Jarbouai, dans une sorte d’attraction vertigineuse des abîmes ”où une quelconque coupe bleue, démesurément agrandie suivant une échelle subjective, rejoint le gouffre de la mer et ses miroitements infinis“ 6.  Dans certaines marines, l’horizon, comme aspiré, semble reculer, s’enfoncer, fuir avec l’espace dilaté – un espace immatériel, mouvant, fuyant, à l’image du flux et du reflux de la mer “où on [l]’a fait naître » 2.

Selon Leïla Jarbouai, encore, c’est cet horizon qui le retient, qui l’empêche de basculer ; cet infini devant lequel il érige digues, brise-lames, parapets, arcades, phares, comme autant de cordes tendues sur l’abîme, de ponts ou de remparts l’empêchant de tomber dans le chaos de l’immensité.

”L’homme est une corde tendue […] sur l’abîme » semble nous dire le peintre, à l’instar du Zarathoustra de Nietzsche (dont il était un fervent lecteur). Et n’est-ce pas d’ailleurs dans cet étrange tableau / dessin, Le Retour du bain (de 1907), représentant un personnage minuscule perdu dans l’immensité, affrontant des “distances impossibles à franchir“ 2 , que l’on doit voir l’autoportrait le plus révélateur de ce grand mélancolique épeuré ?

L’inquiétude, les vertiges, le vide immense entre les choses et l’ennui ; ses tourments qui sculptent son corps anguleux …]”, de paysages en portraits hallucinés, Spilliaert, nous disait Jean de Loisy sur les ondes de France Culture le 27 septembre dernier 7, s’est adonné “à la contemplation fascinée de ses propres épouvantes. “

Il aura aussi infusé, à travers les lignes sinueuses de ses silhouettes désincarnées et de ces ombres éthérées hantant ses plages désertes, ce sentiment imprécis de l’attente ou de la solitude, mêlant à la peur du néant et de l’inconnu une fascination pour le vide, si présent dans toute la littérature de l’époque, et notamment dans la poésie de ses deux plus proches amis, Stefan Zweig et Emile Verhaeren.

Léon Spilliaert – Vue d’ensemble

De ce dernier, immense poète belge, dont Spilliaert a illustré nombre d’œuvres, voici « La Lune », publiée en octobre 1893 dans La revue rouge, que l’on ne peut résister à la tentation de livrer dans son entièreté. Au fil de sa lecture, on voit apparaître le si fascinant Clair de lune faisant tournoyer son halo blafard dans la nuit noire réalisé par Spilliaert vers 1909 : troublant…

Léon Spilliaert (1881 – 1946) Clair de Lune et lumières Vers 1909 Pastel et lavis d’encre H. 64 ; L. 48,5 cm Paris, musée d’Orsay Don de Madeleine Spilliaert, 1981 © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

La Lune

Sous les plafonds que sur la terre
Minuit ajuste avec des crampons d’or,
Tu voyages par le soir mort
Œil éternel et solitaire ;

Œil pour le pôle et le désert
Où la chaleur ressemble au gel,
Où le silence comme un scel
Ferme les lèvres de la mer ;

Œil projeté de haut en bas
Sur les peuplades taciturnes
Qui bâtirent leurs sphinx nocturnes,
Avec les blocs que tu fixas ;

Œil qui casses [sic] ta clarté ronde
Comme un cristal contre les dalles
Que font les vagues colossales
Sur les plages, au bout du monde ;

Œil d’immémorial ennui,
Éclatant et livide,
Que le temps sculpte au front du vide
Dans le visage de la nuit ;

Œil si vieux que la terre oublie
Monotone, depuis quel jour,
Monotone, tu fais le tour
De sa mélancolie ;

Œil nul et que l’on sait béant
Parmi les ombres claires,
Lorsque, l’hiver, tu les éclaires
Avec ta mort et ton néant ;

Œil hostile des firmaments
Qui travailles, sans nulle peur,
À la folie et la terreur
Des poètes et des amants ;

Pendant les lourds minuits de pierre
Qui s’abaissent sur mon alcôve
Tu m’engloutis sous ta paupière
Œil monstrueux et chauve.

Emile Verhaeren

Abstraction

”…] Les apparences marines sont fugaces à tel point que, pour qui l’observe longtemps, l’aspect de la mer devient purement métaphysique ; cette brutalité dégénère en abstraction. “ 

Victor Hugo, « La Mer et le Vent » 

Le processus de déréalisation issu de la contemplation décrit par Victor Hugo en 1865 advient dans l’œuvre de Spilliaert dans les années 1900-1910. Dans toute une série de marines, il met alors en œuvre “une recherche de simplification radicale fondée sur la ligne“ 4 semblant annoncer l’abstraction géométrique. Poussé à son paroxysme, l’“expressivité du vide “ 2 le conduit ici loin du Symbolisme finissant, et même, de l’Expressionnisme naissant, pour approcher les rivages encore inexplorés de l’abstraction…

”Dans ces œuvres, la géométrisation est poussée à l’extrême. Les plans sont des aplats de lavis transparent […] Le regard se trouve face à un pur espace plan, animé par des formes sans détails ni matérialité. ” Noémie Goldman, « Une cervelle remplie de brumes. Léon Spilliaert et la ville d’Ostende », dans le catalogue de l’exposition du musée d’Orsay 1.

Portraits hantés

”…] je commençai à m’apercevoir dans une brume au fond du miroir, dans une brume comme à travers une nappe d’eau ; et il me semblait que cette eau glissait de gauche à droite, lentement, rendant plus imprécise mon image de seconde en seconde. C’était comme la fin d’une éclipse. Ce qui me cachait ne paraissait point posséder des contours nettement arrêtés, mais une sorte de transparence opaque s’éclaircissant peu à peu. »

Guy de Maupassant, Le Horla, 1887

”Cette dissolution des contours, cette « transparence opaque » entre ombre et lumière, forme et informe, n’est-elle pas la manière de peindre de prédilection de Spilliaert dans son « Œuvre au noir » ? ” 

Leïla Jarbouai, « Léon Spilliaert, Lumière et solitude », dans le catalogue de l’exposition 1.


Les 2 commissaires : Leïla Jarbouai, conservatrice arts graphiques au musée d’Orsay
Anne Adriaens-Pannier, conservatrice honoraire des Musées royaux des beaux-arts de Bruxelles.

Léon Spilliaert
Au centre : Autoportrait, 1907. Lavis d’encre de Chine, pinceau, crayon de couleur et aquarelle sur papier. 52,7 X 37,8 cm. Etats-Unis, New-York, The Metropolitan Museum of Art. A droite : Autoportrait au chevalet, 1908. Lavis d’encre de Chine, pinceau, crayon de couleur, craie de couleur et pastel sur papier. 64,5 X 48,5 cm. Anvers, Koninkljk Museum voor Shone Kunsten

Des volutes au bord de précipices. 

 Voici la femme selon Spilliaert. 

Sinueuse, désincarnée, fantomatique, éthérée, dévorée ou dévorante…, elle apparaît presque toujours, dans son œuvre, en contre-jour, et donc, sous la forme d’une ombre. 

Tour à tour Rapace (crayon, lavis d’encre de Chine, aquarelle et fusain, 1902), Femme de pêcheur (1909-1910), Sirènes danseuses (1908), Fillettes [oscillant] devant la vague (1908), Baigneuse graphique (lavis d’encre de Chine, pinceau et pastel, 1910), Femme-flamme montant les « grands escaliers » « du fond des brumes » « Jusques au ciel » où « Comme d’un rêve, elle s’exhume… »  1 (Vertige, 1908), Nuage aux allures d’Erynnie (mine graphite, lavis d’encre de Chine et pinceau sur papier, v. 1902)…, elles font corps avec la nuit et semblent souvent surgies des rêves…

1. Emile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées, 1893

REFERENCES :

1- Léon Spilliaert, Lumière et solitude, catalogue de l’exposition, éd.musée d’Orsay – RMN Grand-Palais

2- Citations extraites de Etre moi, toujours plus fort, les paysages intérieurs de Léon Spilliaert, une autobiographie-fiction de Stéphane Lambert paru chez Arléa Poche.

3- Anne Adriaens-Pannier, « Léon Spilliaert ou l’esprit libre d’un visionnaire », dans le catalogue de l’exposition Léon Spilliaert du Museum voor Schone Kunsten d’Ostende de 1996 publié chez Ludion.

4- Denis Laoureux dans le catalogue de l’exposition « Léon Spilliaert, un esprit libre » présentée aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles de sept. 2006 à fév. 2007 (éd. Ludion)

5- Noémie Goldman, « Une cervelle remplie de brumes. Léon Spilliaert et la ville d’Ostende », dans le catalogue de l’exposition du musée d’Orsay.

6- Leïla Jarbouai, « Léon Spilliaert, Lumière et solitude », dans le catalogue de l’exposition du musée d’Orsay.

7- « Spilliaert, un grand mélancolique » dans l’émission « L’Art et la matière » de Jean de Loisy sur France Culture le 27 septembre dernier. A podcaster sur franceculture.fr

SPILLIAERT (1881-1946)

Lumière et solitude

Musée d’Orsay

Jusqu’ au 10 janvier 2021

www.musee-orsay.fr

Commissaires

Leïla Jarbouai, conservatrice arts graphiques au musée d’Orsay
Anne Adriaens-Pannier, conservatrice honoraire des Musées royaux des beaux-arts de Bruxelles

Exposition organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie, Paris, et la Royal Academy, Londres.

Exposition présentée à la Royal Academy, du 19 février au 12 septembre 2020

Kiki Smith, Hearing You with My Eyes

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Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, jusqu’au 10 Janvier 2021

L’univers de Kiki Smith (née en 1954) dérange, fascine et captive. Il exerce un jeu d’attraction- répulsion irrésistible. Son Art est viscéral. Il a pris naissance dans une angoisse profonde, la nécessité de se confronter à soi-même via ce corps, bizarre compagnon, cet étranger dans lequel nous habitons. L’artiste s’engage dans une recherche obsessionnelle pour comprendre chaque partie de ce corps. Elle commence par le morceler jusqu’à l’infiniment petit, s’attache ensuite à ré-unifier l’humain dans son ensemble, pour enfin aborder sa relation avec son environnement naturel, animal et cosmique.

Kiki Smith , My Back Brain, 2006, photo©thegazeofaparisienne

Dans son cheminement artistique, Kiki Smith évolue peu à peu de créations dures, radicales parfois choquantes, vers la sérénité, la recherche de légèreté et de beauté. A travers une centaine d’oeuvres, la remarquable exposition au Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne retrace quarante ans de création de Kiki Smith, mettant en lumière la sensorialité omniprésente de son travail.

Kiki Smith , Congregation 2014 , Tapisserie, photo ©thegazeofaparisienne

L’Obsession du corps

Toute l’histoire du monde réside dans notre corps , Kiki Smith

Anatomie Fragmentée

A l’âge de 25 ans, Kiki Smith découvre l’ouvrage, Anatomy : descriptive and Surgical (Anatomie, descriptive et chirurgicale), d’Henry Gray. Elle se passionne pour ces représentations médicales et devient familière avec toutes les formes d’organes intérieurs du corps, leur fonctionnement physiologique, leurs compositions.

Kiki Smith , My Blue Lake, 1995, photo:thegazeofaparisienne

Elle y trouve l’inspiration pour des oeuvres fortes, crues, cherchant à apprivoiser l’étrangeté du corps. Organes intérieurs, fluides et sécrétions humaines sont présentés ouvertement. Le travail artistique de Kiki Smith jouit très vite d’une grande reconnaissance par les Musées Américains emblématiques. Dès 1990, le MOMA lui consacre une exposition personnelle, et cette même année 1990, le Centre d’Art Contemporain de Genève lui offre également sa première monographie Européenne. Cependant, si à ce moment-là si elle séduit déjà les institutions d’Art, la radicalité culottée et avant gardiste de ses créations ont du mal à séduire les collectionneurs et le public en général.

Kiki Smith , Tong and hand, 1985 photo ©thegazeofaparisienne

Kiki Smith , Untitled (Skins), 1992, Aluminium, photo ©thegazeofaparisienne

La premier volet de l’exposition du MCBA de Lausanne, présente des oeuvres de cette période, mettant en scène des parties isolées du corps humain (sculptures d’oreilles laissant apparaitre tout le conduit auditif, moulage de peau découpée et tressée où l’on retrouve les reliefs du corps etc… ). Dans Untitled (Bosoms #3) Kiki Smith isole le sein et le reproduit en plusieurs séquences. Cette oeuvre me fait penser au travail de Louise Bourgeois également animée par cette même obsession de l’anatomie .

Kiki Smith , Untitled (Bosoms#3), 1994, photo ©thegazeofaparisienne

Plus dur à regarder, neuf mètres de tube digestif déployé s’exhibent sous nos yeux, sans nous épargner aucun détail depuis la bouche, la langue, l’estomac, la vésicule biliaire etc..

Le corps réunifié

Kiki Smith, Curled up Boddy 1995, photo©thegazeofaparisienne

Après ces représentations parcellaires du corps, l’artiste revient à la figure humaine réunie grâce à la peau, enveloppant tout. Membrane à la fois résistante mais aussi poreuse, vulnérable, la peau incarne l’essence même de l’Homme et de la vie. Kiki Smith crée des sculptures de papier pour représenter ce paradoxe de fragilité et de robustesse. Telle l’oeuvre Untitled 1992, au centre de la salle, dont les entrailles (rubans) sortent du ventre. Elle me parait effrayante, mais en même temps se dégage de ses rubans une énergie presque joyeuse, vivante.

Kiki Smith , au centre Untitled 1992, photo ©thegazeofaparisienne

Très touchée par la mort de son père Tony (1980) Smith- célèbre artiste, pionnier de la sculpture minimaliste- puis de sa soeur Béatrice (1988), Kiki Smith crée une grande installation Untitled 1990. Les corps de papier flottent entre ciel et terre, vidés de leur sang qui s’étale sur des panneaux rouges.

Kiki Smith , Untitled, 1990 photo ©thegazeofaparisienne

Interactions fusionnelles

Après avoir apprivoisé le corps, Kiki Smith s’attache à la relation de l’être humain avec ce qui l’entoure. L’artiste évoque ce lien étroit de façon onirique, en empruntant des images de l’iconographie religieuse ou mythologique. Je suis captivée par la beauté de My Back Brain , une reine flottant dans l’espace, entourée d’étoiles et d’un oiseau. Son corps couvert de losanges, rappelle celui de l’artiste, tatoué de papillons, étoiles et fleurs illustrant cette communion avec l’univers tout entier.

L’humain et l’animal

Kiki Smith , Sleeping Woman with Peacock 2004, photo ©thegazeofaparisienne

La relation de l’humain à l’animal est fusionnelle. Elle est parfois brutale ou au contraire harmonieuse. La sculpture Rapture, montre une femme victorieuse, sortant du corps d’un loup, qui me rappelle le conte du « Petit Chaperon Rouge », et à l’inverse le gracieux dessin Sleeping Woman with Peacock, présente le corps de la femme et celui du Paon se fondant l’un avec l’autre.

Kiki Smith , Heard ,2014, photo ©thegazeofaparisienne

Depuis 2009, Kiki Smith s’intéresse aux capacités de perceptions sensorielles des animaux que les humains n’ont pas ou peu développées. Le titre de l’exposition (et de l’une de ses oeuvres) , Hearing You with My Eyes, fait allusion à ce thème. Dans cette série, je suis captivée par la beauté du dessin Heard représentant une taupe (presqu’aveugle), à côté de deux grands yeux d’où s’échappent des rayons. Cet animal a développé un odorat et une ouïe extrêmement performants qui lui permet de « voir » ce que ses yeux ne perçoivent pas.

Le Corps et le cosmos

Kiki Smith, Rogue Stars, Etoiles rebelles, 2012 , photo ©thegazeofaparisienne

Evoquant la mémoire des disparus, Kiki Smith crée une brillante installation d’étoiles, Rogue Stars , Etoiles Rebelles dans lesquelles se mêlent des bribes de visages et de corps.

Contes et mythes : la salle des tapisseries

Kiki Smith, Congregation, 2013, Cathedral, 2014, Harbor, 2015 , photo ©thegazeofaparisienne

Cette salle est à couper le souffle ! Douze spectaculaires tapisseries nous entourent. Chacune d’elle représente une scène du monde naturel empreinte de paix et d’harmonie. Les règnes animal, végétal, cosmique et humain sont reliés les uns aux autres étroitement. Les décors fastes et magiques semblent tout droit sortis du Moyen-Âge. C’est en effet en découvrant la Tapisserie de l’Apocalypse, commanditée par le Duc Louis Ier d’Anjou au XIV ème siècle, qu’est née l’intérêt de Kiki Smith pour cette pratique.

Kiki Smith, Underground, Earth, Sky 2012 , photo ©thegazeofaparisienne

On y retrouve les thèmes majeurs qui ont traversé l’oeuvre de Kiki Smith, ainsi que les motifs récurrents de son travail: le corps nu de la femme, les étoiles, les animaux féroces (loups, vautours) ou bienveillants (oiseaux, biches etc..), l’eau comme liant et flux de vie etc… L’artiste emprunte également des références tirées des contes populaires, de la mythologie ou d’écritures bibliques, telle cette Eve séduite par le serpent dans Earth.

Je suis sortie de cette exposition, au MCBA de Lausanne, extrêmement émue , touchée au coeur par la force incroyable et la sensibilité des oeuvres de Kiki Smith. Elle a montré le corps féminin sous toutes ses formes, comme jamais personne auparavant. Ses créations nous déstabilisent, parfois même nous choquent, puis nous captivent, nous émerveillent par leur audace et la magie de son univers.

Information:

Musée des Beaux Art de Lausanne

Kiki Smith , Hearing You with My Eyes

Jusqu’au 10 Janvier 2021

Exposition Kiki Smith , Light

La Pace Gallery de Genève propose, en complément du MCBA de Lausanne, une présentation qui s’intéresse au dernier volet de l’oeuvre de Kiki Smith.

L’artiste ayant apprivoisé le corps, s’étant interrogée sur les interactions de l’humain avec son environnement et sa place dans l’univers, a dompté ses démons et trouvé une forme de sérénité.

devant Quiver , 2019 photo©thegazeofaprisienne

Elle recherche désormais la légèreté et la beauté en toute chose. Kiki Smith sublime la nature et illumine ses oeuvres d’étoiles et d’or. J’aime la gracieuse poésie de ce travail qui laisse la place à notre imagination.

Kiki Smith, photo©thegazeofaparisienne

Kiki Smith, The light of the world, 2017 photo©thegazeofaparisienne

Caroline d’Esneval

EL ANATSUI, TRIUMPHANT SCALE

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El Anatsui, Man’s Cloth, 2001, aluminium and copper wire, 293 × 374 cm
British Museum, London,

El Anatsui, ce nom ne cesse de résonner dans mon esprit; résonance semblable au bruit que pourraient produire ces petites pièces de métal en mouvement. J’ai toujours été fascinée par les oeuvres de cet artiste, Lion d’Or de la 56éme Biennale de Venise. Encore étudiante à la Sorbonne, c’est Philippe Dagen, qui avait attiré mon attention sur cet artiste et son oeuvre. Je me souviens avoir été fortement marquée par Sasa, oeuvre dans la collection du centre Pompidou depuis 2005.

El Anatsui (1944 – ) Sasa (Manteau) 2004, Aluminium, cuivre, 700 x 640 x 140 cm
Installation murale constituée de capsules de bouteilles de rhum aplaties assemblées à l’aide de fils de cuivre
Centre Pompidou, Paris, Achat, 2005

Le Kunstmueusem de Berne, nous offre une rétrospective très marquante. Triumphant scale : échelle triomphante, met en avant la monumentalité des oeuvres ainsi que le processus créatif ayant permis la réalisation de ces dernières (mise en avant de tous les supports explorés). Il s’agit de la plus importante exposition de son travail à ce jour.

L’artiste vit et travaille au Nigéria depuis 1975. Avec cette exposition, le Kunstmuseum souhaite rendre hommage à la puissante influence artistique d’El Anatsui sur « les générations d’artistes ouest-africains et à son statut d’artiste contemporain reconnu internationalement ».

L’exposition ne se consacre pas uniquement aux oeuvres de métal monumentales, mais présente également ses sculptures en bois ou ses dessins (éléments fondamentaux dans le processus créatif de ses pièces emblématiques en aluminium). Dans ses travaux sur papier, El Anatsui illustre la manière dont il repense constamment les compositions et structures des grandes oeuvres. La présence de figures humaines dans ses gravures nous rappelle l’art africain traditionnel et contemporain à l’inverse de l’abstraction des oeuvres en métal.

El Anatsui, Chief With History Behind Him, 1987 aquatint on paper, 51.1 × 39.7 cm
Iwalewahaus, Universität Bayreuth

Mon attention est captivée par les immenses créations de l’artiste, véritable voyage visuel.

Les créations sculpturales planes sont uniquement composées de bouchons de bouteilles en aluminium, découpés, aplatis, écrasés, tournés et pliés. La technique consiste ensuite à tordre des fils de cuivre en fines vrilles métalliques afin que les éléments soient liés et entrelacés en un seul ensemble. On peut voir dans ce travail, exécuté à la main, « une métaphore de la construction de la société humaine« . El Anatsui est très attaché au fait que l’essence même de son oeuvre existe grâce à l’utilisation de matériaux usagés, « matériaux beaucoup touchés et utilisés par des gens » et insiste sur le fait que « les artistes sont mieux à même de travailler avec ce que leur environnement leur offre« . En effet, grâce à des éléments de la vie quotidienne, l’artiste et ses seconds parviennent à créer une tapisserie d’or. Ces compositions brillent de tout feu, elle semblent si souples, si mobiles.

L’assemblage de milliers de capsules de bouteilles illustre l’abolition des frontières entre la sculpture, peinture et l’assemblage, ce qui se rapproche des traditions antérieures de l’art africain.

El Anatsui, Red Block, 2010, found aluminium and copper wire, 444.5 × 563.88 cm The Broad Art Foundation
El Anatsui, photo EmilieRenault@thegazeofaparisienne

Peau de reptile, tapis de fleurs; ces oeuvres éveillent une multitudes d’allégories. En les regardant, je ne peux m’empêcher de penser au fond travaillé et à la robe du  Portrait d’Adèle Bloch-Bauer I de Gustave Klimt. Les compositions articulées d’El Anatsui et l’utilisation de la couleur or participent à ce rapprochement visuel.

