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Victor Brauner

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PAR STEPHANIE DULOUT

Le « conducteur des sortilèges » 

« Je suis le rêve, je suis l’inspiration. »

Entrée de l’exposition Victor Brauner – Musée d’Art Moderne de Paris © The Gaze of a Parisienne

Telle une incantation, l’appel du musée d’Art moderne de Paris aurait dû résonner à nos oreilles jusqu’au 10 janvier, et, près de quatre mois durant, opérer son effet d’attraction, jusqu’à, sans doute, conduire les plus timorés et les plus récalcitrants à succomber à la tentation… Nous serions venus, et sans doute revenus, découvrir et redécouvrir l’œuvre si fascinant et envoûtant de ce mystérieux Victor Brauner… Nous déplorons que, bien que la durée de l’exposition ait été particulièrement longue pour une rétrospective — qui plus est, d’un peintre relativement méconnu du grand public —, il n’en fût pas ainsi. Nous vous proposons, aussi, de revenir sur cette exposition que vous n’avez peut-être pas eu le temps et la chance de voir, et de vagabonder dans le monde chimérique du peintre-poète visionnaire au gré de ses sortilèges. 

Victor Brauner, Loup-table, 1939 / 1947, bois et élément de renard naturalisé, don de Mme Jacqueline Victor Brauner en 1974, Paris, Centre Pompidou,musée national d’Art moderne / MNAM-Centre de création industrielle.

Un vagabondage destiné aussi à rendre hommage à l’équipe scientifique pour le travail accompli – dont témoigne, heureusement, un très riche catalogue publié aux éditions Paris Musées. 

C’est à une véritable redécouverte d’une figure capitale du Surréalisme que nous invitait, en effet, le musée d’Art moderne de Paris, près d’un demi-siècle après la rétrospective qui lui avait été consacrée en ce même lieu en 1972. Soit, quelque cent cinquante œuvres – peintures, dessins et sculptures – présentées, dans un parcours chronologique, depuis les débuts dadaïstes dans la Roumanie communiste des années 1920, jusqu’aux dernières créations chimériques totémiques, à mi-chemin entre la peinture et la sculpture, de la série « Mythologies » réalisée en 1965.

Victor Brauner – Panneau de la première salle de l’exposition

Né en 1903 en Moldavie, dadaïste activiste et auteur d’un manifeste de Pictopoésie dans les années 1920 à Bucarest, installé à Paris en 1930, Brauner adhère au groupe surréaliste après sa rencontre avec André Breton en 1933. Il mourra en 1966 après avoir prédit son énucléation et la montée de la barbarie fasciste, s’être terré dans le Sud de la France pour échapper à la traque aux Juifs pendant la guerre, s’être autoproclamé « Président […] de la Grande Métamorphose », « jongleur des arcanes inconnues » en 1944, avoir inventé un art brut visionnaire, aux confins de « l’infra-nuit », et construit un monde hiératique néo-primitiviste peuplé de chimères et de dieux mystérieux.

Un monde onirique et inquiétant où les couleurs ont toujours quelque chose de crépusculaire, qu’il s’agisse de la sombre monochromie des premières œuvres à la palette vive des dernières toiles – où les bleus, les rouges, les jaunes et les verts paradent sur des fonds noirs de jais –, en passant par la stridence des tableaux surréalistes. Un monde occulte, mêlant le rêve et le réel, l’animal, le végétal et l’humain, les arts primitifs et le surréalisme, le descriptif et le prophétique, « l’apparence » et « l’apparition », la gravité de sombres visions prophétiques et l’humour dada, le grotesque et la morbidité…

Des rêves et des chimères à « l’inquiétante étrangeté »

« …] chaque dessin, chaque découverte sera un extraordinaire lieu inconnu, chaque tableau sera une aventure », écrivait le peintre pendant la guerre. De fait, c’est de surprise en surprise que nous aura conduit le parcours du musée d’Art moderne déployant l’œuvre dans toute sa richesse et toute son hybridité, révélant son intensité et sa variété insoupçonnées au regard de l’image très réductrice véhiculée par les Femmes-fleurs et les peintures totémiques peuplées d’animaux et de divinités fantastiques aux formes hiératiques et aux couleurs vives lévitant sur des fonds noirs…

Ainsi, après une première salle consacrée aux œuvres de jeunesse (Bucarest, 1920-1925) révélant, à travers la stylisation des figures et la simplification des formes, un étrange syncrétisme entre le cubisme, l’expressionnisme, le constructivisme et l’imagerie populaire, l’on découvrait la part cachée la plus virtuose et la plus débridée de Brauner : son œuvre graphique, soit quelques uns de ses innombrables dessins (des milliers) révélant, avec une étonnante acuité et une très grande inventivité graphiques, « l’inquiétante étrangeté » du monde et des êtres. 

Victor Brauner, Cette guerre morphologique de l’homme, 1938, encre sur papier, Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne / MNAM – Centre de création industrielle.

Se jouant des échelles, déformant et hybridant les corps, faisant naître des créatures chimériques aux formes mouvantes et arborescentes, ces dessins semblent avoir marqué le point de bascule de l’œuvre vers le monde des spéculations et de la « Grande Métamorphose », de la « Subjectivité » et des « arcanes inconnues » : de feuille en feuille, l’anormalité et la difformité gagnent du terrain, les incongruités morphologiques et les distorsions, transpercements, amputations ou proliférations organico-végétales se multiplient, le grotesque et le monstrueux, la cruauté et la fantaisie s’entremêlent…  Ces « dessins métamorphes » furent, à n’en pas douter, la passerelle qui conduisit Brauner sur la voie du surréalisme.

Beauté convulsive et hasard objectif

Si la « conversion » de Brauner au surréalisme se fit progressivement, à partir de son premier séjour à Paris où il le peintre vit probablement la première exposition du groupe en 1925, il n’en demeure pas moins l’un de ses plus purs et de ses plus énigmatiques représentants : moins célèbre que Salvador Dali, René Magritte ou Max Ernst, remarque, dans la préface du catalogue, Fabrice Hergott,– « sans doute » parce que « son vocabulaire formel » a « peu emprunté à la peinture d’avant la modernité » mais beaucoup « à l’art populaire, extra-européen, et à ce que l’on appellera plus tard l’art brut », pas encore reconnus alors à leur juste valeur… –, Brauner apparaît pourtant « comme l’un des plus grands artistes du surréalisme », bien qu’il s’en soit défendu… Et le directeur du musée d’Art moderne d’ajouter : « peintre surréaliste et plus que surréaliste » (comme l’atteste « la dimension anticipatrice » de l’œuvre ultérieur, toujours à découvrir, « toujours en devenir »…), Brauner est « le précurseur entre tous des mythologies personnelles » et « l’œil qui nous manquait pour voir »… 

Répondant (volontairement ou involontairement) à toutes les injonctions du Manifeste du surréalisme, de la déréalisation du visible à la primauté du rêve et de l’inconscient, du « dérèglement de tous les sens » à la subjugation de l’image, Brauner incarnera, par la force subversive de ses images, la voie la plus radicale du mouvement, et dépassera même toutes les attentes d’André Breton qui écrit en 1928 dans Nadja : « La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas. »

Victor Brauner, Portrait d’André Breton, écrivain français (1896-1966), huile sur toile, 1934, Paris, musée d’Art moderne.

Mais c’est surtout par l’intronisation du « hasard objectif » comme arcane de la vision que le titre de « peintre surréaliste » échu à Brauner prit, de son vivant, toute sa portée : ayant prémédité, avec sept ans d’avance, sa propre mutilation dans plusieurs dessins et un sanglant autoportrait, le peintre-Mage apparut comme un agent de ce hasard disruptif, marquant la collision du passé et du présent en « un souvenir du passé », et fut déclaré « voyant ». 

Histoire d’œil ou « L’œil du peintre »

Œuvre-phare de l’exposition, l’Autoportrait réalisé par Brauner en 1931 fut bel et bien prémonitoire puisqu’il annonçait l’accident qui, lors d’une rixe dans l’atelier d’Oscar Dominguez, dans la nuit du 27 au 28 août 1938, lui fit perdre son œil.  Présenté aux côtés d’un ensemble de dessins antérieurs où apparaît le motif obsédant de l’œil énucléé – parsemant ici des paysages désolés à la Chirico, remplaçant là le sexe féminin (dans Le Monde paisible, un dessin de 1927) –, cette petite huile sur bois ne laisse de fasciner par l’impassibilité du visage émacié où rougeoie, tel un noyau de feu, le vide de la cavité orbitale sous laquelle pend un lambeau de peau sanguinolent…

« J’étais vide, j’ai voulu faire un portrait minuscule de moi-même devant une glace, et j’ai peint ce portrait. Pour […] le rendre un peu plus extravagant. Comme tout est possible, j’ai enlevé un œil. […] Cette mutilation reste pour moi toujours éveillée comme au premier jour, constituant le fait le plus douloureux et le plus important de ma vie […], pivot capital de l’essentiel de mon développement vital. » 1 Victor Brauner

Victor Brauner, Autoportrait, huile sur bois, 1931, 22 x 16,2 cm, legs de Mme Jacqueline Victor Brauner en 1986, Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne / MNAM – Centre de création industrielle.

« Introvisions »

Selon Fabrice Hergott, cette « expérience tragique de la mutilation […] propulsa le peintre de Bucarest vers les abysses de l’intériorité et du rêve. » « Son oeuvre tournée vers l’intérieur de lui-même […] est l’une des plus autobiographiques de l’art moderne, mais aussi, par voie de conséquence, l’une des plus mystérieuses. […] elle est le rêve et l’inspiration, comme il l’écrivait à André Breton […] fruit de la mutilation. Elle est l’œil qui nous manquait pour voir… »

A preuve, entre autres œuvres prophétiques présentées dans l’exposition, nombre de ses « Introvisions » (selon le terme utilisé par Brauner) apparaissent comme des prédictions, annonciatrices de la montée des fascismes et de la barbarie à venir. Dans les peintures des années 1930, « la violence est partout : les paysages, désolés, […]  lunaires […] ne sont d’aucun refuge pour l’humanité. » Sur les lieux dépeint des hommes emprisonnés, « condamnés à la solitude […] dans un paysage lugubre et vide», tandis que Débris d’une construction d’utilité « représente un monde en totale décomposition où les hommes ne sont plus que des spectres sans chair, des silhouettes qui émergent d’un paysage complètement noir. » 2 Dans son extraordinaire Paysage surréaliste, enfin, l’homme, réduit à une minuscule silhouette, crie dans le silence de la nuit et de l’immensité déserte d’une terre endeuillée… Véritable chef-d’œuvre de par la densité expressive contenue dans son dépouillement, ce paysage noir semble annoncer le dénuement, la peur et la solitude dans lesquels le peintre vivra durant la guerre. 

Victor Brauner, Paysage surréaliste, 1930, huile sur toile, 55 × 46 cm, Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía.

Autre chef-d’œuvre de la période surréaliste, le portrait, quasi hypnotique, d’André Breton : visage blafard, comme statufié, semblant se détacher du corps, grands yeux fixes…, tout concourt dans ce portrait à créer l’ « inquiétante étrangeté » à laquelle en appelait l’auteur des Champs magnétiques. A l’instar du célèbre portrait d’Apollinaire peint par Giorgio de Chirico – dont des compositions mécaniques de la même période attestent l’influence –, le visage-masque de Breton semble ici comme « mis en boîte » par une savante imbrication de pans de mur verts, couleur chère au poète (lequel écrivait à l’encre verte) hautement symbolique, comme l’atteste la dédicace du peintre – à déguster et méditer :

« À André Breton cette aquarelle verte la couleur qu’il aime 

vert négation de la négation : il nie le jaune et

il nie le bleu donc il nie toutes les couleurs […].

Le vert est la rencontre de toutes les couleurs 

le vert est la couleur du commencement et de la fin […]. » 

Conjuration

Victor Brauner, Force de concentration de Monsieur K., 1934, huile sur toile avec incorporation de poupées en Celluloïd, végétaux factices en papier avec fil de fer, 148,5 x 295 cm, Paris, Centre Pompidou / MNAM – Centre de création contemporaine.

Autre choc esthétique de l’exposition : le face-à-face avec Monsieur K. Un homme nu, moustachu et bedonnant de taille humaine peint à l’huile sur toile, grouillant de petites poupées en Celluloid semblables à celles utilisées… trente ans plus tard par Niki de Saint-Phalle !… Crée en 1934, cette figure grotesque et monstrueuse parfois assimilée par Brauner à l’Ubu d’Alfred Jarry, symbolisant comme lui la cruauté et la bêtise humaines, sera déclinée en de multiples avatars. Dans L’Etrange cas de Monsieur K. , le peintre dressera même, dans une veine quelque peu graveleuse, le catalogue des vices de cette figure archétypale de l’avilissement incarnant la tyrannie du désir, et l’asservissement à la pulsion…. Loin des Femmes-fleurs et de la stylisation des corps blancs des Congloméros et autres hybridations ou parades érotiques aseptisées à venir… Loin du synthétisme et des couleurs magiques de ses Chimères et Bestiaires mythologiques. Loin des limbes de « l’infra-nuit » et de « l’ésotérie », auxquelles le peintre visionnaire et poète-voyant allait se vouer après la grande nuit de la guerre… 

C’est dans cette grande nuit de l’oubli, reclus, terré, dans la solitude et le silence d’un hameau des Hautes-Alpes, que Brauner, dans le plus grand dénuement matériel, réinventera un art brut, aux confins de l’ésotérisme et du primitivisme magique. Un pan méconnu de l’œuvre du peintre juif, dont la force évocatrice et la puissance plastique – des plus avant-gardiste – n’avaient pas été aussi bien mises en lumière précédemment.     

Victor Brauner, La Rencontre du 2 bis, rue Perrel, huile sur toile, 1946, 85 x 105 cm, Paris, musée d’Art moderne.

Outre le célèbre Congloméros – cette créature hybride amalgamant l’humain et le végétal, figure hydrocéphale glabre et androgyne aux membres ou aux corps démultipliés et aux yeux globuleux, dont Brauner fera, entre 1941 et 1945, son principal compagnon (de papier puis de plâtre) –, le peintre, durant ses années de réclusion, invente le « dessin à la bougie » et pratique un art brut conjuratoire, une sorte d’« art pauvre » avant la lettre, à base de matériaux trouvés dans la nature. 

Vivant dans la clandestinité, faute d’avoir pu obtenir un visa pour fuir, comme nombre des Surréalistes, aux Etats-Unis, Brauner passera ainsi les « frontières noires » 3 de la guerre tel « le scaphandrier outillé qui descend dans l’inconnu » 4. Pendant ces années de « désolation », il va créer avec une très grande intensité, comme pour combler, ou plutôt, contrer « un isolement qui se serre de plus en plus comme une tenaille mortelle » (lettre à René Char, 1943)   

Métamorphoses

Victor Brauner (1903-1966)
A droite :

 L’Autre Version, 1934, huile sur toile, legs de Mme Jacqueline Victor Brauner en 1987, musée d’Art moderne et contemporain de St-Etienne.
A gauche : 

Le Simulacre, 1934, huile sur toile, legs de Mme Jacqueline Victor Brauner en 1987, musée d’Art moderne et contemporain de St-Etienne.

La somnambule arrache la mauvaise herbe de la réalité tandis qu’une Mangeuse d’opale se mue en poisson (dessins, août 1941) avant que dans La Grande Métamorphose (huile sur toile, 1942), avec la femme « à l’œil double, signe de double vue », portant sur sa tête un homme aux yeux clos, ne soit dévoilé l’accomplissement du « tout dans le tout » (Tot-in-Tot en roumain), dans une parade médiumnique somnambulique et cataclysmique… Laissant libre cours à la « suprématie poétique » et aux « ésotérismes magiques et obscurs », le monde des métamorphoses développé durant les années noires de la guerre voit proliférer le motif de la tête de profil à l’œil de face, tel un voyant. Un motif obsessionnel auquel le peintre donnera corps dans une surprenante sculpture en plâtre dédoublant son autoportrait stylisé en deux têtes superposées opposant au regard clos (celui de l’énucléé, qui voit en dedans), le regard du voyant (qui voit en dehors) …

Victor Brauner, Tableau optimiste, octobre 1943, cire et papier collé sur toile, legs de Mme Jaqueline Victor en 1988, Marseille, musée Cantini.

Parfois harmonisées dans une « réconciliation érotique », les hybridations contre nature de Brauner renouent de loin en loin avec la subversion des images et des détournements d’objets surréalistes ou des « mythologies infernales ». Ainsi, du fantastique Loup-table (1939/1947) assemblant une table et un renard naturalisé en une effrayante métamorphose du quotidien où une simple table de cuisine se voit transmuée en un « espace assiégé et menaçant » – ce que André Breton nommera un « Espace psychologique », ici, l’espace de la peur. 

Alchimie

C’est pour conjurer cette peur que furent crées, pendant les années de clandestinité, ces fascinants « objets conjuratoires » qu’il nous était donné de découvrir dans l’exposition. Assemblages de matériaux divers, glanés ou récupérés (galets, cire, silex, terre, bois, plâtre, verre, ficelle, fil de fer…), ces sortes d’ex-voto ou de Tableau-talisman, mêlant diverses pratiques populaires et de multiples sources occultes (de la Kabbale à l’alchimie), furent conçus par l’artiste comme de véritables objets magiques destinés à le protéger. Puisant aux sources mystérieuses de la nature, à la beauté du « réel incréé », le peintre, mu en chaman, va alors atteindre une sorte d’archaïsme ancestral, « d’essence primitive de l’art » dépassant « l’attrait poétique des ésotérismes » dont témoigne la complexité des signes cabalistiques et autres inscriptions hermétiques égrainés dans ces « tableaux faits en cachette ». 

Œuvres apotropaïques, et déclarées comme telles (citons l’Objet de contre-envoûtement réalisé en 1943 avec de la cire mêlée à de l’argile crue et du plomb), mais véritables inventions plastiques.

Ainsi, dans Image du réel incréé (1943) 5, l’extraordinaire économie de moyens ne laisse de fasciner par la force vitale qu’elle dégage : composé de six petites pierres ramassées au bord de la Durance, reliées par des bouts de ficelle et figées dans la cire, le petit pantin semble prêt à se mouvoir et à sortir de sa boîte… 

« Tout ce que j’ai fait était fait dans l’ombre. » 6

C’est d’ailleurs à ce passage de l’inerte au vivant, dans une quête, proprement alchimique, de transmutation de la matière, que Brauner expérimentera dans ses dessins à la bougie – élaborés durant l’été 1943. Possédant « une fonction non iconique mais talismanique et alchimique […] matérialisant les contraires en une “noce chimique“ », écrit justement Camille Morando dans le catalogue de l’exposition, ces œuvres « peintes » avec le « matériau magique » sur toile, papier, carton ou bois, selon une technique « de l’ordre de la révélation », procédant par différentes couches de cire, recouvertes d’encre ou d’huile, avant d’être grattées et incisées…, n’en demeurent pas moins d’une grande puissance esthétique – dans laquelle nombre d’ « apprentis-sorciers » contemporains seraient bien inspirés de venir puiser…

De même que les Objets conjuratoires – ces « espèces d’objets magiques libres, à tendance indéfinie, reflets d’une mythologie à situer  » (Brauner, sic) 7 –, les dessins à la cire – dont l’épure et la justesse plastiques ne peuvent laisser insensibles – témoignent magnifiquement de la liberté d’invention que le dénuement et l’enfermement peuvent procurer aux artistes inspirés : privé de tout, alors qu’il lui « était interdit de vivre [et] défendu de peindre » 8, Brauner aura inventé des formes plastiques et pratiqué des détournements de techniques et de supports d’une force poétique encore inégalée.

  1. in Victor Brauner dans les collections du MNAM, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, 1996.
  2. Sophie Krebs dans le catalogue de l’exposition.
  3. Inscriptions manuscrites par Brauner, au pinceau et à l’encre de Chine, sur un de ses dessins de 1941 (Victor Brauner. Ses Frontières
  4. Victor Brauner, projet de lettre à René Char, 24 juillet 1941, dans V. Brauner, Écrits et correspondances, 1938-1948, C. Morando et S. Patry (éd.), Paris, Centre Pompidou/INHA, 2005.
  5. Titre élaboré par Brauner d’après l’expression de René Char « l’inextinguible réel incréé », extrait de son poème « Partage formel » (publié en 1945 ans le recueil Seuls demeurent) recopié dans une lettre au peintre. 
  6. Victor Brauner, projet de lettre à René Char, 16 février 1945, dans V. Brauner, Écrits et correspondances, 1938-1948, op. cit.
  7. Victor Brauner, carte postale à Breton, 22 février 1945, dans Écrits et correspondances, 1938-1948, op. cit.

« Grand Maître de l’ordre de l’Ornithorynque », « prince de l’infra-nuit »…

« Grand Maître de l’ordre de l’Ornithorynque », ainsi se qualifia lui-même Victor Brauner dans un texte parodique de 1944, manifestant par ce titre ubuesque l’importance des hybridations, fondamentales dans son œuvre. Autoproclamé « Président […] de la Grande Métamorphose », « maître des brouillards spéculatifs », « jongleur des arcanes inconnues », « prince de l’infra-nuit », ce peintre et poète « voyant » déclarait s’être adonné à la « Subjectivité » pour partir la conquête de « L’INCONNU et de « L’ESOTERIE »… 

Il faut dire qu’il avait quelques circonstances atténuantes : son père, passionné de spiritisme et de sciences occultes, l’avait fait se réveiller en pleine nuit pour contempler la fin du monde annoncée avec le passage de la comète de Halley en mai 1910… tandis qu’après l’exil de la famille à Vienne en 1912, il lui fera suivre des séances de « spiritisme infantile » !… 

INFORMATIONS :

Victor Brauner

Musée d’Art Moderne de Paris

Nouvelles dates à confirmer (jusqu’au 25 avril 2021)

Commissaire : Sophie Krebs

Commissaires scientifiques : Jeanne Brun et Camille Morando

Catalogue de l’exposition, sous la direction de Sophie Krebs, Jeanne Brun et Camille Morando, co-commissaires, éd. Paris Musées, 312 p., 45 €.