Gustave Klimt, 1907, 138 cm × 138 cm (54 in × 54 in), Oil, silver and gold on canvas, Neue  Galerie, New York 
El Anatsui, Gravity and Grace, 2010, bottle caps, aluminium and copper wire, 482 × 1120 cm
Collection of the artist, Nsukka, Nigeria. Courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery, New York

Les oeuvres de l’artiste s’apparentent à des tapisseries, drapées au mur, ou encore posées au sol. J’adore cette souplesse, cette flexibilité, qui accentue la puissance des tonalités. Par leur mouvance, elles réfléchissent la lumière qui pénètre en abondance par les grandes fenêtres du Kunstmuseum. Un ensemble scintillant, semblable à la surface de l’eau.

El Anatsui, Tiled Flower Garden, 2012, aluminium and copper wire, size variable, collection of the artist, Nsukka, Nigeria, © El Anatsui. Courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery, New York

Monochromes ou ornées de motifs abstraits, ces rideaux de métal nous captivent par leur immensité. Leur composition est difficilement saisissable; ce mystère participe à leur beauté. A la fois mystérieuses et radieuses, les créations d’El Anatsui nous transportent dans un univers à part; univers poétique et onirique. Une poésie pourtant composée à partir de « déchets ».

El Anatsui, photo EmilieRenault@thegazeofaparisienne
El Anatsui, photo EmilieRenault@thegazeofaparisienne

Magiques aussi, car ces oeuvres changent, se métamorphosent. Chaque nouvel accrochage donne lieu à une nouvelle affirmation. La manière dont elles sont disposées et la matière sur laquelle elles sont placées, guident le résultat visuel. Idée fortement soutenu par l’artiste; les oeuvres deviennent alors une métaphore « du passage du temps et du caractère inévitable du changement« .

El Anatsui, Strips of Earth’s Skin, 2008, found aluminium and copper wire, 330.2 × 696 × 40.6 cm
The Broad Art Foundation
El Anatsui,photo EmilieRenault@thegazeofaparisienne

El Anatsui est un magicien. Il transforme les « déchets » en merveilles qui racontent l’histoire de sa terre colonisée, l’Afrique, et évoquent les enjeux actuels de notre société- en particulier écologiques- auxquels nous sommes confrontés. Derrière ses somptueux rideaux et tapisseries de métal, il y a toute la sensibilité d’un artiste profondément humaniste .

Emilie Renault

Agnès Thurnauer C.H.R.O.M.A.T.I.Q.U.E.S

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12 lettres pour un musée

Interview + vidéo à l’Orangerie

Agnès Thurnauer et moi devant un tableau de André Derain « Nu à la cruche » 1925. Huile sur toile. Acquis en 1959 avec le concours de la Société des Amis du Louvre-
Musée de l’Orangerie – Installation des matrices – © The Gaze of a Parisienne

Agnès Thurnauer est une artiste particulière, femme artiste ou femme de lettres ou les deux à la fois. Depuis notre rencontre, lors d’une foire d’art contemporain, j’aime suivre son travail, Peinture et lettres se confondent dans la toile ou la sculpture. Poésie ou peinture, on ne sait plus, le poème devient cette grande toile, la figure se transforme en lettre et ainsi de suite. L’artiste est toujours dans la création d’un langage qu’elle propage à travers son oeuvre où les séries commencées se poursuivent à l’infini.

Agnès Thurnauer -Biotope #1 2004, huile sur toile

Des mots pour peindre

Une évidence, pour Agnès : oui les livres sont une première nécessité, elle le dit, l’écrit et vit entre son « château-fort » de livres et son atelier. Question qui se pose pourtant en 2020 à l’heure où les librairies et bibliothèques sont fermées par décret.

« Je poursuis mon château-fort. J’ai mes appartements dans des livres. Même confinée, je trouve des pièces, des vestibules, des entrées, des chambres, des salons dans les livres où j’habite » Agnès Thurnauer – Extrait de Traversée – Oeuvre collective – Editions Ishtar.

Agnès Thurnauer – Musée de l’Orangerie – Installation en cours des Matrices Chromatiques

Rendez-vous x 2

Octobre 2020, mois de l’installation des matrices au Musée de l’Orangerie, mon rendez-vous est pris avec Agnès Thurnauer à son atelier. Quelques jours plus tard, je la retrouve au Musée de l’Orangerie en pleine installation de C.H.R.O.M.A.T.I.Q.U.E.S, 12 lettres sculptées en aluminium brossé, éparpillées dans les salles du Musée. Une ode aux Nymphéas de Monet. Une oeuvre immersive, le regardeur s’installe dessus, dedans et rêve devant les chefs-d’oeuvre de la collection Walter/ Guillaume.

Visite d’atelier

Interview du 6 octobre 2020

Florence Briat-Soulié pour The Gaze of a Parisienne :

Merci Agnès de me recevoir dans ton atelier, pourrais-tu me raconter ton parcours, à quel moment as-tu su que tu serais artiste ? ta formation ?

Palette de l’artiste

Vocation artiste

Agnès Thurnauer :

J’ai toujours voulu être artiste depuis ma tendre enfance, qui n’est pas forcément tendre, mais c’est comme cela qu’on dit. Je me suis trouvé un atelier pour le prix d’un studio quand j’avais 20 ans, un grand espace de travail au dessus d’un garage dans le 11e, complètement déglingué, dans lequel je suis restée plusieurs années. J’ai fait les Arts Déco, spécialité images vidéo car je ne voulais pas de professeur de peinture et j’adorai le cinéma, je trouvais que dans la mesure où j’avais une pratique personnelle dans l’atelier, autant que je me serve de l’école pour apprendre quelque chose d’autre. Cela m’intéressait de voir toutes les questions de montage, de cadrage…J’ai eu mon diplôme aux Arts-déco en 1986, tout en continuant à beaucoup peindre et dessiner.

Agnès Thurnauer, dans son atelier. © The Gaze of a Parisienne

Les Arts Déco, section image / vidéo

T.G.P :

C’est amusant, ce choix de vidéo et non pas de peinture, dans l’article du supplément M du Monde que je viens de lire, tu fais partie de ces artistes qui prônent la peinture et tu cites cette phrase de Marcel Duchamp : « L’avant-garde ne jure que par Marcel Duchamp « Les gens n’ont retenu que son fameux anathème « bête comme peintre » qui est une provocation, une posture de brillant dandy dont on connaît l’ambiguïté , car la peinture a toujours été importante pour lui »  Agnès Thurnauer.

As-tu choisi la vidéo car cette spécialité était dans l’air du temps dans les années 80 ?

la peinture m’habitait tellement…

A. T.

Non pas du tout, c’était parce que j’avais tellement peint , la peinture m’habitait tellement, j’étais habituée à la pratiquer seule. Le professeur de cette époque était Zao Wou Ki et je ne me voyais pas du tout recevoir son enseignement. C’était loin de mes préoccupations picturales. Je ne voulais pas doubler ma pratique personnelle de la peinture avec un enseignement en groupe alors que j’étais très isolée et très timide. L’école m’a cependant permis de me socialiser un peu et ne m’a pas empêchée de continuer à peindre et de faire de nombreuses choses dans mon atelier qui était un peu une factory.

Agnès Thurnauer – L’Annoncée – 2019. Acrylique, crayon et ruban adhésif sur toile.217 X 227 cm

T.G.P Continues-tu toujours cette pratique ?

A.G. En sortant j’ai fait des installations vidéo, des petits films mais j’ai peu continué. J’en ai montré juste comme des notes d’atelier au Palais de Tokyo, pour l’une d’elles, j’avais juste filmé un tableau en train de sécher devant la fenêtre, c’était vraiment comme lorsque j’écris mes notes dans mon journal d’atelier, mais ici il s’agit de notes filmées. Mais sinon je n’ai pas continué du tout la question du cinéma, de l’image en mouvement.

En sortant de l’école en 86/87 et le temps que j’ai eu mes deux fils, je n’ai plus eu d’atelier, j’en ai retrouvé un en 1992. Je me suis complètement ré-immergée dans une pratique quotidienne, j’avais trouvé le moyen de gagner ma vie en écrivant, tout en peignant tous les jours énormément.

Le langage a toujours été très important pour moi

T.G.P L’écriture a-t’elle toujours eu une grande importance pour toi en parallèle de la peinture ?

A.G. Toujours, j’ai toujours beaucoup écrit, des poèmes, des contes, des journaux et le journal qui a été publié dans la collection Ecrits d’artistes aux Beaux-Arts, c’est 3 ans entre 2009 et 2012, mais j’avais déjà tout un journal avant. C’est un volume qui réunit des entretiens, des conférences, des textes et puis c’est 3 ans de journal d’atelier que je continue toujours. Le langage a toujours été très important pour moi.

Agnès Thurnauer – Terre et langue #2, 2017 – Huile sur toile – 200 X 280 cm

« j’ai été un cormoran de bibliothèque » .

T.G.P. Quand tu dis langage plutôt qu’écriture, peux-tu m’expliquer ?

A.T. Le langage signifie pour moi les échanges, les conversations que nous pouvons avoir, toujours fascinée que parfois tu parles avec quelqu’un et cette conversation te fait penser à quelque chose que tu n’aurais pas développée. Sinon, il y a vraiment de la créativité dans les échanges, dans l’écoute de l’autre. Et dans le langage il y a bien sûr la littérature qui est fondamentale pour moi comme dit Suzan Howe, cette poétesse « j’ai été un cormoran de bibliothèque » . J’adore cette image car le cormoran plonge sous l’eau, j’ai été ce cormoran, dès l’enfance, j’ai plongé dans les livres et j’habite dans les livres.

J’adore Suzan Howe, Emily Dickinson, Virginia Woolf

T.G.P. Qui sont tes maîtres ? les écrivains que tu aimes et qui t’ont inspirée?

A.T. Il y en a énormément, j’adore Suzan Howe, Emily Dickinson, Virginia Woolf dont j’ai lu il y a peu de temps un petit livre qu’on m’a donné et qui est tellement beau Tout ce que je vous dois, lettres à ses amies Virginia Woolf, (éditions L’Orma). Lettres adressées à des femmes, qu’elle appelle parfois Ma femme, ses grandes relations parfois très fortes avec ces femmes qui l’ont accompagnée toute sa vie. Et sinon tous les classiques, les grands auteurs, russes, français, italiens… Italien : L’art de la joie de Goliarda Sapienza que j’ai dû lire 3 fois. Je vis entourée de livres, j’en lis plusieurs en même temps.

L’écriture, le langage et la peinture sont des vases communicants pour moi.

Agnès Thurnauer – (détail)

J’ai osé aller voir ma maîtresse en lui demandant pourquoi il n’y a pas d’œuvres d’artistes femmes dans les musées ?

T.G.P. Et les femmes aussi ?

A.G. Les femmes oui mais ce n’est pas une volonté, c’est plus une empreinte qui est très visible sur mon travail sur les noms d’artistes, mais c’est surtout une empreinte très violente de mon enfance où je voulais vraiment devenir peintre dès l’âge de 3 ou 4 ans. J’ai beaucoup peint à cette époque et quand j’ai eu accès aux musées et surtout quand je lisais les cartels en cherchant qui avait peint quoi et que je ne voyais pas de nom de femme, je me disais « mais que se passe-t-il, comment vais-je faire, où sont-elles ? « . C’est vrai que cela m’a accompagnée et je raconte souvent cette anecdote, un jour, pourtant très timide, j’ai osé aller voir ma maîtresse en lui demandant pourquoi il n’y a pas d’œuvres d’artistes femmes dans les musées ? Elle m’a alors regardée et je me suis dit, là, elle ne voit pas du tout de quoi je parle. Alors c’est vraiment grave.

Je ne suis pas une artiste féministe mais une femme féministe totalement

T.G.P. C’est vrai on ne se rendait pas compte de la situation.

A.G. Oui, je dis que je ne suis pas une artiste féministe mais une femme féministe totalement et j’ai un travail qui parle de cette question du langage du genre car c’est un des aspects du langage très important. C’est ainsi qu’on transforme les choses. L’écriture inclusive, c’est compliqué, mais tant qu’on ne donnera pas une égalité dans la langue entre les hommes et les femmes en français, il y aura toujours un résidu du second sexe comme dit Simone de Beauvoir. C’est vrai qu’ensuite j’ai été mue par les idées sur cette question de la représentation des femmes dans l’histoire de l’art.

Agnès Thurnauer – Série « Predelle. »

Conte de fées et peinture

T.G.P. J’ai connu ton travail sur la féminisation des noms d’artistes, tes tableaux sur cette série sont très reconnus aujourd’hui

A.T. C’est cela qui est très compliqué dans une trajectoire d’artiste, les gens se disent Agnès, elle fait ce travail sur les noms, alors qu’avant d’arriver là, il y a 20 ans de peinture. J’ai montré mon travail très tard grâce à la galeriste géniale Ghislaine Hussenot, chez qui j’ai atterri.

Agnès Thurnauer – Portraits grandeur nature (détails) « Claude Cahun » « Eugénie Delacroioix » et « Roberte Mapplethorpe » – Galerie Michel Rein

T.G.P Dans quelles circonstances s’est fait cette rencontre ?

A.T. C’est un conte de fées total, en 1998, j’avais eu un prix avec Denis Darzacq et Valérie Belin, et à cette occasion, Gérard Pons Seguin avait repéré mon travail. Un jour le téléphone sonne, c’était lui, il me demande pourquoi je n’ai pas de galerie, n’ayant pas grandi dans l’art contemporain, je ne connaissais rien, je n’avais aucune stratégie en sortant de l’école et c’est grâce à lui que j’ai connu Ghislaine Hussenot.

Le langage c’est une façon de dire le Monde, chez les artistes, c’est cette façon d’avoir un monde à eux, il y a un langage chez Philip Guston

T.G.P. Pourrais-tu me parler des lettres, celles que tu vas présenter au Musée de l’Orangerie, au LAM ? Pourquoi la peinture est-elle un langage ?

A.T. C’est un truc un peu compliqué la question d’un langage, le langage ce n’est pas forcément lié à l’écrit, le langage c’est une façon de dire le Monde, c’est un rapport entre des choses qui permet de parler. Pour moi, effectivement, il y a un langage dans toutes les grandes œuvres. C’est ce que j’ai toujours aimé chez les artistes, c’est cette façon d’avoir un monde à eux, il y a un langage chez Philip Guston. Cette question du langage, elle m’intéressait déjà au sens où j’étais toujours intéressée par la singularité des artistes. Bonnard qui fait des toiles hyper colorées au moment du carré blanc sur fond blanc, c’est ahurissant en terme d’asynchronisme. Il y a une écriture dans la peinture, dans les Nymphéas de Monet. Tout est lié, cette question du langage en terme de singularité est un univers très spécifique. Ensuite il y a la question de l’écriture, c’est à dire quel matériau, quel rythme, quelle forme on donne aux œuvres et après il y a l’utilisation des mots qui n’a pas toujours été là. Au début, je faisais ces tableaux avec ces grandes formes anthropomorphes. Il n’y a pas d’écriture, dans ces formes, qui pourtant, une fois cadrées, ressemblent à de l’écriture. J’ai commencé à copier des choses, à écrire au dos de la toile et alors vraiment l’écriture est devenue un médium. Puis j’ai commencé à coller des images avec des textes et à écrire des signes dans le tableau.

Il y a aussi ce travail sur la question de la figure, d’outrepasser la question de figuration / abstraction, pour moi c’est un corps, mais c’est aussi une lettre que je vais mettre dans des contextes différents, là elle est sur un fond uni, mais si je la mets en résonance avec des journaux, avec des titres de l’actualité, le corps devient une espèce de lettre.

Projets en cours :

Agnès Thurnauer

Musée de l’Orangerie – Les Matrices Chromatiques d’Agnès Thurnauer

Galerie Michel Rein, Paris

Agnès Thurnauer – Exposition galerie Michel Rein – © Florian Kleinefenn

Ivry, commande publique d’une vingtaine de matrices en bronze dans la ville.

2021 : Exposition au LAM, Villeneuve d’Asq, France

BIOGRAPHIE

Agnès Thurnauer – bio

Bibliographie :

https://agnesthurnauer.net/books

Traversée Oeuvre collective – Editions Ishtar

Agnès Thurnauer – Now When Then – Editions Fage

Agnès Thurnauer – Now – Monographik Editions 2008
Clément Dirié, Elisabeth Lebovici, Damien Sausset

Matisse comme un roman

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PAR CHARLOTTE LE GRIX DE LA SALLE

Fin octobre, un matin. Visite en avant-première de « Matisse, comme un roman ». Je râlais à cause de la buée sur mes lunettes, foutu masque. Je déambulais, Paris à mes pieds, croyant connaître Matisse. 230 chefs-d’œuvre, ses couleurs, plein les yeux.

Je ne mesurais pas ma chance.

Centre Pompidou / Exposition Matisse

Voilà que l’’on nous confine à nouveau, que la culture, « non essentielle », se dérobe encore une fois, distanciée, confisquée. Suspension, frustration, patience. L’exposition est programmée jusqu’au 22 février 2021.

J’ai renoncé à écrire mon article et puis… non, au fait, pourquoi ? Au contraire !

Puisque j’ai eu cette chance, cette fenêtre, tiens, il en a beaucoup peint de fenêtres Henri Matisse, pourquoi ne pas la partager avec vous ? Pourquoi ne pas vous l’offrir, en attendant ?

Porte-fenêtre à Collioure, 1914

Porte-fenêtre à Collioure, 1914

La Première Guerre Mondiale vient d’être déclarée. Matisse rentre à Paris et n’a pas achevé sa toile (volontairement ?). Pour Louis Aragon, l’œuvre est « le plus mystérieux des tableaux jamais peints, qui semble s’ouvrir sur cet espace d’un roman qui commence et dont l’auteur ignore tout encore ». Le livre d’Aragon, « Henri Matisse, roman », publié en 1971, est une conversation entre l’artiste et l’écrivain durant plusieurs décennies.

« L’espace ne fait qu’un depuis l’horizon jusqu’à l’intérieur de ma chambre atelier… le bateau qui passe vit dans le même espace que les objets familiers autour de moi, et le mur de la fenêtre ne crée pas deux mondes différents. Voilà, probablement, d’où vient le charme de ces fenêtres, qui m’ont intéressé, bien naturellement » (Henri Matisse)

Il y a bien sûr, chez Matisse, ces fenêtres.

Intérieur à Collioure (La Sieste), 1905. Huile sur toile 60 × 73 cm Merzbacher Kunststiftung © Succession H. Matisse

La fenêtre est un « échangeur », elle ne sépare pas l’intérieur de l’extérieur, elle offre la continuité : la couleur, la lumière, les motifs, tout est circulation, respiration, « la lumière, négation de l’ombre » (André Derain)

Intérieur, bocal de poissons rouges, 1914

De retour de Collioure, Henri Matisse se réinstalle dans son atelier Quai Saint Michel. Il renoue avec la vue sur la Seine et le motif de la fenêtre. L’extérieur et l’intérieur se confondent, grâce au bleu, décliné dans toutes ses nuances. Seul le poisson rouge, au centre, semble délimiter l’intérieur intime du reste du monde. Et encore, il se détache du reste, avec son existence propre.

Fenêtre à Tahiti (Tahiti II), fin 1935-1936

Matisse reprend le motif d’une eau forte illustrant les poésies de Stéphane Mallarmé, marqué par son dernier séjour à Tahiti. Plusieurs versions, car il n’est pas satisfait. Il renoue avec le grand format, comme dans « La Danse ». C’est le moment où il effectue sa transition vers les découpages.

« J’irai vers les îles, pour regarder, sous les Tropiques, la nuit et la lumière de l’aube, qui ont sans doute une autre intensité » (Henri Matisse)

Il y a, chez Matisse, une angoisse. La recherche, anxieuse, de la simplicité qu’il a traquée, travaillée, toute sa vie, jusqu’au bout . 

Autoportrait, 1906. Statens Museum for Kunst, the National Gallery of Denmark, Copenhague

Son regard est dirigé vers nous, le regard est incandescent. Rare image, exposition intime et privée de l’artiste. Matisse vient de devenir, à son corps défendant, l’un des principaux chefs de file de l’avant-garde parisienne, juste après le scandale du Salon Fauve. Il n’est pas encore libre, mais au moins libéré des méthodes et de ses mentors. Il le démontre ici, avec une évidence peut-être pas tranquille, mais sincère.

Marguerite lisant, 1906

Portrait hiératique de sa fille. Matisse recherche alors, notamment lors de ses voyages, dans les motifs orientaux ou la sculpture africaine, la simplification des volumes, l’annulation de la perspective. L’immobilité et l’absorption de Marguerite requiert toute l’attention du spectateur. Matisse est alors beaucoup plus clair et lucide sur les fondements de son art.

Il y a, chez Matisse une sensualité, démente. Voyez ce fauve…

Etude de tigre (Recto), 1900

Voyez cette femme…

Le Grand Bois, 1906

Bois gravé. Condensation de la forme, simplification des moyens, le corps n’est plus un modèle, ne restent que les lignes, la force, le contraste, grâce au noir, au service de la lumière.

Et celle-ci….

Le rêve, 1935

Matisse dit qu’il n’est pas le maître de la pose, mais qu’il en est l’esclave. Lydia Delectorskaya devient son aide d’atelier et son modèle de prédilection à partir de 1935 et restera à ses côtés jusqu’à sa disparition, en 1954. 

Son corps, abandonné et au repos,  se déploie sur toute la toile, imposant à nos yeux le plein épanouissement émotionnel et esthétique.

Et plus tard, quand la couleur et le découpage lui donnent toute liberté, ce nu….

Nu aux oranges, 1953 . Encre de Chine, papiers gouachés, découpés et collés sur papier marouflé sur toile. Centre Pompidou. Dation Pierre Matisse, 1991

« Il faut peindre comme on chante, sans contrainte. L’acrobate exécute son numéro avec aisance et une apparente facilité. Ne perdons pas de vue le long travail préparatoire qui lui a permis d’atteindre ce résultat. Il en est de même pour la peinture. La possession des moyens doit passer du conscient à l’inconscient par le travail, et c’est alors que l’on arrive à cette impression de spontanéité », Henri Matisse.

Il y a ces jaillissements de couleur, ces natures mortes qui sont tout sauf mortes.

Nature morte aux huîtres, 1940

« Le réel est le foyer de mon énergie, transposé », avoue Henri Matisse.

Inversant leur fonction première, les objets habitent Matisse. Il « hausse le ton » de la surface picturale, la porte à son point extrême d’incandescence. 

En 1941, Matisse passe tout près de la mort. Il n’envisagera plus l’existence que comme un supplément de vie qui l’oblige, laissant à la forme pure et à la couleur, leur puissance absolues.

Mais dès 1911, il avait déjà provoqué toutes les règles, jeté sur une immense toile, un panneau de 2 mètres 12 sur 2 mètres 46, la symphonie qui l’obsédait. Ce langage unique fait de juxtaposition et de simplification, libéré de toute hiérarchie, de toute perspective, comme une incantation.

Intérieur aux aubergines, 1911 – Détrempe à la colle sur toile – Musée de Grenoble. Don de Madame Amélie Matisse et Mademoselle Marguerite Matisse, 1922?

« On n’avait pas l’impression d’être devant une nature morte, devant un intérieur, mais dans une nature morte, dans un intérieur. Je ne connais pas d’autres peinture, dans les temps actuels, ayant autant que celle de Matisse le pouvoir de se refermer sans effort sur vous, comme des bras ». Robert Rey, critique d’art, Chroniques du jour, avril 1931.

Ligne ? Couleur ? Toute sa vie, il a cherché, et il s’en débarrasse, enfin, grâce à une paire de ciseaux.  Avec Jazz, un album publié en 1947, il s’affranchit, et vole.

« Vous ne pouvez pas vous figurer à quel point, en cette période de papiers découpés, la sensation de vol qui se dégage en moi m’aide à mieux ajuster ma main quand elle conduit le trajet de mes ciseaux. C’est assez difficilement explicable. Je dirais que c’est une sorte d’équivalence linéaire, graphique de la sensation du vol. »

A près de 80 ans, Matisse entame son « chef-d’œuvre », la Chapelle dominicaine du Rosaire de Vence. Il embrasse la ligne, la couleur, l’architecture, les objets, les vêtements liturgiques, les reflets du soleil dans le bâtiment.

Œuvre totale, totalement libre, orchestre, communion. 

Il inaugure sa Chapelle au moment où le Moma lui consacre une rétrospective. Il sait qu’il a atteint son apogée. Combien d’artistes ont-ils ressenti, vécu cela ?

Vitrail bleu pâle (2e état d’un projet pour l’abside), 1948-1949. Panneau bipartite : papiers gouachés découpés sur papier kraf marouflé sur toile. Centre Pompidou. Don de Mesdames Jean Matisse et Gérard Matisse, 1982

Comme souvent, je n’ai pas respecté l’ordre chronologique que nous imposent les curateurs. J’ai sauté plusieurs salles, pour ensuite revenir en arrière, fait plusieurs allers-retours. Je n’aime pas ces parcours censés nous expliquer toutes les bases, les étapes, les unes après les autres. Surtout quand le génie, la beauté, vous attrape les yeux, tout de suite, dès le début.

Ce matin d’octobre, sans savoir à quel point j’étais privilégiée, j’ai été dévorée, dans le désordre, par la quête aussi inquiète que certaine d’un homme vers son propre génie, et par l’idée, rassurante, qu’il l’avait accomplie et savourée de son vivant.

Je l’imagine vieux, dans son atelier, accompagné de Lydia Delectorskaya, de ses pinceaux, de sa palette, de ses ciseaux.

J’imagine toutes ces fenêtres par lesquelles il a regardé et qu’il a ouvertes. 

Et ça me fait du bien.

J’espère qu’à vous aussi. 

Et j’espère que vous vous y précipiterez dès que les portes, elles, se rouvriront.

Matisse comme un roman

Galerie 1 – Centre Pompidou, Paris

Centre Pompidou, jusqu’au 22 février 2021

https://www.centrepompidou.fr/fr/lib/Expositions

Temporairement fermé

Commissaire Aurélie Verdier


Gaze Photo Week X 10 (I)

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L’idée est de présenter pendant une semaine les propositions de sept commissaires invités par The Gaze of a Parisienne. Chacun des invités présentant 10 photos.

Cette proposition est associée à un concours sur Instagram et Facebook.

COMMISSAIRES INVITES :

Anne Lesage pour Regards CMN – Emmanuelle de l’Ecotais pour PhotoDays Paris – Chantal Colleu-Dumond pour le Domaine de Chaumont sur Loire – Philippe Labro pour la vente de photographies de Life Magazine par Cornette de Saint Cyr – Françoise Paviot – Andrée Deissenberg pour le Crazy Horse, Céline Friboug pour les éditions TAKE5.

Lundi

Anne Lesage

Chef du Pôle Images – Centre des monuments nationaux – Hôtel de Sully

https://regards.monuments-nationaux.fr/fr

En prenant mes fonctions au pôle Images du Centre des monuments nationaux, il m’a semblé important de se préoccuper autant du passé que de l’avenir c’est pourquoi tout en adoptant des mesures de conservation préventive des fonds argentiques (comme les Fonds Feher ou Séeberger frères) anciennement acquis par la CNMHS, une politique de commandes de reportages « carte blanche » a été de nouveau initiée, permettant aux photographes contemporains d’exprimer leur vision plasticienne du patrimoine architectural. 

En visionnant ces portfolios je me suis rendue compte que certains de ces reportages se déroulaient de nuit : qui n’a pas rêvé de déambuler la nuit tombée dans un monument, un musée, un lieu abandonné ?  De cet affrontement inégal entre obscurité et lumière jaillissent d’indicibles scintillements, quelques éclats lumineux qui suffisent à délimiter, souligner ou transformer des monuments plongés dans une obscurité dense. Ce récit mystérieux ce sont dix auteurs photographes qui se chargent de vous le raconter chacun à leur manière : « des cartes blanches pour chambre noire », des années 30  à aujourd’hui. 

Anne Lesage

Légendes :

1📷 @colombe.clier (1982-….) @villa_cavrois , le miroir d’eau reflétant la façade sud au crépuscule Mallet-Stevens, Robert (1886-1945) 2019 © Colombe Clier / Centre des monuments nationaux

2📷 @ambroisetezenas (1972-….) Hôtel de la Marine, salon des amiraux 2018 © Ambroise Tézenas / Centre des monuments nationaux

3📷 Feher, Émeric (1904-1966) Voies de la gare Saint-Lazare, depuis la rue de Vienne, Paris, 1934 © Émeric Feher / Centre des monuments nationaux

4📷 Séeberger frères [Jean (1910-1979), Albert (1914-1999)] Enseigne lumineuse du Balzac, 1935 © Séeberger Frères / Centre des monuments nationaux

5📷 Boudinet, Daniel (1945-1990) Paris, le Panthéon, 1985 © Daniel Boudinet / Centre des monuments nationaux

6📷 Kenna, Michael (1953-….)
« Kermario Alignments, Study 1, Carnac, France. 2017 » Alignements de Kermario (Carnac) © Michael Kenna / Centre des monuments nationaux

7 📷  Ballot, Jean-Christophe (né en 1960 )
Tombeau de Henri II et de Catherine de Médicis, priants sur la terrasse du tombeau par Pilon, Germain (1537-1590) , 2014 Basilique de Saint-Denis © Jean-Christophe Ballot / Centre des monuments nationaux

8 📷  Tahara, Keiichi (1951-2017)
Château de Chambord, la tombée de la nuit 1985 © Keiichi Tahara – Centre des monuments nationaux

9 📷  Konopka, Bogdan (1953-2019 )
Abbaye du Thoronet, cloître de nuit, 1997 © Bogdan Konopka – Centre des monuments nationaux

10📷  @thomas_jorion (1976-….)
Château de Villers-Cotterêts, logis, pavillon du roi, premier étage (effet de « caméra Obscura » ) 2018 © Thomas Jorion / Centre des monuments nationaux

@regards_cmn #lecmn #culturecheznous 

Mardi

Emmanuelle de l’Ecotais créatrice de @photodays.paris 

L’édition PhotodaysParis a été reportée du 6 janvier au 7 février 2021

https://photodays.paris/

C’est dans un contexte sanitaire compliqué et incertain qu’est née l’idée de cette virée photographique dans Paris. Et c’est dans un esprit solidaire que Photo Days se crée et propose de fédérer des lieux et des événements liés à la photographie dans la capitale. #photodays vous invite à visiter trente lieux en trente jours : les musées et les galeries, mais aussi l’appartement d’un collectionneur, et un lieu méconnu investi par un artiste : la Rotonde Balzac.

Avec Photo Days, on passe de la photographie historique à la jeune création française et internationale, de l’engagement féministe au voyage intérieur, de la photographie documentaire à la photographie plasticienne en passant par la mode, le nu ou le paysage, d’un monde absurde bien réel à un monde poétique rêvé. 

Emmanuelle de l’Ecotais

la vente sous le marteau

d’Arnaud Cornette de Saint Cyr

sera diffusée en LIVE,


SAMEDI 14 NOVEMBRE À 15H

sur

www.drouotonline.com

MERCREDI

Philippe Labro, écrivain, journaliste et cinéaste

«L’œil de LIFE MAGAZINE»

Vente aux enchères

200 photos du magazine LIFE sous le parrainage de Philippe Labro et avec le soutien de Jean-Luc Monterosso .

Conception et oganisation de la vente : Agnès Vergez

Remerciements à Maris Jacquier

« Je me souviens, alors que j’étais étudiant étranger sur un campus américain, au milieu des années 50, nous attendions, chaque semaine, avec impatience et curiosité, la publication du nouveau numéro de « LIFE » et de cette ritournelle inventée par l’un d’entre nous :

C’est quoi la vie ? What’s LIFE ?

C’est un magazine. It’s a magazine.

Ça vaut combien ? How much is it ?

5 cents.
Ainsi donc, la Vie ne valait que 5 cents ? Mais non, voyons ! elle valait beaucoup plus. Elle était traduite et représentée par des artistes du réel, des capteurs du contemporain, des grands témoins de l’actualité et des célébrités : les photojournalistes, membres d’une corporation d’élite.

Le photojournaliste est un des princes de notre
si beau métier. Le photojournaliste est le mémorialiste d’une société. C’est un chasseur de
l’émotion, le révélateur de personnalités, l’historien d’un immédiat, qui devient alors, grâce à
son talent, quelque chose d’universel.
Travail exceptionnel, une œuvre que l’on doit
considérer comme un évènement artistique. « 

Extrait de l’édito de Philippe Labro

La sélection photos de Philippe Labro :

Légendes :

1 📷 112 John DOMINIS  (1921-2013) – Steve McQueen endormi à l’arrière de son pickup. – Californie, Etats-Unis, 1963 – Est : 1500/2500

2 📷 20- Gjon MILI (1904-1984) – Marlon Brando, Jean Simmons, Frank Sinatra et Vivian Blaine déambulant bras dessus-bras dessous dans le film ‘Blanches Colombes et vilains messieurs’ (Guys and Dolls). Hollywood, Californie, Etats-Unis, 1955 – Est 600/1000€

3 📷 36 Eliot ELISOFON (1911-1973) Louis Armstrong jouant de la trompette. Etats-Unis, 1954 – Est 1500/2500€

4 📷 52 Robert F. SARGENT (1923-2012) – Débarquement des troupes américaines sur les côtes de la France occupée par l’Allemagne nazie. Normandie, France, 6 juin 1944. 47 x 60 cm

5 📷 79. Larry BURROWS  (1926-1971) Le sergent d’artillerie blessé Jeremiah Purdie conduit  devant des soldats à terre après un violent combat pour la prise de contrôle de la côte 484 pendant la guerre du Vietnam, 1966. Est : 800/1200€

6 📷 94 Alfred EISENSTÆDT  (1898-1995) Marilyn Monroe dans le patio de sa maison. Hollywood, Californie, Etats-Unis, 1953 Est : 4500/5000€

7📷114 Bill  RAY  (1936-2020) Faye Dunaway et Steve McQueen dans  une scène du film ‘L’Affaire Thomas Crown’. California, Etats-Unis, 1967-  Est : 1500/2500 €

8📷 167 Loomis DEAN  (1917-2005) Albert Camus devant le Théâtre des Mathurins où l’on répète sa pièce Caligula. Paris, France, 1957-  Est : 1500/2500€

9📷 65 Lisa LARSEN (1925-1959) Le Sénateur John F. Kennedy et sa future épouse Jacqueline Bouvier-Kennedy durant leur réception de mariage. Newport, Rhode Island, Etats-Unis, 12 septembre, 1953. Est : 1500/2500 €

10📷 187 John SHEARER (1947-2019) Joe Frazier et Mohamed Ali au Madison Square Garden combattant pour le titre de champion catégorie lourd. New York, Etats-Unis, 8 mars 1971 Est : 1500/2500€

JEUDI

Chantal Colleu-Dumond directrice du Domaine de Chaumont sur Loire qui organise une fois par an

Chaumont-Photo-Sur-Loire .

http://www.domaine-chaumont.fr/fr

1 Taharqa et la nuit, Juliette Agnel troisième édition de Chaumont-Photo-sur-Loire, 2019 © J. Agnel


Cette commande de l’artiste Juliette Agnel est, en quelque sorte, une résidence de Chaumont-sur-Loire hors les murs, l’artiste étant partie chercher la quintessence de paysages peu accessibles et pourtant fascinants. Les images qui résultent de cet étonnant voyage au Soudan sont d’une exceptionnelle beauté et nous plongent dans la profondeur des temps et de l’histoire des mythiques pharaons noirs.

2 Ciel et mer, Éric Sander première édition de Chaumont-Photo-sur-Loire, 2017 © E. Sander

A l’affût d’instants d’éternité, Eric Sander parvient à capter, dans le constant défilement des possibles et des sensations, dans le mouvement permanent de la lumière, le moment sublime où l’invisible semble apparaître et nous faire signe. Le frémissement d’une couleur, la fragilité d’un jardin, la suggestion d’un parfum, la vibration d’un ciel ou d’un nuage lui inspirent d’ineffables images, dont la trace perdure dans nos pensées. 

3 – Ballonfahrt Sur Loire, Hanns Zischler première édition de Chaumont-Photo-sur-Loire, 2017 © H. Zischler

Ce sténopé est issu d’une série réalisée par l’artiste aux multiples talents qu’est Hanns Zischler (traducteur, écrivain, acteur et photographe), à l’occasion de plusieurs vols en montgolfière au-dessus de la Loire, dont il restitue l’ambiance mystérieuse des levers du jour.

4 Paysages d’Islande, Thibault Cuisset première édition de Chaumont-Photo-sur-Loire, 2017 © T. Cuisset

Pour Thibaut Cuisset, prématurément disparu en 2017, “photographier, c’est  voyager”. Recherchant la lumière zénithale, il tenait à des scènes sans ombres, profondément épurées, incitant à la contemplation et inspirant une paix singulière, comme ces images présentées à Chaumont-sur-Loire

5 Forêts imaginaires, Santeri Tuori deuxième édition de Chaumont-Photo-sur-Loire, 2018 © S. Tuori

Comme un peintre, Santeri Tuori observe jusqu’à l’obsession les feuillages des arbres, les changements de lumière et de couleur sur le paysage. Il capture les mêmes motifs, au même endroit, plusieurs fois, saison après saison. Il fusionne ensuite les couches de photographies, en créant ses propres paysages imaginaires.

6 Paysages, exposition de Gérard Rondeau première édition de Chaumont-Photo-sur-Loire, 2017 © G. Rondeau

Cette saisissante image en noir et blanc de Gérard Rondeau est emblématique de sa passion pour le mystère des êtres et des pierres.

7 Loire-Et-Cher.jpg : Du Nil à la Loire, Elger Esser première édition de Chaumont-Photo-sur-Loire, 2017 © E. Esser

Les photographies d’Elger Esser sont immédiatement reconnaissables. 
Ses fascinants “paysages de l’âme” relèvent d’un nouveau romantisme totalement assumé. Leur puissance d’évocation génère une émotion qui va bien au-delà d’une simple vision documentaire.

8 Wald, Michaël Lange Saison d’art 2016, Domaine de Chaumont-sur-Loire © M. Lange

Les photographies de Michael Lange nous entraînent dans l’univers fascinant de la forêt, qui joue un rôle essentiel dans l’imaginaire collectif, notamment en Allemagne.

9 Pins de Gyen Gju, Bae Bien-U Saison d’art 2014, Domaine de Chaumont-sur-Loire © B. Bien-U

La série des “Pins de Gyeon Gju” est une œuvre majeure du grand artiste coréen Bae Bien-U, à la limite de la calligraphie. Symboles de longévité dans la culture coréenne, les pins sont l’allégorie de l’âme et ont une signification sacrée. Il se dégage de cette image une fascinante impression de puissance et de sérénité mêlées, en lien avec les anciennes idées cosmologiques de l’existence, selon lesquelles tous les êtres vivants procéderaient d’une même “quintessence”. 

Chantal Colleu-Dumond

A SUIVRE GAZE PHOTO WEEK X 10 (II)

Mardi prochain

avec :

LES SERIES DE FRANÇOISE PAVIOT, ANDREE DEISSENBERG POUR LE CRAZY HORSE , CELINE FRIBOURG ET UN RETOUR DE THE GAZE A PARIS PHOTO DE 2014 à 2019

Gaze Photo Week X 10 (part II)

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L’idée est de présenter pendant une semaine les propositions de sept commissaires invités par The Gaze of a Parisienne. Chacun des invités présentant 10 photos.

Une Gaze Photo Week X 10 (II)

Suite et fin avec Françoise Paviot, Andrée Deissenberg pour le Crazy Horse, Céline Friboug pour les éditions TAKE5 et un retour en images Paris Photo 2014 à 2019

VENDREDI 13 NOVEMBRE

ABSTRACTION

Françoise Paviot directrice avec Alain Paviot de la galerie éponyme,

https://paviotfoto.com/

 » Du constat scientifique à la mise en scène, de l’intervention dans la

chambre noire aux manipulations sur ordinateur, de l’imaginaire au

paranormal, la photographie dans sa plasticité nous livre ici  dix

propositions pour penser l’abstraction. « 

Françoise Paviot

Françoise Paviot est titulaire d’un DEA de lettres, enseignante, directrice avec Alain Paviot de la galerie éponyme, Françoise Paviot a aussi assuré de nombreux commissariats et colloques. Rédactrice en chef d’Interphotothèque Actualités au sein de la Documentation Française où elle a animé un comité interministériel qui a mis en place la politique de gestion des fonds photographiques en France, elle a ensuite créé le service de communication interne au Centre Georges Pompidou et animé la revue Coursives. Elle a signé, entre autre, Analyse de l’Image fixe, Vous avez dit photographie, Paris en fête, Emeric Feher : à la vie à l’image, Géométrie dans l’espace et, avec Daniel Rouvier, We were five au Musée Réattu.

SAMEDI 14 NOVEMBRE

CRAZY GAZE, CRAZY PHOTOS

Andrée Deissenberg, directrice générale création et développement du Crazy Horse depuis 2006

Crazy Horse Paris

J’ai commencé à infuser la création sur le modèle de Bernardin autour de la femme et de l’actualité, tout en travaillant avec des artistes du monde entier.

Andrée Deissenberg.

Andrée Deissenberg, Directrice Générale Création et Développement du Crazy Horse, est une femme de défis. Après avoir exploré les quatre coins de la planète avec le Cirque du Soleil, la Franco-Américaine arrive en mars 2006 dans les coulisses du mythique cabaret parisien avec une idée en tête.

Reprenant les codes légués en héritage par son fondateur Alain Bernardin, Andrée replace l’art et la création au cœur des activités du célèbre cabaret, situé en plein cœur du Triangle d’Or de la capitale.

RÉINVENTER LE CRAZY

Inspirée par l’âme créatrice d’Alain Bernardin, elle souhaite faire revivre ces soirées de légende, qui ont marqué l’Histoire de cet écrin parisien. Pour séduire le public international et parisien aussi bien masculin que féminin et attirer de nouveaux spectateurs, plus jeunes, Andrée réinvente le Crazy.

Dimanche 15 Novembre

Méandres

Céline Fribourg, fondatrice et directrice des éditions Take5

Les Editions Take5 mettent en forme au sein de livres, des collaborations inédites entre artistes, écrivains, scientifiques et designers contemporains.

Editions Take5

J’ai choisi ces photographies, tirées des livres que j’ai publiés, car elles ont toutes le pouvoir de transformer des sujets familiers en scènes singulières et métaphysiques. Une nuque, une robe, une plante ou un cristal sont transfigurés par l’œil du photographe pour devenir des univers dans lesquels l’esprit se perd et s’interroge.

La photographie gèle le mouvement et immobilise le temps. Ce rapport particulier à l’expérience temporelle, consistant à montrer du passé au présent, permet, à travers ce phénomène de « pétrification », d’explorer, à la manière des memento mori des questions fondamentales comme notre rapport au désir, à la mort ou la mémoire.

Céline Fribourg

THE GAZE PARIS PHOTO

pêle-mêle 2014 -2019

Que de souvenirs nous inspirent ces dernières années à Paris-Photo, les belles images que nous n’avons pas oubliées. Les années qui passent et les nouvelles éditions de cette foire unique et attendue. 2014 , Isabelle Huppert avait choisi une sélection de photographies de Robert Mapplethorpe. Des destinées qui touchent celle de Francesca Woodman si douée et disparue si jeune les photos provocantes comme celles des Femen de Bettina Rheims, le détail d’une main de Jean Baptiste Huynh, les personnages culte… Les femmes qui comptent : Agnès Varda. Les paysages, la nature, les arbres , photographies apaisantes, méditatives. Les voyages saisissants de Koudelka, Salgado… Les nus de Lucien Clergue, les lumières de Keiichi Tahara, le photojournalisme avec Depardon… Les techniques le tirage Fresson d’une photo de Plossu, le dye transfer de William Eggleston…

Le temps qui passe et tout un monde d’images sous la coupole du Grand Palais qui nous a manqué et que nous attendons impatiemment de retrouver en 2021.