 Victor Brauner, écrits et correspondances (1938-1948)textes choisis, réunis et établis par Camille Morando et Sylvie Patry, coéd. Centre Pompidou/Inha, 416 p., 60€.

https://www.mam.paris.fr/

BIOGRAPHIE

1903 

Victor Brauner naît le 15 juin à Piatra Neamț, petite ville dans les Carpates orientales (Moldavie), en Roumanie. 

1907 

En mai, suite aux sanglantes émeutes paysannes en Moldavie, la famille Brauner fuit la Roumanie pour Hambourg (Allemagne). 

1912 

À l’été 1912, alors que débute la guerre dans les Balkans qui conduira à la Première Guerre mondiale, la famille Brauner s’exile à Vienne. 

1914 

De retour en Roumanie, la famille Brauner s’installe à Bucarest.

1919-1922 

Victor suit les cours de l’École des beaux-arts de Bucarest mais ses prises de position contre l’académisme et sa peinture non-conformiste le font renvoyer.

1923-1924

Il devient l’une des principales figures des milieux de l’avant-garde roumaine.

Se lie avec le poète Ilarie Voronca avec lequel il invente la « picto-poésie ».

Participe à la première exposition internationale à Bucarest, aux côtés d’œuvres de Jean Arp, Constantin Brancusi, Paul Klee, Hans Richter, Kurt Schwitters… 

1925-1926

Premier séjour à Paris. Travaille avec Robert Delaunay et Marc Chagall, et forme une sorte de cénacle roumain avec Voronca, Fondane et Sernet, auxquels se joignent parfois Man Ray et Lajos Kassák. Visite probablement l’exposition « La Peinture surréaliste » galerie Pierre qui réunit des œuvresde Giorgio de Chirico (tableaux métaphysiques), Max Ernst, Man Ray, André Masson, Joan Miró, Pablo Picasso… 

1927

Retour à Bucarest, où il effectue son service militaire dans l’infanterie. Deuxième exposition personnelle. 

1929

Participe à l’exposition collective du groupe d’Art nouveau, à Académie des arts décoratifs de Bucarest, présentant ses premières œuvres d’inspiration surréaliste. 

1930-1935

Second séjour à Paris : côtoie Constantin Brancusi, Jacques Herold, Alberto Giacometti et Yves Tanguy… 

1930

Epouse Margit Kosh à Bucarest. Face
 à la montée du fascisme en Roumanie, part pour Paris avec sa femme. Accomplit de menus travaux pour Brancusi qui lui confie aussi un appareil photographique, avec lequel il effectue des clichés dont un prophétisera son accident à l’œil de 1938.


1931

S’installe au 23, rue du Moulin-Vert (14e arr.), près des ateliers d’Alberto Giacometti et Yves Tanguy, qui devient son ami. Il peint Autoportrait annonçant son énucléation sept ans plus tard. Rencontre le poète René Char. 

1933

Rencontre André Breton et adhère au surréalisme. 

1934

Première exposition personnelle à Paris.

1935

Faute de ressources, Brauner rentre à Bucarest avec Margit. 

1935-1936

Réalise des caricatures antifascistes

1936

Participe à l’International Surrealist Exhibition de Londres et à Fantastic Art, Dada, Surrealism au MoMA à New York).

1938

Participe aux expositions internationales du surréalisme à paris et à Amsterdam.

Dans la nuit du 27 au 28 août, se trouve au cœur d’une rixe entre Óscar Domínguez et Esteban Francés, au cours de laquelle, voulant s’interposer, il est atteint au visage par un verre brisé et perd son œil gauche. 

1940-1945

Fuit à Marseille où il retrouve, à la villa Air-Bel, les surréalistes en attente d’un visa pour quitter la France via le Comité américain de secours (CAS). Ne l’obtenant pas, il se réfugie dans les Hautes-Alpes où il vit dans la clandestinité de 1942 à 1945.

1945

Retour à Paris, où il s’installe dans l’ancien atelier du Douanier-Rousseau, rue Perrel. 

1946

Epouse Jacqueline Henriette Abraham (1910-1985), qui fera nombre de dons d’œuvres, au MNAM du Centre Pompidou, notamment.


1947

Première exposition personnelle à New York.

1948

Séjourne en Suisse pour échapper aux menaces d’expulsion qui visent les Roumains en situation irrégulière en France.


Refusant de signer l’exclusion de Roberto Matta du groupe surréaliste pour « disqualification intellectuelle et ignominie morale », il est, à son tour, exclu du groupe. 

1954

Participe à la Biennale de Venise.

1958

Réintègre officiellement le groupe surréaliste et participe à l’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme (EROS) à Paris.

1961

Acquiert une maison près de Varengeville-sur-Mer, en Normandie.

1966

Meurt à Paris des suites d’une longue maladie.

Représente la France à la Biennale de Venise.


1-54 Contemporary Art Africa Art Fair 2021

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20- 23 JANVIER 2021
Chez CHRISTIE’S – 9 avenue Matignon – 75008 PARIS.

Interview de Touria El Glaoui, directrice de 1-54 Art Fair + vidéo de Sonia Perrin pour son Association AZÉ + une visite en images de 1-54.

De gauche à droite : Sonia Perrin pour l’Association AZÉ – Pascale Martine Tayou / Galleria Continua – Touria El Glaoui, directrice de 1-54 Art Fair- Mous Lamrabat / Loft Art Gallery

Questions /Réponses par Touria El Glaoui, directrice de 1-54artfair. 

🔹Contexte

Touria El Glaoui : On a la chance d’avoir un partenaire comme Christie’s qui a assumé jusqu’à la fin la possibilité de maintenir la foire. C’est un beau pari pour tout le monde.

Emo De Medeiros -Série des Cymbaliques. Cymbalics est une série de sculptures en forme de coiffes faites de cymbales miniatures, Les œuvres sont montrées avec une bande son composée d’enregistrements des cymbales jouées par l’artiste. 50 Golborne

🔹Nouveau lieu : Paris

Touria El Glaoui : Il y a une vraie relation entre le continent africain et la France, en 2013 je pensais déjà faire 1-54 à Paris au lieu de Londres. Mais c’est vraiment deux villes qui ont en elles avec différents pays d’Afrique une vraie relation, c’est réjouissant d’avoir cet aspect là qu’on a souvent à Marrakech aussi, cet aspect francophone de l’Afrique avec des collectionneurs qui le sont souvent beaucoup plus. Cette édition a été conçue avec l’idée de ne pas chercher une audience internationale, mais locale.

Avec Touria El Glaoui, directrice de @154artfair.
Devant une oeuvre de Romuald Hazoumè « Bunkely » 2019 – Galerie André Magnin



🔹La représentation

Touria El Glaoui : En terme de thématique on représente 54 pays qui ne sont pas tous là mais c’est vraiment différent. Il n’y a pas vraiment d’idées ou de choses, il y a des artistes très établis comme il y a des artistes beaucoup plus jeunes. C’est ce qui est assez beau et accessible, abordable pour tout le monde.

🔹Atmosphère

Touria El Glaoui : Il y a des grandes galeries mais aussi des plus petites, ce mélange donne une énergie, un petit peu plus différente et aussi plus engageante pour le public. On a moins peur de s’adresser au galériste pour demander les prix. Dans tout cela , il y a un peu de la philosophie africaine qui prend le dessus quand on fait un évènement 1-54, cela donne un côté chaleureux, on se parle…Dans l’ensemble, il y a une atmosphère beaucoup plus amicale.

Sonia Perrin, fondatrice de l’Association AZÉ nous présente la collection de ALOALO, sculptures Mahafaly des Efiaimbelo,  à Madagascar.

Elles sont vendues au profit de AZÉ 

🔹Ces sculptures ont été montrées dans différentes expositions, la 1ere fois  en 1989 dans celle des Magiciens de la Terre avec André Magnin. En 2018 à la galerie Emmanuel Perrotin. Et fin 2018 dans l’exposition  « Madagascar, Arts de la Grande Île » au musée du Quai Branly.

🔹 Azé parraine les études d’enfants de cette région, dans la grand sud de Madagascar: www.aze-asso.org

Sonia Perrin AZE 1 54 CONTEMPORARY AFRICAN ART FAIR 2021

1-54 visite en images

20- 23 JANVIER 2021
Chez CHRISTIE’S – 9 avenue Matignon – 75008 PARIS.

Tout un film ! Au Drawing Lab

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PAR MARIE SIMON MALET

16 JANVIER – 25 FEVRIER 2021

Exposition collective en partenariat avec La Cinémathèque française.
Commissaires d’exposition: Joana P.R. Neves en collaboration avec Françoise Lémerige, chargée du traitement de la collections des dessins et œuvres plastiques de La Cinémathèque. 

Sébastien Laudenbach. Séquences 21, 09, 17 et 14. Dessins d’animation. Feuillets à l’encre et au lavis d’enccre. La Jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach, France, 2015. Collection Cinémathèque française.

Si vous êtes en manque d’expositions – elles sont si rares en ces temps de disette culturelle – allez voir Tout un film ! une exposition consacrée aux interactions entre cinéma et dessin conçue en collaboration avec La Cinémathèque française. Initialement prévue pour être présentée lors de la 14ème édition de la Drawing Now Art Fair de mars 2020, puis annulée pour une cause hélas trop bien connue aujourd’hui, cette exposition a trouvé naturellement refuge au Drawing Lab, centre d’art privé dédié à la promotion et à la diffusion du dessin contemporain. Tout un film ! s’est donc affranchie de la Foire et s’offre une nouvelle séquence qui ravira les amateurs de dessin contemporain et les cinéphiles. 

Paul Grimault – « La bergère et le ramoneur » circa 1948. Celluloïd d’animation. Dessin sur acétate de cellulose à l’huile en couleurs, 27 x 39 cm. La bergère et le ramoneur de Paul Grimault, France, 1948. Collection cinémathèque française.

Elle permet aussi d’opérer une mise au point sur le statut de l’image, les œuvres réunies explorant la construction d’une fiction par le dessin, l’élaboration graphique de l’image animée, un monde qui prend forme sous un trait de crayon…  

Mathieu Dufois « Et nereste que le décor » 2020-2021. Installation. Maquette, papiers, pierre noire, pastel sec, cartons, tasseaux, circa 52 x 65 x 35 cm. Film d’animation, environ 3’00 », 3/2 full HD, son

L’exposition présente une sélection de dessins issus du fond de La Cinémathèque française et le travail d’artistes contemporains invités par Joana P.R Neves, directrice artistique du Drawing Now : Mathieu Dufois, Sébastien Laudenbach, Camille Lavaud, Antoine Marquis, Elsa Werth. Elle se termine par la projection d’un film de 8,02 minutes réalisé en 2013 par l’artiste sud-africain William Kentridge. Tide Table fait partie d’une série de « Drawing for Projection », des vidéos en forme de « dessins animés » : Kentridge photographie ses dessins au fusain, dessins qu’il a retravaillé, gommé, brouillé et dont il projette ensuite les images. Les dessins s’animent par la magie de la succession et des superpositions : d’une image en naît une autre… dans un mouvement poétique, lent et paisible.

Akira Kurosawa. Maquettes de costumes. 3 dessins sur papier à la mine de graphite. Les sept samouraïs d’Akira Kurosawa, Japon, 1954. Collection de la Cinémathèque française.

Parmi les collections du fond de La Cinémathèque, une planche du story-board du Parrain II (1973) dessinée par Alex Tavoularis, trois rares maquettes de costume du film Les Sept Samouraïs (1954) croquées par son réalisateur Akira Kurosawa -Kurosawa avant d’être le cinéaste japonais le plus célèbre de sa génération avait rêvé d’être peintre et l’on apprend qu’il a beaucoup utilisé le dessin et la peinture pour son œuvre cinématographique-

Paul Grimault – « La bergère et le ramoneur » circa 1948. – Le Roi- Celluloïd d’animation. Dessin sur acétate de cellulose à l’huile en couleurs, 27 x 39 cm. La bergère et le ramoneur de Paul Grimault, France, 1948. Collection cinémathèque française.

Il y a surtout trois joyaux : des dessins sur support celluloïd (c. 1948) du premier film d’animation de Paul Grimault, La Bergère et le ramoneur. Ces celluloïds d’animations sont des archives d’une grande préciosité qui à elles-seules me donnent envie de retourner au Drawing Lab. J’ai été émue et émerveillée par la beauté de ces planches transparentes mises en couleur au verso par les gouacheurs afin d’être superposées aux décors selon le processus originel des premiers dessins animés et surtout parce que Le Roi et l’Oiseau est l’un de mes films préférés. Premier film d’animation français et chef-d’œuvre né de la collaboration de Grimault et de Prévert, il avait connu une première version sortie en 1953, en Angleterre, dont les cellulos sont présentés ici. Le Roi et l’Oiseau, la version définitive et approuvée par ses auteurs, ne sortira en France qu’en 1980. 

Les artistes rassemblés autour de ces documents ont tous en commun d’être influencés et fascinés par le cinéma : la plasticienne Camille Lavaud crée de fausses affiches de films rétros et projette des vidéos en forme de bandes-annonces de films noirs… Un habile montage de fictions improbables, de mises-en-scène déjantées et de génériques loufoques. Un hommage détourné également chez Antoine Marquis, cette fois à l’esthétique ésotérique et psychédélique du film La Montagne Sacrée d’Alejandro Jodorowski (1973). Mathieu Dufois dont l’univers graphique est très inspiré par le cinéma a travaillé sur les dessins du décor d’un film de Marcel Carné (1947) La Fleur de l’âge qui ne vit jamais le jour. Il a conçu spécialement pour l’exposition, à partir d’une esquisse du décorateur Alexandre Trauner conservée à La Cinémathèque, Et il ne reste que le décor, une maquette et un film d’animation.

Sébastien Laudenbach – (Etape finale pour la version japonaise de l’affiche de La Jeune fille sans mains), circa 2015. Maquette d’affiche. Dessin sur papier à l’encre, 21 X 29,7. La Jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach, France, 2015. Collection Cinémathèque française.

On peut aussi voir les émouvants dessins du long métrage d’animation, La Jeune fille sans mains, de Sébastien Laudenbach, adaptation d’un conte des frères Grimm qui remporta le prix du Jury au Festival d’Annecy en 2016. 

Antoine Marquis – 2020 – Dessins d’après la Montagne Sacrée de Jodorowsky. Techniques mixtes sur toile. 18 x 24 cm chaque.

Gratuite et très condensée, l’exposition Tout un film ! donne envie de courir à La Cinémathèque dès sa réouverture -vivement la fin de cet arrêt sur images !- et au prochain Drawing Now qui se tiendra au Carreau du Temple du 10 au 13 juin 2021.  

TOUT UN FILM !

À découvrir de 11h à 17h30, du mardi au samedi jusqu’au 25 février

Au DRAWING LAB PARIS 

Centre d’art contemporain privé dédié au dessin

17, rue de Richelieu, 75001 Paris 

Drawing Lab – Salon – bibliothèque – librairie.©Marie Simon Malet

The Botanical Mind au Camden Art Centre, Londres

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PAR Marie-Laure de Clermont-Tonnerre

J’étais supposée visiter le Camden Art Centr avec son directeur Martin Clark accompagnée de mon groupe de collectionneurs Spirit Now London .  Ce lieu magique programmait cette belle exposition à Londres « The Botanical Mind / Art, Mysticism and the Cosmic Tree« . avec de grands artistes dont l’extraordinaire photographe et botaniste extraordinaire Karl Blossfeldt (cf photo) mais aussi le coréen Lee Ufan, (souvenez-vous de son installation à Versailles) , André Masson, et bien d’autres artistes (60).

Lee Ufan au 1er plan et au fond à droite : dessin, 1980 – Au fond à gauche : Kerstin Brätscossil Psychic for Christa (Stucco Marmo), 2019 – Camden Art Centre, 2020. Crédit Photo ©Rob Harris


Cette visite s’est transformée en webinar mardi dernier, et l’ exposition se terminera fin février.  Cette exposition “The Botanical Mind “ rassemble le travail de plus de 60 artistes, visionnaires, surréalistes, modernes, étrangers, autochtones amazoniens et contemporains. C’est Gina Buenfeld, la curatrice du Centre, qui a initié et organisé cette exposition après un voyage sabbatique en Amérique du Sud, en Finlande et dans d’autres pays du Nord.

Elle a trouvé en Martin Clark (le directeur du CAC) l’interlocuteur idéal pour porter cette idée.

The Botanical Mind révèle la signification continue du règne végétal pour la vie humaine, la conscience et la spiritualité. S’étendant sur plus de 500 ans et incluant des objets historiques et ethnographiques, des textiles et des manuscrits, il regarde à la fois en arrière et en avant, s’engageant avec diverses cultures et traditions de sagesse pour réévaluer l’importance des plantes dans la vie sur cette planète.

A gauche : Anna Haskel de gauche à droite, de haut en bas : Untitled, 1934; Untitled, 1940; Untitled, 1938; Untitled, 1939 Pastel and pencil on paper – Courtesy The Museum of Everything. Josef Kotzian Both: Untitled, undated Graphite on paper Courtesy The Museum of Everything.
A droite : Karl Blossfeldt. de gauche à droite, Aconita anthora ; Cajophora Lateritia Lacocscae; Primula Japonica ; Serratula Nudicaulis ; Brunella Grandiflora ; Cornus Florida ; Adiantum Pedatum; Phacelia Tanacetifolia. 1928.

Camden Art Centre, 2020. Crédit Photo ©Rob Harris

Cette exposition s’inscrit avec pertinence aujourd’hui dans une époque où les artistes et les musées regardent vers la nature comme une source d’inspiration et de reconfort.
Rappelons-nous notre visite à La Hayward Gallery, à Londres, pour le vernissage«  Among the Trees «  avec Ralph Rugoff en 2020. Certains d’entre nous ont également découvert la belle exposition de la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain à Paris « Nous les arbres ».

A gauche : Anonyme Sans titre (Tree of Jesse), c 1520 –
Au centre : Scottie Wilson Left to right, top to bottom: Untitled, c 1950; Untitled, c 1950; Untitled, c 1945; Untitled, no date Materials ink, colour pencil on paper Courtesy The Museum of Everything
A droite : John McCracken Trebizonoum, 1972 Oil on canvas Private Collection, courtesy David Zwirner.
Camden Art Center, 2020. Crédit Photo ©Rob Harris



Nous avons eu la chance aujourd’hui d’être avec 2 merveilleux guides pour cette visite exceptionnelle.

Martin Clark (le directeur du Camden Art Center depuis 2017) et Gina Buenfeld qui est la conservatrice des expositions au Camden Art Centre.

A gauche : Jordan Belson – Untitled, c.1950.
A droite : Yves Laloy B11, circa 1955-58 Oil on Canvas –
Camden Art Centre 2020. Crédit Photo ©Rob Harris

Martin Clark  était directeur de Bergen Kunsthall, Norvège (2013-17) avant de diriger le CAC. Auparavant, il était le directeur artistique de la Tate St Ives, Cornwall (2007-13), conservateur des expositions à Arnolfini, Bristol (2005–07).  Plus récemment, en 2016, il fut directeur artistique du festival Art Sheffield.

Au cours des 20 dernières années, il a organisé plus de 80 expositions, dont des expositions personnelles récentes et à venir de Walter Price, Olga Balema, Julien Creuzet, Lily van der Stokker, Christodoulos Panayiotou,… entre autres ainsi que des expositions collectives dont The Botanical Mind: The Going Uv It, Bergen Kunsthall (2015), The Dark Monarch: Magic and Modernity in British Art, Tate St Ives (2009),

Il a édité et contribué à plus de 40 livres et catalogues, ainsi que de nombreux écrits sur l’art contemporain et les artistes pour plusieurs publications. Il siège au conseil consultatif d’Art on the Underground, à Londres.

Gina Buenfeld est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’art (20e siècle) du Goldsmiths College (2004) à Londres. Elle a rédigé des essais pour des publications d’artistes et a édité des monographies d’artistes et des catalogues d’expositions, notamment Duro Olowu: Making & Unmaking publié par Ridinghouse et David Mellor: The Bruce Lacey Experience. Gina a été commissaire invitée à Bevilacqua la Masa, Venise de 2012 à 2013 et a été mentor pour le programme de mentorat Siobhan Davies Dance Artist and Curator et le programme de résidence Standpoint Gallery.

Textiles by artisans from the Shipibo-Conibo peple, all c. 1970-2018-
Camden Art Centre, 2020. Crédit Photo ©Rob Harris

Elle a été curatrice de plusieurs expositions au CAC, dont l’année dernière «  A tale of Mother’s bones : Grace Pailhorpe, Reuben Mednikoff and the birth of Psychorealism ». Merveilleuse découverte de ce couple d’artistes, amis des surréalistes mais qui ne voulaient pas de publicité En 2014-2015, Gina Buenfeld était curateur en résidence au Art Initiative de Tokyo où elle a créé «  Tokyo Corrsepondances « , une série d’expositions, de résidences et de recherches pour faciliter le dialogue culturel entre les artistes en Angleterre et au Japon.. Elle a également fait la curation de  At the still point of the turning world  à la Shibaura House Tokyo , présentant le travail de Ursula Mayer, Jeremy Millar, Manon de Boer, Joachim Koestner, Simon Martin… 

Le Camden Art Centre est un lieu d’art et d’artistes; un endroit pour les curieux, les novices et les experts. C’est un lieu pour voir, faire, apprendre et parler d’art contemporain.