Florence Briat Soulié

Les images :

Derrière la porte des Galeries…

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Depuis fin Octobre, les galeries Genevoises présentent de nouveaux accrochages de grande qualité, tristement confinés après un seul week-end de vernissage. Mais heureusement, certaines d’entre elles proposent des visites sur rendez-vous (respectant scrupuleusement les règles sanitaires du canton!) pour continuer à partager le travail de leurs artistes. Alors suivez-moi! Je vous emmène découvrir, en exclusivité, les oeuvres exposées derrière les portes closes.

Volet 1: Laurence Bernard avec Peter Regli, Xippas avec Pablo Atchugarry, Joy de Rouvre avec François Ristori, Skopia avec Silvia Bächli .

♦ Galerie Laurence Bernard: Peter Regli, Ugly was yesterday

L’artiste Suisse Peter Regli s’est fait connaitre avec son projet Reality Hacking, comprenant plus de 300 interventions temporaires dans les espaces publics du monde entier. Vous avez surement en tête ses attendrissants bonhommes de neige devant le Flatiron building de NY (2015) ou son île en forme de Donut géant dans le delta de la Reuss (Suisse) etc.. Régressif, poétique et généreux son travail touche et séduit.

La galerie Laurence Bernard expose une série de magnifiques coupes en céramique, larges et colorées, aux formes irrégulières, ouvertes comme des fleurs. Egalement inspirées des terres ensoleillées, trois peintures aux couleurs chaleureuses ornent les murs.

Visites sur rendez-vous: Galerie Laurence Bernard www.galerielaurencebernard.ch//Instagram:@galerielaurencebernard 37, rue des Bains. Genève

♦ Galerie Xippas: Pablo Atchugarry, Lien entre deux mondes

Pablo Atchugarry est un artiste célébré dans toute l’Amérique latine, pour ses sculptures abstraites. Né en 1954 à Montevideo, il expose pour la première fois ses créations à l’âge de …11ans!! Atchugarry travaille entre l’Uruguay et l’Italie. Ses œuvres sont présentées dans les plus grands Musées et les plus importantes collections du monde.

Inspirées par le language de la sculpture classique, notamment le plissé et le drapé, ou encore l’expression du mouvement de Brancusi, les créations de Pablo Atchugarry se développent dans des formes longilignes abstraites. Ses œuvres, sculptées dans le marbre, s’élèvent vers le ciel comme un lien entre la terre et la légèreté de l’air.

La Galerie Xippas de Genève expose une série inédite de l’artiste, créée pour l’événement.

Visites sur rendez-vous: Galerie Xippas
geneva@xippas.com / www.xippas.com / Instagram: @Xippasgalleries Rue des sablons 6, 1205 Genève

♦ Galerie Joy de Rouvre: François Ristori, Traces-Formes

Cocorico! Dès mon arrivée, je suis interpellée par le bleu-blanc-rouge omniprésent dans les oeuvres de François Ristori (1936-2015) . Est-ce un hommage à la France? « Pas du tout » me répond la galeriste Joy de Rouvre. L’explication est tout autre. Dans la mouvance du groupement artistique BMPT (Buren-Mosset-Parmentier-Toroni) des années 60-70, François Ristori fait figure d’acteur emblématique d’une pratique qui remet en cause les principes de la peinture académique. Une oeuvre ne doit rien dire, suggérer ou faire référence à quoique ce soit, elle ne doit être que ce qu’elle est , c’est à dire de la peinture sur une toile.

La « chose à voir » sera, en soi -même, sa propre réalité (…) la peinture (surface peinte) n’a d’autre signification que son existence. François Ristori

Dès 1968, il crée le « protocole » d’un motif hexagonal décliné en bleu, blanc et rouge qui se répand sur toute la surface de l’oeuvre. Il appliquera ce même processus/ motif immuable durant toute sa carrière artistique. Ainsi ce bleu-blanc-rouge qui me semblait tellement Français, ne serait rien d’autre qu’un motif hexagonal et des couleurs, selon sa propre théorie de l’Art. Lancé en 1971 par Yvon Lambert, François Ristori exposera également à Bruxelles et New-York (1976), au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris (1977) etc..

Son audace et sa démarche singulière étonne. Ses créations tricolores, jouant sur des nuances vives, dégagent une énergie communicative très séduisante.

Visites sur rendez-vous: Galerie Joy de Rouvre

info@galeriejoyderouvre.ch//Instagram:@galeriejoyderouvre Rue des Vieux-Grenadiers 2, 1205 Genève

♦ Galerie SKOPIA: Silvia Bächli

Sylvia Bächli , Galerie Skopia photo @Skopia Galerie
Sylvia Bächli , Galerie Skopia photo @Skopia Galerie

Pierre-Henri Jaccaud expose la très gracieuse artiste Suisse Silvia Bächli. Je suis touchée par la sensibilité, la poésie qui s’échappe de ses lignes irrégulières dessinées à la gouache ou au pastel. Les traits qu’elle trace sont des histoires, des musiques, le chemin des lignes du corps.

Mes dessins ont souvent un caractère non figuratif, mais ils sont toujours étroitement liés au corps. Les lignes croisées peuvent être des étoiles dans les lignes de ses paumes, les lignes serpentantes peuvent avoir là un point de départ dans les chemins ici ou là, que je suivais hier …Silvia Bächli

Sylvia Bächli , Galerie Skopia photo @Skopia Galerie
Sylvia Bächli , Galerie Skopia photo @Skopia Galerie

Silvia Bächli expose dans les plus grands Musées Suisses (dont la Fondation Beyeler, MAMCO, Kunst Museum de St Gallen) mais aussi en France (dont le Centre Pompidou de Paris et celui de Metz), en Allemagne etc..

Visites sur rendez-vous: SKOPIA Art Contemporain

Rue des Vieux-Grenadiers 9, 1205 Genève info@skopia.ch // +41 (0)22 321 61 61 // Instagram: @galerie_skopia

Caroline d’Esneval

Elias Crespin

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Elias Crespin Circuconcéntricos visite d’atelier

Onde du Midi, Musée du Louvre

Vous avez peut-être remarqué une affiche en passant à proximité du Louvre annonçant l’Onde du Midi d’Elias Crespin. J’aime beaucoup d’ailleurs, cette campagne d’affichage du musée, elles sont toute attirantes comme celle de la Joconde « Retrouvez le sourire, envie du Louvre c’est le moment » (enfin ce sera bientôt le moment, réouverture prévue le 15 décembre). Oui j’ai eu envie du Louvre, et j’y suis allée à la recherche de cette oeuvre d’Elias Crespin.

Elias Crespin – Onde du Midi – Musée du Louvre

Un après-midi au Louvre, après un passage par les antiquités égyptiennes, il s’agit alors de se faufiler dans la foule de touristes, se laisser orienter par les troupeaux de sphinx impassibles et rencontrer un gardien vénézuélien, comme l’artiste …, qui nous donne le chemin de l’Onde du Midi et le sésame pour accéder à cette aile du Palais située angle Sud-Est de la Cour Carrée. Je me retrouve alors, en haut de cet escalier conçu par les célèbres architectes de Napoléon : Percier et Fontaine.

Et je suis enfin seule face à l’oeuvre d’Elias Crespin, un instant magique, de calme et sérénité, le Louvre m’appartient, je suis prête pour regarder les volutes de cette sculpture installation qui démarre sa chorégraphie d’une heure.

Elias Crespin – Onde du Midi – Musée du Louvre

Celle-ci est orchestrée par le Maître lui-même, il peut la diriger de son atelier, chaque élément est relié à sa base par des capteurs électroniques, chacun des 96 mouvements est programmé, avec une précision millimétrée.

Une prouesse mathématique, codée et imaginée par l’artiste, Elias Crespin.

Une heure à contempler des oscillations parfois imperceptibles, tourner autour, se laisser porter par le temps qui passe, le mouvement choisi par Elias Crespin est très lent, le temps semble comme décomposé, comme si l’artiste cherchait à nous faire ressentir jusquà la moindre fraction de seconde. Une oeuvre totalement silencieuse, méditative.

L’art contemporain est très souvent une expérience et cette fois-ci il s’agit d’art cinétique, une oeuvre qui bouge, qui s’exprime dans l’oeil du visiteur qui se déplace autour d’elle et selon son angle de vision, elle se transforme et donne différentes perspectives de dynamique.

Rendez-vous à l’Atelier

Elias Crespin & Caroline d’Esneval & moi

Quelques jours auparavant, Caroline d’Esneval et moi avions rendez-vous à l’atelier d’Elias Crespin. Il nous a permis de découvrir en partie les mystères de l’Onde du Midi. Pour cette pièce monumentale il a dû imaginer un cadre à son échelle et des micro-puces électroniques, chaque élément étant relié à un micro ordinateur invisible.

Photographie de l’artiste Gego, grand-mère d’Elias Crespin

Elias Crespin est vénézuelien, il a fait des études d’ingénieur et très rapidement, il s’oriente vers une autre voie moins attendue, l’art. Mais dans la famille, il n’est pas le premier, je repère sur un mur de l’atelier, seul, un portrait photographique noir et blanc d’une femme qui n’est autre que sa grand-mère et la grande artiste vénézuélienne, Gego (Gertrud Goldschmit 1912-1994), elle aussi avait suivi des études d’ingénieur. La ligne était son leitmotiv, elle est présente dans de nombreuses collections, musées… avant-gardiste, pionnière du Constructivisme, elle gravait, dessinait, inventait des pièces en métal, acier, aluminium, d’art cinétique. Elle est son ange gardien. Elias Crespin inscrit ainsi sa création dans la lignée des grands artistes contemporains latino-américains, qui se sont lancés dans l’expérimentation de la lumière et de l’optique, auxquels le Grand Palais a rendu un hommage justifié et appuyé en 2013 avec l’exposition Dynamo. La Maison de l’Amérique latine est bien sûr le lieu artistique qui constitue la vitrine de ce continent, toujours francophile et ayant attiré des générations d’hommes politiques, d’artistes et d’intellectuels.

Pour Elias Crespin, mais aussi pour les visiteurs, c’est une joie et un honneur de découvrir son oeuvre Equiláteros , 2008 exposée en même temps que celle de sa grand-mère au Musée des Beaux-Arts de Houston qui possède une très importante collection d’oeuvres d’artistes latino-américain et particulièrement de Gego. Allemande d’origine, elle avait fuit à 26 ans l’Allemagne nazie et était arrivée en bateau au Vénézuela qui deviendra son pays.

La Maison de l’Amérique latine a consacré deux expositions à la famille, l’une en 2014 « La poétique de la ligne » à Gego et une 2e en 2017 à Elias Crespin « Slow Motion » (voir article précédent) avec cette très belle installation chrorégraphique  Circular Inception sur une musique composée spécialement par Jacopo Baboni Schilingi (né en 1971 à Milan, qui vit à Paris) . Le musée a depuis acquis une oeuvre qui est exposée sur place.

Elias Crespin

Codage, les mathématiques deviennent artistiques

A contrario de la lenteur de ses installations le temps file à toute allure, l’artiste élabore des concepts de plus en plus sophistiqués, pour ériger ses danses cinétiques. Tout commence et se décide sur l’ordinateur, il met en mouvement des dessins imaginaires avec un système de programmation de codes.

Difficile à comprendre qu »il n’y ait ni croquis ni dessin préparatoire et c’est un peu pour parer à cela qu’il a décidé avec son voisin et artiste Miguel Chevalier, qui a d’ailleurs dessiné les plans de l’atelier, très remarquable avec sa façade rouge métallique, de créer un portfolio de 8 sérigraphies numériques de leurs dessins (4 par artistes, édition de 75 chez Iribarren Editor).

Chronochromie

« Toute cette modélisation sur ordinateur pour créer le mouvement me permet aussi de faire une simulation 3 D de l’oeuvre animée. J’ai fait ces animations dans l’ordinateur, j’ai généré des milliers de positions de toute la danse de l’oeuvre et j’ai choisi quelques-unes, je les ai superposées et les ai colorées différemment. A chaque moment de l’oeuvre, j’ai donné une couleur différente et cela me permet de figer quelques moments de l’oeuvre et de les montrer en simultané. Je les appelle des Chronochromies car elles ont un rapport entre la couleur et le mouvement «  Elias Crespin

Sérigraphies – « Chronochromies »

Olivier Messiaen avait également composé une oeuvre pour grand orchestre en 1960 appelée également Chronochromie mais cette fois-ci, il s’agissait d’associer les matériaux sonores (chants d’oiseaux) et temporels.

Elias réfléchit sans cesse au mouvement qui est la base de son travail, la coordination des couleurs, des matériaux. Les éléments se détachent les uns des autres, se retrouvent comme par magie, c’est un monde fascinant, illusoire que l’artiste crée pour nous.

« Je travaille sur la génération aléatoire de façon à ce que cela soit à chaque fois un autre mouvement mais il faut que cela soit un mouvement cohérent, pas seulement aléatoire comme cela, il faut qu’il y ait une certaine cohérence. La liberté totale ne marche pas » Elias Crespin

Elias Crespin a de nombreux projets en cours, il y a bien sûr le Louvre, Houston et Pékin bientôt, où il était censé aller mais pour cause de Covid, c’est impossible, toutes les les instructions pour monter les oeuvres ont été adressées sur place.

Florence Briat Soulie

Atelier

BIOGRAPHIE

http://www.eliascrespin.net/

EXPOSITIONS PERSONNELLES :
2020
Elias Crespin, Galerie Denise René, Paris, France
2018
Formes, espace-temps, Galerie Denise René, Paris, France
2017
Slow Motion, Maison de l’Amérique Latine, Paris, France
2015
Chorégraphies géométriques, Das Kleine Museum, Weissenstadt, Allemagne
2014
Elias Crespin, Galerie Denise René, Paris, France
Mouvements. De fil(s) et d’air, Designer’s days, en collaboration avec Tai Ping, Hôtel de Livry, Paris, France
Elias Crespin. Temps suspendu, Galerie de la Marine, Nice, France
2012
Elias Crespin, Musée en Herbe, Paris, France
Elias Crespin. Parallels, Cecilia de Torres, Ltd., New York, NY, États-Unis
2011
Visionary Collection Vol. 14. Elias Crespin Electrokinetics, Museum Haus Konstruktiv, Zurich, Suisse
2010
Hiperficies, Ars Longa, Paris, France
2006
Electrocinéticas, Canal Centro de Producción Cultural, Caracas, Venezuela
EXPOSITIONS DE GROUPE (SELECTION)
2020
Hard Edge, Galerie Denise René, Paris, France
Espace et tension, une sélection d’artistes contemporains, Galerie Denise René, Paris, France
2019
Shadows, Galerie Italienne, Paris, France
Negative Space, ZKM Center for Art and Media, Karlsruhe, Germany
Post Shadows, Galerie Italienne, Paris, France
Immatérialité, Topographie de l’Art, Paris, France
Ondes, Galerie par Graf Notaires, Paris, France
Kinetic masters and their legacy, Cecilia de Torres Ltd., New York, NY, États-Unis
eliascrespin.net · contact@ateliercrespin.com
2018
Festival Carré Latin 2018, Palais Royal, Paris, France
Forces et mouvement, Galerie François Léage, Paris, France
Artists & Robots, Grand Palais, Paris, France
De Nature en Sculpture, Fondation Datris – Espace Monte-Cristo, Paris France
Les amis de Nicolas Schöffer, La Ville A des Arts, Paris, France
2017
Artists & Robots, Astana Contemporary Art Center, Astana, Kazakhstan
The Urge to create Visions…1929-2017, Centre de Sculpture Polonaise, Orońsko, Pologne
De Nature en Sculpture, Fondation Villa Datris, L’Isle-sur-la-Sorgue, France
Geometría en Movimiento, Galeria RGR+ART, Mexico, Mexique
Expanding the Line, Cecilia de Torres Ltd., New York, NY, États-Unis
Lumière et mouvement, Galerie Denise René, Paris, France
2016
Impermanencia, XIII Bienal de Cuenca, Equateur
Lumière et mouvement, Galerie Denise René, Paris
Dialogue. Ding Yi Elias Crespin, Hadrien de Montferrand Gallery, Pékin, Chine
Transparence, Galerie Denise René, Paris, France
Everybody is crazy, but me, Maison particulière, Bruxelles, Belgique
Visión constructiva, Espacio Monitor, Caracas, Venezuela
Cercle et carré, Galerie Denise René, Paris, France
2015
Selección = Relación, Espacio Monitor, Caracas, Venezuela
Vers une architecture de lumière, Chartreuse de Villeneuve lès Avignon, France
Cinétique numérique aujourd’hui, Galerie Denise René – Espace Marais, Paris, France
Mapping Festival, Genève, Suisse
L’art et le numérique en résonance 2/3 : Ré-émergence, Maison populaire, Montreuil, France
2014
Inhabiting the world, Biennale de Busan, Corée
Drawing in Space, Galleria Monica de Cardenas, Zuoz, Suisse
Hommage à Denise René, Espace-Expression, Miami, FL, États-Unis
Horizon nécessaire, Musée Passager, projet de Musée itinérant en Île de France
Structures de l’invisible, Galerija Klovicevi dvori, Zagreb, Croatie / Fondation Vasarely, Aix-en-Provence, France
2013
Cinetik !, Fundació Stämpfli, Sitges, Espagne
Turbulences II, Villa Empain Fondation Boghossian, Bruxelles, Belgique
Intersecting Modernities : Latin American Art from the Brillembourg Capriles Collection, The Museum of Fine Arts,
Houston, États-Unis
Art cinétique, art numérique, Galerie Denise René Espace Marais, Paris, France
Voyages Intérieurs, Maison Particulière, Bruxelles, Belgique
Des gestes de la pensée, La Verrière Hermès, Bruxelles, Belgique
Dynamo. Un siècle de lumière et de mouvement dans l’art. 1913-2013, Grand Palais, Paris, France
eliascrespin.net · contact@ateliercrespin.com
2012
Hommage à Denise René, Galerie Denise René, Paris, France
Constructed Dialogues: Concrete, Geometric, and Kinetic Art from the Latin American Art Collection, The Museum of
Fine Arts, Houston, TX, États-Unis
Gego obra abierta, Museo de arte contemporáneo, Caracas, Venezuela
Turbulences, Espace Culturel Louis Vuitton, Paris, France
2011
Cosmopolitan Routes, The Museum of Fine Arts, Houston, TX, États-Unis
Once Tipos del Once, Fundación Sala Mendoza, Caracas, Venezuela
2009
North Looks South, The Museum of Fine Arts, Houston, TX, États-Unis
Writings, Galerie Cecilia de Torres, New York, NY, Etats-Unis
2006
Life Forms, Kinetica Museum, Londres, Royaume-Uni
63 Salón Michelena, Ateneo de Valencia, Valencia, Venezuela
2005
II Mega Exposición Homenaje à Jesús Soto, Galeria de Arte Nacional, Caracas (Venezuela) / Museo del Estado
Miranda, Los Teques, Venezuela
Ingravidez, Museo de Arte Contemporáneo del Zulia, Maracaibo, Venezuela / Museo Jacobo Borges, Caracas,
Venezuela
2004
Ingravidez, Ateneo de Cabudare, Cabudare, Venezuela
Mutaciones en el espacio, Museo del Estado Miranda, Los Teques, Venezuela
COLLECTIONS PUBLIQUES
France
Le musée du Louvre, Paris
La Maison de l’Amérique Latine, Paris
Allemagne
Das Kleine Museum, Weissenstadt
Argentine
Museo de Arte Latinoamericano, Buenos Aires
Museo Nacional de Bellas Artes, Buenos Aires
États-Unis
The Museum of Fine Arts, Houston, TX
El Museo del Barrio, New York, NY
Collection Ella Fontanals-Cisneros, Miami, FL
Venezuela
Fundación de Museos Nacionales, Ateneo de Valencia
eliascrespin.net · contact@ateliercrespin.com


PRIX
2018
« Prix de la critique AICA venezuela – Projection internationale », Association Internationale des Critiques d’Art,
Caracas, Venezuela.
2006
« Premio Armando Reverón », 61 Salón Arturo Michelena, Ateneo de Valencia, Valencia, Venezuela
2005
« Artist’s Choice Award », ArtBots, Saints Michael and John’s Church, Dublin, Irlande

BIBLIOGRAPHIE :


Catalogues d’exposition (sélection)
Immatérialité, Paris : Topographie de l’Art, 2019
Artistes & Robots, Paris : Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2018
Artists & Robots, Paris : Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2017
France : Instant Présent. Contemporary artists from France, Treviso: Imago Mundi, 2017
The Urge to create Visions…1929-2017, Radom: Center of Polish Sculpture, 2017
De Nature en Sculpture, L’Isle-sur-la-Sorgue: Fondation Villa Datris, 2017
Slow Motion, Paris : Maison de l’Amérique Latine / Editions Hermann, 2017
Geometrische Choreographien, Weissenstadt : Das Kleine Museum, 2015
Elias Crespin, Paris : Galerie Denise René, 2014
Elias Crespin. Temps suspendu, Nice : Galerie de la Marine, 2014
Turbulences II, Brussels:Fondation Boghossian / Espace Culturel Louis Vuitton, 2013
Cecilia Fajardo-Hill, « The interplay between the material and the immaterial » in Intersecting Modernities. Latin
American Art from The Brillembourg Capriles Collection, Houston : The Museum of Fine Arts : Houston, 2013
Elias Crespin. Parallels, New York : Cecilia de Torres, Ltd, 2012
Hiperficies, Paris : Ars Longa, 2010

Elias Crespin, devant l’atelier conçu par l’artiste Miguel Chevalier

Paul Vergier, à l’épreuve du paysage

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Par Marie Simon-Malet

Interview + vidéo 

Paul Vergier- en haut à gauche « Le grand buisson » acrylique et pastel sur papier marouflé – 150 x200 cm © Marie Simon Malet

Par une belle matinée d’automne, sous cette lumière si particulière de la Provence, je suis allée à la rencontre de l’artiste français Paul Vergier dans son atelier proche du village de Grignan. Ses représentations de serres maraîchères me fascinaient depuis longtemps. 