En tant qu’organisme de bienfaisance ancré dans la communauté du Nord-Ouest de Londres, le Centre travaille en étroite collaboration avec les écoles locales, des groupes communautaires et des partenaires spécialisés, nourrissant la prochaine génération d’artistes, de la petite enfance à l’âge adulte, permettant à chacun de se rapprocher de l’art, de rencontrer des artistes. et de réfléchir sur des programmes ciblés Le CAC souhaite aussi renforcer le leadership sectoriel augmentant leur  impact, apportant les arts à ceux qui en ont le plus besoin.
J’espère que très bientôt nous pourrons tous faire le voyage de Paris, Genève , Madrid avec nos amis de Londres pour visiter le Camden Art Center dès sa réouverture.

Visite en live DE L’EXPOSITION AVEC LES COMMISSAIRES ;

L’exposition devait avoir lieu jusqu’au 28 février.

Camden Art Centre

Fondé en 2015 et dirigé par Marie-Laure de Clermont-Tonnerre, Spirit Now London est une organisation à but non lucratif dont tous les fonds sont reversés à des institutions culturelles et au soutien de jeunes artistes.
Sur invitation uniquement, Spirit Now London est un cercle privé et international de bienfaiteurs, collectionneurs et amis. Spirit Now London offre l’occasion de rencontrer des personnalités exceptionnelles de l’art contemporain, du design, de la culture et de la science.
Marie-Laure de Clermont-Tonnerre est également la co-fondatrice avec son époux Jean-François, de la Fondation Jean-François et Marie-Laure de Clermont-Tonnerre. Créée en 2009, la fondation a pour objectif de favoriser l’accès des jeunes issus de milieux défavorisés à l’éducation et à la culture. La fondation vise également à soutenir la création artistique contemporaine et la préservation du patrimoine.

Marguerite Duras,

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PAR SEVERINE LE GRIX DE LA SALLE

Madame Duras,

Ce fut une décision : attaquer l’œuvre de Marguerite Duras. Parce que c’est impressionnant Duras, ça fait un peu peur. Elle appartient à une intelligentsia qui ne la partage pas trop, qui a méprisé son best seller « facile » , l’Amant, que l’on a pourtant tous lu avec un frisson d’interdit. Alors la lire et écrire sur elle, c’est la face Nord. Quelques conseils pour l’apprivoiser puis l’aimer sans modération !

Marguerite Duras – Un barrage contre le Pacifique – Folio

Commencer doucement, par du facile (mais triste) : Un barrage contre le Pacifique , et suivre ce personnage misérable et déchirant de la mère, sans prénom, sans avenir, au combat vain :

« Il est vrai que la mer ne montait pas à la même hauteur chaque année . Mais elle montait toujours suffisamment pour bruler tout, directement ou par infiltration « .

La pauvreté n’est pas plus belle au soleil, et dans ce livre elle y est même écrasante, totale, décrite sèchement :

« Le cheval était trop vieux, bien plus vieux que la mère pour un cheval, un vieillard centenaire. Il essaya honnêtement de faire le travail qu’on lui demandait qui était bien au dessus de ses forces depuis longtemps , puis il creva  » .

Pour s’en sortir, la jeune Suzanne se laisse courtiser par le riche et libidineux

Mr Jo, son frère Joseph s’enfonce de nuit dans la forêt… Le rythme lent de l’écriture est poisseux comme la déchéance des petits blancs et du système colonial. Il s’accélère quand les enfants s’échappent, à la ville, où Carmen , la prostituée et « ses jambes miraculeusement belles » les attend .

C’est un roman où il fait chaud, on en ressort lentement et poussiéreux, dans un drôle d’état . Puis Les petits chevaux de Tarquinia , où il fait encore plus chaud :

« Tout le village était immobile, englué dans l’oubli de la sieste d’été « .

Une chaleur blanche, italienne et chic, dans laquelle des couples vont se dissoudre, le temps de vacances passées à ne rien faire :

« C’est peut être bien l’amour qui rend méchant comme ça. Les prisons en or des grandes amours . Il n’y a rien qui enferme plus que l’amour. Et d’être enfermé à la longue, ça rend méchant « . .

Photos prise a la Librairie du Roule  67 avenue du Roule 92200 Neuilly , délicieux fouills et délicieuses libraires…
librairieduroule@bbox.fr

Ecrire sur la banalité, le rien de journées torrides, attendre des nuits qui ne le sont pas moins et captiver son lecteur, quel talent…à lire l’été. Embarquer avec Le Marin de Gibraltar , retrouver un souffle d’air frais –

« Ah! qui n’a pas eu envie d’un pastis après un bain de mer pris en Méditerranée ne sait pas ce que c’est qu’un bain de mer pris le matin en Méditerranée  » –

et lire cette passion qui se brûle dans la folie. La visite oppressante de Pise par cet homme qui va tout abandonner pour suivre l’Américaine sur son yacht est délicieusement perturbante. Comme la suite : va t elle se lasser de lui, elle qui en cherche un autre?

Dans ces trois livres, les personnages principaux n’ont ni nom ni prénom : la mère, l’enfant, l’homme… les effacer, pour laisser place à la folie lente, insidieuse, humaine . C’est elle que Duras traque, écrit, raconte. Et elle vibre en nous. Alors, c’est une drogue, on ne veut plus lâcher Madame Duras, devenue Marguerite pour les intimes, et on peut tout explorer.

Courir toutes les librairies en quête de ses textes. Hiroshima mon amour, script magnifique sur la fragilité d’une femme face à l’Histoire, qui paye d’avoir aimé un homme du mauvais côté . La douleur , et le retour impossible de l’amour après la guerre.

Il n’est pas interdit de caler sur certains écrits, comme L’amour, par exemple, très abscons. Mais ne pas renoncer, continuer.

Et tomber amoureux d’admiration pour Le ravissement de Lol V.Stein et comme Lola, devenue folle à la suite d’une rupture, avoir envie qu’un homme dise l’amour comme ça :

« J’ai su cela d’elle en même temps que j’ai su mon amour, sa suffisance inviolable, géante aux mains d’enfant ». et rester « interdite dans l’orient pernicieux des mots « 

.
Mais que c’est beau ! Marguerite Duras n’écrit pas, elle peint, elle compose, c’est un tableau, une musique, une émotion. Je relis et relis et relis, jamais je n’ai mâché des mots avec autant de plaisir , et j’ai compris pourquoi ceux qui l’aiment ne la partagent pas.

Pour en savoir plus :

Marguerite Duras

Podcast France Culture /

À retrouver dans l’émission LA COMPAGNIE DES AUTEURS par Matthieu Garrigou-Lagrange

Marguerite Duras, la vie comme littérature

Acheter en ligne les livres :

https://www.lalibrairie.com/

https://www.recyclivre.com/

https://www.parislibrairies.fr/

A la découverte de Nathalie Talec

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Juste une expédition, la visite de l’atelier de Nathalie Talec, poésie, humour et grands espaces sont au rendez-vous !

2e partie : l’interview

GIMME SHELTER (vert) Collection SHAMANIC APPARITION 1, dessin à la feuille d’or sur papier Arches, 150 x 115 cm, 2019

Cela commence par l’essayage de la Talec Jacket,  » Un vêtement mythique pour un style unique  » des vêtements sculptures protecteurs et colorés, exposés il n’y a pas longtemps à la Galerie Maubert « One Size Fits All » , ils évoquent le Grand Nord , on s’imagine dans ces grands espaces immaculés , à la rencontre de ses habitants, faces à ces glaciers, et aussi ce fameux flocon de neige qu’on aimerait tant garder intact.

I WOULD PREFER NOT TO, 3, acrylique et feuille d’or sur toile, 200 x 220 cm, 2021
I WOULD PREFER NOT TO, 4, acrylique et feuille d’or sur toile, 200 x 220 cm, 2021


Nathalie Talec est une artiste exploratrice. En 1987 elle part à la découverte du Pôle Nord sur les les traces de Paul-Émile Victor , son héros avec qui elle entretient une correspondance. Elle lui rend hommage en 2008, en façonnant son traîneau en porcelaine de Sèvres à taille réelle, une prouesse technique. Cette oeuvre est exposée au Mac Val à l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée. Entre réalité et fiction l’artiste oscille et nous raconte ses histoires, l’expédition de 1987 est la seule réelle. A la question de savoir si elle y retournerait, réponse négative, 30 ans plus tard, trop de choses risqueraient de l’attrister, elle pencherait plus pour l’Alaska, sur les traces de Jack London.


L’eau est l’élément qui la porte depuis toujours , l’eau sous toutes ses formes, l’eau qui coule, de la pluie à la neige , au givre. Entre l’eau et la terre une relation essentielle. Dans les années 90, elle imagine les murs en béton qui pleurent. La couleur blanche est une obsession, elle survient avec la neige qui fond laissant apparaître quelque chose de nouveau..

Couverture du livre avec cette photographie « Autoportrait » de 1986″ Photographie noir et blanc sur papier baryté contrecollée sur aluminium, 100 × 100 cm. Prise de vue : Philippe Rolle. Édition 1/1. Collection Fonds national d’art contemporain, Ministère de la Culture et de la Communication, Paris, Exemplaire unique

De son voyage au Pôle Nord, elle a rapporté de nombreux souvenirs qui sont inscrits dans sa mémoire et surgissent sur ses grandes toiles, c’est le dessin d’un enfant inuit, un vêtement, une idée chamanique , symboles de ces terres du bout du Monde dessinés sur un fond à la feuille d’or.

Ces journées confinées dans son atelier en Bourgogne lui ont inspiré de nombreux dessins, où tous ses personnages apparaissent au fur et à mesure du temps qui passe.

2019 ce fut un « Coup de foudre », titre de son exposition commune avec Fabrice Hyber, artiste avec qui elle est proche et qui a eu lieu à la Fondation EDF en 2019 et où leur deux univers se rassemblaient.

Nathalie Talec enseigne également à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris où elle est chef d’atelier.

Dessins de confinement

L’interview

Nathalie Talec

The Gaze of a Parisienne : A quel moment vous est venue cette envie de peindre ?

Nathalie Talec : J’ai toujours eu cette envie , même enfant, d’où cela vient précisément , je ne sais pas , mais un goût pour une forme d’isolement et puis un travail introspectif sur ce temps juvénile et ensuite le goût pour la grande peinture. C’est mon père qui m’a un petit peu dirigé vers cette sensibilité. Etre artiste cela ne se décide pas vraiment, je crois que cela s’impose d’une certaine manière. Même si on est obligé lorsqu’on est jeune artiste de vivre plusieurs vies en même temps pour pouvoir survivre. Moi je n’ai jamais fait d’école d’art (note : Nathalie Talec n’a pas fait d’école d’art mais a suivi un doctorat d’arts plastiques au Centre Saint Charles à la Sorbonne) mais je suis de cette génération d’autodidactes un peu éclairés , passionnés par beaucoup de choses du Monde. J’avais une sorte d’appétence pour les écrits scientifiques puis j’ai eu une magnifique première expérience de travail, au Palais de la Découverte, j’avais 18 ans. Là on m’a demandé de dessiner aux côtés des scientifiques, comme dessiner des machines pour évoquer la motricité des vagues. Mon approche scientifique qui a plus à voir avec la poésie que la science pure était aussi nourrie de cette expérience. Au départ quand on est très jeune artiste on ne sait pas tellement où on va et puis il y a eu de magnifiques rencontres et les choses se sont faites.

Le Palais de la découverte

TGP : Comment êtes vous arrivée dans ce Palais de la Découverte ?

N.T. : J’étais une sorte de pirate ou de cowboy en version fille , j’ai quitté ma famille très tôt et il fallait que je sois autonome et pour l’être, il fallait travailler. J’ai eu cette chance de rejoindre le Palais de la Découverte où je me suis trouvée en relation avec tous ces scientifiques qui ont une approche qui me semblait à moi très abstraite mais c’est ce qui permettait aussi de donner une forme à leurs pensées. Cela m’a donc donné la possibilité de donner des formes à de la pensée.

Donner des formes à de la pensée

Durant ces années là entrecoupées par des études et mon travail, j’ai eu des rendez-vous très fondateurs, j’ai eu le privilège de pouvoir échanger avec Michel Journiac, enseignant à la Sorbonne.

Palette de l’artiste

TGP : En 1987 vous allez au Groenland, mais à quel moment avez-vous rencontré Paul-Emile Victor ?


« Dans la philosophie la neige peut être comparée à l’enfer mais aussi au paradis, une sorte de rapport au spirituel, (…)j’aime ce rapport aux sensations, à l’émotion, après , il y a des choses qu’on ne peut expliquer, qui surgissent un peu de nulle part… »

N.T. : Je commençais à me passionner pour ces espaces blancs vierges, un peu comme des espaces de silence absolu que représentaient pour moi les deux pôles. J’étais plus attirée par le Pôle Nord, tout simplement car il y a une culture au Pôle Nord que nous ne trouvons pas au Pôle Sud, uniquement habité de laboratoires scientifiques.

Je suis allée au Musée de l’Homme qui à l’époque était très désuet et là je suis entrée en relation avec un homme exceptionnel Pierre Robbe, responsable Inuit du musée de l’Homme . Cet homme a vu mon intérêt qui n’était en rien lié à l’ethnographie ni à l’histoire et qui était une sorte d’approche à la fois poétique, esthétique et aussi artistique. Je l’ai vu très souvent, m’intéressant aussi beaucoup au langage, je souhaitais qu’il me raconte comment il avait pu commencer à rédiger un dictionnaire du langage inuit qui n’existait pas du tout.

Paul-Emile Victor, une rencontre épistolaire

Je lui ai dit que j’avais très envie de partir au Groenland et plusieurs mois se passent et il me met en relation avec Paul-Emile Victor. Avec ce dernier nous avons eu une relation uniquement épistolaire. J’ai gardé toutes ses lettres qui sont pour moi des moments fondateurs de tout ce qui est arrivé par la suite. Je lui ai dit que je voulais aller faire un travail d’artiste au Groenland. Il avait une certaine sensibilité. Outre que c’est un homme cultivé et intelligent, il avait aussi un goût assez prononcé pour le dessin. Il ne comprenait pas forcément ce que je lui racontais, je devais manquer de clarté d’une part et d’autre part ce projet devait également manquer de réalisme à ces yeux. C’est un explorateur polaire qui n’était pas forcément sensible aux arguments que je lui avançais mais qui m’a quand même fortement conseillée sur les lieux à visiter, les personnes à rencontrer et surtout j’ai eu l’honneur qu’il me prête un de ses premiers traineaux et une série de ses premiers vêtements d’expédition, crampons, sac à dos… Et cela pour que je puisse réaliser une série d’autoportraits.

De l’imagination à la réalité

T.G.P. : Ce voyage est l’un des seuls que vous avez fait ?

N.T. : L’idée de partir au Groenland me plaisait seulement dans l’idée, c’était une période où j’imaginais réaliser des projets qui étaient des oeuvres mais sans être réalisées. Je suis un peu du gendre « voyage autour de ma chambre » , le réel m’intéresse mais pas tant que cela. Ce qui fonctionne : c’est plutôt tout ce qui me traverse par la tête dans ce que je vois , dans ce que je lis. Mais me confronter au froid polaire… je ne voulais pas tellement y aller, je voulais avoir une sorte de trame fictionnelle qui me permettait d’inventer de nouvelles fictions. Il se trouve qu’un ami qui travaillait au Ministère de la culture a vu ce projet écrit dans le détail, il m’a pris ce projet des mains et m’a obtenu une bourse. Très réglo, j’ai une bourse, je m’exécute et je suis partie au Groenland pour quelques mois.

Ramification, ébullition, condensation

J’ai eu froid, j’ai vu des aurores boréales qui m’ont saisie d’effroi. Ce projet que j’avais défini était un jeu entre le vrai et le faux et le jeu dont je me souviens le plus est ce lancer de paraffine apporté de Paris en me disant que lors de la fonte des glaces au printemps, le seul élément qui resterait serait ce morceau de paraffine qui ressemble à s’y méprendre à de la glace. C’était une sorte d’expérience à la fois dans le réel et aussi dans la fiction.

« Placé dans un verre d’eau, le glaçon emprunte au liquide lui-même la chaleur qui lui est nécessaire  » phrase leitmotiv de l’artiste

T.G.P. Une belle histoire

N.T. : J’ai eu de belles histoires et c’est ce que je continue à essayer de raconter en prenant des chemins de traverse. Cette démarche était particulière car à l’époque personne ne s’intéressait à cette partie du Monde. Une manière aussi de voir ce blanc qui agit sur notre âme comme le silence absolu. C’était une tentative de donner une forme à une idée.

Manufacture de Sèvres

Nathalie Talec – Sculpture en porcelaine réalisée par l’artiste à partir du buste d’Adrienne, fille de Houssin, 2011
Edition et production: Sèvres – Cité de la céramique.

T.G.P. : Vous avez reproduit plus tard, ce traîneau de Paul-Emile Victor en porcelaine de Sèvres pour une exposition du Mac Val

N.T. : Ce qui compte pour moi dans la vie, c’est à la fois produire des oeuvres et peut-être plus encore c’est les rencontres que je fais. J’aime aussi que ce soit immédiatement visible, mais aussi rendre des hommages, et, tel était le cas pour le traîneau de Paul-Emile Victor qu’il m’avait prêté et que je lui avais rendu après la séance de photos. Quand on m’a invitée pour cette rétrospective au Mac Val , Paul-Emile Victor était décédé et j’ai souhaité lui rendre hommage, je n’avais jamais travaillé le biscuit, ni la porcelaine donc c’était un vrai défi technique, mais je tenais absolument à sublimer et à incarner cette relation fondatrice que j’avais eue avec lui qui prenait la forme d’une sculpture qui parlait d’un objet de déplacement dans tous les sens du terme. Sauf que cet objet devenait inutilisable puisqu’il était fragile et dans un matériau qui ne pouvait en aucun cas permettre de véhiculer quoique ce soit, sinon de la poésie, du sens, de l’émotion.

Blanc : la couleur de l’innocence, de la pureté et de l’absence.

T.G.P. : Je reviens à la peinture et j’aimerais connaître le lien entre le blanc et l’or ?

N.T. : Le lien il se fait de manière presque naturelle, ce blanc c’est comme le silence absolu, mais ce silence n’est jamais mort, il regorge de possibilités vivantes, ce blanc est un lien avant toute naissance et avant tout commencement, c’est aussi la couleur de l’innocence, de la pureté et de l’absence. Ensuite quand on regarde un peu dans ce que les hommes ont produit sous des formes de vanités ou autres choses, le blanc et l’or ont toujours traversé l’histoire humaine.

I WOULD PREFER NOT TO, 2, acrylique et feuille d’or sur toile, 200 x 220 cm, 2019

L’or est la fois ce qui renvoie à des dieux, à la lumière , à la réflexion, à l’ornement, l’objet décoratif, c’est ce qui renvoie aussi à l’idée du trésor ou de la vanité. C’est aussi toujours quelque chose qui est presque aussi fragile que la poudre qui recouvre l’aile du papillon. Un peu comme le blanc qui est traduit par de la neige, c’est quelque chose qui n’a pas de durée mais qui a une zone de persistance rétinienne et qui sublime, que ce soit dans l’Antiquité, la culture byzantine, à l’ensemble de presque toutes les cultures religieuses. C’est considéré comme l’un des métaux les plus précieux mais c’est aussi lié à sa lumière qui rayonne et l’or est aussi le meilleur conducteur. Ce qui m’intrique dans ce matériau, c’est sa fragilité , son côté inaltérable et aussi le fait qu’il peut distribuer une grande forme d’énergie.

Ce qui m’intéressait c’est une approche sentimentale du Monde

T.G.P. : La science est très liée à votre travail et la forme du flocon vous avait particulièrement marquée ?

N.T. : Oui il y a un livre de chevet qui m’a accompagnée pendant 30 ans, sorte d’élément référent et écrit par Johannes Kepler (1571-1630), grand astronome et scientifique de la guerre de Trente Ans qui souhaitait faire à un de ses amis, prince allemand très dépressif et mélancolique , un cadeau. Ce livre s’appelle L’Etrenne ou La neige sexangulaire , c’est un ouvrage à la fois scientifique et poétique, il ne parle que du flocon de neige, d’une manière métaphorique d’une part mais aussi de manière très technique avec des croquis, cette forme est pour lui celle qui se rapproche le plus du rien. Cela aussi est une question qui m’interroge. Puis je me suis intéressée à des pré-scientifiques qui peuvent être Aristote, Lucrèce qui ont écrit des textes sidérant de beauté sur les météores (terme qui désigne tout ce qui se passe dans les milieux élevés de l’air). Ces élément qui sont constants, pour certains sans forme, sans durée, que ce soit le nuage, la goutte de pluie, le cristal de neige… Ce qui m’intéressait c’est une approche sentimentale du Monde et une approche optimiste où l’enchantement a sa place.

Documentation

 » Il y aurait peut-être chez moi une fascination pour la science et son discours, conjointement appréhendés par les scientifiques, les philosophes et les artistes depuis la Renaissance … pour ce qui dans ce discours renvoie à l’innommable et à l’indicible, sur fond d’observation et d’expérimentation », Nathalie Talec , extrait du catalogue  » Coup de foudre », Fondation EDF- Espace Electra

T.G.P. : Quelle est la place de l’histoire de l’art dans la peinture ?

N.T. : Il s’agit de croisements, de collages, des hybridations, ce sont aussi comme des morceaux de mon cerveau où ce sont agglutinés des images, des motifs qui ont beaucoup à voir avec l’histoire de l’art, avec le plaisir de regarder, avec aussi une sorte de goût pour tout ce qui me semble balbutié. Je ne vais pas me confronter à des oeuvres, ce qui m’intéresse c’est de voir à travers les interstices, ce que l’homme a réussi à produire d’inventif. Cela peut être les enluminures, les manuscrits médiévaux, mais cela peut être un tout petit motif sur une céramique. C’est comme si je laissais les choses s’incruster dans mon cerveau et ensuite certaines choses vont s’éroder et d’autres vont m’obséder. C’est pour cela qu’il n’y a pas de style, cela part dans tous les sens, le style est ma vie, les histoires que je me raconte ou que les autres me racontent et les rencontres vivantes humaines qui me font avancer.