                    

« J’ai souffert dans les serres, j’avais chaud. Tel une plante qui s’abreuve de lumière, j’ai passé là des heures- sans être arrosé !- à chercher à capter cette translucidité, ces réverbérations, ce voile, cet effacement du réel. Je voulais peindre ça… »  Paul Vergier

Paul Vergier – Achillée millefeuille 175×200 2019-2020 ©Paul Vergier

Les sujets et le regard de Paul sont singuliers. Avec opiniâtreté et constance, il peint l’impalpable, les états transitoires, la beauté des matériaux pauvres. Ses tableaux figuratifs, mais sans sujet en apparence, représentent des zones urbaines désertes, des campements de fortune, des piscines hors-sol, vides et désolées, des tas de sable de chantier, des serres agricoles en plastique… Paul aime ce qui ne se donne pas facilement, il a choisi de se consacrer à une peinture hors des modes et de la facilité. 

“Le tas bâché est ma Sainte-Victoire! Elle combine tous les sujets qui me tiennent à coeur comme le recouvrement, le pli, le chantier, la terre, l‘étouffement… motifs qui évoquent tous le travail de la forme, du réel et questionnent en définitive la surface et l’espace du tableau, du voir, du regard, de l’aveuglement, ces éléments constitutifs de toute représentation en peinture de tableau. » Paul Vergier

J’ai cherché Toutyfaut, nom du hameau où se trouve l’atelier de Paul Vergier, quelque part dans la campagne de la Drôme provençale. Ce drôle de nom semblant dire qu’il n’y manque rien signifierait plutôt qu’il y faut tout, autrement dit que la terre est pauvre et qu’il n’y a pas d’eau. Toutyfaut est loin de tout et si les paysages sont d’une beauté à couper le souffle, il faut énormément de travail et de temps pour domestiquer cette terre sauvage et préservée. Les agriculteurs y connaissent leur lot de labeur et, parfois, de souffrances. 

Visite de l’atelier Paul Vergier par Marie Simon Malet pour The Gaze of a Parisienne_ 2020

Visite de l’atelier Paul Vergier par Marie Simon Malet pour The Gaze of a Parisienne_ 2020

Paul s’est installé avec sa femme, Claudia, et leur fille dans la ferme de son enfance. Ils l’ont rénovée, Paul a construit lui-même l’atelier. Claudia est aussi une bâtisseuse : elle monte des murets de pierres sèches autour de son potager, se bat avec des associations écologiques pour préserver l’environnement. Paul peint avec passion, ni le travail, ni la complexité ne lui font peur. 

Claudia s’amuse d’un paradoxe : « C’est étrange qu’à Toutyfaut, Paul cherche précisément à créer dans ses tableaux l’espace du manque ». Manque de quoi? Paul m’explique qu’il fait des paysages sans paysage, que l’œil doit y fouiller les strates, découvrir les sous-couches, qu’il aime dissimuler pour mieux faire voir. Qu’il ne veut pas qu’il y ait une narration quelconque, ni créer une image. 

« Dans la vie aussi ce n’est jamais aussi simple qu’on le croit, il y a toujours un fond d’incommunicabilité entre les êtres. » Paul Vergier

Est-ce le secret de la fascination qu’exercent ses toiles? 

Derrière leur luminosité et leur apparente légèreté, il se dégage une atmosphère un peu inquiétante. 

Se défaire de l’horizon 

Depuis la maison, le panorama encercle le mont Ventoux, les collines des Préalpes, le château de Grignan, le village de Chamaret avec sa haute tour qui pointe le ciel, les champs rayés de lavande et les petits bois des piémonts… Un paysage à 180° presque écrasant de beauté qu’il a eu très jeune envie de peindre et de dessiner. 

Paul Vergier « Black mountain » 150×200 cm, ,pastel, 2019 ©Paul Vergier

Observant cette passion chez son petit neveu, son oncle, l’artiste Jean-Michel Alberola, lui offre un carnet à dessin. En 1983 -il a alors sept ans- Paul dessine au crayon à papier le tracteur de son père, la maison, le buste de sa mère, la salle à manger… Ses croquis sont d’une incroyable maturité. En parcourant avec moi son petit carnet d’enfance, il en est lui-même stupéfait : « J’étais doué quand j’étais petit. » 

Adolescent, il arpente, sur sa mobylette cette fois, chevalet en bandoulière, les chemins autour de l’exploitation agricole familiale pour peindre sur le motif. Il se bricole des toiles sur châssis avec des tasseaux de bois et des draps. 

Paul fait ses études supérieures aux Beaux-Arts de Marseille. Il n’en garde pas un très bon souvenir : il n’était pas aisé alors de faire accepter une démarche figurative, il est en décalage; tentant, sous la pression ambiante, de se convaincre que la peinture est bel et bien morte, il y apprend aussi à fumer -me dit-il- et savoure la lecture de bons classiques, achète ses premiers disques de jazz.  

Grâce au programme Erasmus, il complète son parcours à l’école de Beaux-Arts de Zürich (Kunstgewerbeschule). En Suisse, il peint, joue du saxophone et à la pétanque (c’est un provençal), Claudia est réceptionniste au Savoy Hôtel. Le couple part ensuite pour six mois en Andalousie où Paul peint encore et toujours. En 2001, il s’installe en Allemagne, pays natal de Claudia, où Claudia achève ses études de management d’hôtellerie. 

Berlin attire le jeune artiste par sa vie culturelle foisonnante et le marque profondément. Il est toujours dans cette frénésie de peinture, arpentant la ville quotidiennement pour peindre sur le motif, s’attachant à ce que beaucoup trouvent laid : les chantiers, des sculptures d’animaux géants et les cabines d’un parc d’attraction abandonné, les abris de migrants sur les bords de la Spree… Des installations éphémères, des zones peu hospitalières, hors du temps et de l’activité humaine… Un monde qui se délite.

Il adopte un format panoramique très allongé et étroit (269 cm de long sur 41/51 cm de haut), sous l’influence du paysage de son enfance avec lequel son regard s’est construit dans cette nécessité de tout englober, de tout rendre : une ambition qu’il sait impossible.

Un jour, analyse-t-il rétrospectivement, il lui faut se défaire de l’horizon.

vue de l’atelier de Paul Vergier

Retour à la terre 

Le ciel disparait et la ligne d’horizon s’envole, l’angle de vue plonge vers le sol dans le tableau berlinois que Paul me montre et qu’il conserve comme son talisman. Des bruns s’étalent sur toute la toile, comme une terre d’ombre profonde où le regard s’enfonce. 

En 2004, son père meurt d’une leucémie probablement causée par l’usage des pesticides et autres produits de traitements agricoles, il retourne en Provence pour prendre soin de sa mère, malade. C’est son frère qui reprend l’exploitation.

Paul brosse des vues de labours en très gros plan : des socs de charrues morcelés et agrandis à l’excès retournent le champ et le creusent de sillons, soulèvent d’énormes mottes de terre. Il y a dans ces toiles une puissance, un chaos qui éclaboussent tout l’espace. Paul se souvient de son enfance sur le tracteur de son père, du poudroiement de la poussière se soulevant de la terre aride ou, au contraire, de de la matérialité grasse des sols d’hiver. Il rend hommage à son père disparu et à son travail. 

L’écrivain poète suisse Philippe Jaccottet, qui a fait de Grignan sa patrie d’élection, décèle le talent de ce jeune inconnu. Il est impressionné par ses labours qu’il compare aux vagues du peintre réaliste Gustave Courbet; en 2008, il lui écrit un très beau texte.

Le portrait que Paul Vergier fait de sa mère derrière la moustiquaire, présence-absence floutée, le mène au thème des serres maraîchères, petits espaces déglingues qui obstruent le paysage, le décadrent derrière des écrans opalescents. Un sujet qu’il décline à l’infini.

Matière à réflexion 

Les serres lui permettent de sortir de la représentation traditionnelle du paysage. Il ne s’agit pas d’une ruralité attendue, mais d’un espace où l’artificiel et la nature se jaugent, se combattent, où cette dernière reprend le dessus. Entre recouvrement, voile et transparence, la serre évoque une matière à réflexion qui touche les sens et l’âme, où l’on s’engouffre dans la lumière, fait l’expérience dérangeante d’une fragilité et d’une force à la fois.

Dans ses huiles comme dans ses pastels, Paul fait preuve d’une technique époustouflante par un important travail préparatoire des fonds, superposant des couches légères, les couleurs complémentaires qui donneront ces vibrations intenses, structurant ses compositions de lignes graphiques. Se bricolant un matériel maison, il parvient à sublimer une bâche de chantier pour en faire une parure du quotidien, éclaire les plis mouvants du plastique usé, illumine d’un lustre dérisoire la banalité.

Le critique d’art Philippe Dagen a souligné la justesse de ses accords chromatiques. Paul Vergier est en effet un excellent coloriste, il sait voir et rendre la matité du rouge passé au soleil d’une cagette de marché, les verts plastiques translucides, le jaune sali par le temps,  assembler ces tonalités délaissées en harmonies dissonantes… en ce « Beau toujours bizarre » cher à Baudelaire.

Exposées à Art Paris au mois de Septembre 2020 par la H-Gallery, les serres ont trouvé chez les visiteurs du salon une résonance particulière qui renvoie à l’actualité : beaucoup ont témoigné leur émotion, un écho de leurs sensations d’enferment et d’effacement vécues pendant le confinement du printemps.

Le CNAP, Centre National des Arts Plastiques, a débloqué des fonds exceptionnels pour soutenir les galeries et les artistes français ébranlés par la crise sanitaire et ont acquis l’une de ses grandes toiles, Trois arceaux (2018-2019, 200x240cm). 

Paul a beaucoup travaillé pendant ces périodes d’isolement. Il a entamé une nouvelle série au pastel représentant des passagers endormis, corps allongés ça et là dans des couloirs de ferries traversant la Méditerranée… Les figures, jusqu’alors absentes, s’abandonnent à la dérive. 

BIOGRAPHIE :

Paul Vergier est né en 1976, à Valréas. Il vit et travaille à Grignan, en France.

https://www.paulvergier.com

H Gallery, Paris  https://www.h-gallery.fr

Galerie Bea-Ba, Marseille https://www.galerie-bea-ba.com

EXPOSITIONS PERSONNELLES :

2017 Caché derrière ce qui se voit, H-Gallery, Paris, France

2017 Evergreen,  Galerie Béa-Ba Gallery, Marseille, France

2017 Le silence des rêves, Sono-Art Gallery, Séoul, Corée

2016 L’espace du manque, Espace Chabrillan, Montélimar, France

2014 La vie liquide, Lorch + Seidel contemporary, Berlin, Allemagne

2014 Le tableau est derrière, La Maison de la tour, Valaurie, France

2013 Rencontre , Les Trois Platanes, Montbrison-sur-Lez, France

2012  Luna Park (July – August) RAAB Gallery, Berlin, Allemagne

2008 Terrien, Galerie Nathalie Gaillard, Paris, France 

2007 L’oeil tombe, Galerie Angle Contemporary Art Saint-Paul-trois-châteaux, France

2005  Ost, Espace Ducros, Grignan, France

EXPOSITIONS COLLECTIVES :

2020 Art Paris Art Fair, H Gallery, Grand Palais, Paris, France

2019 Que rien ne complique le ciel bleu,Sophie Hatier et Mireille Favergeon, Espace Ducros, Grignan, France 

         Passeggiata, N.Pincemin et M.Montchamps, Galerie Béa-Ba, Marseille, France 

2018 Galeristes, Galerie Béa-Ba, Carreau du Temple, Paris, France

         Art Paris Art Fair, H Gallery, Grand Palais, Paris, France 

2016 Seconde ligne, Galerie Maïa Muller, Paris, France 

         Novembre à Vitry, Galerie Jean Collet, Vitry-sur-Seine, France 

         Positions Berlin Art Fair, avec Lorch & Seidel Contemporary, Berlin, Allemagne 20e                 Prix Antoine Marin, Galerie Julio Gonzalès, Arcueil, France 

         Selection 60eme Salon de Montrouge, Montrouge, France

         Biennale de l’UMAM, Menton, France Païsages, La Grande Galerie, Savasse, France 

2015 I Amsterdam YOU BErlin, avec Lorch & Seidel Contemporary, Berlin, Allemagne

2014 Positions Berlin Art Fair, avec Lorch & Seidel Contemporary, Berlin, Allemagne 

2011 Tragique du Paysage, Galerie Eric Mircher, Paris, France

2009 Eléments, sédiments, Espace Ducros, Grignan, France 

2008 Art Paris Art Fair, Galerie Nathalie Gaillard, Paris, France

         Supervues, Hotel Burrhus, Vaison la Romaine, France 

2006 Réserve sans réserve n°2, Galerie Eric Linard, Le val des Nymphes, La Garde Adhémar, France 

2004 Art Cologne, Raab Gallery, Berlin, Allemagne Economy & Extasy, Raab Gallery, Berlin, Allemagne 

2003 Unter Drei, Raab Gallery, Berlin, Allemagne

BIBLIOGRAPHIE :

2018 Romain Mathieu, ARTPRESS n°451, janvier 2018

2016  Emmanuelle Lequeux article sur le 61ème salon de Montrouge

2011 Philippe Dagen, « Tragique du paysage », Le Monde, 30 mai 2011

2008 Philippe Dagen, « Paul Vergier- Galerie Nathalie Gaillard », Le Monde, 1er juin 2008 

2008 Philippe Jaccottet, catalogue de l’exposition « Terrien », Galerie Nathalie Gaillard, Paris

© Marie Simon Malet

Bao Vuong

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Les mers noires de la mémoire 

Par Stéphanie Dulout

Bao Vuong 2020 exposition ©A2Z Art Gallery.

Noir, noir, noir… Un noir profond, épais, mais brillant et mouvant… comme une masse pesante, mais liquide, figée dans ses ondoiements…, à la fois angoissante et apaisante, effrayante et étrangement attractive… 

Découverte à Asia Now 1, sur le stand d’A2Z Art Gallery (Paris-Hong Kong) – où elle brillait comme un diamant… noir –, cette masse de peinture, traversée de remous maçonnés au couteau, recouvrant entièrement une toile de 1m sur 1m70, compose un morceau de mer. Celle, traversée sur une embarcation de fortune, à la fin des années 70, par l’artiste, Bao Vuong, alors âgé d’à peine un an, dans les bras de ses parents fuyant, comme des milliers d’autres Boat-people, le régime communiste vietnamien, à la suite de l’invasion du Sud Viêt Nam par le Nord Viêt Nam après la chute de Saïgon (en avril 1975). 

Bao Vuong « The crossing XXIII », 2020 Huile sur toile. 107 X 170 – A2Z Art Gallery

Cette toile s’intitule The Crossing XXIII (La Traversée XXIII). Elle est la 23ème d’une série, inachevée, commencée en 2017, dont l’A2Z galerie présente, à Paris, après Hong Kong, dans un show époustouflant, les dernières variations. 

A la lisière de l’abstraction et de la figuration, de l’apparition et de la disparition, du souvenir et de l’imagination (de quoi peut se souvenir un bébé d’à peine un an ?…), ces variations monochromatiques visant à se réapproprier un lambeau de mémoire, un passé enseveli, déjouent tous les codes de la représentation et de l’abstraction. 

Entièrement noirs, ces tableaux ne sont pourtant pas des monochromes : ils ne sont pas « vides de forme et de représentation » et ils racontent une histoire – à la fois réelle et fictive. Une histoire traumatisante vécue physiquement (mais inconsciemment), oubliée et remémorée…

Bao Vuong. Devant « The Crossing – The Dawn », 2020, acrylique, huile et feuilles d’or sur toile, 120 x 150 cm.

 Entre apparition et disparition

Si pour Malevitch, l’inventeur du genre (avec son Carré noir en 1915), le monochrome est un passage vers l’infini, pour Neuman et Rothko, deux de ses plus grands représentants, un champ d’expérimentation intérieure, pour Rodtchenko, une exaltation du vide, pour Ryman, un terrain d’expérimentations purement picturales, pour Ad Reinhardt, enfin, un acte de décès de la peinture (Ultimate paintings, 1960-1967), pour Bao Vuong, c’est une page de son histoire. Ci-gît le souvenir… Bien loin du vide et de l’immatérialité qui lui sont habituellement associés, la monochromie de ses toiles est lourde du poids du passé et de la souffrance ensevelis… 

Ensevelie dans l’oubli, longtemps tue, cette souffrance ressurgit dans cet œuvre au noir entrepris par le peintre comme pour déverser sur la toile toutes les peurs et toutes les douleurs ressentis par son père et sa mère lors de cette périlleuse traversée au cours de laquelle, privés d’eau pendant trois jours, ils faillirent mourir… 

Exutoire, mais aussi réappropriation : cette série de mers noires, peintes et repeintes inlassablement, sans cesse remise sur le métier, remodelées, recomposées…, participe, comme nous l’a dit l’artiste lui-même il y a quelques jours, d’une « forme de reconstruction » fondée sur une « mémoire émotionnelle ».

Bao Vuong, à gauche : « The Crossing XXV », 2020, huile et acrylique sur toile, 162 x 97cm, ©A2Z Art Gallery –
à droite : « The Crossing – The Cloud », 2020, acrylique et huile sur toile, 180 x 170 cm.

Ainsi, nous a-t-il raconté, bien qu’il n’ait pas pu avoir conscience de ce qu’il vivait et bien qu’il ne l’ait su que très tardivement (à 25 ans, lorsqu’il fit, accompagné de sa mère, son premier retour au Vietnam, et l’entendit faire le récit de leur fuite à ses tantes…), il a vécu pendant onze mois (le temps de la traversée et de l’errance de camp en camp de réfugiés) avec des personnes qui étaient dans la plus grande angoisse et qui avaient pour seule préoccupation la survie… 

Une angoisse d’ailleurs sans doute inscrite, par-delà la « mémoire émotionnelle », dans la mémoire corporelle, si l’on en croit le médecin qui lui a dit un jour qu’ayant connu la faim et la soif dans les premiers mois de sa vie, il ne pourrait jamais grossir et garderait toujours une constitution chétive…

Sous la masse noire, les remous du souvenir…

« Peindre encore et encore cette traversée est ma manière de me l’approprier, sans doute. Et ça a sans doute aussi fait du bien à ma mère chez qui le traumatisme est probablement encore trop présent, et même tabou : c’est souvent la deuxième génération qui en parle le mieux… C’est aussi cela qui est à l’origine de mon travail : je voulais donner une voix à toutes ces personnes qui n’ont pu parler… ». De là, le choix d’une certaine forme d’abstraction à travers l’enfouissement des formes et leur surgissement sous les empâtements : « dans ces noirs, les gens peuvent voir une certaine noirceur qui leur appartient. » De même que la monochromie, « l’abstraction propose quelque chose mais n’impose pas, elle permet aux spectateurs de s’approprier l’espace peint, de s’y projeter. » « Chaque toile est pour moi une nouvelle proposition » : ici, des nuages évoquant quelque bateaux fantomatiques semblables aux zodiaques utilisés par les migrants ; là, une bande plus opaque ourlant l’horizon pouvant évoquer une bande de terre ou la nuit toujours plus sombre ; ici, une écorchure dans la pâte, une faille de lumière surgissant entre deux masses, telle une lueur d’espoir ou un mirage ?… 

Bao Vuong, « The Crossing XXVII », 2020, acrylique et huile sur toile, 140 x 200 cm, ©A2Z Art Gallery.jpg

Ainsi, l’œuvre au noir de Bao Vuong semble presque s’inscrire en faux contre la tradition suprématiste ou minimaliste du monochrome : s’il pourrait dire, à l’instar de Malevitch en 1919, « voguez […] dans l’abîme […] l’infini est devant vous. », l’infini  qu’il peint dans ses ciels et ses horizons noirs n’est pas un infini supra-matériel destiné à accéder à la « sensation pure », mais celui, bien tangible et presque palpable, qui se dressait, tel un mur dans la nuit noire et les odeurs d’essence, devant ses parents et des milliers d’autres Boat-people lors de la traversée de la mer de Chine…   

Alors qu’Alighiero Boetti dans son éloquent Senza titolo (1968) remis en valeur dans la nouvelle présentation des collections du Centre Pompidou, ensevelit le tableau et son titre sous une épaisse couche d’enduit gris pour dire l’impossibilité du souvenir, Bao Vuong, sous la masse noire des empâtements de peinture fait resurgir la mémoire… Et tandis que Pierre Soulages n’aura eu de cesse de capturer la lumière dans ses Outrenoirs, c’est bien la peur et l’angoisse que Bao Vuong déverse dans ses amas de peinture noire. 

De l’ensevelissement au surgissement

« Montrer l’infini du ciel » dans l’opacité immobile, étale et sans reflets contrastant avec les miroitements de la mer maçonnée dans l’épaisseur de la couche picturale semblant se mouvoir sous les assauts des vagues taillées au couteau… Traduire, à travers l’oppression des noirs, la peur et faire sentir l’odeur asphyxiante de l’essence jaillie du fond de la cale du bateau, près du moteur, où ses parents avaient trouvé place lors de la traversée…

« Je cherche toujours à représenter quelque chose, à raconter, même si je tends toujours vers une forme d’abstraction. » 

Mais comment en est-il arrivé à peindre des peintures monochromes ?

Après l’obtention d’un Master en Arts plastiques aux Beaux-Arts de Toulon, et dix années quelque peu improductives passées à Paris, il décide de quitter sa terre d’adoption, la France, et de retourner sur sa terre natale, au Vietnam. C’est ce retour aux sources qui, selon ses dires, lui donnera l’impulsion créatrice qui lui manquait. C’est alors qu’il entamera son travail sur les portraits, qu’il poursuit de loin en loin aujourd’hui :  des dessins au goudron de Boat-people (mères, enfants…) ou des photographies anciennes délavées et maculées de goudron… Sa première exposition au Vietnam, « où l’on n’a pas le droit de montrer ces pans de l’histoire », sera censurée en 2013. C’est ainsi, quelque temps plus tard, que lui viendra l’idée de peindre la mer noire toute seule, dénuée de tout indice et de toute personne humaine : en déjouant la censure, il avait trouvé une formule plastique « encore plus forte » que toute retranscription figurative, car cette confrontation à la mer représentée frontalement et en plan serré, dans toute sa matérialité et sa vacuité,  « met le spectateur à la place des Boat-people » : face à cette étendue d’eau immense, non limitée pas un cadre géographique, non circonscrite par un paysage, nous sommes seuls, totalement seuls, face à notre destin… 

Transmutation 

Mais ce sentiment ne pourrait advenir si Bao ne parvenait à donner vie à sa peinture, à animer sa matière par un souffle de vie. Or il y parvient si bien que l’on pourrait croire entendre, en même temps que le remous des vagues ou le crépitement de l’écume moussant sur la plage, un cri étouffé ou un râle… 

Bao Vuong, « The Crossing, Pulau Bidong (I) », 2020, huile et acrylique sur toile, 140 x 220 cm, ©A2Z Art Gallery

Tour à tour lisse, écorchée ou croûteuse, fine ou épaisse, étale ou chaotique, mate ou satinée, la couche de peinture est considérable (jusqu’à 40 kg !), si bien que par endroits, elle semble encore molle, humide et mouvante… 

Loin d’être figées dans la masse noire des empâtements, les vagues brillent à la lueur de la lumière au gré de ses variations et de nos déplacements. Sous la masse sombre pailletée par ces reflets changeants et mouvants, surgit des profondeurs, un morceau d’océan, comme un lambeau de souvenir aux allures de diamant… Fascinant. 