La banquise, un lieu métaphorique.

T.G.P. : Qu’en est-il de votre engagement pour la sauvegarde de la banquise ?

N.T. : Quand j’ai commencé à travailler sur le Groenland, personne ne s’y intéressait, que ce soit les scientifiques, les météorologues , les géographes, il n’y a que Paul-Emile Victor qui dans certains de ses textes, disait qu’il fallait commencer à prendre conscience que les choses allaient évoluer. Il y a une dizaine d’années environ que beaucoup d’artistes font de la banquise et des icebergs un fonds de commerce, je ne me sens pas du tout concernée parce que cet espace est pour moi un lieu métaphorique. Je suis pourtant concernée par la réalité et j’essaie d’imaginer des choses possibles. On n’échappe pas à la nature mais je crois qu’il faut échapper à notre propre nature pour pouvoir prendre en compte ces évènements climatiques, ces transformations qui existent depuis des millénaires.

Interview réalisé par Florence Briat-Soulie le 9 février 2021

Biographie Nathalie Talec

Cat Loray à la Galerie Fernand-Léger à Ivry-sur-Seine

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PAR STEPHANIE DULOUT

Des sculptures en céramique suspendues de toute beauté

Bien qu’il faille s’aventurer de l’autre côté du périphérique et braver les interdits sanitaires (la galerie étant municipale, seules les visites privées sur rendez-vous sont autorisées…), la visite de l’exposition de Cat Loray à la galerie Fernand-Léger d’Ivry-sur-Seine est une expérience bienfaitrice dont les amateurs de calme, de douceur et de beauté auraient tort de se priver en ces temps troublés. Un voyage salutaire et revigorant dans des mondes flottants immaculés contrastant avec le gris sale de la ville et la brutalité de l’architecture environnante (non dénuée d’intérêt, au demeurant – voir plus bas).

Silencio, céramique, faïence cirée, fil suifé, diamètre 210 cm, 2021

Davantage qu’un simple accrochage d’œuvres, cette exposition constitue, en effet, une véritable expérience immersive. Une véritable immersion dans l’espace, mais aussi dans le mouvement, le flottement et la fragmentation, l’ondoiement et l’oscillation des formes : de la pluie d’aiguilles composant le nuage en lévitation Virga (un mobile composé de centaines de bâtons de céramique suspendus à des fils de nylon) à la monumentale vague (Wave) déployant sa résille d’anneaux (de céramique, toujours) en courbes et contre-courbes dans la dernière salle, on a plus l’impression de nager ou de flotter que de marcher… Une impression de tangage accentuée par le sol pentu de la première salle de cet ancien cinéma reconverti en galerie. Pouvant évoquer la cale d’un navire, comme prises en étau entre le sol fluctuant et le plafond bas, les hautes cimaises blanches délimitant l’espace d’exposition sans le cloisonner, contribuent elles-mêmes à cette impression de flottement et de fluidité dont l’artiste a su pleinement tirer parti. 

Des mondes flottants en suspens

Plus de mille anneaux tissent l’ondoyante Wave suspendue à quelques centimètres du sol (céramique, faïence cirée, fil suifé, métal, 380 x 850 cm, 2020).

Pour être modelées, pièce par pièce, à la main avant d’être cuite au four puis patiemment assemblées, les œuvres de Cat Loray n’en demeurent pas moins des installations ne prenant forme, et vie, que dans l’espace. Après l’étape du façonnage, celle de l’assemblage et de la mise en place in situ est donc primordiale. 

C’est aussi dans la solitude et le silence, dans un état de très grande concentration et presque de méditation, que l’artiste nous a confié passer ses longues journées de montage, lequel constitue la « part inattendue fondamentale après le premier travail préparatoire de fabrication des éléments », le moment où le projet initial modélisé en 3D peut basculer car c’est le moment où se fait toute la recherche sur la perspective…  

Outre la beauté des matières (la matité et la blancheur un peu terne de la céramique) et la pureté des formes (bâtons, cônes, anneaux), c’est bien par cette mise en espace que la magie opère. Et par-delà la prouesse technique, car, prouesse technique il y a : plus de mille anneaux ont été patiemment modelés, cuits et suspendus pour composer l’ondoyante Wave suspendue à quelques centimètres du sol, tandis qu’un essaim de quelque sept cents aiguilles forment la nébuleuse Virga

Une pluie d’aiguilles forme la nébuleuse Virga (céramique, faïence cirée, fil suifé, 330 x 400 cm, 2021).

Véritable tour de force, le rideau d’aiguilles suspendues dessinant ce nuage en lévitation (Virga désigne un phénomène météorologique consistant en des précipitations retenues dans des nuages en suspens, ne retombant jamais au sol) en restitue à la fois toute la densité et l’évanescence par le jeu virtuose des pleins et des vides, des chevauchements et des décalages et des ombres. Œuvre cinétique à part entière, elle semble se mouvoir et presque faire pleuvoir ses raies de lumière sous nos yeux. 

Quand les vibrations donnent à l’espace sa profondeur…

Non moins hypnotique, la pièce Silencio consistant en une suspension spiralée composée de cônes est pure merveille. Suspendu à 50 cm du sol, ce cercle de cônes évoquant des cloches, de 2m de diamètre, semblant, lui aussi, léviter, paraît abolir toutes les frontières entre la forme et la lumière, le silence et les vibrations, le mouvement et la profondeur… Construit, non pas sur la structure de la spirale classique, mais sur celui de la spirale phyllotaxique (phyllotaxie spiral) aux rayons courbes, il dit toute la profondeur et la poésie de la démarche de l’artiste recherchant, à travers les formes naturelles (organiques, végétales, météorologiques…), non pas « l’effet esthétique » mais la beauté intrinsèque, palpable, tangible, viscérale et éminemment poétique du vivant. La danse spiralée des cônes suspendus dans le vide de Silencio fait résonner la beauté du silence par le souffle de l’air qui les fait se mouvoir et parfois, peut les faire tinter… Et c’est cet imperceptible mouvement qui, tout à coup, peut donner à l’espace sa profondeur.… Une prouesse technique et un minimalisme des plus poétiques … 

                     

A gauche : Wave (détail) et Colonia, dessin au fusain compressé, 2015.
A droite : Résilles, fusain compressé sur papier, 150 x 107 cm, 2016.

Recelant de multiples facettes, des surprises, des faces cachées…, changeantes et mouvantes…, mêlant l’air à la matière, le palpable et l’impalpable, l’ombre et la lumière…, les mobiles en porcelaine de Cat Loray sont comme des poèmes : ils éveillent les sens, suscitent la rêverie et ne se livrent pas entièrement au premier regard… Il faut lentement s’en approcher, tourner autour, s’éloigner à nouveau et y revenir par un autre angle de vue pour les découvrir dans leur ensemble et dans toute leur profondeur, mais aussi les voir se métamorphoser au gré des variations lumineuses. Ainsi la pièce Silensio, parvenant miraculeusement à nous faire entendre le silence, suspendue très bas, apparaît comme une énigme, une nappe de cônes dédoublés par leur reflet les transformant en larmes ou en gouttes : une fascinante et oh combien poétique distorsion des formes…

Un minimalisme sensuel et poétique

Toutes de douceur et de pureté, du fait du lissé et de la sourde blancheur de la faïence cirée utilisée, mais aussi de la simplicité et de la fluidité de leurs formes, ces installations nous conduisent à une nouvelle perception de l’espace, et par là-même, à une véritable expérience sensorielle, du flottement et de l’ondoiement – une plongée dans des mondes en suspens provoquant un salutaire effet d’apaisement… Si elles s’inspirent de formes naturelles, organiques, issues de paysages ou de phénomènes météorologiques – l’artiste dit se nourrir de tout ce qui nous entoure –, ces « espaces circulatoires sensoriels » s’offrent aussi comme une retranscription toute intériorisée des sensations et des perceptions de leur créatrice, qui dit vouloir « donner l’essentiel, transmettre l’essentiel des choses qui nous touchent ».

Sans titre, pastel et crayon sur papier, 150 x 150cm, 2017.

  

Accrochés à même les murs, entre chaque installation, dans une belle osmose, les dessins monumentaux de l’artiste témoignent de la même délicatesse et de la même quête de profondeur et de densité dans le plus pur minimalisme. Consistant en une superposition de traits (ou de points) et de matières (pastels et crayons sur papier), ces dessins sont le fruit d’un travail « presque méditatif », selon les termes de l’artiste, sur le geste et la répétition. Evoquant tout à tour des écheveaux, des cocons, des nids ou des aiguilles, ces tracés révélant le rythme et l’intensité du geste inlassablement répété, ont une telle densité, une telle épaisseur malgré leur planéité, qu’ils semblent presque s’arracher du mur et devenir sculptures… Autre prouesse faisant fi des frontières traditionnelles séparant les genres, les supports et les espaces (bidimensionnels ou tridimensionnels)… Un art virtuose de la métamorphose.

Cat Loray ©Stéphanie Dulout

                               

                                                                                                                                                                                 

                  

http://www.catloray.com

Visites sur rendez-vous avec l’artiste via catloray@gmail.com

Jusqu’au 13 mars 

Galerie Fernand Léger 

93, av. Georges Gosnat94 200 Ivry-sur-Seine

T. : + 33 (1) 49 60 25 49

fernandleger.Ivry94.fr

Métro : mairie d’Ivry, ligne 7 – RER : Ivry-sur-Seine, ligne C

KR, kiosque Raspail, 4, rue Raspail – Galerie Fernand Léger hors les murs © Stéphanie Dulout
Visibles jour et nuit, les Larmes blanches (220 x 80 cm, 2011) suspendues dans le kiosque Raspail, à deux pas de la galerie
Fernand Léger. 

Immanquable et vintage en diable, le kiosque Raspail (du plus pur style seventies) au milieu des Etoiles d’Ivry, un ensemble architectural social signé Renée Gailhoustet et Jean Renaudie, édifié entre 1969 et 1975, dans un style brutaliste, et labellisé « Patrimoine du XXème siècle ». Ne manquez pas le détour… 

Quelques questions posées à Cat Loray 

Propos recueillis le 13 février 2021 par Stéphanie Dulout

 – The gaze of a Parisienne : Que symbolise ou représente pour vous le blanc ? 

– Cat Loray : Le blanc est pour moi la couleur de tous les possibles. Il y a d’infinies nuances de blanc. Il y a des blancs chauds, des blancs froids, des blancs crayeux, mats, brillants… 

On définit le blanc comme une non couleur, alors que c’est la couleur la plus visible dans la nature. Le blanc englobe toutes sortes de notions : l’espace, le vide, la lumière, la plénitude, le silence. Le blanc réfléchit la lumière, et nous renvoie des ombres. Ce n’est pas pour rien que l’une des plus grandes œuvres du XXème siècle est un Carré blanc sur fond blanc (Malevitch). 

Le blanc, c’est pour moi la liberté de dire les choses à travers une matière, une forme, une texture. Dans mes céramiques, j’ai longtemps cherché la terre qui, en cuisant, me donnait ce blanc à la fois mat et profond.

T.G.P : – Vos oeuvres sont suspendues, parfois à quelques centimètres du sol, comme votre pièce circulaire Virga. Pourquoi ? Pourriez-vous nous parler de ce que vous recherchez à travers ces dispositifs en suspension, ce que vous cherchez à provoquer ou à nous faire éprouver à travers eux ?

C.L. : – Mon travail nait de l’observation des choses qui nous entourent, et le rapport de ces choses entre elles. Mes œuvres ont toutes un rapport au corps et à l’espace qui les occupent. On est dans l’ordre du sensible, comment appréhende-t-on ce qui nous entoure ? 

Virga est une pièce qui est faite de centaines d’aiguilles en céramique, je l’ai nommée ainsi car la virga est un phénomène météorologique, ce sont des pluies retenues dans les nuages mais qui ne touchent jamais le sol, c’est un paysage très poétique qui provoque des formes incroyables dans le ciel. J’ai ainsi donné ce titre à l’exposition, j’ai trouvé la métaphore très belle, dans la mesure où toutes mes installations ont un rapport très fort au sol mais ne le touchent jamais, elles l’effleurent mais ne le touchent pas.

Virga a été conçue pour le lieu, je l’ai tissée petit à petit dans l’espace, en prenant en considération les contraintes du lieu. D’une part la pente, qui modifie la perception de l’espace et d’autre part, l’absence de lumière du jour qui m’a permis de réfléchir sur la projection et le sens des ombres.

Si mes œuvres sont suspendues, c’est qu’elles nous questionnent dans un espace-temps. La suspension c’est pour moi un moment de réflexion, un instant, un temps suspendu.  C’est aussi la fragilité, les éléments sont tous suspendus par des fils, un léger courant d’air provoquera d’imperceptibles mouvements qui donneront à leur tour un son, le son de sa matière, de sa forme.

La suspension c’est la mobilité, c’est le rapport à l’espace, c’est aussi la possibilité au spectateur de se confronter à l’œuvre, de tourner autour, de sentir, de toucher.

C’est aussi pour moi la liberté de redessiner l’espace comme quelque chose qui peut sans cesse évoluer, qui n’est pas figé.

T.G.P :– Quel statut donnez-vous à vos dessins ? Sont-ils des oeuvres en soi ou des oeuvres préparatoires ? Des desseins (au sens italien de disegno) ou des dessins ? Des dessins dans l’espace, cherchant à outrepasser la planéité de la feuille et du mur, ou des sculptures en germe ?…

C.L. :- Le dessin est la base de mon travail. Il est une nécessité en ce sens il est un dessein puisqu’il répond à une exigence, à une volonté. J’ai toujours avec moi des tas de carnets où je note des choses, des idées… Je fais beaucoup de dessins, je passe du petit format, en général, par terre, au grand forma,t au mur. Depuis quelques années, je me suis posée la question du geste, et du rapport entre mon corps et le geste de ma main. En fonction des formats, mon geste est évidemment différent. Dans l’exposition, je montre différents dessins qui impliquent ces gestes répétitifs : le trait, le point, la forme. Twombly disait à propos de son geste : « Je sais ce que je fais, mais je ne sais pas ce que je produis. » Je comprends cette notion, lorsque je commence à dessiner je ne sais pas où je vais aller, mais je ne peux pas m’arrêter car je risque de ne plus retrouver cette énergie, ce geste. Roland Barthes, à propos de Twombly, évoque la maladresse de la main ; en effet, lorsque l’on répète un geste, le trait se déforme, et c’est le moment le plus intéressant car c’est l’instant où tout prend forme.

Mes dessins sont, en somme, des sculptures, et mes sculptures, des dessins, car pour moi c’est un ensemble indissociable, la démarche et la façon de faire est identique, à ce propos vous pouvez constater que les ombres portées des œuvres sont des dessins à part entière.  

T.G.P :– Sauriez-vous décrire votre passage de la deuxième à la troisième dimension ? Le passage de l’une à l’autre, de la planéité à l’occupation / l’appropriation de l’espace ? Est-il un appel irrépressible, une tension, un besoin, un désir ? 

C.L. :- Le passage à la troisième dimension est comme une évidence par rapport à mon travail, car mes peintures, comme mes dessins, sont, en somme, destinées à être des sculptures dans l’espace. J’ai toujours abordé l’espace du papier, ou de la toile, comme ouvert, sans limite de cadre ; en ce sens j’ai toujours débordé de ce cadre : les toiles, comme les papiers, sont pour moi des possibilités de m’étendre, de ne pas me contraindre au cadre imposé. Je construis mes œuvres en trois dimensions de la même manière qu’en deux dimensions.

T.G.P :– Quels liens tissez-vous dans vos œuvres entre l’espace, la matière, la couleur et les sons ou le silence ? 

– Toutes ces notions sont pour moi un ensemble indissociable. La forme a une matière, la matière une couleur, la couleur un sens. Dans l’exposition, toutes les œuvres suspendues appellent le son mais pourtant elles sont silencieuses. Ce qui m’intéresse c’est l’évocation d’un mouvement, d’un son, d’une présence.

T.G.P :– Considérez-vous vos œuvres comme des sculptures ou des installations ? 

C.L. :- C’est toujours difficile d’attribuer une pratique ; l’installation est souvent constituée d’éléments prenant en considération l’espace, ce sont souvent des œuvres in-situ. J’appartiens aux deux : la frontière entre sculpture et installation est fragile. Je dirais plutôt que je redessine les espaces. Mes dessins sont des sculptures, mes sculptures, des dessins en trois dimensions.

T.G.P :– Quelle est pour vous la part principale, la plus importante, pour chaque nouvelle création, entre la conception, le façonnage (le modelage) et le montage ?  

C.L. :- Ma pratique demande du temps, ce temps du « faire » est important pour moi, c’est un moment de réflexion. Prendre le temps c’est aussi sentir la matière que je façonne ; c’est dans la répétition, que je conçois petit à petit les œuvres.  Chaque étape me rapproche un peu plus d’une finalité, mon processus de travail me permet beaucoup de liberté, et surtout celle de ne pas considérer l’œuvre comme terminée.

T.G.P :– Qu’est-ce que pour vous la sculpture au XXIème siècle ? Doit-on encore parler de sculpture ? 

C.L. : -La sculpture existera toujours. Aujourd’hui, il y a un champ immense d’expérimentations, de formes d’expression, de centres d’intérêt. Les nouvelles technologies permettent de nouvelles réflexions. L’artiste aborde aujourd’hui des façons de faire très diversifiées, l’art évolue, mute aussi vers des formes nouvelles du regard et de l’interprétation. Mais on peut voir aussi qu’à travers toutes ces nouvelles préoccupations, la sculpture et la peinture sont toujours très présentes.

Coussins, pastels et crayons sur papier, 150 x 150 cm, 2016.

La Galerie Fernand Léger 

Emblématique de la ville d’Ivry-sur-Seine et de son engagement pour les artistes vivants et l’implantation de l’art contemporain dans l’espace urbain, la galerie Fernand Léger offre, depuis 1983, 1000 m2 aux expositions et aux résidences d’artistes, tout en portant des projets et des évènements artistiques hors-les-murs destinés à soutenir la politique culturelle active de la Ville et à valoriser sa riche collection d’œuvres disséminées dans l’espace public. Issu de commandes de la Ville, dans le cadre de la Bourse d’Art monumental ou de la procédure du 1%, ce patrimoine artistique urbain comprend, notamment, les fresques (classées Monuments Historiques) de Fernand Léger illustrant le poème d’Eluard Liberté, j’écris ton nom (1953), le Mur vivant de Gérard Chireix (1975), la Sculpture-clôture de Jean-Jacques Staebler (1974) ou encore la Matrice d’Agnès Thurnauer (2018-2019). Parmi les artistes ayant été exposés à la galerie, citons enfin : Daniel Buren, Jean-Pierre Pincemin, Tania Mouraud, Georges Rousse, Dewar & Gicquel, Francisco Ruiz de Infante, ou encore, Clément Borderie, le mari de Cat Loray…

Les petits plats dans les grands, le design au service de la table

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PAR CHARLOTTE LE GRIX DE LA SALLE

En partenariat avec la Manufacture de Sèvres , à la Galerie Aveline

Au premier plan : Kristin McKirdy « Nature morte », 2012, Porcelaine : coupe et 66 éléments n°4/8. Réalisation en 2012.

A l’heure où les réunions et les grands repas sont interdits, cette invitation !

Que peut encore vouloir dire « mettre les petits plats dans les grands ? »

Rappelons-nous, déjà, de cette expression du XIXe siècle, qui signifie que l’on engage des frais ou que l’on fait de gros efforts pour plaire à quelqu’un. Le « petit plat », c’est cette nourriture cuisinée avec soin, dans notre cuisine, notre intimité.  Les « grands plats », ce n’est rien d’autre que l’apparat, la façon de les présenter. Une vaisselle qui en jette !

Vue d’ensemble ©The Gaze of a Parisienne

Et ça en jette à la Galerie Aveline !

Courez-y puisque musées fermés mais galeries ouvertes, le beau se montre et se trouve, quoi qu’il arrive.

Et la table !  Ce talent si jouissif et raffiné à la fois, si jalousé et méprisé en même temps parce qu’il est le signe d’une classe sociale. Et sur ces tables, sur ces nappes, la porcelaine. 

De la porcelaine, vient souvent l’image d’un éléphant dans un magasin. Ou bien une analogie avec la blancheur ou la transparence. La fragilité et la solidité qui a traversé les siècles, un éclat à nulle autre pareille.

Camille Leprince et Marella Rossi ont eu la brillante idée d’installer au milieu de cette sublime Galerie, au milieu des meubles XVIIIème qui l’occupent, à la lumière détournée de la verrière, les pièces les plus modernes et les plus anciennes de l’art de la porcelaine. Faut-il dire art ou artisanat d’ailleurs ?

Leur inspiration et leur exigence les a naturellement dirigé vers Sèvres. La Manufacture. Le temple mondial de la porcelaine depuis le XVIIIème Siècle. 

Auparavant, ce que l’on appelle la porcelaine dure, une céramique fine et translucide, produite à partir d’une argile naturelle et particulière, le kaolin, par cuisson à plus de 1200°, n’était connue et produite qu’en Chine depuis des Siècles. 

En France, il faudra attendre le XVIIème Siècle, et la découverte de gisements de kaolin dans la région de Limoges pour reproduire cette technique si élaborée. Puis la volonté de la Cour, notamment de Madame de Pompadour, de vouloir faire rayonner la Royauté grâce à cet incroyable savoir-faire.

Vue d’ensemble ©The Gaze of a Parisienne

Le bleu et blanc de la Chine, recopiés à Delft puis à Sèvres. Ce blanc que Sèvres arrivera à purifier pour le rendre incomparable. Ce bleu, qui sera recréé pour donner naissance à deux bleus incomparables, jamais parfaitement imités, le Bleu Céleste, un turquoise que l’on retrouvera des décennies plus tard sur les vaisselles impériales,  et ce fameux bleu de Sèvres, aussi profond qu’éclatant, qu’a sans doute jalousé Klein au point de créer son propre bleu.

Sèvres – Manufacture de la République Française. Vase à pans coupés, fon « bleu de Sèvres » etconstellation fleurs or. 1920 Porcelaine dure « Nouvelle ». Haut : 99,6 cm.

La porcelaine, si elle a traversé les Siècles jusqu’à nos listes de mariage, reste délicate et fragile. D’ailleurs, à l’époque, elle ne restait réservée qu’aux salades et aux desserts, sans risque de rayures. Pour la viande, le métal restait la norme. D’où la délicatesse de certaines assiettes, véritables œuvres d’art restées intactes.

Mélanger des œuvres d’art et de délicatesse, les associer aux créations d’artistes contemporains, pour certains résidents à Sèvres, voilà la créativité et la richesse de cette exposition, devrais-je dire installation, la porcelaine d’exception, la porcelaine de toujours, la porcelaine d’aujourd’hui, ensemble, sur la table. 

Sur la table au second plan : Fabrice Hyber – Silhouette”, 2015
Au premier plan sur la table : Emmanuel Boos – cubes en porcelaine, émaux colorés

©The Gaze of a Parisienne

Nous sommes des visiteurs, mais nous voilà presque reçus…

Commissariat :

Camille Leprince, expert et antiquaire spécialisé dans la céramique ancienne européenne.

& Marella Rossi


« Les Petits plats dans les grands – Le Design au service de la table « 

Une exposition à voir jusqu’au 8 juin 2021, entrée libre.

En partenariat avec la Manufacture de Sèvres , à la Galerie Aveline

94 rue du Faubourg Saint Honoré
Plave Beauvau, 75008 Paris
www.aveline.com


Barbier-Mueller: Histoire de l’exceptionnelle collection, le musée et l’exposition actuelle avec Steve McCurry

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Barbier-Mueller, ce nom mythique associé à la plus célèbre collection privée d’Arts traditionnels non-occidentaux au monde, m’a toujours fascinée. J’étais impatiente de me rendre dans le musée éponyme à Genève, pour me plonger dans l’histoire de cette famille. Découvrir la genèse de leur collection, la création et la vie de ce musée, jusqu’à l’exposition actuelle, réunissant les images captivantes du photographe Steve McCurry aux extraordinaires objets d’Arts lointains des Barbier-Mueller .

Exposition Steve McCurry & Musée Barbier Mueller , Wabi-sabi .

La Collection

La passion sans limite de Josef Mueller (1887-1977)

« J’ai découvert le but de ma vie, le pôle vers lequel toutes mes pensées, mes efforts, mes sentiments vont se diriger. Et cette étoile qui brille devant mes yeux, dans la nuit du monde changeant et agité, cette étoile solitaire, lointaine et tranquille, c’est l’Art » lettre écrite par Josef Mueller à un ami en 1911

Portrait de Josef Mueller par Ferdinand Hodler, 1916

En 1907, Josef Mueller a 20 ans. Il dépense l’intégralité de son revenu annuel pour acheter une oeuvre du grand peintre Suisse Ferdinand Hodler . Oeuvre provocante, ce tableau qui a la particularité de représenter des corps nus, fait scandale. Hodler, lui-même, est très surpris de découvrir que l’acquéreur de sa toile est un tout jeune étudiant et non un Musée. Cet achat marque le début de la vie de collectionneur de Josef Mueller, dont l’oeil incroyablement avisé déniche les chefs-d’oeuvre d’artistes contemporains avant qu’ils ne soient inaccessibles.

Portrait de Fernande Olivier 1906, Picasso. Il fascine Josef Mueller qui l’achète plus tard aux parents de son camarade.

Qui aurait pu prédire un tel destin pour cet enfant, né à Soleure en Suisse, orphelin de père et mère à 6 ans et élévé par sa gouvernante? Il est vrai que dès sa jeunesse, il s’intéresse déjà davantage à la littérature qu’aux activités industrielles de sa famille. Le déclic pour l’art pictural se produit lors d’une invitation chez un camarade de classe dont le père possède une remarquable collection de peintres modernes. Il est fasciné par un portrait de la période rose de Picasso. L’histoire est belle puisqu’il l’achètera plus tard aux parents de son ami.

Devenu majeur, Josef Mueller renonce à sa carrière dans l’industrie horlogère pour s’adonner entièrement à sa passion de l’Art. Il achète vite. A 30 ans, il possède déjà une belle collection, réunissant des oeuvres de Cézanne (dont le jardinier Vallier), Renoir, Matisse, Braque, Hodler et même quelques pièces de Picasso . Il fréquente des artistes Suisses tels Giuseppe Giacometti ou Felix Valloton dont il acquiert des toiles.

Paris, capitale de l’Art!


Josef Mueller photographié dans sa réserve. Abm-archives Barbier-Mueller.

En 1920, Josef Mueller part vivre à Paris. C’est là qu’il va s’intéresser à ce qui va devenir l’obsession de sa vie, les Arts traditionnels non occidentaux. Selon ses dire, les artistes Européens étant devenus trop chers pour lui, il s’est lancé dans cette nouvelle aventure. « Régulièrement, Josef Mueller va aux Puces de Clignancourt avec des quantités de valises vides qu’il remplit de statuettes, masques et « fétiches » Africains« , raconte Laurence Mattet, directrice du Musée Barbier Mueller. Il entasse ces trésors dans son studio boulevard du Montparnasse avec une excitation sans cesse renouvelée. Josef Mueller achète également à quelques galeristes -tels Charles Ratton ou Paul Guillaume- qui se passionnent déjà pour ces objets, occupant une fonction magico-religieuses dans leurs communautés lointaines.

Pendant la guerre, Josef Mueller rentre en Suisse avec son imposante collection. L’ homme est un intellectuel, avide de découvertes, extrêmement curieux, mais c’est aussi un homme discret. Aussi ce n’est qu’en 1957, âgé alors de 70 ans, qu’il décide pour la première fois, de partager ses trésors et organise une exposition de sa collection d’Art Africain dans le Musée de Soleure. Avec tristesse, le collectionneur passionné constate que le public qui vient voir l’exposition, s’intéresse peu à ses pièces d’Art premiers, faute de les connaitre et de les comprendre.

Jean Paul Barbier (1930-2016), le gendre brillant, charismatique et collectionneur

Monique et Jean Paul Barbier-Mueller. Abm-archives Barbier-Mueller

En 1955, Monique Mueller se marie avec Jean Paul Barbier. Comme son beau-père, le jeune homme est passionné d’histoire et collectionne avec avidité. Son domaine de prédilection sont les éditions originales des poètes Français de la Renaissance ainsi que l’art des steppes (Mongolie etc..). Il découvre avec étonnement et fascination la collection de statuettes et masques Africains de Josef Mueller. Le virus des Arts non-occidentaux l’atteint en plein coeur. Il se met à son tour à acquérir des objets exotiques pour enrichir la collection familiale. En particulier il s’intéresse aux Arts d’Océanie, précolombiens et d’Asie du Sud Est. Porté par son enthousiasme, il achète plus en plus, des pièces rares et importantes.

Pour financer tout cela, il se transforme en entrepreneur acharné et talentueux, créant en 1960 la SPG (Société privée de Gérance), devenue un véritable empire immobilier en Suisse. « J’ai travaillé comme un fou pour arriver à subventionner les achats de ma collection. C’est pour cela que la SPG est devenue une grande Société« , explique JP Barbier dans un entretien (Geneva Show , Leman bleu).

Jean Paul Barbier-Mueller photographié dans sa réserve. Abm-archives barbier-mueller.

Ainsi, sur une centaine d’années, sous l’impulsion conjointe de Josef Mueller et de Jean Paul Barbier, se constitue la plus importante collection en mains privées au monde, d’arts traditionnels d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, de civilisations précolombiennes et antiques. Un ensemble considérable de 7000 pièces rassemblées par « deux hommes exceptionnels, passionnés d’histoire et d’Art, attirés par l’insolite, le rare et la beauté » commente Laurence Mattet .

D’un tempérament communicatif et généreux, Jean Paul Barbier ressent l’envie de partager sa fascination pour les Arts lointains et de montrer les trésors de la collection au public.

La création du Musée Barbier Mueller

En 1977, trois mois après la mort de son beau-père, Jean Paul Barbier inaugure avec sa femme le Musée Barbier-Mueller à Genève. La vocation est claire: étudier, exposer et conserver. L’idée est de faire découvrir et apprécier les arts traditionnels non-occidentaux par un large public. Ainsi fait-il appel aux plus grands experts pour étudier les trésors de la collection et raconter leur histoire; il organise aussi des prêts de pièces et des expositions en Suisse et dans les plus importants Musées d’Europe, des Etats Unis et d’Asie.

Grâce au soutien des Rockefeller et d’autre collectionneurs Américains, les chefs-d’oeuvre de la collection font l’objet de trois expositions dédiées au MET de New-York; l’une d’entre elle, « Gold of Africa » voyage dans 15 musées aux Etats Unis. En Espagne, un Musée Barbier-Mueller d’Arts précolombiens ouvre ses portes, en 1997, pour une durée de 15 ans à Barcelone, tandis qu’une troisième institution accueille les collections au Cap (Afrique du Sud) dès 2003, pendant 10 ans.

Grâce à ces efforts considérables et continus, la collection Barbier Mueller acquiert une renommée internationale.

Trois fils collectionneurs pour prendre la suite

Après la disparition de Jean-Paul Barbier-Mueller en 2016 et de son épouse Monique en 2019, leurs trois fils reprennent le flambeau.

Jean Paul Barbier-Mueller et ses fils, Stéphane, Gabriel et Thierry. Abm-archives barbier-mueller

Touchés par l’atavisme familial, les enfants sont également des collectionneurs, dans des domaines très variés: l’un s’intéresse aux armures et casques des Samouraï, l’autre assemble monnaies, médailles et peintures du XVII ème siècle, le troisième se passionne d’art contemporain et de design. Epaulés par Laurence Mattet, directrice du musée Barbier-Mueller, les héritiers s’impliquent dans le rayonnement des collections, insufflant leur vision. Ainsi depuis 2018, la mise en valeur des trésors Barbier-Mueller alterne des expositions thématiques et des mises en regard captivantes entre les objets des »Arts lointains »et la scène artistique contemporaine.

L’exposition : Steve McCurry & Musée Barbier-Mueller, Wabi-sabi (la beauté dans l’imperfection)

Steve McCurry Le Visage serein d’un Bouddha peint en couleurs vives sourit, apparemment inconscient du délabrement qui l’entoure, Indein Myanmar, 2011,
et Masque Funéraire, feuille d’or indonésie, ile de Java, 1er millénaire après JC, Musée Barbier -Mueller .
photo de l’ensemble ©thegazeofaparisienne

J’aime les photographies de McCurry, ses portraits dont les regards intenses accrochent l’émotion, ses scènes aux couleurs vibrantes comme des tableaux. Pour l’exposition, le photographe a choisi 30 images et un thème qui lui est cher, le »Wabi-sabi ». Ce concept Japonais issu d’un précepte Bouddhiste valorise la beauté dans l’imperfection; il unit l’idée de solitude, dissymétrie, simplicité, tristesse (Wabi) à celles d’altération et de vieillesse (sabi). Ainsi la beauté du Wabi-sabi célèbre les usures liées au vécu, les défauts rendant chaque chose unique, l’éphémère qui donne tant de valeur à l’instant. Une philosophie méditative qui encourage à accepter la loi de la Nature, ses imperfections, son impermanence. Les photographies de McCurry expriment magnifiquement tout cela.


Steve McCurry, Un homme marche dans des ruines. Kaboul, Afghanistan, 2003
et masque lukwakongo lega. de République démocratique du Congo,
Musée Barbier Mueller

Que peuvent avoir en commun l’exceptionnelle collection d’objets des Arts premiers et antiques et les images captivantes du photographe globe-trotteur ? « L’ouverture sur le monde, la recherche de la beauté sous toutes ses formes, et une dimension humaine sensible  » répond Laurence Mattet, commissaire de l’exposition.

L’idée de la commissaire est d’établir un dialogue basé sur l’aspect formel entre les visuels de McCurry et les objets mystérieux du Musée . Lorsqu’elle reçoit les photographies, Laurence Mattet imagine tout de suite les pièces de la collection qui leur correspondent. « C’était comme une évidence« , elles étaient faites pour se rencontrer .

Steve McCully Galapagos, 2017
et Statuettes dites « Idoles à lunettes » Irak ou Syrie, région du haut Tigre, fin du IVème millénaire avant JC, Musée Barbier-Mueller, photo d’ensemble Thegazeofaparisienne

Découvrant l’exposition, je suis absolument conquise. Dans ces ensembles, images et objets résonnent à l’unisson, liés par une magie esthétique qui se joue du temps, des géographies, des cultures.

Un sublime masque funéraire de feuille d’or, du 1er millénaire, échange un sourire avec un Bouddha satisfait au milieu des gravats, capté par McCurry. Plus loin, j’admire la ligne architecturale d’un masque du Congo (XXème) qui fait écho à la forme des ruines de Kaboul où s’avance un homme solitaire. Et comment résister à l’appel des îles Galapagos, de la pureté de son ciel et de ses cailloux, sculptés comme les « Idoles à lunettes » du Musée Barbier Mueller qui l’accompagnent.

Cette présentation magnifique captive, chaque correspondance crée une émotion; la mise en regard des exceptionnelles pièces d’Art lointains et des photographies de McCurry raconte une histoire qui célèbre nos racines communes.

Exposition Steve McCurry & Musée Barbier Mueller – jusqu’au 23 Aout 2021… Ne partez pas sans le superbe catalogue de la présentation!

Caroline d’Esneval

Paris & Grand Paris ces jours-ci

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Pauline Guerrier

Après avoir vu Cat Loray à Ivry, exposition prolongée jusqu’au 27 mars sur rdv, direction visites d’ateliers à Clichy Poush Manifesto, retour au centre de Paris dans le Marais pour découvrir So ECOLO Duo et à suivre au Drawing Lab Tierradentro de Daniel Otero Torres.

Rodolphe Baudouin « Tentative de refuge 1 » et « Tentative de refuge 2 » & Jérome Combes « Lise #2 Lac de Vassivière, FR 2019 »

Poush Manifesto

Pour l’occasion j’embarque ligne 14 direction la toute nouvelle station Station Saint Ouen flambant neuve, et je me retrouve devant cette tour ou IGH (immeuble de grande hauteur ) investie par les ateliers d’artistes. Poush Manifesto est un incubateur d’artistes qui utilise des lieux qui ont une finalité transitoire, de l’urbanisme éphémère, en 2018, ils avaient sévi à l’Orfèvrerie, ancienne usine Christofle située à Saint Denis (groupe Quartus). Ainsi tout le monde joue gagnant/gagnant.

Je commence par le haut, 16e étage néons et vue à couper le souffle sur la Tour Eiffel, je retrouve Pauline Guerrier (voir article précédent) , artiste découverte à la Fondation Sisley 3-5 Friedland. L’artiste est sortie des Beaux-Arts en 2014 et a eu comme professeur Giuseppe Penone. Elle utilise divers matériaux, techniques patchwork de tissus, marqueterie de bois aux différentes essences, un peu « diseuse de bonne aventure  » elle se passionne pour les lignes de la main qu’elle reproduit et réunit sur des plaques de verres. Une artiste lumineuse à suivre, elle est représentée par la Galerie RX qui vient d’ouvrir un nouvel espace à New York, vivement que nous puissions à nouveau voyager librement !

Au même étage je rencontre Clara Rivault, singulière qui réalise des moulages de torses dans lesquels elle coule de la porcelaine, le résultat : des feuilles de porcelaine blanches translucides, d’une grande finesse reproduisant la texture de la peau. C’est très beau comme sa sculpture La Promesse d’une Promesse deux doigts sculptés en bronze.

Pour l’occasion deux commissaires ont été invités : Hervé Mikaeloff et Anaël Pigeat , ils présentent tous les deux une sélection d’ateliers, le premier prend la suite de Gaël Charbau en tant que commissaire invité pour le futur Art Paris (reporté en septembre)

Je rencontre Louis Verret qui pendant le confinement s’est intéressé aux livres de sa bibliothèque et en a réalisé les portraits, le livre qu’il dépeint avec ses signes : un ticket de métro, une place de match de foot… bref, une série de petites toiles toutes associées à une ou deux pages de texte. Très marqué par la censure exercée sur l’artiste Philip Guston militant anti racisme dont les expositions ont été tristement annulées ou « reportées » de peur que sa série sur le Ku Klux Klan soit mal interprétée.

Caroline Corbasson rencontrée au Prix Sciences Po 2015, l’artiste fait partie de la sélection de la critique d’art Anaël Pigeat. Caroline Corbasson explore par ses dessins, vidéos, sculptures, notre perception de l’espace tout en tenant compte des progrès des scientifiques et dernières technologies.

Caroline Corbasson – Sélection Anaël Pigeat © The Gaze of a Parisienne

La tapisserie est à l’honneur ces dernières années, l’artiste Julian Farade devant un métier à tisser tout neuf m’explique un point de broderie qu’il a mis au point pendant le confinement.

Julian Farade

Dans un autre style à découvrir au 13e étage l’artiste Desire Moheb-Zandi qui mêle tradition et modernité dans ses tissages, enfant, en Turquie, elle a observé sa grand-mère de longs moments utiliser le métier à tisser – SuperzoomArt

Desire Moheb Zandi © Superzoom

la suite Poush en image

http://manifesto.paris/projet/poush/

So ECOLO Duo

Jérome Combes « Entre deux Eaux *12 Bretagne, FR 2009″ et  » Entre deux Eaux *15 Bretagne, FR 2009″ & Rodolphe Baudoin  » Rhôôôôô ! »

Je poursuis ma visite au centre de Paris rue des Guillemites, pour visiter So ECOLO Duo, un titre qui m’inspire, une exposition dont la commissaire est Isabelle de Maison Rouge qui m’avait fait visiter Jardinons les Possibles aux Serres de Pantin (cf article précédent) , elle était co-commissaire avec Ingrid Pux. So ECOLO Duo s’inscrit dans une suite de Pantin, Isabelle de Maison Rouge a réuni les deux artistes Rodolphe Baudouin et Jérôme Combe, tous deux présents aux Grandes Serres. Les cabanes perchées de Rodolphe Baudoin en carton, bois et divers matériaux de récupération s’intègrent parfaitement dans la palette photographique de Jérome Combes.

Rodolphe Baudouin – Slum 1 45/70 cm Carton, petits déchets, acrylique éclairage LED

Ces cabanes faites de riens trouvés ça et là nous accrochent, leur côté farfelu, le détail d’un gilet jaune, la verdure , les arbres que je retrouve dans les paysages de Jérome Combes, des indices que l’artiste pose à petites touches, non sans humour rappelant à la fois les maux de notre planète et sa beauté. La cabane Refuge ou celle de la Porte de Bagnolet, elles ne sont pas si éloignées de notre paysage. Des questions que tente Rodolphe Baudoin et les réponses ?

Jérome Combes peint, non photographie des paysages de forêts en Allemagne Verticalités , des bords de mer en Bretagne dans le Morbihan Entre-deux eaux … ces paysages deviennent méditatifs dans le Loiret, un étang avec sa barque comme une touche d’encre dessinée au loin, qui se reflète dans l’eau immobile, silencieuse. Tout semble simple, cohérent chez l’artiste, de belles images offertes au regardeur.
Une exposition prolongée jusqu’au 13 mars. https://www.isabelledemaisonrouge.com

Jérome Combes – Silence Loiret FR, 2011

Virga – Cat Loray

Et toujours à voir la belle exposition de Cat Loray à Ivry sur Seine, Galerie Fernand Léger, prolongée jusqu’au 27 mars, sur rendez-vous avec l’artiste via catloray@gmail.com cf article de Stéphanie Dulout

Cat Loray – Galerie Fernand Léger © The Gaze of a Parisienne

Tierra Dentro

Le 13 mars le Drawing Lab, rue de Richelieu ouvrira ses portes sur une nouvelle exposition https://www.drawinglabparis.com/expositions/tierradentro/ on pourra découvrir les dessins de Daniel Otero Torres dont le sujet est un site archéologique situé au nord de la Cordillère des Andes dans le Cauca en Colombie. Histoire, contes et légendes, traditions font partie des recherches de l’artistes.

Vernissage : samedi 13 mars avec la commissaire Anaïs Lepage, 17, rue de Richelieu 75001 Paris.

Más cerca de las Estrellas, 2019, Crayon couleur sur inox poli miroir, acier, 84 x 155 x 61 cm © Daniel Otero Torres

Florence Briat Soulié

OuLiPo – Ouvroir de Littératures Potentielles

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PAR SEVERINE LE GRIX DE LA SALLE

L’ANOMALIE

Hervé Le Tellier (Prix Goncourt 2020)

Maison de la Presse du Cap Ferret

Dans la merveilleuse Maison de la Presse du Cap Ferret, j’ai été présentée à un autre lecteur fou. Quand je lui demandais pourquoi ce livre au pitch génial (un avion se pose deux fois à trois mois d’intervalle et chaque passager sera donc confronté à son double), que j’avais dévoré en une nuit, m’avait peu touchée, il me répondit : « normal c’est un livre OuLiPo ! » 

© Mariegraph

Si comme moi vous ne connaissiez pas ce concept génial, le voici :  Ouvroir de Littératures Potentielles, un mouvement fondé par Raymond Queneau pour découvrir les nouvelles potentialités du langage et moderniser l’expression à travers des jeux d’écritures.  » L’Anomalie », quand on le (re)lit avec cette clé, trouve alors toute sa saveur : l’auteur alterne avec brio de la science-fiction, du polar, de la littérature sentimentale, de l’autofiction, bref tous types de littératures. Un puzzle intellectuellement brillant, j’aurai aimé avoir le mode d’emploi avant pour mieux l’apprécier… donc lecteurs chanceux, à vous !