  1. 6ème édition de la Foire d’Art contemporain asiatique de Paris, 21-24 oct. 2020

A2Z Art Gallery

24, rue de l’Echaudé, 75006, Paris

+ 33 (0) 1 56 24 88 88

www.a2z-art.com

Jusqu’au 9 janvier 2021

www.baoartworks.com

BIOGRAPHIE

Bao Vuong 

Né au Vietnam 

Vit et travaille à Paris 

1979  

Fuite du Vietnam avec sa famille 

2013 

Master en Arts Plastiques  

aux Beaux-Arts de Toulon

EXPOSITIONS PERSONNELLES 

2021 (à venir) The Vietnam Art House, La Haye, Pays-Bas 2020 The Crossing, A2Z Art Gallery, Paris, France 2018 The Crossing, Galerie Arts Ventures,   Hô-Chi-Minh-Ville, Vietnam 

EXPOSITIONS COLLECTIVES 

2019 Exposition de découverte, A2Z Art Gallery, Paris 2017 Nguchonobay, Galerie Quynh, Hô-Chi Minh Ville,   Vietnam 

FOIRES 

2021 (à venir) Art Paris Art Fair, représenté par A2Z Art   Gallery, Grand Palais Éphémère, Paris, France 2020 Asia Now, représenté par A2Z Art Gallery,   Salons Hoche, Paris 

HORS-LES-MURS 

2017 Festival Krossing-Over, Musée des Beaux-Arts de   Hô-Chi Minh Ville, Vietnam  

2016 A travers, Institut Français de Hanoi, Vietnam 

Des portraits flottants promis à la dissolution mais pas encore à l’oubli…

Chiara Fumai, Poems I Will Never Release

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L’exposition que j’ai vue hier, au Centre d’Art Contemporain de Genève, hante encore mes pensées. Elle est consacrée à Chiara Fumai (1978-2017), une artiste Italienne disparue trop tôt, mais dont la personnalité révoltée et la puissance des oeuvres confèrent une intensité particulière à sa courte carrière. Chiara Fumai fascine. La radicalité de son travail contraste avec le côté décalé de ses mises en scène, la dureté des discours féministes qu’elle prononce s’entrechoque avec son ton sur-joué qui frise la satire. Elle effraie autant qu’elle fait sourire. Par un sortilège étrange, Chiara Fumai entre dans nos pensées alors même que nous explorons les méandres de la sienne.

Chiara Fumai,The Book of Evil Spirits , 2015, Production stills, Photo: PRed COURTESY THE CHURCH OF CHIARA FUMAI

Le travail de Chiara Fumai retrace l’histoire du féminisme, incarnée par les militantes les plus marquantes. Par ses performances spectaculaires, ses vidéos, ses installations, elle se fait le porte-parole de leur textes dans des mises en scène et des interprétations très personnelles; elle donne à leurs mots une nouvelle vérité, un nouveau sens, une ré-incarnation.

Chiara Fumai, oeuvre de la série, The Return of the Invisible Woman, 2014, en réaction à une performance de Vito Acconci, durant laquelle une membre du public aurait interagi avec le performer dans une relation SM. Photo ©thegazeofaparisienne.

Une fois de plus, Andrea Bellini nous offre une expérience exceptionnelle avec cette première rétrospective mondiale de Chiara Fumai. Encore peu connue du grand public, elle est une figure majeur de l’histoire de l’Art contemporain. Son travail a marqué profondément le développement des pratiques de l’art performatif et de l’expression artistique féministe du XXIème siècle.

Artiste autodidacte

Chiara Fumai, installation dédiée à Nico Fumai , 2007, Photo ©thegazeofaparisienne

Chiara Fumaï est entrée dans l’art intuitivement, sans étude particulière de cette discipline. Architecte de formation à l’école polytechnique de Milan et DJ, ce n’est qu’en 2007 qu’elle se lance dans une carrière d’art visuel. Sa première année d’artiste est marquée par ses débuts de performeuse et par la création de son unique personnage de fiction, Nico Fumai. Si ce dernier est le père de l’artiste, Chiara Fumai lui invente une vie totalement imaginaire de star d’Italo Disco. Dans son perfectionnisme viscérale, elle va jusqu’à créer des fausses pochettes de disques, des récompenses, affiches, et même des mix de musique se référant à ce mouvement musical des années 80.

Si sa carrière fut courte, à peine10 ans, elle fut fulgurante. Entre 2007 et 2017, elle a été présentée dans les plus grandes manifestations ou institutions en Europe, notamment à la Documenta, Kassel (2012), la White Chapel Gallery de Londres, le MUSAC (2014) et le Centro de Arte del dos de Mayo en Espagne (2015), ou encore la Noma Foundation à Rome (2011) etc…

Posters d’expositions/performances de Chiara Fumai, conçus par elle-même. ©thegazeofaparisienne

Dans la « Maison » de Chiara Fumai

La visite commence par une immersion dans l’univers « intime » de l’artiste, avec une reconstitution de son appartement de Milan.

Chiara Fumai, House Museum, 2020, Reconstruction du studio de l’artiste à Via Col di Lana 8 Milan, où elle a vécu et travaillé de 2007 à 2013. 
Courtesy Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea, Liliana Chiari et The Church of Chiara Fumai
Vue d’exposition de Chiara Fumai, Poems I Will Never Release (2007–2017)  © Centre d’Art Contemporain Genève. Photo : Mathilda Olmi 

Expérience émouvante où je découvre l’étendue de ses lectures. Dans sa bibliothèque figurent des manifestes de grandes féministes, telles Valerie Solanas (1936-1988) – connue pour avoir tiré sur Andy Warhol parce qu’il avait égaré son manuscrit !-, Carla Lonzi (« Crachons sur Hegel »), Rosa Luxemburg etc.., des théoriciens philosophes dont Karl Marx et Hegel, des ouvrages de grands artistes « performers » comme Vito Acconci , de l’occultisme, des sujets sur les névroses psychiatriques et des livres religieux. Chacun de ces ouvrages ont inspiré et nourri son corpus artistique.

Chiara Fumai, signe d’un sortilège signifiant que « l’artiste aurait une grande rétrospective », photo ©Thegazeofaparisienne

A côté des livres, sont présentés des vêtements et déguisements, que l’artiste revêtait pour ses interventions, et ce sigle cabalistique, clin d’oeil, annonçant qu’elle aurait bientôt une grande rétrospective.

Still photo tirée de la Vidéo I’m a Junkie, 2007, Courtesy de The Church of Chiara Fumai

Le dernier élément de cette pièce est une vidéo géniale, « I’m a Junkie » (2007). L’artiste, adoptant le look traditionnel grec de jeune fille très sage, au milieu d’un champ en Grèce, chante en playback une chanson célèbre du répertoire rebetiko (Punk) de Roza Eskenazi. Sous couvert de mélodies douces et innocentes, elle fait l’apologie de.. la drogue!! Le décalage audacieux entre la mise en scène et les mots rebelles m’apparait cyniquement drôle.

Chiara Fumai, Video Extract Cuts, I’m a Junkie 2007, Courtesy The Church of Chiara Fumai

Féminisme anarchiste

Dans son travail artistique, Chiara Fumai réunit autour d’elle un panthéon de figures emblématiques de l’histoire du féminisme qui, à leurs époques, ont défendu avec force et colère leur liberté, jusqu’à prôner, pour certaines, l’éradication des hommes. Elles ont joué un grand rôle dans la dénonciation de la société patriarcale, même si elles ont été rapidement oubliées de la mémoire collective. Chiara Fumai les incarne en se métamorphosant en elles dans ses performances/video/photos et en égrenant leurs textes puissants et révoltés. Au milieu de toutes ces femmes, peu d’hommes ont droit de cité. Seuls Harry Houdini, le magicien, et Nico Fumai apparaissent dans son travail.

Chiara Fumai. Portrait. 2013, Photo: Alessandro di Giampietro

Les performances de l’artiste jouent sur des mises en scène très élaborées et excessives voire satiriques. Ainsi dans une video-performance créée pour le IXe Furla Art Award, « Chiara Fumai reads Valerie Solanas « (2012), elle mime l’outrance de la posture et du ton des discours de Silvio Berlusconi, tandis qu’elle récite le texte du manifeste de Valerie Solanas, SCUM (Society for Cutting up Men). Le but est de démontrer l’infériorité des Hommes par une démarche quasi-scientifique (diagrammes etc..) et un ton de déclaration de guerre.

Chiara Fumai, Video Extract cuts, Chiara Fumai reads Valerie Solanas 2013, Courtesy The Church of Chiara Fumai

A côté, une galerie de portraits montre Chiara Fumaï métamorphosée en plusieurs femmes, personnages récurrents dans son corpus. Telles Annie Jones (1865-1902)- la femme à barbe-, Zulamma Agra- la Beauté circassienne-, toutes deux exhibées dans le cirque Barnum au XIXe , ou la médium Eusapia Palladino ( 1854-1918).

Chiara Fumai transformée en une galerie de femmes iconique du feminisme dont Annie Jones (La femme à barbe), Eusapia Palladino (médium) en bas à droite, Zalumma Agra milieu en bas, Dogaressa Querini (la femme du Doge) en bas à droite,
photo ©ThegazeofaParisienne

En face de cette installation, je m’arrête devant un oeuvre murale où les lambeaux d’un trousseau de mariée déchiré sont disposés en un grand collage, une manière très claire d’exprimer la pensée de l’artiste sur ces rites traditionnels !

Chiara Fumai, rétrospective Poems I will never release Centre d’art Contemporain de Genève, photo ©thegazeofaparisienne

A l’étage supérieur, je suis captivée par « I did not say or mean ‘Warning‘  » (2013), une performance où l’artiste joue au guide et fait visiter au public la Fondation Querini Stampalia à Venise. Bien sûr, au cours de la visite, elle ne leur montre que les portraits de femmes et leur révèle des secrets étranges jamais dévoilés sur elles. La performance devient un peu délirante, lorsque le discours est entrecoupé brutalement de messages en langage des signes sur une attaque terroriste, ou encore lorsque Chiara Fumaï s’adresse au public avec une soudaine véhémence. Pour cette performance, l’artiste a reçu le Furla Art Award, cette même année.

Occultisme, sorcellerie, divination

Chiara Fumai, The Moral Exhibition House, 2012, lettres écrites par les admirateurs de la femme à barbe et les réponses de celle- ci, lues par l’artiste lors de ses performances publiques dans l’installation. Création pour la Documenta (13) de Kassel. Photo ©thegazeofaparisienne

Chiara Fumai s’intéresse aux pratiques médiumniques. Incarnant une de ses « modèles » fétiches, Eusapia Palladino, -médium Italienne du XIXème siècle qui aurait conseillé le Tzar de Russie-, l’artiste se met en scène dans des transes de voyance, durant lesquelles elle convoque ses personnages préférés.

Pour sa présentation à la Documenta de Kassel (2012), l’artiste a créé une installation, The Moral Exhibition House, inspirée de la maison de sorcière de Hansel & Gretel. Au cours de ses performances publiques, évoquant les ‘Foires de Montres’ du XIXème siècle, on la retrouve en Annie Jones et en Zalumma Agra. Les lettres des admirateurs de la femme à barbe sont lues par Annie Jones elle-même, via une transe médiumnique; la belle circassienne prend, à son tour, possession du corps de Chiara Fumai en clamant le texte I Say I de Carla Lonzi.

Chiara Fumai, The Moral Exhibition House, 2012, Création pour la Documenta (13) de Kassel. Photo ©thegazeofaparisienne

Chiara Fumai évoque également les Sorcières avec « Der Hexenhammer« , une peinture murale dans laquelle l’artiste oppose le « Traité contre la Sorcellerie » de 1478 aux paroles de la terroriste allemande Ulrike Meinhof – « On fait partie du problème ou on fait partie de la solution. Entre les deux, il n’y a rien« -.

Chiara Fumai ,Der Hexenhammer , Peinture murale rétrospective Poems I will never release Centre d’art Contemporain de Genève, photo ©thegazeofaparisienne

Suivent l’installation d’une secte ésotérique, glorifiant l’image de la femme (There is Something You Should Know, 2011) et une grande fresque, This last line cannot be translated (2017), présentant une grotte imaginaire avec des signes cabalistiques et des écritures mystérieuses. Celles-ci détaillent un rituel de protection contre les forces agressives des sociétés patriarcales. Cette fresque, une de ses dernières oeuvres, a été exposée à la Biennale de Venise de 2019.

Chiara Fumai, This last line cannot be translated , 2017 , Photo ©Thegazeofaparisienne

Tout ce que j’ai voulu faire, c’est construire un espace de liberté pour les femmes‘ Chiara Fumai

Le titre de l’exposition « Poems I will never Release » vient d’une sculpture inachevée, le dernier autoportrait de Chiara Fumai, une marionnette portant un tee-shirt sur lequel figure cette phrase. Elle évoque toute la spécificité du travail de l’artiste, qui s’est voulue l’interprète des textes de ces femmes militantes en colère, la porte-parole de leurs mots. Elle a été leurs voix, leurs corps et les a révélées sous un jour nouveau, dans des mises en scène incroyables. Ainsi cette exposition qui rend un hommage à l’oeuvre brillante de Chiara Fumai, est d’autant plus touchante qu’elle offre une tribune à toutes ces grandes féministes passées dans l’oubli.

Chiara Fumai s’est éteinte tragiquement à l’âge de 39 ans en 2017. Ironie de l’histoire, c’est à peine quelques mois avant que les événements Weinstein et l’engouement pour le mouvement #MeToo n’éclatent, libérant les langues autant que les esprits vers un féminisme généralisé et parfois poussé à l’extrême.

A voir absolument au Centre d’Art Contemporain de Genève, jusqu’au 28 Février 2021.

Caroline d’Esneval

Informations:

Chiara Fumai, Poems I will Never Release, est une proposition de Francesco Urbano Ragazzi et Milovan Farronato, en collaboration avec Andrea Bellini, Directeur du CAC de Genève. L’exposition voyagera ensuite au Centro Pecci de Prato (Printemps 2021), à La loge de Bruxelles (Automne 2021, et à la Casa Encedida de Madrid (2022).

Chiara Fumai, Poems I will Never Release au CAC de Genève

Chiara Fumai bio


Arty Christmas

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Les artistes donnent le ton, idées originales , initiatives des galeries Art for Christmas, boutiques de Noël, le Calendrier de l’Avent, devient le calendrier d’art … ce sera peut-être le cadeau que vous offrirez à l’occasion des fêtes ou celui que vous trouverez sous le sapin !

Livres, éditions, objets d’art, oeuvres uniques à tous les prix.

Arty Christmas © The Gaze of a Parisienne –
Catalogues d’expositionBoutiques de musées
Galerie Perrotin –
Détail couverture livre Scandaleusement décadent Edition Flammarion.

Les galerie nous offrent la possibilité de voir des expositions passionnantes, découvrir et rencontrer des artistes, comprendre leurs oeuvres, se faire dédicacer un catalogue. Cette fois-ci j’étais plutôt rive droite, j’ai profité d’un soleil radieux hivernal de faire un tour des galeries, je vous en livre ma sélection.

Pour commencer la série, j’aimerais vous proposer un livre de photographies : Scandaleusement décadent, des recettes « scandaleusement » gourmandes du célèbre chef et blogueur Bernard Laurence illustré par de sublimes photographies évoquant les Vanités du XVIIe siècle, signées Claire Curt. Un livre d’art pour les yeux mais pas seulement, il propose des recettes faciles pour exercer ses talents de cuisinier (100 recettes à déguster). Il invite aussi à s’exercer à la photographie de natures mortes, après tout, les fêtes sont propices aux jolies tables et peuvent se transformer en source d’inspiration ! Craquerez-vous pour les brookies aux noix de pécan et chocolat ou vous lancerez-vous dans l’image ? Ou les deux

A gauche : recette des brookies aux noix de pécan et chocolat
A droite : Nature morte
Recettes par Bernard Laurence – Photographies Claire Curt – Edition Flammarion

Galerie Gilles Drouault – 100 artistes, 100 euros pour une édition sur papier (sérigraphie, impression pigmentaire, photographie…). , toujours de même format 60 X 40 cm à 100 exemplaires. Toujours dans la même galerie : l’artiste Eric Croes est commissaire de l’exposition Les mains dans les poches, il a demandé à une douzaine d’artistes d’imaginer un vide-poches. Jusqu’au 5 janvier 2021.

Galerie Isabelle GounodCarolyn CARLSONExposition personnelle. Derniers jours pour découvrir les encres, calligraphies de la chorégraphe. De la poésie, Carolyn Carlson chorégraphie ou danse éternellement sur ces feuilles blanches parchemin. La chaise de l’artiste installée très précisément face au mur affirme cette présence incroyable. Des oeuvres à méditer et contempler.

Carolyn Carlson – Galerie Isabelle Gounod

Librairie de la MEP ouverte, profitez-en , de très beaux ouvrages spécialisés sur la photographie dans la Maison Européenne de la Photographie, vous y trouverez des livres rares de Moriyama et Tomatsu, des tirages en édition limitée à 100 €. Cela vous donnera un goût de Paris Photo hors les murs, malgré l’annulation, pour cause de re-confinement, de la grande foire photographique qui nous manque tant.

Librairie de la MEP

Gideon Rubinhttps://galerie-karsten-greve.com/fr – des portraits sans visage sur des toiles brutes, des visages oubliés, qui coïncident avec notre actualité, avec tous ces masques, difficile de se reconnaître.

Gideon Rubin- Galerie Karsten Greve

Clara Halter, l’auteur du Mur de la Paix à Paris, installé sur le Champ-de-Mars, le mot Paix y est décliné en 49 langues, c’est aussi une réflexion sur l’écriture, la calligraphie. L’exposition était voulue par son mari l’écrivain Marek Halter, comme un hommage à l’artiste aujourd’hui disparue, à voir à la Galerie Pierre-Alain Challier. jusqu’au 16 janvier 2021.

Clara Halter (1942-2017) – Galerie Pierre-Alain Challier

Jean-Marc Bustamante (né en 1952) – Grande Vacance – 9 décembre 2020 – 16 janvier 2021. 7 rue Debelleyme, Paris. Galerie Thaddaeus Ropac. L’artiste donne sa vision du Monde plutôt heureuse, semble t-il en regardant ces couleurs sur ces grandes toiles où le geste de peindre s’inscrit, une oeuvre qui évoque celle de Matisse ou encore Vuillard.

Jean-Marc Bustamante – Grande Vacance – 9 décembre 2020 – 16 janvier 2021. 7 rue Debelleyme, Paris. Galerie Thaddaeus Ropac

Exposition de groupe La terre est bleue comme une orange Galerie Praz-Delavallade jusqu’au 6 février, participent Pauline Bazignan, Dan Levenson, Christine Safa, Pierre Ardouvin…

Exposition de groupe – Galerie Praz-Delavallade jusqu’au 6 février, participent Pauline Bazignan, Dan Levenson, Christine Safa, Pierre Ardouvin…

L’art c’est aussi la beauté d’un bouquet accroché au mur comme une sculpture, j’ai découvert OGATA , Paris – Le raffinement japonais d’une pâtisserie, spécialité : les wagashis aux haricots rouges, les thés hōjichasencha,, les céramiques, emballages cadeau, tout est beau, je craque aussi sur les bouquets, tout un art de réunir une gerbe de blé, une branche de sapin… https://ogata.com/paris/#2

OGATA Paris

Marjane Satrapi Femme ou rien à voir galerie Françoise Livinec jusqu’au 30 décembre 2020. Françoise Livinec a également instauré : 1 jour, 1 oeuvre d’art à moins de 1000 €, aujourd’hui Colette Deblé : 450€ – Catalogue des oeuvres ici

Galerie Perrotin, à la librairie : Sophie Calle – Sans lui – Edition limitée / 35 800 € et une exposition à voir : Johan Creten Entracte 17 octobre 2020 – 30 janvier 2021

Des livres, des lithographies de Niki de Saint Phalle. et de tant d’autres artistes .. http://galeriemitterrand.com/

Niki de Saint Phalle- Sans titre (rêve d’une jeune fille) c. 1970 – Lithographie sur papier velin. Edition de 300. 2200 € -Galerie Mitterrand

Noël In-Situ – Coffret Damien Deroubaix Edition limitéees livrets des expositions de l’année ainsi que deux oeuvres en édition limitée de Damien Deroubaix.
http://www.insituparis.fr/
-LE LIVRE Editions h’Artpon – 65€ Galerie de l’Europe
Melik Ohanian Gradient – Light 2016 Ampoule en verre gravé, éclairage LED, boîte 14 x 10 x 10 cm | 5 4:8 x 3 7:8 x 3 7:8 pouces
Edition 62:80 Prix: 880 € – Galerie Chantal Crousel
Martin FerniotGalerie Isabelle Gounod

Galerie Claire Gastaud – Cadeaux arty de 35 à 1000 €

MC MITOUT Les plus belles heures – Le lac Biwa, 2019 Signed, dated and numeroted Sérigraphie 8 passages. 40 x 60 cm Edition of 42 € 120.00
Galerie Claire Gastaud

Editions des Saints Pères : Quelle idée géniale! Cette maison d’édition présente une collection de très beaux livres de manuscrits des grandes oeuvres littéraires. Ainsi découvre-t-on l’écriture, les ratures, parfois même des chapitres inédits effacés de la version finale, d’Alice aux pays des merveilles (Lewis Carroll), du Horla de Maupassant, des poèmes de Rimbaud etc… Une quarantaine de livres grands formats (25 x 35 cm) présentés dans des coffrets fabriqués à la main. Entre 100 et 250 euros en fonction des oeuvres, éditions numérotées.