Par ailleurs, cela donne envie de découvrir les drôles de zozos OuLiPiens, plutôt très drôles, qui Ou, qui Li, qui PO, qui travaillent donc, en s’inventant des contraintes : « un auteur oulipien, c’est un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir ».

Georges Perec, Boris Vian ont inventé des trucs de fous comme les projets PALF (Production automatique de Littérature Française) et LSD (Littérature Semi Définitionnelle). D’autres inventent des locutions nouvelles en distordant des proverbes et en leur assignant un sens précis. Par exemple : 

  • Tuer la poule dans le plat : attendre le dernier moment pour s’acquitter d’une tâche aussi désagréable qu’indispensable 
  • Tuer la poule devant les bœufs : faire un exemple
  • Tuer la poule sur le feu : agir de façon précipitée
Hervé Le Tellier – L’Anomalie – Gallimard

D’autres jouent à l’Acrostiche. C’est un poème qui compte autant de vers que ce mot compte de lettres, et dont le premier vers commence par la première lettre du mot, le deuxième par la deuxième et ainsi de suite.  

Virtuose de la contrainte, Hervé Le Tellier lorsqu’il était journaliste, « a commencé à écrire des petites nouvelles qui devait faire 2000 signes. Je m’amusais à remettre des textes d’exactement 2000 signes. Pas 1999 ni 2001 ».

Dans l’émouvante interview donnée au Monde (22 février 2021) il dit avoir trouvé à l’OuLiPo une seconde famille après une enfance compliquée entre un père absent et une mère folle :

« il y a une pudeur de la contrainte. Quand on parle du deuil mais qu’on en fait un sonnet ou des quatrains comme Hugo dans « les Contemplations », on n’écrit pas la même chose que sans garde-fou ». 

Et si de la contrainte naissait l’élégance ? Merci Monsieur.

PS : hâte de découvrir vos textes plus personnels : « Toutes les familles heureuses » et « Assez parlé d’amour »

Et mention spéciale à la Maison de la Presse du Cap Ferret et à ses formidables libraires (une « cave à livre » est cachée au fond), buralistes, marchand de journaux, puzzle et jouets, bref, marchands de petits et grands bonheurs.

21 Boulevard de la Plage 33970 Cap Ferret – mdpferret.audinet@gmail.com

05 56 60 62 71

Viktor et Paula Zuckerkandl, premiers collectionneurs de Gustav Klimt

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Vienne, 1900

Les secrets tragiques d’un tableau de Klimt

Gustav Klimt (1862-1918) Rosiers sous les arbresVers 1905Huile sur toileH.110 ; L.110 cm© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Patrice Schmidt

Au départ, il s’agit de l’histoire d’un couple viennois Viktor (1851-1927) et Paula Zuckerkandl, lui directeur d’une usine sidérurgique, a fait construire aux environs de Vienne le Sanatorium Purkersdorf par l’architecte Josef Hoffmann dans les années 1904/1905 et meublé par la moderne Wiener Werkstatt, architectes, artistes, designers et artisans viennois réunis, issu du mouvement précurseur ouvert à tous et pour toutes les bourses : la Sécession viennoise. Un courant très dans le vent encore aujourd’hui et rattaché par l’histoire de l’art à l’Art nouveau et au Jugendstil mais avec ses propres caractéristiques.

Gustav Klimt devant le sanatorium de Purkersdorf (©DR)

Ce Sanatorium était plus un lieu de loisirs plutôt que médical où se retrouvait toute la société intellectuelle viennoise comme le dramaturge Arthur Schnitzler, le compositeur Gustav Malher, d’autres collectionneurs comme les familles Bloch-Bauer ou Lederer…

Viktor Zuckerkandl a eu une soeur Amalia Redlich (1868-1941), trois frères Emil (1849-1910) , Robert (1856-1926) et Otto (1861-1921) marié à Amalie (voir le portrait inachevé de Klimt en 1917) qui a eu deux filles Nora Stiasny et Hermine Müller-Hofmann

Viktor et son frère Emil étaient de grands amateurs d’art, très francophiles, Emil avait épousé Berth Szeps, fille du journaliste Moritz Szeps, ami de Georges Clémenceau, son autre fille Sophie, épousera son frère Paul Clémenceau. On peut imaginer que Berth et Emil auprès de Georges Clémenceau aient eu des conversations et rencontres autour de l’impressionnisme français et surtout de Claude Monet très proche de l’homme politique français.

C’était une famille qui allait de l’avant que ce soit dans la science, médecine, les arts, une famille moderne, aisée et heureuse qui ne pouvait imaginer la tragédie dont elle serait victime.

Gustav Klimt

Viktor et Paula avaient constitué une très belle collection d’art auprès des artistes autrichiens dont le plus célèbre d’entre eux Gustav Klimt. Ils seront les premiers à acquérir une oeuvre de l’artiste, six autres suivront. Klimt fera le portrait de Paula. Une collection empreinte de mystère aujourd’hui. 7 toiles qui reprennent peu à peu leur place dans la collection Zuckerlandl, seulement 80 ans après la chute du nazisme et ce n’est pas fini.

La fin d’une époque, le XXIe siècle

Amalie Redlich soeur de Viktor Zuckerlandl et sa fille Mathilde

Le couple meurt sans enfant, une partie de la collection est vendue et le reste dispersé entre les frères et soeurs. Amalie Redlich, la soeur de Viktor, récupère au moins 2 Klimt. D’abord, Litzlberg am Attersee, restitué par le RupertinumMuseum der Moderne de Salzbourg, tableau vendu aux enchères chez Sotheby’s en 2011, une partie du produit de la vente ayant été offerte au musée. Puis un 2ème Klimt appartenant toujours à la soeur de Viktor, celui de l’église sur une rive du lac de Garde à Cassone en Italie. Cette toile, réapparue dans une collection privée, a été également vendue aux enchères en 2010 par Sotheby’s. Le produit de la vente a été divisé d’un commun accord entre le propriétaire du moment, oeuvre acquise de bonne foi, et l’héritier d’Amalie, Georges Jorisch, (81 ans à l’époque de la vente). Son père et lui s’étaient cachés à Bruxelles pendant la guerre alors que sa mère et sa soeur n’ont pas survécu à leur déportation en Pologne. Georges Jorisch s’est exilé dans les années 50 au Canada. Les oeuvres d’art avaient été pourtant mises à l’abri dans des caisses entreposées par une compagnie maritime, mais en 1947 les caisses sont vides, leur contenu ayant été sans doute volé par le marchand Friedrich Welz (1903-1980) !

«Le tableau avait été peint par Klimt pour mon arrière-grand-oncle, Viktor Zuckerkandl, qui à sa mort l’a légué à sa soeur, ma grand-mère, parce que lui-même n’avait pas d’enfant, poursuit-il. Mon père l’a vu pour la dernière fois en 1938, lors de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne. Il se souvient des tanks allemands qui sont entrés dans Vienne à ce moment.» Stephane Jorisch, petit-fils de Georges qui vit à Montréal – Mathieu PerreaultLa Presse – 25 janvier 2010

Reste toujours le mystère du portrait de Paula, est-il resté dans la famille ? où se trouve t-il caché dans une collection privée autre ? Peut-être qu’il apparaitra aussi un jour à l’occasion d’une vente ou d’une rétrospective ?

Apparemment d’importantes recherches ont été faites sur cette collection de Klimt appartenant à Viktor et Paula Zuckerkandl et toutes les toiles seraient aujourd’hui tracées.

15 mars 2021, Musée d’Orsay

Dernier évènement annoncé aujourd’hui par Roselyne Bachelot : on ne verra plus au Musée d’Orsay “Rosiers sous les arbres” peint en 1905 par Gustav Klimt (1862-1918) . L’unique œuvre du peintre à Orsay.

Roselyne Bachelot , ministre de la culture,  a décidé la restitution aux ayants-droit de Nora Stiasny nièce de Viktor Zuckerkandl, qui avait acquis cette œuvre en 1911 .

« A ma nomination à la présidence de l’établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie, j’ai souhaité apporter une attention renforcée à l’examen des provenances des œuvres dont nous avons la charge, comme à l’histoire des spoliations faites aux Juifs pendant la dernière guerre. Sortir des collections nationales un tableau d’une telle importance est une décision lourde, qui honore notre engagement collectif envers la mémoire des victimes de la barbarie nazie. » Laurence des Cars, Présidente du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie à Paris.

Nora Stiasny, « Rosiers sous les arbres »

12 mars 1938, l’Anschluss, Nora Stiasny est persécutée par les Nazis, elle est seule contre tous, dans l’obligation de rester sur place , dans une des maisons du Sanatorium. Ses proches sont partis en France, ses biens sont aryanisés. Les valeurs d’amitié tombent une à une, un amour de jeunesse la trahit, il s’agit de Philipp Häussler qui a adhéré au parti nazi dès 1933, et à qui elle est forcée de vendre « Rosiers sous les arbres ». Le roman de Stefan Zweig, le Joueur d’échecs, décrit cette ambiance de terreur, d’angoisse et de trahison qui submerge Vienne lors de l’Anschluss en 1938.

Et pourtant, cette toile sur son chevalet, ses couleurs vertes rayonnantes, les fleurs des pommiers, tâches blanches qui éclatent de beauté, comment penser que toute cette joie que représente cette oeuvre cache un si lourd secret, si noir qui resurgit 80 ans plus tard.

Gustav Klimt (1862-1918) – Portrait inachevé d’Amalie Zuckerkandl – 1917

Ce titre idyllique renferme l’enfer , une famille décimée dans l’horreur des camps. Nora et sa mère Amalie d’origine chrétienne et convertie au judaïsme, peinte également par Klimt, sont déportées en Pologne, son mari Paul et son fils Otto sont exterminés au camp de Terezin.

Inconcevable, Rosiers sous les arbres , a été acquis par le musée d’Orsay de bonne foi en 1980 à la galerie Peter Nathan à Zurich qui avait acquis cette oeuvre de Herta Blümel, compagne et héritière de Philipp Häussler. Il s’agit du troisième tableau de Klimt récupéré par la famille.

Ces oeuvres spoliées sont aussi synonymes de recherches, de temps passé à courir derrière des souvenirs, seuls vestiges parfois des familles détruites, pas seulement de familles riches. Ces découvertes, traces de vie, permettent de retisser un peu les liens familiaux même si ils n’effaceront jamais les cauchemars de cette période.

Erreur de restitution

Il existe un autre tableau de Klimt, Pommier II, ce dernier avait été restitué par erreur à la famille de Nora Stiasny  en 2001 par le Musée du Belvédère, il appartenait en réalité à la famille de Serena Lederer,, peut-être, s’agit-il d’une confusion car Rosiers sous les arbres au moment de sa vente à Philipp Häussler en 1938 s’appelait également Pommier. Depuis ce tableau a été acquis par la Fondation Louis Vuitton

Gustav Klimt (1862-1918)
A gauche : Rosiers sous les arbresVers 1905Huile sur toileH.110 ; L.110 cm© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Patrice Schmidt
A droite : Pommier II, 1916 – Courtesy de la Fondation Louis Vuitton, Paris.

Les MNR

Encore aujourd’hui de nombreuses œuvres d’art MNR  » Musées Nationaux Récupération “ récupérées en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. sont toujours en place dans nos musées et restituables immédiatement après identification du propriétaire. Dans le cas présent Rosiers sous les arbres n’est pas un MNR car ce tableau a été acheté par le musée d’Orsay postérieurement et en tant qu’oeuvre inaliénable doit faire l’objet d’un projet de loi spécifique pour sa restitution.

A savoir également que depuis 2013, les musées français doivent vérifier les provenances de leurs oeuvres .

Claude Monet (1840-1926) – Jardin en fleurs à Sainte-Adresse, vers 1866 – Huile sur toile. Musées nationaux récupération, MNR 216, oeuvre récupérée à la fin de la seconde guerre mondiale, déposée le 17 octobre 2006 au Musée Fabre, Montpellier, par le Musée d’Orsay, Paris ; en attente de sa restitution à ses légitimes propriétaires.

Fichier Rose Valland

Rose Valland (cf voir l’article The Gaze of a Parisienne) est une femme incroyable, qui pendant la guerre 39-45 a su résister aux Nazis et a fait preuve d’un grand courage. Sous leur regard, elle n’a pas hésité à inventorier les tableaux volés par les Nazis et qui passèrent en transit par la salle du Jeu de Paume.  Elle nous laisse un héritage de 900 boîtes d’archives, outil inégalé et génial de son travail de surveillance et d’espionnage, au péril de sa vie, qui a permis de restituer à leurs véritables propriétaires les trésors familiaux, partie intime de leur mémoire et chargés de souvenirs et d’attachement souvent sentimentaux. Dans la suite du travail de mémoire et de recherche historique décidé par le Président Jacques Chirac, et mis en oeuvre par la mission de Jean Mattéoli (1997), la commission pour l’indemnisation des victimes des spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation (CIVS) a pour mission de rechercher les ayants droits et de leur restituer les oeuvres d’art spoliés.

« Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité » Jacques Chirac, extrait du discours prononcé le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la rafle du Vel’d’Hiv

Restitution de Rosiers sous les arbres et projet de loi

Afin de rendre effective la restitution de Rosiers sous les arbres aux ayants droit de Nora Stiasny, le Gouvernement présentera dès que possible un projet de loi destiné à autoriser la sortie de l’œuvre des collections nationales, en vue de restituer l’oeuvre aux héritiers et réparer ainsi la spoliation intervenue en 1938.

A voir sur Arte le 21 mars

Une collection d’art et de sang. Le catalogue Goering.

de Laurence Thiriatdiffusé sur ARTE le 21 Mars à 23h50

France, documentaire, 90 mn, Schuch Productions, Flair Productions, Kaos Film/Arte, Kaos Films, ARTE GEIE, RTBF, 2020..

CHRONOLOGIE (détaillée par le Musée d’Orsay)

1904-1905 / Création par Gustav Klimt

Juin 1908 / Exposition au Kunstschau à Vienne, sous le titre Rosen, n° 11

Juin-octobre 1909 / Exposition au Glaspalast de Munich, sous le titre Rosen, n° 812

Avril-octobre 1910 / Exposition internationale de Venise, sous le titre Le rose, n° 7

14 mars 1911 / Achat par Viktor Zuckerkandl, à la galerie H. O. Miethke à Vienne

9 février 1927 / Mort de Viktor Zuckerkandl

21 mai 1927 / Mort de Paula Zuckerkandl, l’épouse de Viktor Zuckerkandl Le tableau revient à la succession Zuckerkandl

Mars-avril 1928 / Exposition et mise en vente à la Neue Galerie de Vienne, pre- mière exposition commémorative des 10 ans du décès de Klimt, sous le titre Die Apfelbaume mit den Rosen (Pommiers avec des roses) (non vendu)

27 juin-31 juillet 1928 / Exposition et mise en vente à la Sécession, deuxième exposition commémorative, sous le titre Landschaft (Paysage), n° 44 (non vendu)

Août 1938 / Vente par Nora Stiasny à Philipp Häusler ou à son beau-frère Adolf Frey, sous le titre Apfelbaum (Pommier), pour une somme inférieure à 400 Reichsmark (RM), contre une évaluation de 5 000 RM par Nora Stiasny en juillet 1938

1948 / Don d’un tableau de Gustav Klimt intitulé Pommier II par Gustav Ucicky à la Galerie du Belvédère

1966/ Legs de Philipp Häusler à Herta Blümel

1980/ Achat par l’État pour le futur musée d’Orsay, à la galerie Peter Nathan de Zurich

2001 / Restitution par l’Autriche du tableau de Klimt Pommier II aux ayants droit de Nora Stiasny

Juillet 2017 / Conclusions du Conseil consultatif autrichien sur la restitution des œuvres d’art selon lesquelles le tableau Pommier II restitué en 2001 n’était pas l’œuvre spoliée à Nora Stiasny

Juillet 2018 / Démarches de l’ambassade d’Autriche en France auprès du ministère de la Culture et du musée d’Orsay

Septembre 2019 / Demande de restitution de Rosiers sous les arbres présentée par Maître Alfred Noll au nom des ayants droit de Nora Stiasny

Mars 2021 / Annonce de la proposition de restitution de Rosiers sous les arbres aux ayants droit de Nora Stiasny

L’incroyable musée sub-aquatique de Jason deCaires Taylor au large de Cannes

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Depuis le 28 janvier 2021, telle une cité antique engloutie par les eaux, les majestueuses sculptures sous-marines de Jason deCaires Taylor ont trouvé, dans les fonds méditerranéens, leur écrin naturel. L’artiste est un pionnier en la matière; en 2006, il a créé le premier parc de sculptures immergées au Monde, au large de l’ile de Grenade (Caraibes). Ce musée sub-aquatique extraordinaire qui interagit avec le monde vivant des mers et des océans, est considéré par le magazine National Geographic comme l’une des 25 merveilles du monde.

Jason deCaires Taylor Viccisitudes , Genada (Caraibes), 2006. Photo ©Jason deCaires Taylor

Suivent plusieurs projets d’envergure , tels le MUSA (Museo Subacuatico de Arte) réunissant 500 immenses oeuvres sculptées au large du Mexique, ou encore le Museo Atlantico un ensemble impressionnant de plus de 300 oeuvres près de Lanzarote (iles des Canaries).

Jason deCaires Taylor, Museo Atlantico , Lanzarote -Espagne , 2016. ©Jason deCaires Taylor

Par amour de la mer

‘Je voulais raconter une histoire sur la mer et rappeler à quel point cet endroit, si fragile et délicat, doit être protégé.’ Jason deCaires Taylor

Jason deCaires Taylor The Silent Evolution , Cancun, Mexico MUSA, 2009, ©Jason deCaires Taylor

Ardent défenseur de l’environnement, Jason deCaires Taylor crée un landArt engagé. Ses oeuvres portent un message fort et jouent elles-mêmes un rôle pour conserver et raviver la faune et la flore marine. Ses sculptures, faites de ciment de qualité marine, s’intègrent à l’écosystème et deviennent des habitats pour les poissons, algues, coraux etc.. qui s’y développent. Avec le temps, la nature s’installe, laisse son empreinte sur le ciment, magnifiant son travail.

Jason deCaires Taylor, Viccisitudes, Grenade (Caraibes), développement de la biodiversité des océans sur les sculptures , ©Jason deCaires Taylor

Le premier éco-Musée de France et de Mediterrannée

Jason deCaires Taylor, Ecomusée au larges de Cannes – Six masques immergés près de l’ile Sainte marguerite, 2021. Photographie et crédit ©Jason deCaires Taylor

Six masques sculptés, de 2 mètres de haut et pesant 10 tonnes chacun, ont été plongés devant l’ile Sainte Marguerite, le 28 Janvier 2021. Pour ces oeuvres, Jason deCaires Taylor s’est inspiré de l’histoire du masque de fer -la légende dit qu’il était le frère présumé de Louis XIV- qui fut emprisonné à vie sur cette même île. Situé à 3 mètres de profondeur, ce parc de sculptures sous-marines offre un spectacle saisissant, visible par tout plongeur muni simplement d’un masque et d’un tuba.

Les créations de Jason deCaires Taylor nous emmènent dans un monde étrange et envoûtant. Ses impressionnantes sculptures sont sublimées par la beauté de l’univers aquatique et se métamorphosent au fil du temps, touchées par l’intervention de la Nature.

Caroline d’Esneval

+ d’information

Jason deCaires Taylor

« Ici mieux qu’en face » Laurence Aëgerter

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PART 1 : Florence Briat Soulie : visite de l’exposition « Ici mieux qu’en face »

PART II : Marie Simon Malet : Laurence Aëgerter et la photographie

Laurence Aëgerter, Longo Maï, 2013. Série de tapisseries : Bains de Midi et Bains de Minuit. Tapisserie Jacquard en fils mixtes dont laine de mohair, fils lurex et phosphorescents. Commandées par le Musée Borély des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, Marseille. 270×135 cm.

Regard d’artiste

Un lundi de printemps au Petit Palais, seulement en rêve, nous ne verrons pas les cerisiers en fleurs, tristement les portes sont restées closes depuis le 29 octobre jusqu’à nouvel ordre.

Nous ne verrons plus non plus l’exposition de Laurence Aëgerter, un regard d’une artiste sur les collections du Petit Palais, une exposition qui aurait dû se terminer et se voir jusqu’au 28 février, mais qui se trouve comme tant d’autres prolongée pour finalement ne plus être vue du tout, même si le public avait eu l’espace de quelques jours la possibilité de voir les installations de l’artiste, cette exposition ayant commencé le 6 octobre 2020.

Laurence Aëgerter « Ici mieux qu’en face » 2020 – Miroir gravé. Au premier plan l’artiste et à droite dans le miroir Christophe Leribault, directeur du Musée.

J’étais à Arles aux dernières Rencontres et j »avais découvert le travail de Laurence Aëgerter , Les cathédrales hermétiques, depuis je la retrouve fréquemment, à Art Paris, galerie Binome et aujourd’hui au Petit Palais, invitée par le directeur du lieu Christophe Leribault où elle investit tout le musée avec une oeuvre sensible et spirituelle. S’imprégnant des siècles d’histoire de l’art représentés dans le musée, elle joue avec les peintures, les sculptures, les arts décoratifs des collections permanentes . Parfois c’est de manière imperceptible, à nous de découvrir le propos de sa création.

Miroir mon beau miroir…

Une arrivée sur les lieux qui donne le ton Ici mieux qu’en face , un miroir géant installé dans ce hall gigantesque avec cette affirmation (référence à une enseigne de café face à une prison ) gravée à la main par Laurence Aëgerter, un jeu de transparence, on aurait presque pu ne pas se voir dans ce miroir !

Tout est beau dans ce Palais 1900, j’aime beaucoup cette galerie XVIIIe, les cabinets en laque sont de toute beauté, l’artiste est un peu une fée elle révèle les objets qui s’animent . C’est le cas de cette vitrine où sont posées toutes ses montres en or émaillé de scènes champêtres, inondées de confettis découpés dans 58000 photos de l’artiste ! il fallait le faire ! constatation ces milliers d’images représentent bien peu de place !

Laurence Aëgerter, Confetti, 2019, 58 038 confettis, imprimés en double face. © Laurence Aëgerter

10 années de photos en confettis

Un geste artistique qui redonne vie tout en s’impliquant dans le monde actuel, cette grande tapisserie Les 4 parties du Monde est tissée avec du fil fabriqué à partir de bouteilles en plastique recyclées, elle s’inspire d’une série de tapisseries du XVIIIe siècle dont le sujet était les 4 coins du Monde, dans un esprit de découverte. Le XXIe siècle appartient au 3e millénaire, les centres d’intérêt diffèrent, cette tapisserie très attirante au premier abord, très dans le goût du XVIIIe, se positionne en signal d’alerte sur l’écologie, la montée des eaux. Elle a été réalisée dans la ville du textile à Tilburg aux Pays-Bas.

Les quatre parties du Monde, 2020. Tapisserie en jacquard, fils composés de bouteilles en plastique recyclées. 320 X 430 cm Collection de l’artiste

Laurence Aëgerter transpose en toute liberté ses inspirations

A travers le musée, à la découverte des oeuvres disséminées un peu partout, je regarde une à une ces images transposées par l’artiste sur différents supports, tapisseries qui peuvent devenir phosphorescentes , miroir, tissages, verre, porcelaine… Laurence Aëgerter transpose en toute liberté ses inspirations, chaque réalisation très esthétique détient un sentiment, un secret, un message qu’il faut déchiffrer. Je pense aux larmes de verre de Meisenthal suspendues aux cordes de la harpe, renfermant chacune un chiffre ou une lettre symbolisant un souvenir.

Laurence Aëgerter éprouve beaucoup d’empathie pour les oeuvres , pour cette sculpture en marbre, elle crée ce tissage, manteau de protection qui la protège sans la cacher, les motifs dessinés, invisibles, de différentes cultures ayant un rapport avec la force féminine, créatrice, sont là de façon latente,

Petit Palais – Au premier plan Auguste Clesinger (1814-1883) « Bacchante » 1848 – marbre, recouverte d’un tissage en Jacquard de Laurence Aëgerter au fond face à la feneêtre Lithophanie de Laurence Aëgerter. A droite Christophe Leribault, directeur du Musée. © The Gaze of a Parisienne

« J’ai beaucoup pensé à cette femme modèle du sculpteur qui était dans une position de force mais aussi de précarité et cela m’a donné envie de prendre soin d’elle » … Laurence Aëgerter

Dans la grande galerie XIXe siècle, je suis frappée par la beauté de cette plaque en porcelaine de la Manufacture de Sèvres, prouesse technique, il s’agit de la plus grande lithophanie jamais réalisée. Là encore l’artiste a voulu dévoiler un daguerréotype très fragile de Léon Riesener représentant sa fille Thérèse endormie.

« J’ai eu très envie de donner une nouvelle vie à un daguerréotype qu’on m’avait montré dans les réserves, cette petite Thérèse Riesener qui dort à poings fermés. J’ai trouvé tellement touchant, doux, apaisant ce daguerréotype qui ne peut pas être exposé car la lumière naturelle le ronge. Je me suis dit que j’aimerais le faire exister à nouveau sans danger pour sa propre image. Je me suis retrouvée par hasard dans un magasin d’antiquités photographiques qui présentait des plaques de lithophanies XIXe de petite dimension. Je me suis alors demandée si il serait possible de reproduire la même chose sur une plaque plus grande. Techniquement cela a été très compliqué à réaliser, l’épaisseur de la plaque est de 6mm. C’est une image latente qui varie au rythme du soleil, c’est un peu aussi le cycle du sommeil . De l’empathie se dégage naturellement de cette petite Thérèse qui pourrait raviver en nous le meilleur » Laurence Aëgerter

Un peu plus loin, Laurence Aëgerter, a fait appel à des neurologues spécialisés dans la maladie d’Alzheimer, les photographies utilisent nos sens et pas seulement la vision, le toucher et l’odorat sont également sollicités.

Les cathédrales vues à Arles entourent son chef-d’oeuvre préféré, un soleil couchant de Claude Monet, et Laurence n’a pas résisté à la tentation de répondre au Maître avec une oeuvre Soleils couchants sur la Seine à Lavacourt , il s’agit d’une tapisserie pour laquelle elle a utilisé du mohair et du lurex qui permet d’obtenir une certaine lumière. Comme pour la tapisserie des 4 Mondes, l’artiste travaille à partir d’une photographie, qu’elle découpe et ensuite, elle fait un collage avec les morceaux.

Une extension d’une peinture qui devient une utopie, un rêve qu’elle aimerait prolonger…

J’adore la façon dont l’artiste nous incite à regarder les oeuvres du musée comme ces petites peintures flamandes du XVIIe siècle, parfois nous avons tendance à passer rapidement sans y prêter attention et voilà que Laurence Aëgerter arrête notre regard sur ces scènes intimes comme cette Balayeuse de Pieter Janssens Elinga.

A gauche : Laurence Aëgerter – PDUT945-1811261443 (Elinga) De la série Compositions catalytiques, 2018 -2020. 2019- Photographie, tirage UltraChrome.
A droite : Pieter Janssens Elinga (1623-1682) « La balayeuse », vers 1670. Huile sur toile.

J’aurais aimé vous dire courrez, allez voir cette exposition ! mais malheureusement nous vivons une époque qui n’est pas formidable.

J’apprends qu’une partie de ces oeuvres présentes dans la galerie XVIIIe, restera un peu de temps encore ce qui vous permettra cher lecteur de découvrir en partie le travail de Laurence Aëgerter.

Je vous invite faute de pouvoir voir cette exposition, de découvrir le livre qui vient d’être publié chez Actes Sud Ici Mieux qu’en face.

Florence Briat Soulié

Laurence Aëgerter et la photographie 

Laurence Aëgerter utilise une grande variété de techniques, elle est souvent qualifiée d’artiste pluridisciplinaire, qualificatif qui lui convient. Pour son exposition, « Ici mieux qu’en face », elle interagit avec les œuvres des collections permanentes du Petit Palais en disposant des installations protectrices sur certaines sculptures, des interventions délicates (telles les larmes de verre sur les cordes -sensibles- d’une harpe ancienne, Harpe qui pleure-2020), des doubles des tableaux, reproductions photographiques enrichies d’une intervention (en collaboration avec de jeunes malades de l’hôpital d’Utrecht souffrant de troubles psychotiques par exemple) … Sa relecture des œuvres du musée est brillante, un régal pour l’esprit, les sens et même le cœur. Elle convoque la photographie de multiple façons.

Laurence Aëgerter , Le sommeil, Thérésou, 2013 ; Lithophanie, porcelaine de Sèvres.

Laurence Aëgerter n’est pas une photographe au sens classique du terme, elle explore toutes les facettes du médium pour créer ses œuvres : elle décide d’imprimer dix années de photos de son portable pour les pulvériser en confettis dans une vitrine de montres anciennes comme un joyeux Memento Mori (souviens-toi que tu vas mourir),Confetti-2019, elle rend hommage aux Cathédrales de Monet avec ses Cathédrales –2014, 126 prises de vue (chaque minute pendant deux heures) de la projection de l’ombre de la croisée d’une fenêtre sur la double page d’un livre ouvert sur une reproduction de la cathédrale de Bourges; ou encore, elle conçoit une série de photographies de chefs-d’œuvre du Louvre dans lesquels le spectateur entre dans le tableau… Il y a chez elle une mise en abîme de la réalité que le grand miroir qui nous accueille à l’entrée de l’exposition symbolise parfaitement. Qu’est-ce donc qu’une photographie sinon une image révélée par la lumière ? Est-elle une illusion du réel ou le miroir du monde ? 

Dans la plaque de porcelaine en relief réalisée à la Manufacture de Sèvres à partir du daguerréotype° de Riesener, elle retranscrit la technique des origines de la photographie : une plaque qui lorsqu’elle est exposée à la lumière enregistre une image invisible dite image latente. L’image latente de la petite Thérèse ensommeillée n’apparaît que grâce à la lumière de la fenêtre devant laquelle elle est placée. 

Laurence Aëgerter PPP2576 -2006291711 (Both) 2020. Photographie, tirage C-Print

Les quatre tapisseries Jacquard tissées de fils mixtes**,Longo Maï*** 2013-2020, ont été élaborées en collaboration avec le Textil Lab du musée du textile de Tilburg au Pays Bas. Pour les cartons des tapisseries, Laurence Aegerter a superposé des photos numériques anonymes de corps de baigneurs pris en contre-plongée à de poétiques fonds marins de coraux. Les fils lurex scintillent comme les étincelles du soleil sur l’eau et, la nuit, les fils phosphorescents dont elle a choisi de tisser les corps et qui se chargent en énergie le jour donnent une présence illuminée et fantomatique aux baigneurs. Ces Bains de Midi et de Minuit évoquent ceux de son enfance dans les calanques (et les plages de Marseille où elle a grandi. C’est un éclaboussement de soleil, de reflets, une ode à la Méditerranée qui me replonge dans mes étés à Cassis et interroge chacun sur le rôle de la photographie dans la mémoire et les images du passé…

En tissant ces photos de vacances, elle noue les fils du souvenir et des émotions. En opérant un déplacement de technique et de support, elle cherche la révélation de l’image latente… Ce qu’aime Laurence Aëgerter dans la photographie c’est l’image révélée qui elle-même révèle le monde sensible. 

* Le daguerréotype est le premier procédé de photographie sans négatif donc unique sur plaque de cuivre recouverte d’une couche d’argent et révélé par la lumière. Cette plaque est sensibilisée à la lumière en l’exposant à des vapeurs d’iode qui, en se combinant à l’argent, produisent de l’iodure d’argent photosensible. Lorsqu’elle est exposée à la lumière, la plaque enregistre une image invisible, dite « image latente ».

** L’artiste avait exploré dès 2010 cette rencontre entre photographie et tapisserie avec les séries de tapisseries photographiques Soul Imprint et Four Ghosts (2010), 32 TFS Double Life (2011), The Somnambulic Archive (2012), Diogènes (2020).

*** Longo Maï, littéralement « longtemps encore » est une locution provençale utilisée pour trinquer et se souhaiter un bonheur éternel.

Marie Simon Malet

Informations

9 octobre – 9 mai 2021
‘Ici mieux qu’en face’
Exposition personnelle au Musée du Petit Palais , Paris
Commissaires Christophe Leribault, Susana Gállego Cuesta, Clara Roca et commissaire invitée: Fannie Escoulen
Grâce au généreux soutien du Fonds Mondriaan ( Fonds public néerlandais pour les arts visuels et le patrimoine culturel) et l’ambassade des Pays-Bas en France

Laurence Aëgerter (née en 1972)

Travaille entre Amsterdam et Marseille

Biographie complète (télécharger)

Livre monographique vient de paraître :


Ici mieux qu’en face

éditions Actes Sud ,

direction artistique par Fannie Escoulen, direction Actes Sud Géraldine Lay et graphisme Yann Linsart

Grâce au généreux soutien de l’Ambassade des Pays-Bas en France, Conseil Général des Bouches du Rhône, Fonds Jaap Harten, Musée Het Dolhuys, Musée de la psychiatrie et de l’esprit , Haarlem et le Fonds Mondriaan.

Raphaël Dallaporta, L’Equation du temps

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PAR MARIE SIMON MALET

« Une métaphore de nos arrangements avec le mouvement du monde ».

Raphaël Dallaporta – « Equation du temps » Editions The Eyes

Je ne voulais pas être en retard. Ce samedi 13 février 2021, j’avais rendez-vous à 12h30 précises avec l’artiste Raphaël Dallaporta à la Galerie Jean-Kenta Gauhtier, rue de l’Ancienne-Comédie à l’Odéon, pour une performance sur l’équation du temps; arriver en retard à une performance artistique sur le Temps me paraissait impossible. J’avais appris la veille du rendez-vous, en appelant Jean-kenta Gauthier, directeur de la galerie éponyme, que cette entrevue  durerait précisément 14 minutes et 10 secondes, soit la durée de l’équation à cette heure-là, ce jour-là précisément… Ce petit quart-d’heure parce que nous étions à la mi-février, moment où la durée de l’équation atteint son maximum; lors du vernissage de l’exposition, le 12 décembre 2020, les visiteurs avaient eu le droit à une durée comprise, selon l’heure de l’entretien, entre 5 min 58 sec et 6 min 6 sec. 

Un temps suspendu

Je n’avais jamais entendu parler de l’équation du temps. Au lycée, je n’étais pas très bonne élève en maths. J’ai toujours eu un rapport un peu contrarié au temps, je le mesure mal, ai un mal fou à l’anticiper, je calcule toujours trop juste et suis fréquemment en retard. Sans compter qu’à la longue, il est assassin. Compte-tenu de ces deux facteurs, failles scientifiques et difficultés temporelles, j’éprouve une légère appréhension en franchissant le seuil de la galerie. Raphaël Dallaporta me rassure immédiatement : nous sommes ici pour célébrer un temps qui n’est pas inscrit sur nos montres. Quelle libération ! Il dissipe également toute inquiétude sur l’idée que l’on puisse perdre notre temps :  on ne peut, ni perdre son temps, ni le gagner puisqu’il ne nous appartient pas. Cela m’évoque immédiatement Alice aux pays des Merveilles de Lewis Caroll (Charles L. Dogson était un mathématicien, ce n’est pas un hasard) et notamment le thé chez le Chapelier toqué qui est condamné à partager avec le Lièvre de mars un Tea Time éternel, le temps s’étant arrêté à six heures, résultat d’un châtiment très british infligé par la cruelle Reine de cœur : l’infortuné Chapelier avait tenté  de « battre le temps » en chantant. 

Sur un autre tempo, l’artiste poursuit : le temps a longtemps été réglé sur les saisons, on acceptait alors ses anomalies (retards et avances dans le renouveau de la nature au printemps par exemple) puis il a bien fallu découper les mois et les années, régler les horloges, harmoniser les heures. Au XVIe siècle, le Pape Grégoire XIII voulant pouvoir déterminer précisément le jour de Pâques a chargé des astronomes de rechercher la date précise de l’équinoxe du printemps et établi le fameux calendrier grégorien qui nous sert de repère. 

Deux Soleils, deux réalités  

L’équation du temps est un paramètre connu dès l’Antiquité, avant même que l’astronome Ptolémée (IIème siècle ap. J-C) n’en donne une table dans son ouvrage, les Tables faciles. Le savant avait en effet constaté que le mouvement du Soleil dans le ciel n’était pas uniforme au cours de l’année, phénomène dû à une variation de vitesse et à l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre. La Terre, en effet, lorsqu’elle tourne autour du Soleil décrit une ellipse à l’intérieur de laquelle le Soleil est légèrement excentré, elle se déplace plus vite lorsqu’elle est proche du Soleil (vers le 3 janvier) et plus lentement lorsqu’elle en est le plus loin (vers le 5 juillet). La deuxième cause de cette irrégularité est liée à l‘inclinaison de son axe sur son orbite. Aussi, le Soleil ne parcourt pas exactement 15° en une heure et, entre deux passages au méridien (à midi), il s’écoule entre 23h 59 min 39 s et 24h00 min 30 s. Pour remettre les pendules à l’heure, les hommes ont par convention divisé une journée en 24 heures pour établir un « temps solaire moyen », alors que le « temps solaire vrai » est en léger décalage, un peu en avance ou un peu en retard. Pour passer du temps solaire vrai au temps solaire moyen, on ajoute l’équation, somme des retards et des avances du Soleil. L’équation atteint -16 minutes début novembre +14 minutes mi-février et s’annule 4 fois par an quand les deux soleils coïncident (les 15 avril, 13 juin, 1er septembre et 25 décembre). 

Photographier : écrire avec la lumière

Le photographe Raphaël Dallaporta a réalisé une image de cette équation en collaborant toute une année avec des chercheurs du SYRTE (laboratoire Systèmes de Référence Temps-Espace) et notamment l’astronome et historien des sciences Denis Savoie dans le cadre d’une résidence de recherche sur « la Mesure » initiée en 2018 au Musée des arts et métiers. Pour capturer l’image du soleil, c’est-à-dire la tâche de lumière (ou son absence, en cas de soleil voilé) projetée sur le sol de la salle Cassini de l’Observatoire de Paris, il a placé au-dessus de l’oeilleton-lentille de la façade Sud par lequel passent les rayons solaires, un dispositif photographique se déclenchant tous les jours de l’année 2019, au midi moyen local. 

La méridienne « Cassini » est un instrument mis au point par les Cassini, père et fils, à la demande de Colbert, entre 1682 et 1732 dans le bâtiment de Claude Perrault. Elle fonctionne comme un cadran solaire géant indiquant l’heure de midi. Elle servait à mesurer la hauteur du Soleil lorsqu’il est au méridien, à faire des calculs astronomiques pour vérifier notamment si l’axe de la Terre était ou non variable -vif débat au XVIIIe siècle-, accessoirement à régler les pendules. C’était la première construite dans un bâtiment autre qu’une église. Au sol, le méridien de Paris représente exactement la direction nord-sud géographique; il est fait d’une ligne de règles de laiton incrustées dans le marbre. 

Par son enregistrement, le photographe a pu expérimenter les inégalités du jour solaire vrai : sur la méridienne, l’image du Soleil capturée à heure fixe dessine au cours de l’année une courbe en huit. Il a compilé les 365 prises de vue en une seule photographie qui traduit l’écart entre le midi vrai et le midi moyen ainsi que la variation de hauteur du Soleil au fil des saisons. En réalisant cette mystérieuse image, il est revenu à l’essence de la photographie qui selon son étymologie grecque signifie écrire avec la lumière (φ ω τ ο ς (photo : lumière, clarté) et γραφειν (graphein -graphe -graphie : peindre, dessiner, écrire). 

De gauche à droite : les équations du temps des années: -5000, 2020,+5000

Photographier c’est aussi offrir au regard 

Sur les murs de la galerie, il a tracé au charbon trois équations du temps au 1/20ème de la dimension de la méridienne de l’Observatoire : celle de 2020, celles de l’an -5000 et de l’an 5000, soit finalement, réunies en un espace clôt, dix mille années ! Je remonte le temps dans un lieu hors du temps où m’est offert un temps volé qui n’est ni sur les montres, ni sur les horloges, le temps du Soleil vrai. C’est une expérience philosophique, poétique, régénératrice. A la fin de notre échange, Raphaël Dallaporta me remet une attestation signée de nos deux mains. Plutôt qu’un clin d’œil à nos attestations de sorties actuelles, elle est un hommage à l’artiste Ian Wilson (1940-2020), penseur de la dématérialisation de l’œuvre d’art et auteur de nombreuses discussions donnant lieu à l’obtention d’un certificat. Elle s’inscrit également dans le contexte  de l’exposition « FREE LUNCH » conçue atour de la gratuité comme principe constitutif qui se tient dans un autre espace de la galerie Jean-Kenta Gauthier, situé rue de la Procession. Là, sept artistes, parmi lesquels Raphaël Dallaporta, invitent les visiteurs à recevoir et emporter leurs œuvres présentées et offertes.

Célébrer le temps, la lumière qui permet de voir, de créer une image photographique, partager un échange passionnant se révèle jubilatoire et essentiel tout simplement, en cette époque troublée de temps suspendu, de « distanciation » où règne le « sans contact ». Raphaël Dallaporta se réfère une dernière fois à Héraclite (550-480 av. J.- C.), qui dès l’Antiquité pose que « le soleil est nouveau chaque jour », cette belle image de la danse du Soleil est comme la métaphore du mouvement du monde…

Raphaël Dallaporta Bio et Biblio 

Né en France en 1980, Raphaël Dallaporta est un photographe qui refuse l’étiquette de plasticien et qui élabore une œuvre entre sciences et réflexion sur l’image du « réel ». Son travail, salué par la critique, a fait l’objet de nombreuses expositions monographiques au Musée de l’Élysée (Suisse), à Foam (Pays-Bas), au Musée Nicéphore Niépce (France) ou encore aux festivals des Rencontres d’Arles (France) et Kyotographie (Japon). Lauréat d’un Infinity Award de l’International Center of Photography et du Foam Paul Huf Award, il fut résident à l’Académie de France à Rome – Villa Médicis puis au Centre National d’Etudes Spatiales (Paris) et au Centre National des Arts et Métiers (Paris). Raphaël Dallaporta vit à Paris. Il est également l’auteur de plusieurs livres d’artistes réalisés avec les éditions Gwinzegal et Xavier Barral. 

Son livre Equation du temps est publié par The Eyes Publishing dans le cadre du Prix Niépce Gens d’Images 2019 en collaboration avec Picto Foundation. Il est conçu par le studio Kummer & Herrman comme un flipbook : en le feuilletant, le lecteur peut voir la courbe se former au fil des pages et renouveler l’expérience de la méridienne, chacune des 365 pages étant percée en son centre d’un œilleton qui permet de projeter sur sa voisine la lumière du Soleil.