Livres coups de ♥️ à lire en 2021

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PAR SEVERINE LE GRIX DE LA SALLE

Un autre Cormoran de bibliothèque, selon l’expression de la poétesse Suzan Howe, découverte grâce à l’artiste Agnès Thurnauer, j’adore cette vision de la lectrice que j’applique cette fois-ci à Séverine Le Grix de La Salle.

Elle nous livre ses coups de coeur de ces derniers jours 2020.

A lire après le réveillon … The Gaze of a Parisienne vous offre tous ses voeux pour une meilleure année 2021 !

A gauche : Joseph Kessel – Pauline Baer de Perignon – Jean Teulé
A droite : Javier Cercas – Federico Garcia Lorca – Arturo Perez Reverte

Jean Teulé – CRENOM, BAUDELAIRE – Mialet Barrault Editeurs

« Malgré des aphtes, des gonflements douloureux à la gorge au point de parfois ne plus pouvoir manger sans souffrance, elle se trémousse cet après-midi, entourée de femmes du monde et de femmes à tout le monde, en faisant pirouetter son artiste « p .212 .

Jean Teulé- Crénom Baudelaire – Mialet Barrault Editeurs

Il y  a du Rabelais chez Jean Teulé, langue crue et directe, gros mots, détails scabreux et drôles : Baudelaire ressuscite dans cette biographie pour mieux y mourrir de ses addictions , de ses maladies de sa folie. On plonge dans les cales d’un paquebot à trois mats, dans les bas-fonds parisiens radiographiés en couleurs, dans la vraie vie crasseuse et géniale du poète et de ses muses, toutes en chairs vénéneuses. Ecriture surprenante,  agaçante parfois comme l’est ce Baudelaire  provocant et insupportable à qui l’on pardonne  tout lorsqu’il écrit. Et entre deux saillies de l’auteur ou de son héros, ces vers , ces textes qui font silence…

Cadeau : « Il faut être toujours ivre.Tout est là : c’est l’unique question.Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez vous. Et si quelque fois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge,  à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule , à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « il est l’heure de s’enivrer! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez vous ; enivrez vous sans cesse! De vin , de poésie ou de vertu, à votre guise ». Charles Baudelaire – « Enivrez-vous » tiré du recueil Le Spleen de Paris

Je referme le livre sur l’un des Poèmes les plus célèbres , chanté par Reggiani «  Si vous la rencontrez, bizarrement parée.. », je sais aujourd’hui qui elle était , et je cours acheter  » Les Fleurs du Mal » que je n’ai jamais lues. 

https://www.parislibrairies.fr/librairie-2749/paris/Les-arpenteurs/

Pauline Baer de Perignon – LA COLLECTION DISPARUE – Editions Stock

« Tu sais qu’il y a quelque chose de louche dans la vente Strauss?  « p .19 .

Dans un style très touchant , très personnel et sincère , sans recherche littéraire ou stylistique excessive,  Pauline Baer de Pérignon se lance en quête de la collection « disparue» de son arrière grand père. Elle met du temps à écrire le mot de spoliation , comme si elle ne voulait pas y croire elle même. Une histoire d’ignominie, qui – et c’est ahurissant – n’est toujours pas finie .Il faut suivre cette femme bien élevée, timide même, se heurter à l’hypocrisie déguisée en procédures administratives, rencontrer ces conservateurs allemands comme français qui renâclent, freinent, bloquent la restitution d’une oeuvre , mais quel pari font ils ?  Attendre que toute mémoire disparaisse pour finir à leur manière, sans en être conscients j’espère, l’atroce travail de destruction génocidaire des années les plus noires du XXième siècle ? Prêts à tout pour conserver un dessin, même caché dans des réserves , au nom d’un égo, d’une passion déplacée ou d’une obéissance étatique dont ils ont perdu le sens. « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal «  dit Hanna Arendt… Pauline Baer de Pérignon pense pour eux, se bat, en quête de ses racines  ( joli arbre généalogique dessiné en introduction) et d’elle même. Et on frissonne d’émotion , on fait partie de sa famille, quand à la fin, elle gagne.

Pauline Baer de Perignon – La Collection disparue – Editions Stock

Librairie Dialogues Brest

JOseph KESSEL – LE LION – EDITIONS GALLIMARD

Relire « Le lion »aujourd’hui , c’est d’abord replonger dans une émotion très pure, enfantine et retomber amoureuse d’ Oriounga le jeune Masaï morane. C’est retrouver intacte cette fascination pour ce qui m’est si lointain  : 

«  Il y avait cette démarche princière, paresseuse et cependant ailée, cette façon superbe de porter la tête et la lance et le morceau d’étoffe qui, jeté sur une épaule, drapait et dénudait le corps à la fois. Il y avait cette beauté mystérieuse des hommes noirs venus du Nil en des temps et des chemins inconnus. Il y avait dans les mouvements et les traits cette bravoure insensée, inspirée. Et surtout , cette liberté orgueilleuse, absolue, indicible d’un peuple qui n’envie rien ni personne parce que les solitudes hérissées de ronces, un bétail misérable et les armes primitives qu’il façonne dans le métal tiré du lit sec des rivières comblent tous ses soins et qu’il est assez fier pour ne point laisser sur la terre des hommes ni maison ni tombeau » p.81 

Relire « Le lion », c’est le choc d’une écriture magnifique, âpre, qui roule comme un torrent de montagne, épique, sensible , et découvrir avec des yeux d’adulte que c’était bien autre chose qu’un bluette , c’est du Kessel. C’est découvrir , au-delà du lion et de la petite Patricia, à laquelle des générations d’enfants se sont identifiés, ces personnages cabossés dont je n’avais pas souvenir, ces parents abîmés qui s’aiment dans un désespoir de savane,  Kihoro le pisteur borge et éclopé tiraillé entre son affection et sa fidélité à son peuple.. et l’auteur, qui traverse et bouleverse ces destinées, sans livrer un mot de ses propres démons. Quel bonheur , à la page «  du même auteur » tout à la fin,  de voir la liste impressionnante de ses oeuvres et de m’apercevoir qu’ après  « Les cavaliers », «  Les mains du miracle » et « La vallée des rubis » lus cet été,  il me reste plus de quarante voyages à faire….

L’Ecume des Pages – Paris 6

UN PETIT TOUR EN ESPAGNE 

Je suis très formatée par ma jeunesse en Espagne, marquée par la tornade jouissive qui a succédé enfin à la mort de Franco, ce moment qui m’ éveillée à la conscience du monde et à la chose politique , m’a revelé la noirceur de la médiocrité au pouvoir comme la beauté de la résistance intérieure, familiale et quotidienne des espagnols . Donc j’aime tout de ce pays, qui est aussi celui du paradis perdu de l’enfance. Et notamment sa langue et ses écrivains , qui disent  l’amour, l’amitié , la tristesse ou la mort avec une rugosité et une intensité qui m’est indispensable . 

Javier CERCAS

Choisir n’importe lequel de ses livres les yeux fermés . 
Javier Cercas interroge, fouille, creuse tous les terribles conflits publics ou privés  d’une nation qui s’est déchirée jusqu’a l’intime. Journaliste et romancier ,  il a cette plume descriptive, sans pathos, sans jugement et pose la seule question qui compte : qu’aurions nous fait ?  . C’est l’écrivain qui dit  l’indicible sur les traumatismes d’un pays et qui, en posant des mots , les apaise . Exercice de vérité toujours nécessaire, qui poursuit  le travail d’un Albert Camus sur l’Algérie,  et de tant d’autres,  qui s’y sont parfois brûlés. « Les soldats de Salamine » , le face à face dramatique de deux soldats qui se rappellent à temps qu’ils sont aussi des hommes. Une ode à la part d’humanité , que nous portons même dans l’horreur , et à la réconciliation vitale pour réussir à la faire grandir. Larmes garanties dans les dernières pages pour celles et ceux qui aiment s’abandonner à l’émotion d’un texte.«  Anatomie d’un instant » , un pavé ultra documenté qui retrace la fameuse journée du 23F ( 23 février 1981) où le petit colonel Tejero chapeauté de son tricorne infamant tente un coup d’état qui avortera dans la nuit. La construction du livre est une prouesse, le 23F est la focale vers laquelle se tendent tous les courants et vents contraires qui tissent et agitent cette Espagne tortueuse. Personnages troubles à foison, même et surtout ceux qui apparaîtront ensuite comme les sauveurs de la démocratie. Une petite musique qui rappelle un peu la France de la Libération….A lire si on aime plonger dans un livre documentaire, c’est long!«  Le monarque des ombres »: sans doute son livre le plus personnel, celui où il lui faut assumer un ancêtre franquiste, qu’une mère, une soeur et lui, enfant, ont aimé.

Javier Cercas – Anatomie d’un instant – Editions Babel

« Devrais-je prendre en charge le passé familial dont j’avais tellement honte et l’ébruiter dans un livre? «  Il le fait avec un talent inouï  et se permet , je le cite d’«  être sur le pic infinitésimal et fugace et prodigieux et quotidien de l’histoire » ( mention spéciale aux traducteurs qui font beaucoup plus que traduire)

Merci Monsieur Cercas, écrivez nous encore beaucoup de livres…

Librairie l’Atelier – Paris 9

Vu dans cette librairie les oeuvres de Laurent Allanic qui est à la fois libraire et artiste plasticien.

Librairie L’Atelier – 59 rue des Martyrs – 75009 Paris – Estampe « B » par Laurent Allanic


Federico Garcia Lorca – ROMANCERO GITANO Editions Aubier ou Allia.

Attention chef d’oeuvre :  Federico Garcia Lorca justifie à lui seul deux à trois mois de méthode Assimil. Pour ceux qui n’en auraient ni le temps ou l’envie, je recommande l’édition bilingue , chez Aubier ou chez Allia. « Romancero gitano », c’est le titre,  mal traduit par « Complaintes Gitanes » ( alors que personne ne se plaint) ou « Poème du Chant Profond « , titre qui me laisse sans voix…mais les traducteurs , honnêtes  : «  mieux vaut une traduction imparfaite plutôt qu’une absence de traduction ». Passé ces considérations pratiques, passons à la poésie la plus dramatique et sensuelle qui soit.. Si vous comprenez la « Monja Gitana «  ( la none gitane) qui soupire de désirs réprimés en brodant ses fleurs, vous êtes un peu espagnol. Si vous tombez amoureux d’Antonio El Camborio, ( mon préféré)  vous devenez gitane. Si vous commencer des incantations en lisant  «El romance de la luna, luna » ça y est , vous passez de l’autre coté des monts . Dans ce recueil, il est question de boucles noires brillantes, de citrons coupés, de couteaux sous la poussière , de prisons  et d’amour , de roses sombres, de seins de lune, de sexe interdit au bord de la rivière et enfin de mourir dignement , de profil. Et quand la Garde Civile s’avance  » avec leurs capes reluisantes d’encre et de cire », l’ombre de l’assassinat de Garcia Lorca en 1936 s’étend.  Si vous allez un jour à Grenade, éloignez vous quelques heures des palais surréels de beauté que vous aurez visités, montez par les petits chemins qui les surplombent  et lisez ces poèmes à haute voix  :  même si vous ne parlez pas l’espagnol, là, vous comprendrez.

Arturo Perez Reverte – UNA HISTORIA DE ESPANAEditions ALEAGUARA

Reservé aux bilingues, la traduction n’existe pas ( encore? ). Arturo Perez Reverte a écrit chaque semaine un feuillet de 3 pages sur l’histoire de son pays, des Ibères à la Movida, qui ont été réunis et édités l’année dernière  Désopilant et instructif .

En introduction , cette citation de Napoléon :

 «  Les Espagnols se comportent tous comme un seul hommes d’honneur. J’avais mal évalué l’affaire» ,

et celle de son frère Joseph,  qu’il avait installé sur le trône  :

«  J’ai comme ennemi une nation de douze millions d’ames, enragées jusqu’à l’indicible»  . Tout est dit. 

Librairie les Arpenteurs – 9 rue Choron – 75009 Paris

Vertigo: optique de l’art, art optique

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PAR CAMILLE GUITTONNEAU

ENGLISH VERSION 🇬🇧 

Adapté d’un roman de 1954 de Pierre Boileau et Thomas Narcejac, D’entre les morts,

Affiche du film Vertigo, 1958.
Affiche du film

Vertigo est un thriller de 1958 réalisé par Alfred Hitchcock.

Vertigo préfigure l’avènement du mouvement Op Art. L’Op Art (abréviation de Optical Art, littéralement « art optique »)

John, un ancien inspecteur de police qui a dû démissionner à cause de son acrophobie, est engagé par un vieil ami, Elster. Elster souhaite que John espionne sa femme Madeleine. Cette dernière serait possédée par l’esprit de son arrière-grand-mère, Carlotta. Après avoir sauvé Madeleine de la noyade, John et elle tombent amoureux.

Vue d’ensemble de l’exposition : Le diable au corps, quand l’op art électrise le cinéma, exposition, Nice, Musée d’art moderne et d’art contemporain (MAMAC), 2019.© Camille Guittonneau / The Gaze of a Parisienne

Mais Madeleine se suicide en se jetant du haut d’un clocher. John n’a pu la suivre pour l’en empêcher, à cause de ses sueurs froides. Des mois plus tard, John rencontre Judy, dont le physique lui rappelle celui de Madeleine. Pygmalion du XXe siècle, il façonne Judy pour en faire Madeleine. Vertigo est un film sur le regard. Le vertige déforme le regard de John. John regarde de haut en bas pour vaincre l’acrophobie. Madeleine regarde le portrait de Carlotta. John regarde Madeleine.

Le regard est d’abord celui des personnages. L’acrophobie, dont souffre John, déforme son regard. A chaque fois qu’il baisse les yeux (instrument optique), son regard est distordu. Afin de se débarrasser de l’acrophobie, John essaie d’escalader les marches d’un tabouret. À chaque marche, il prend le temps de poser son regard. D’abord en haut, puis en bas. La répétition du mouvement de la tête et des yeux de haut en bas vient appuyer l’importance du regard dans le film.

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Madeleine au musée des Beaux-arts, vêtue d’un tailleur gris

Les yeux des personnages sont d’ailleurs un bon indicateur de leur état d’esprit. Ainsi, chaque vertige de John se lit dans son regard. Lorsqu’il se réveille de son cauchemar, ses yeux sont ceux d’un homme halluciné. Ce qui rappelle d’ailleurs au spectateur le regard de Madeleine à chaque fois qu’elle est possédée par Carlotta. Quelques jours plus tard, alors que John se repose à l’hôpital psychiatrique, son regard est vide.

Le male gaze

John est aussi un homme un brin sexiste qui porte un regard très masculin sur son environnement. C’est ce que la critique de cinéma Laura Mulvey appelle le male gaze. Non seulement John se considère comme le sauveur de Madeleine, mais il oblige également Judy à dîner avec lui simplement parce qu’elle lui rappelle quelqu’un qu’il aimait. Judy, en tant que femme, est aliénée par le regard et le comportement de John. Le contraste avec, Midge, amie de John, qui brise l’image de la femme-objet, est saisissant. Midge illustre l’émancipation des femmes dans la société américaine des années 1950 en refusant de se marier avec un homme dont elle n’est pas amoureuse et en ne prenant pas la peine de porter un chapeau quand elle sort.

Pygmalion

John est aussi un Pygmalion. Lorsqu’il rencontre Judy, il décide de la transformer en la femme qu’il aimait. Judy est Galatée. John n’embrasse pas Judy tant qu’elle ne ressemblera pas exactement à Madeleine. Une fois qu’il a réalisé son chef-d’œuvre, il tombe amoureux d’elle. Il est amoureux d’une image, pas d’une personne. Image de la femme et femme-image.

L’image occupe une place centrale dans l’intrigue, que l’on retrouve à travers les Beaux-arts. Alors que John espionne Madeleine, il adopte le regard d’espion. Il y a une mise en abyme entre le portrait classique de Carlotta que Madeleine admire au musée des beaux-arts. Tout comme Carlotta, Madeleine tient des roses roses. Tout comme Carlotta, Madeleine a fait une spirale dans ses cheveux. John regarde Madeleine, une Carlotta moderne qui regarde la vraie Carlotta. Et toute la poursuite n’est qu’un décor mis en scène par Elster pour assassiner sa femme. Le décor est une mise en abyme d’un film. Le portrait de Carlotta apparaît plusieurs fois au cours du film, y compris dans un détournement qu’en fait Midge, qui est un artiste.

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Madeleine apparaît dans la chambre de Judy

Dans Vertigo, les Beaux-arts finissent par s’entremêler avec des courants plus modernes. Le rêve de John est un mélange d’art classique, avec la réminiscence du portrait de Carlotta, et de techniques d’art moderne telles que la bande dessinée et l’Op Art. D’ailleurs, Madeleine est une femme classique qui correspond parfaitement aux stéréotypes, alors que Judy est moderne. Toutefois, le chignon de Madeleine rappelle les spirales, une composante de l’Op Art. L’atmosphère d’Op Art devient flagrante lorsque John rencontre Judy. Les costumes et les décors sont différents, d’où des ambiances très différentes.

MadeleineJudy
Ce prénom, qui est aussi celui choisi dans le roman, évoque Marie Madeleine, disciple du Christ.Si Judy est également un prénom biblique, il va non sans rappeler la légende du cinéma hollywoodien Judy Garland.
MariéeNon mariée
Blonde Brune
ChignonCheveux lâchés
Maquillage discretMaquillage sophistiqué
Tailleurs grisEnsemble vert
Robe noireRobe violette
Ne travaille pasTravaille dans un grand magasin
Beaux-arts (musée)Op Art (chamber d’hôtel)

Les deux atmosphères fusionnent lorsque John réalise la métamorphose de Judy. De toute évidence, Madeleine apparaît dans son costume gris, son chignon blond et son maquillage discret dans la chambre d’hôtel de Judy.

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Judy dans sa chambre d’hôtel, vêtue d’un ensemble vert

Op Art

Vertigo préfigure l’avènement du mouvement Op Art. L’Op Art (abréviation de Optical Art, littéralement « art optique ») est un mouvement artistique né en 1955 qui devient très populaire dans les années 1960. Il combine des techniques optiques et cinétiques. Les artistes optiques ont recours aux illusions d’optique, aux effets de couleurs, aux effets de miroir et aux effets d’éclairage. Le mouvement Op Art est devenu une source d’inspiration pour de nombreux réalisateurs dans les années 1960 et 1970, dont Kubrick, Clouzot et Demy. 

Le diable au corps, quand l’op art électrise le cinéma, exposition, Nice, Musée d’art moderne et d’art contemporain (MAMAC), 2019.
© Camille Guittonneau / The Gaze of a Parisienne

L’art optique et cinétique trouble le regard tout comme l’acrophobie perturbe le regard de John. L’acrophobie entraîne des vertiges. L’art optique et cinétique aussi. La spirale rappelle d’ailleurs le vertige. La spirale d’ouverture a été dessinée par les frères Whitney à l’aide d’un pendule. La technique du pendule repose sur des lois cinétiques. C’est une technique typique du mouvement Op Art.

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Générique d’ouverture de Vertigo

Au-delà du rêve de John, la scène de la chambre d’hôtel lorsque Judy accepte de se transformer en Madeleine est un bon exemple de l’Op Art. De toute évidence, l’effet d’éclairage dans la chambre d’hôtel est crucial. De tels effets de lumière se retrouvent dans les rushes du film inachevé de Clouzot en 1964: L’Enfer.

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Kim Novak dans Vertigo, Hitchcock (1958)

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Romy Schneider dans L’Enfer, Clouzot (1964)

Tout comme les artistes de l’Op Art, Hitchcock recourt également plusieurs fois aux effets de miroir. Les miroirs sont un instrument d’optique, un domaine de la physique, très utilisés pour les expériences en laboratoire. On peut citer l’interféromètre de Michelson, dont le fonctionnement repose sur des miroirs. Les miroirs sont devenus un outil majeur de l’Op Art.

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Scène du fleuriste

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Scène dans la chambre d’hôtel de Judy

Tout comme l’utilisation des effets de couleur. La première fois que John voit Madeleine, c’est dans un restaurant dont les murs sont rouge cramoisi. Madeleine porte une robe en soie verte. Selon la physique, le rouge et le vert sont des couleurs complémentaires. Judy portera également du vert lors de sa rencontre avec John.

Madeleine porte une robe de soie verte qui contraste avec la tapisserie de velours rouge. Le vert devient plus tard la couleur de l’ensemble de Judy. 

Vertigo prend ses racines dans plusieurs mouvements artistiques. Non seulement Vertigo est un thriller, mais c’est aussi une œuvre d’art cinétique et optique qui préfigure le mouvement Op Art. Hitchcock est un peintre qui peint un thriller cinétique et optique. L’Op Art continuera à se développer au cinéma pendant deux décennies.

Bibliographie :

Le diable au corps, quand l’op art électrise le cinéma, exposition, Nice, Musée d’art moderne et d’art contemporain (MAMAC), 2019. Catalogue de l’exposition sous la direction d’Hélène Guénin, In fini éditions d’art, 2019. https://www.mamac-nice.org/fr/exposition/le-diable-au-corps-quand-lop-art-electrise-le-cinema/

Actualité du MAMAC :  She-Bam Pow POP Wizz ! Les Amazones du POP jusqu’au 28 mars 2021.

Laura Mulvey, Visual Pleasure and Narrative Cinema, Screen, Volume 16, Issue 3, Autumn 1975, Pages 6–18, https://doi.org/10.1093/screen/16.3.6 

Marc Chagall (1887-1985), le passeur de lumière

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Centre Pompidou Metz

« Ce n’est pas une littérature que vous devez transporter, ce n’est même pas une poésie, c’est plus que cela. (…). C’est une coloration, un monde, un autre monde qui n’est pas un monde de tableau » Marc Chagall

Detail de la rose bleue avec sans doute autoportrait de l’artiste à l’envers

Marc Chagall, une si longue vie, la Russie, la France, l’exil à New-York et son retour sur les terres de France, nous sommes dans les années 50, l’artiste est revenu à Paris, seul, sans sa muse Bella. Il a 63 ans, il veut toujours apprendre, découvrir de nouvelles techniques, la céramique, la sculpture, il s’intéresse à l’artisanat ,  tout cela pour une chose essentielle sa peinture. Il va découvrir le vitrail, lui l’artiste lumineux se laisse emporter par cet art de la lumière, des couleurs, ce ne sera pas facile, il va falloir qu’il se remette en question, qu’il apprenne.  C’est aussi une fabuleuse rencontre avec le maître-verrier Charles Marq, 30 ans de collaboration.  C’est cette histoire que le Centre Pompidou Metz a choisi de nous révéler par cette grande exposition Chagall Le passeur de lumière, un titre et un lieu chargés de sens, les vitraux illuminant les pierres des cathédrales, ici celle de Metz là où Marc Chagall a réalisé cette série de vitraux.

Marc Chagall (1887-1985) – clavecin peint et son tabouret, 1980

Le sujet de l’art sacré est primordial pour lui, son rapport à l’art religieux est polysémique. Depuis toujours, il est fasciné par la Bible, en 1930, Ambroise Vollard lui avait déjà commandé  de l’illustrer. L’artiste est très libre dans l’interprétation de l’oeuvre, il y ajoute ses propres symboles, la ville de sa jeunesse Vitebsk, ses animaux sacrés, le coq, la chèvre, les amoureux… Il disait qu’il travaillait d’après ses souvenirs.

Marc Chagall (1887-1985) -Chapelle du Saillant

Il disait aussi qu’il rêvait la Bible plutôt qu’il ne l’illustrait, que c’était pour lui la plus grande source de poésie de tous les temps.

Les couleurs fortes sont reconnaissables, elles animent ses créations. 

Chagall est un artiste que l’on reconnaît facilement appartenant à notre langage pictural , qu’on aime ou pas. 

À chaque fois que je regarde ses œuvres je suis sous le charme de sa sensibilité, ses couleurs, ses personnages me touchent, je regarde ses peintures comme lorsque j’écoutais les contes de mon enfance. 

Ses œuvres sont des révélateurs de nos émotions, de notre subconscient. 

Marc Chagall nous entraîne dans ce roman de la vie et le titre Passeur de lumière est très explicite. Le vitrail illumine les édifices religieux ou non , les jeux de lumières sur les pierres sont magiques et lorsque nous nous trouvons dans cette Cathédrale de Metz, nous ne pouvons qu’être éblouis par cette surface de vitraux ( une des plus grandes d’Europe 6500 m2) appelée la « Lanterne de Dieu ». La cathédrale fêtera ses 800 ans cette année,  des siècles d’ouvrages de ces artistes fascinants : les maîtres-verriers. Ils sont évocateurs de notre histoire, celle du Moyen Âge à nos jours . Représentants de l’âge d’or du vitrail avec des chefs-d’œuvre de la Renaissance comme ceux de Valentin Bousch. Après la guerre l’architecte des monuments historiques Robert Renard fera appel à des artistes contemporains, c’est une première en France, Jacques Villon (frère de Marcel Duchamp) Roger Bissière et Marc Chagall seront appelés. Le renouveau du vitrail dans le religieux participe ainsi du mouvement de réveil de l’Art Sacré après guerre avec le Père Marie-Alain Couturier, qui lance le programme de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy, auquel participe Marc Chagall, aux côtés de Matisse, Bonnard, Léger, Braque, Germaine Richier, …

Les vitraux de Chagall se méritent , il faut aller les chercher dans le baptistère et découvrir le Paradis . 

Marc Chagall – Atelier de Simon-Marq – La création de l’homme, Adam et Eve au Paradis, Eve et le serpent, Adam et Eve chassés du Paradis, Moïse brandissant les tables de la loi. Cathédrale de Metz

Mais revenons au centre Pompidou-Metz, une autre architecture, celle des architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines qui ont imaginé une structure baignée de lumière de 8000 m2 en bois recouverte d’un chapeau chinois, un immense arbre de Penone orne l’entrée. Acte d’une décentralisation culturelle vers la Lorraine décidé par Jean-Jacques Aillagon alors ministre de la Culture s’inscrivant dans les pas de Jean-Jacques Aillagon directeur du centre Pompidou.

L’exposition sur Chagall commence par ce triptyque « Résistance – Résurrection – Libération » (1937-1948) qui est à l’origine une grande toile horizontale sur le thème de la Révolution et de la Liberté. Cette façon de couper la toile, de lier les couleurs vives  entre-elles, le bleu, le jaune, de raconter une histoire, tout cela est intéressant et nous entraîne vers l’interprétation de l’art sacré par l’artiste.

Marc Chagall (1887-1985) Résistance, 1937/1948 – Résurrection, 1937/1948 – Libération, 1937-1948 – Huile sur toile de lin.168 X 103 ; 168,3 X 107,7; 168 X 68 cm – Paris Centre Pompidou, dation 1988, en dépôt au musée national Marc Chagall.

« J’ai eu envie qu’on puisse entrer par la peinture, que l’on comprenne cette place de l’iconographie religieuse dans l’oeuvre de Chagall et la façon dont le vitrail est empreint de ces travaux picturaux, notamment la façon dont la couleur chez Chagall construit la toile et cette question de la lumière qui est ici présente. Ce qui m’a intéressée dans ce triptyque c’est déjà son histoire, une oeuvre au long cours, qui connait une ligne séquencée puisque Chagall commence en 1937 à créer une toile horizontale qui s’appelait La Révolution , dédiée à la révolution russe. A l’origine le Christ était un Lénine renversé sur une table. Cette grande toile historique, Chagall l’emporte en exil aux Etats-Unis et il la repeint, en 1948, il la découpe et en fait un triptyque, Lénine se renverse, ses bras en croix en équilibre se redressent et deviennent Christ, le Rabbin et le peuple russe restent présents. Chagall découpe ce tableau en maintenant une certaine unité, les couleurs bleue et rouge créent une continuité d’un évènement à un autre. C’est quelque chose que Chagall emploie dans le vitrail, notamment à Metz, grâce à la couleur il relie entre-elles les différents éléments qui constituent le vitrail. La forme du triptyque nous transporte vers l’art sacré, la tradition médiévale de la peinture, tout en s’éloignant , Chagall est toujours à la fois empruntant et dans des à-côtés… on y voit également son intérêt pour des éléments historiques mais aussi biographiques, les icônes russes, le surnaturel (les personnages volants)… » Elia Biezunski, commissaire de l’exposition.

Chagall va réfléchir à un cycle d’oeuvres qui sera son message biblique, il va se mettre en quête d’un lieu. Il est présent à la pose de la première pierre de la Chapelle du Rosaire à Vence et est très impressionné.par l’oeuvre totale de Matisse.

Puis il y a cette rencontre décisive avec Charles Marq, il faut savoir que les ateliers Simon existent depuis 12 générations, Charles Marq est philosophe, passionné de musique, rien ne le destine à cette profession de maître-verrier, mais il rencontre Brigitte Simon dont le grand-père en 1917 avait été chargé de déposer les vitraux de la cathédrale de Reims, puis chargé de leur restauration, c’est le début d’une grande histoire, ils se marient et perpétuent à eux deux cet atelier. Entre le couple et l’artiste Marc Chagall se crée une grande amitié et complicité qui se comprend en regardant les vitraux, leur réalisation est un travail d’équipe qui demande une totale confiance, compréhension entre les différentes parties. Tout au long de cette visite on prend conscience de ce lien en regardant les dessins préparatoires, les maquettes et l’interprétation du maître-verrier qui reste cependant très libre.

La Rose Bleie, oeuvre exécutée par l’atelier Simon Marq, Reims, vitrail d’étude pour la rosace du déambulatoire de la cathédrale de Metz daté et signé en 1964. CNAP, en dépôt au musée National Marc Chagall

« La façon dont Chagall travaille à la fois au détail, à des études de dessin mais aussi à des vues d’ensemble, c’est à dire qu’il va aussi réfléchir, même sur une toute petite échelle à l’effet indépendamment du dessin qui sera produit de loin sans que l’on puisse voir le détail. Il va y intégrer des papiers collés, des morceaux de tissu collés. Moyen pour Chagall de créer des accords de ton, la répartition des masses colorées, mais aussi moyen de donner des indications au maître-verrier. Il est intéressant de voir comment Chagall comprend l’architecture dont notamment le triforium qui a pour fonction d’apporter la lumière, il ne le traite pas lancette par lancette mais de manière horizontale, en lui donnant ce rôle d’élément traversant apportant de la lumière.  » Elia Biezunski, commissaire de l’exposition.

Marc Chagall (1887-1985) – La Chapelle des Cordeliers de Sarrebourg – 1974 – aquarelle, encre, mine graphite et tissus

En attendant de pouvoir découvrir cette fabuleuse histoire du Passeur de Lumière, je vous conseille une escapade à Metz et la visite de sa cathédrale, vous serez sûrement comme moi ému par ces couleurs et lumières qui au fil des ans illuminent nos vies. La fascination et l’émotion que procurent les cathédrales et leurs bâtisseurs sont toujours présentes et confirmées il n’y a pas si longtemps lors de l’incendie de Notre Dame de Paris.

Florence Briat Soulié

Yvette Cauquil-Prince (maître d’oeuvre) (1928-2005) d’après Marc Chagall. « La paix, 1991-1994. Tapisserie de basse-lisse – 472-696 cm Sarrebourg, musée du pays de Sarrebourg.

Chagall. Le passeur de lumière

Du 21 novembre 2020 au 15 mars 2021. Prolongation jusqu’au 26 avril 2021

Centre Pompidou Metz

Commissariat :
Elia Biezunski, chargée de mission auprès de la directrice


Le catalogue de l’exposition a été conçu comme un ouvrage de référence sur les vitraux de l’artiste. Le lecteur y trouve deux types de textes : d’une part, des essais abordant des questions transversales, d’autre part, des notices retraçant de façon claire et didactique l’histoire et le contexte de chaque commande. Richement illustré, le catalogue a bénéficié d’une campagne photographique spécialement réalisée pour l’exposition.

Sous la direction d’Elia Biezunski, avec le concours de Bénédicte Duvernay

Édition du Centre Pompidou-Metz
Parution : 25/11/2020
216 pages – 42,00 €
ISBN : 978-2-35983-060-6

Définitions :

Chemin de plomb :

Le chemin de plomb d’un panneau de vitrail est un schéma qui indique le réseau des morceaux de plomb qui sertiront les pièces de verre. Ce document indique la forme de chaque morceau de plomb mais aussi l’ordre de montage de chaque pièce de verre. Le chemin de plomb doit respecter l’aspect esthétique du motif du vitrail et permettre la solidité du réseau.

Triforium :

Terme issu du vieux français « trifoire » venu lui-même du latin transforare (« percer à jour »). Le triforium désigne, dans l’architecture religieuse médiévale, un passage étroit pratiqué dans l’épaisseur même du mur ; situé au-dessus des grandes arcades ou des tribunes, ce passage ouvre sur l’intérieur de l’édifice — nef, transept ou abside — par une série régulière de petites arcades.

Grisaille :

peinture composée d’oxydes métalliques et d’un fondant  que le peintre applique sur le verre avant sa cuisson

Prune Nourry, Une Amazone au Bon Marché

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Prune Nourry est une artiste qui me passionne depuis longtemps. Je l’ai rencontrée en 2013, alors qu’elle présentait sa majestueuse armée de 108 fillettes en terre cuites, les « Terracotta Daughters ». Sa démarche engagée et sensible s’intéresse à des sujets essentiels autour du corps féminin, tels la fertilité, la procréation assistée, les dérives des politiques de contrôle des naissances en Indes et en Chine etc.. Après sa brillante Carte Blanche au Musée Guimet en 2017, la voici de retour dans une grande institution Parisienne, le Bon Marché Rive Gauche. Succédant ainsi aux oeuvres de Chiharu Shiota, Joanna Vasconcelos ou encore Ai Weiwei, la spectaculaire installation de Prune Nourry, Amazone Érogène, se déploie dans l’immense espace du grand magasin.

Prune Nourry, Amazone Érogène, Bon marché Rive Gauche, Courtesy Le Bon Marché , courtesy Prune Nourry studio

Créer pour Réparer

De sculpteur, je suis devenue sculpture, Prune Nourry

Dès l’entrée du Bon Marché, le spectateur est saisis par la tension et la force de cette oeuvre, dont les centaines de flèches pointent vers une gigantesque cible en forme de sein. Cette installation complète la série Catharsis, ensemble d’oeuvres que l’artiste a créé en 2019 pour la galerie Templon, suite à son cancer du sein. Il y a quelques années, lorsqu’elle découvre qu’elle est atteinte de cette maladie, Prune Nourry se pose la question « que vais-je en faire? ». Sa traversée de l’épreuve devient son projet artistique, son corps devient son sujet, une manière d’apprivoiser la maladie, pour se purifier du mal et trouver sa guérison.

Prune Nourry portée par son arc , Bon marché Rive Gauche, Courtesy Le Bon Marché , courtesy Prune Nourry studio

Amazone Erogène

La métaphore des Amazones, qui se tranchaient le sein pour afficher leur talents d’archères, renvoie ,bien sur, à l’ablation du sein qu’elle subit. Mais, comme pour l’Amazone, ce sein ôté n’est pas le signe d’une faiblesse. Il est pour Prune Nourry le chemin de l’espoir et de la guérison. Le titre de l’exposition et de la chanson, créée en collaboration avec Mathieu Chedid et Daniel Pennac à cette occasion, est un message à toutes les femmes traversant cette même épreuve. Malgré les cicatrices et les transformations du corps qu’il faut accepter, leur féminité et leur sensualité demeurent, car elles les portent en elles.

Prune Nourry, Amazone Érogène, Bon marché Rive Gauche, photo: Marie Simon-Mallet

Dualité

Dans la mort il y a la vie, dans la maladie il y a la création , Prune Nourry

Prune Nourry est une battante, elle est habitée par l’amour de la vie . Dès lors, son installation du Bon Marché peut être vue par le prisme d’une agression du cancer sur un sein mais peut évoquer également les centaines de spermatozoïdes qui veulent pénétrer dans l’ovule. Un message où la maladie peut se muer en naissance et création.

Comme à chaque fois, je suis captivée par la puissance des oeuvres de Prune Nourry dont la sincérité nous touche en plein coeur. Cette artiste nous transmet une énergie contagieuse, une foi indéfectible en la vie . Elle nous invite à en accepter les cadeaux comme les épreuves avec l’idée que les uns comme les autres nous font avancer et progresser dans notre découverte de soi et notre humanité.

Caroline d’Esneval

Prune Nourry, Amazone Érogène, au Bon Marché Rive Gauche jusqu’au 21 Février 2021

En savoir plus: mon article de 2017 sur son exposition au Musée Guimet.

Carte blanche à Prune Nourry, Musée Guimet, 2017

Prune Nourry, Terracotta Daughters, porcelaine de Limoges ©thegazeofaparisienne

 Guimet lui va comme un gant! Les différentes sections du Musée sont autant de points de rencontre entre les collections d’Arts Asiatiques anciens et les fascinantes créations Contemporaines de Prune Nourry. L’accrochage inédit est bluffant. Il nous invite à découvrir les oeuvres majeures de la plasticienne, qui, comme dans une chasse aux trésors, se glissent au milieu de celles du Musée .

Chacune des quinze sculptures de l’artiste, engage un dialogue sensible et poétique avec une pièce historique de Guimet. Tandis qu’un majestueux Bouddha morcelé, conçu spécialement pour l’exposition, s’invite à chaque étage de l’édifice.

Prune Nourry, Tête du Bouddha, ©thegazeofaparisienne

« On peut détruire le Bouddha, mais on ne peut pas détruire l’idée  » Prune Nourry

Je retrouve Prune Nourry au Musée Guimet, ultime étape: la fin de l’accrochage. La visite commence! Dès le rez-de chaussée, les imposants pieds de sa statue Bouddha, piqués de milliers de bâtons d’encens, interpellent. Je découvre, plus tard, dispersées dans les étages, la main, l’épaule et enfin la tête, tout en haut, sur la rotonde baignée d’une lumière mystique. Les pieds ancrés dans le sol, la tête là-haut dans le ciel … C’est en se promenant dans les différentes salles du Musée, que le choix du Bouddha s’est imposé à l’artiste. Elle le retrouve partout, fil rouge spirituel d’équilibre et de sagesse, commun à l’ensemble des civilisations Asiatiques. La plasticienne a choisi de le représenter sous les traits d’un Bouddha Afghan, en mémoire de ceux de Bamiyan, détruits en 2001 par les talibans. La taille de référence pour sa représentation est celle de la plus petite des trois anciennes statues…. 38 mètres seulement ! Son imposante sculpture éclatée, porte son humanisme à l’ensemble du Musée.  » On peut détruire le Bouddha, mais on ne peut pas détruire l’idée  » commente Prune Nourry.

Arrivée sur la rontonde, je suis frappée par la beauté de cette imposante tête, elle-même piquée de bâtons d’encens. Prune Nourry m’invite à entrer à l’intérieur de l’oeuvre. Surprise! Je découvre dans une lumière rouge, des cadeaux de toutes sortes: jouets, électroménager, télévision…Ces cadeaux sont à l’image des offrandes chinoises faites aux oeuvres sacrées: des objets de consommation, que les croyants n’ont pas pu posséder dans leur existence et qu’ils apportent au Bouddha en espérant une prochaine vie meilleure…

Pour toutes ces femmes « manquantes » dont on ne peut se passer…

La rétrospective de Prune Nourry au Musée Guimet révèle dix années de sa démarche artistique, où elle questionne les dérives de la sélection prénatale des genres  et l’évolution de l’Humain liée aux progrès scientifiques. Ces recherches l’ont emmenée à explorer l’Asie, et plus particulièrement l’Inde et la Chine. A chaque voyage, Prune s’imprègne de la culture du pays. Son travail se veut le fruit de collaborations et d’échanges avec les populations locales. Elle s’immerge dans leur vie quotidienne, interroge les scientifiques, sociologues, démographes etc…La plasticienne s’intéresse aussi au regard du tout-venant sur ses productions: elle n’hésite pas à laisser ses oeuvres dans les rues, et à se cacher pour observer, parfois même filmer, la réaction des passants qui les découvrent.

La visite de Guimet débute par trois émouvantes Holy Daughters , issues du premier voyage en Inde de Prune Nourry (section Inde). Ces divinités hybrides, à tête de vache, et au corps de fillette, tournent un regard implorant vers le ciel. Comment ne pas être émus devant leurs yeux si expressifs! Cette représentation saisissante souligne le paradoxe de ces deux symboles de la fertilité en Inde: l’une animale et « sacrée », l’autre humaine et « sacrifiée ».  Bienfaisantes, les trois oeuvres historiques du Musée Guimet dialoguant avec elles – Yaksa, un génie du 12e siècle, qui soutient le monde, un Bouddha Indien du 5e s!ècle et une divinité féminine du 10e siècle – apportent, aux Holy Daughters,  « Soutien, Promesse et Energie » .

« Transfusion » projet Holy River ©thegazeofaparisienne

Suivra, en 2011, un second voyage en Inde et le projet Holy River de l’artiste. Sous les traits d’une déesse géante éphémère, Holy River est née de la terre du Gange travaillée avec l’aide des potiers de Calcutta. Elle sera portée en procession et jetée ensuite dans le fleuve, pour redevenir eau et terre. Dans l’exposition de Guimet, ce sont des sculptures de mains qui restituent l’essence de Holy River: nourricières, parcourues du fluide de la vie coulant dans leurs veines,comme le Gange dans son lit , ou encore une main mécanique d’où l’humain a totalement disparu.

Sophie Makariou commentant les Terracotta Daughters de Prune Nourry ©thegazeofaparisienne

En 2013, l’Artiste engagée ouvre un chapitre Chinois à son travail. Très attentive aux conséquences désastreuses de la politique de l’enfant unique et de la préférence donnée aux garçons, elle crée une majestueuse armée de 108 fillettes. De taille humaine, ses puissantes  Terracotta Daughters viennent symboliquement remplacer les précieuses filles manquantes. (voir notre article Les majestueuses Terracotta Daughters  ). Au premier étage du musée, j’admire la délicate version en taille réduite, faite de porcelaine blanche, ainsi que 8 grandes fillettes de bronze .

Prune Nourry -Terracotta Daughters, bronze – taille humaine,©thegazeofaparisienne

  Se laisser guider par la Sérendipité et garder la mémoire des gestes de création..

Au 2ème étage de l’exposition, Prune Nourry aborde, à travers son projet Process, la mémoire des gestes de création et la notion d’Artisanat. Tels des reliques, les moules, les premiers essais, etc… portent la trace de l’oeuvre finale. Une curieuse suspension y incarne la « Sérendipité »: laisser le hasard et l’inattendu s’inviter et révéler tout son sens à l’oeuvre. Ce thème est cher à la plasticienne, qui vient de sortir son livre Serendipity (Actes Sud), retraçant ces dix ans de projets artistiques. Fruit de sa collaboration avec le Professeur François Ansermet qui en a composé les textes, il se clôt avec l’image du Bouddha de la Carte Blanche et un écrit de Sophie Makariou, directrice dynamique et passionnée du Musée Guimet.

Cette exposition invasive est une audacieuse réussite. Sophie Makariou a ouvert tout l’espace de son Musée à l’expression artistique ambitieuse de Prune Nourry. Elle lui a ainsi permis d’inscrire ses créations dans la continuité de l’histoire des Arts Asiatiques d’Emile Guimet. Une carte blanche à la fois spectaculaire et pleine de subtilité.

Les oeuvres de Prune Nourry émeuvent, surprennent, envoûtent. Cette artiste a un don de magicienne: celui de nous faire ressentir, jusqu’au plus profond de nous, les enjeux majeurs qui touchent à l’Humain. Ses créations interpellent plus que des mots: elles portent à nos yeux, à notre sensibilité et jusqu’à notre entendement un message frappant.

Caroline d’Esneval

 

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