Pour en savoir plus : http://jeankentagauthier.com

Équation du Temps / Raphaël Dallaporta

Jean-Kenta Gauthier | Odéon

Parcours Photodays 2021 https://photodays.paris/

12 déc – 27 mars 2021

Le livre Raphaël Dallaporta – Équation du temps aux éditions The Eyes


Rencontre avec Christophe Leribault, directeur du Petit Palais

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Le Petit Palais, un musée du XXIe siecle,

Portrait de Christophe Leribault
Christophe Leribault, directeur du Petit Palais, Musée des Beaux Arts de Paris © The Gaze of a Parisienne

Christophe Leribault dirige le Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la la ville de Paris, directeur passionné, très optimiste et enthousiaste. Il a de nombreux projets dont un spectaculaire, qui sera celui de la Fiac, la question est de savoir: « Qui sera son artiste invité 2021 » ?

J’ai pu m’entretenir avec lui dans son Palais, découvrir son parcours depuis le musée Paul Getty à Los Angeles en passant par Carnavalet, le Louvre et depuis 2012 dans ce musée qu’il a fait redécouvrir aux Parisiens et touristes, (de quelques centaines de milliers de visiteurs, il est passé à plus d’un million). J’ai découvert une merveilleuse dynamique, machine de guerre des expositions, de très belles collections permanentes, des invitations d’artistes contemporains, un ensemble qui a redonné cette envie de pousser les portes du musée qui possède entre autres un merveilleux jardin.

Jardin du Petit Palais - Paris Musées
Jardin du Petit Palais © The Gaze of a Parisienne

Florence Briat Soulie :

Christophe Leribault, pourriez-vous nous dire deux mots sur votre formation, comment vous est venue cette passion de l’art et des musées ?

Christophe Leribault :

Gamin, on m’a traîné sans difficulté dans les musées, je trouvais toujours impressionnantes, très belles, ces visites. J’ai la chance d’exercer le métier dont je rêvais, ce n’est plus vraiment un travail, mais la joie de pouvoir être dans ces murs et de pouvoir monter des projets passionnants.

Expérience variée : un musée américain puis retour en France au Musée Carnavalet

J’ai commencé ma carrière par une expérience américaine, au J-Paul Getty Museum à Los Angeles, j’avais répondu à une petite annonce et j’ai été pris. J’ai dû m’obliger sur place à améliorer mon anglais! Je suis ensuite revenu en France passer le concours des musées et je me suis retrouvé à l’Ecole du Patrimoine et au Musée Carnavalet, musée d’histoire de Paris dont la rénovation s’achève actuellement. A l’époque, c’était encore ce grenier un peu magique avec ces strates de la mémoire parisienne: peintures, dessins et enseignes, meubles, tout ce qui fait le charme de ce musée. J’y suis resté pendant près de 17 ans à enrichir les collections, monter des expositions sur l’histoire de Paris, sur les figures parisiennes, le Paris de Marcel Proust aussi bien que celui du XVIIe ou XVIIIe siècles. C’était une expérience très riche.

Jacques Emile Blanche
Jacques-Emile Blanche (1861-1942) Mademoiselle Meuriot sur son poney, 1889 – Huile sur toile.© The Gaze of a Parisienne

Le métier dont je rêvais

À travers les musées, on fait beaucoup de rencontres, avec des descendants d’artistes, des historiens, le public, surtout dans un musée de mémoire. Carnavalet est un endroit que j’ai eu du mal à quitter car tellement prenant et varié qui englobe toutes les périodes. Je m’occupais de peintures ou de dessins d’artistes connus ou quasiment inconnus mais qui ont laissé un beau témoignage vivant de la vie parisienne au second Empire comme au XVIIe.

Le Louvre, cabinet des dessins

À la demande d’Henri Loyrette j’ai rejoint le musée du Louvre pour le Département des Arts graphiques qui est un véritable iceberg tant il y a à découvrir dans ses réserves. La collection est sans limite et possède tous les trésors du dessin non seulement français mais italiens, de Léonard de Vinci, de Michel-Ange et de toutes les époques. C’était fascinant d’être plongé dans cet univers. Le monde du dessin est particulier, j’y ai créé des liens avec les chercheurs, les amateurs, les marchands, les collectionneurs. J’ai cherché à compléter la collection en comblant des manques historiques dans le domaine français mais aussi britannique.

Eugène Delacroix

Parallèlement, je m’occupais du Musée Eugène Delacroix, ancien atelier et dernier appartement du peintre, Place de Furstenberg. J’ai essayé de lui redonner un peu de son charme perdu, notamment à son jardin , si cher à Delacroix. Il était devenu une cour avec des graviers, plus grand chose ne poussait. Nous avons pu le rénover et replanter grâce à un mécène Japonais. Nous avons également pu agrandir le musée et faire vivre l’endroit avec des expositions plus régulières, des  publications scientifiques, telle celle en ligne de la correspondance de l’artiste.

FBS : Y aurait-il un souvenir dans la correspondance de Delacroix qui vous aurait marqué particulièrement ?

C.L : La correspondance de Delacroix est très émouvante, tout comme son Journal malheureusement incomplet : on a rarement autant de témoignages littéraires d’un peintre qui avait une vraie plume. On voit aussi, derrière cette image d’artiste romantique torturé, quelqu’un qui avait une culture très large, qui appréciait aussi bien Mozart que la littérature grecque et beaucoup d’autres choses que l’on n’associe pas toujours au peintre. Des anecdotes aussi, comme le fait que les tigres qu’il dessinait quand il était Place de Fürstenberg, n’étaient autre que son chat prénommé Minette!

Quel est le rôle d’un musée aujourd’hui ?

Petit Palais - Paris Musées
Galerie XIXe Petit Palais © The Gaze of a Parisienne

Il y a un grand débat sur la définition du musée, qui secoue d’ailleurs les instances de l’ICOM, pour essayer de définir quelque chose de tellement englobant. De mon point de vue le musée est d’abord le rassemblement d’une collection, de créations humaines que l’on doit préserver, mettre en valeur. Il s’agit également de communiquer pour la faire comprendre et apprécier par un public donné. Par chance, j’ai toujours travaillé dans des musées qui avaient de très grosses collections. Le travail consistait à valoriser les pièces des réserves, restaurer, mettre en valeur, essayer de rendre vivant des témoignages qui peuvent être un peu lointains pour le public ou pour nous tous. Lorsque l’on traverse les galeries du Musée du Vatican, on voit parfois des choses qui certes sont belles, mais ne nous parlent pas vraiment, car on a oublié les référents historiques, artistiques qui sont derrière. Or, tous les artistes ont été vivants, créatifs et combattifs en leur temps, simplement il faut déjà soi-même décoder tout cela pour le partager avec les visiteurs. C’est la même chose qu’avec certains livres plus difficiles à lire mais qui finalement sont plus intéressants que les romans policiers qu’on emporte dans le train.

Votre arrivée au Petit Palais

FBS : Vaisseau amiral de Paris Musées, vous avez redonné une seconde jeunesse au musée, quel est le secret du succès d’un musée au XXIe siècle ?

C’était un vrai challenge de quitter les riches collections d’arts graphiques du Louvre, on peut y travailler toute une vie sans en venir à bout. Mais le Petit Palais est un bâtiment tellement magnifique au cœur de Paris construit pour l’exposition Universelle de 1900, avec ce beau jardin. Il avait été rénové quelques années auparavant, seulement, je trouvais qu’il était devenu un peu froid et que l’on pouvait certainement le reprendre en main faire pour y attirer davantage de visiteurs. Ce sont des métiers différent, d’être ex-thésard, spécialiste de dessins anciens, et de prendre en mains une équipe, convaincre tout le monde de changer les méthodes de travail. C’était passionnant de transformer la présentation, de ressortir des œuvres oubliées et surtout redéfinir ce qu’était le Petit Palais.

J’ai eu l’impression que le Petit Palais avait un peu perdu son identité, c’est le musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, comme la ville de Nantes ou la ville de Strasbourg ont leur musée des Beaux-Arts. Mais vivre au bout des jardins du Louvre, de l’autre côté de la Seine, face au Musée d’Orsay, est un autre challenge.  Sa taille non-comparable affecte la connaissance par le public de la richesse de sa collection, un peu vampirisée aussi par ses grandes expositions, une spécificité du Petit Palais depuis sa création en 1900.

Toutânkhamon et son temps en 1967 au Petit Palais

Toutankhamon - Pharaon - Egypte ancienne
Toutânkhamon et son temps (17 février – 4 septembre 1967) Affiche

Il y a eu ici des expositions mémorables, notamment Toutânkhamon, que j’ai eu la chance de visiter enfant, qui avait attiré plus d’un million de visiteurs. D’ailleurs pendant longtemps les grandes expositions nationales avaient lieu au Petit Palais. Et puis à la fin des années 60, sous l’impulsion d’André Malraux, le Grand Palais qui abritait jusque-là des salons de peintures mais surtout celui de l’automobile ou de l’aviation, s’est mis aux expositions artistiques. Les Galeries Nationales du Grand Palais ont développé une programmation de plus en plus extraordinaire soutenue par les finances de l’État, alors que le Petit Palais dépendait de la Ville de Paris. Le public n’a plus fait la différence entre le Grand ou Petit Palais. Les présentations du Petit Palais étaient très variées, elles pouvaient traiter aussi bien des indiens Taïnos, de la Cité Interdite ou d’artistes du XIXe siècle, sans identité propre.

F.B.S. : Quel est le fil conducteur qui relie les expositions aux collections permanentes ?

Pour lui retrouver une spécificité, j’ai pensé que c’était important de relier la programmation à cette fameuse collection et que les expositions se terminent d’ailleurs dans les salles permanentes. On a ainsi programmé des expositions couvrant l’art occidental des mêmes périodes –  XVIIe, XVIIIe et beaucoup XIXe siècles –  pour qu’on sente le lien avec ces collections, éventuellement avec des expositions « dossier » dans les salles un peu satellites. Ainsi ,au moment de l’exposition Jordaens, on était invité à voir ailleurs dans les salles notre collection d’estampes et de dessins de Van Dyck, de Rubens…

Jean Carriès - Sculpture - Petit Paais
Jean Carriès (1853-1894) Crapaud et grenouille – Grès émaillé. © The Gaze of a Parisienne

A la découverte d’artistes, Carl Larsson, Anders Zorn…

Cela a restreint le champ des sujets mais a aussi permis progressivement de reconstruire une certaine identité du musée. On se rend au Petit Palais moins pour la grande expo blockbuster sur le peintre qu’on connaît déjà par coeur, mais plus à la découverte d’artistes moins connus, cela peut être le sculpteur Gemito, le dessinateur Carl Larsson, le peintre Anders Zorn ou Fernand Khnopff … et de fil en aiguille, avec l’aide de la presse qui a sympathiquement relayé ces expositions jamais gagnées d’avance, compliquées à monter car moins attractives pour les mécènes. Mais en pratique, quand on montre une gloire nationale qui peut être scandinave, italienne, britannique, peu importe, on peut obtenir finalement de très beaux prêts car il y encore un fierté à voir un talent reconnu à Paris. Il faut évidemment insister pour avoir le meilleur de l’artiste pour que la réhabilitation fonctionne.

Le plus grand peintre russe du XIXe siècle, bientôt au Petit Palais, Ilya Repine.

À l’automne prochain, ce sera le tour d’Ilya Repine (1844-1930), le plus grand peintre du XIXe siècle russe qui n’a jamais eu d’exposition en France. La Galerie nationale Tretiakov à Moscou, le Musée russe à Saint-Pétersbourg ont été d’accord pour prêter des tableaux qui pour eux sont d’une importance capitale, comme les Haleurs de la Volga ou le grands portraits de Nicolas II…On associera à l’exposition tout un programme de conférences, de concerts. C’est à chaque fois une occasion de remettre aussi en valeur une période, un pays.

Je crois beaucoup en l’importance de la scénographie

Il fallait mettre peut-être un peu plus de décorations qu’ailleurs pour remettre dans leur contexte ces oeuvres. On a monté ainsi une exposition sur la peinture religieuse du XVIIIème siècle dans les églises de Paris avec des artistes célèbres de leur vivant, que l’on a un peu oubliés, mais en recréant une architecture d’église, en ajoutant un peu de dorure, de colonnes, car cette peinture d’autel est faite pour être vue de manière architecturale, avec un peu de musique. Finalement cette exposition a eu un certain succès et c’était l’occasion de restaurer des tableaux qui,lorsqu’ ils sont retournés dans les églises, ont été mieux éclairés et seront davantage en valeur.

De même pour l’exposition Zorn –  grand maître de la peinture suédoise –  nous avions une alternance de salles qui évoquaient aussi bien le décorplus simple de la vie en Suède que les grands moments de ses mondanités parisiennes parés de riches cimaises rouges.

Un grand musée à taille humaine : c’est Petit Palais car le Grand Palais est immense !

Je crois beaucoup en l’importance de la scénographie, la mise en contexte car les tableaux, les sculptures arrachés à leur milieu ambiant nécessitent quand même des moyens pour les rendre agréables et pour que le premier coup d’œil donne envie de creuser. Il est finalement grand, ce Petit Palais, car le Grand Palais est immense ! C’est un musée qu’on peut cependant parcourir en une fois avec des salles très variées, des grandes galeries, des pièces plus intimes. Et ce musée a la chance d’avoir en plus un merveilleux jardin !

Voir autrement les choses, avoir ce contact avec les oeuvres d’art

C’est très important qu’un musée soit un lieu agréable, il faut trouver le moyen pour que ce soit une expérience riche qui donne envie de voir les choses autrement.

F.B.S. : Quelle oeuvre marquante pensez-vous avoir sorti des réserves ?

C.L. : Les musées ont des réserves, parfois on fantasme trop sur ce qu’il peut y avoir, certaines choses méritent de rester en réserve ! Mais c’est très amusant lorsqu’on arrive quelque part de regarder tout ce que les prédécesseurs y ont relégué. On a déroulé une très grande toile de Léon Lhermitte (1844-1925) , peintre qui n’est pas académique au sens ingresque, mais plutôt réaliste, qui représente les Halles de Baltard, tableau très spectaculaire,  peint pour l’Hôtel de Ville et présenté au Salon. Il ya eu un tel succès qu’il fut décidé de le réserver pour  le nouveau musée de la Ville de Paris.

Halles de Paris - Lhermitte - Marché de Rungis
Léon Lhermitte (1844-1925) Les Halles, 1895 – Huile sur toile 404 X 635 cm © The Gaze of a Parisienne

Une toile redécouverte Les Halles de Baltard restaurée grâce au mécénat des Halles de Rungis

Très souvent reproduit le tableau, les Halles de Baltard, devient démodé dans les années 30 et après-guerre, il n’est pas re-déballé. Finalement, nous avons pu le restaurer grâce au mécénat des Halles de Rungis, la Semmaris, très concernée par le sujet. Nous avons pu remettre au mur un tableau très efficace. Une banquette sans dossier se trouve devant pour regarder théoriquement les Courbet en face, mais je remarque que les gens s’y assoient autant pour regarder le Lhermitte .

Il peut y avoir de la nouveauté dans l’art du passé

Autres redécouvertes, deux grands tableaux de Paul Delaroche et de Jean-Victor Schnetz peints pour l’ancien Hôtel de Ville, des commandes de Louis-Philippe représentant de grandes scènes des révolutions de 1789 et 1830. Mais très vite le régime de la monarchie de Juillet s’étant rigidifié, on n’a plus du tout voulu prôner ce qui était l’origine de la nouvelle monarchie constitutionnelle. Les artistes sont remerciés et payés et les toiles roulées…Ce qui fait qu’elles ont échappé à l’incendie de l’Hôtel de Ville en 1871, sous la Commune, et donc pas détruites, contrairement aux plafonds de Ingres, Delacroix et tous les trésors du lieu. Grâce à des mécénats ces grandes toiles (environ 4 X 5 m), pages de l’histoire de France, jamais montrées du vivant des peintres sont enfin présentées, au bout de presque deux siècles !

Camille Alaphilippe (1874-1934) La femme au singe, 1908 – Bronze et grès émaillé Alexandre Bigot. Présentée au Salon de 1908.

Mettre en valeur le côté un peu différent de cette collection

On a re-déballé également toute une série de grands plâtres du XIXe siècle, cette statuomanie de l’époque voulait que dans tous les carrefours de la capitale il y ait une statue d’un grand homme ou grande dame … Pendant la seconde guerre mondiale les bronzes ont été réquisitionnés et fondus, certains ont pu être sauvés comme le Balzac de Rodin… La ville de Paris avait conservé tous les plâtres de ces statues, qui ne sont pas des moulages, c’est l’oeuvre modelée par l’artiste à l’échelle qui ensuite sert dans l’atelier du fondeur à faire un moule et à en tirer un bronze. On possède des centaines de plâtres et c’était très exaltant avec ma collègue, chargée de la sculpture, de mettre à l’honneur une sélection de ce Paris totalement oublié dans la galerie d’entrée du musée.

Même si on a aussi Rembrandt, Fragonard, David, Cézanne, Monet… dans les collections. Mais c’est amusant de pouvoir mettre en valeur des fonds d’ateliers, des personnalités très étranges comme Jean Carriès, dont on a tout le fonds de statues et céramiques vernissées, il a fait des crapauds géants, des monstres étonnants.

Claude Monet (1840-1926) Soleil couchant à Lavacourt, 1880. Huile sur toile

F.B.S. : Comment voyez vous l’intégration de l’art contemporain au sein d’une institution à l’image très marquée par son architecture 1900 ?

C.L. : Le Petit Palais à l’heure actuelle est une collection de beaux-arts qui s’arrête en 1914, c’est un partage qui a eu lieu dans les années 60 quand on a créé le Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Auparavant le Petit Palais a été un musée d’art moderne. Le musée a reçu énormément de donations. Matisse a offert La Danse au Petit Palais (aujourd’hui au Musée d’Art Moderne), la donation Girardin c’était aussi au Petit Palais qui était un bâtiment tout à fait contemporain, devenu ensuite trop 1900, kitch. Il était intéressant de rappeler un peu cet ADN du Petit Palais qui a vu de grandes expositions d’art contemporain, la première rétrospective Picasso, sculpteur, de son vivant, fut au Petit Palais.

Les 2 Palais s’unissent pour la FIAC / temps forts de l’art contemporain

Il y avait l’opportunité de la Fiac organisée au Grand Palais jusqu’à l’année dernière. J’ai trouvé un peu dommage qu’au moment de cette grande effervescence de l’autre côté de la rue on n’en profite pas. On s’est mis d’accord pour que celle-ci déborde sur le Petit Palais avec une sélection d’œuvres choisies parmi de nombreuses propositions qui pendant cette semaine sont présentées dans les espaces musée et jardin et, très important, sur l’avenue qui devient piétonne. C’est le rêve. On retrouve la fonction d’esplanade de l’avenue Winston Churchill, conçue initialement en 1900 pour être traversée à pied.

Comme c’est un musée accessible à tous, gratuit, on a insisté pour avoir des médiateurs, des étudiants de l’École du Louvre grâce à un partenariat, pour aider à la compréhension de ces créations contemporaines.

Un artiste invité

Au même moment, on a décidé d’inviter un artiste non pas pendant une semaine mais 3 mois. Un artiste qui véritablement va dialoguer avec les collections permanentes. Il ne s’agit pas juste de propulser une oeuvre spectaculaire, non il y a un vrai travail avec un artiste qui vient, revient, qui s’approprie un endroit du musée ou un autre. Les résultats peuvent être variés, il y a eu des cas où on a renoncé.

Kehinde Wiley – Lamentation (2016/2017)

Kehinde Wiley (2016/2017), artiste afro-américain très engagé sur plusieurs causes a fait des grands vitraux, un peu à la manière néogothique, mais avec des personnages noirs en baskets qui s’intégraient de manière assez troublante avec les tableaux des mêmes thèmes de William Bouguereau ou Gustave Doré.

On a fait ce travail avec Andres Serrano, Valérie Jouve, on le fait en ce moment avec Laurence Aëgerter (voir article précédent)

Yan Pei-Ming / Courbet – Corps à corps – 12 octobre 2019 – 19 janvier 2020

Yan Pei-Ming/ Courbet – Corps à corps (2019/2020)

Certains artistes présentent des œuvres dans toutes les salles, d’autres, comme Yan Pei-Ming (2019/2020) a dialogué ou même lutté avec Courbet. Yan Pei-Ming connaissait Courbet par de pauvres reproductions noir et blanc du temps où il était dans la Chine communiste. Une partie des immenses toiles montrées venaient d’être réalisées dans l’ancien atelier même de Courbet à Ornans !

Comment 2 visions artistiques peuvent s’apparenter ou s’opposer

Ces dialogues n’ont jamais visé le scandale. Mais faire venir le public de l’art contemporain et lui faire voir par la même occasion de l’art ancien, et pour les habitués du musée, l’amener à regarder un peu autrement l’art contemporain, éviter les jugements trop faciles. Tout cela a un sens par rapport au rôle d’un musée.

F.B.S. : Cette année, il n’y aura pas la Fiac au Grand Palais en face qui sera sur le Champ de Mars au Grand Palais éphémère, quelle est votre stratégie 2021 ?

C.L. L’année dernière, nous n’avons pas eu de Fiac, mais nous avons maintenu notre dialogue avec une grande invitée, Laurence Aëgerter, dont l’exposition a été ouverte au public un mois, prolongée, puis re-prolongée : on espère toujours pouvoir rouvrir en la maintenant un peu encore pour rattraper cela.

Pour cette année 2021, j’ai pensé à un invité qui présentera une oeuvre particulièrement spectaculaire car il n’y aura plus à traverser une esplanade piétonne mais à venir du Champ de Mars.

Fiac 2019 – au fond : – Pierre Alechinsky, Les Grands fonds, 1974-1996. Encre de Chine sur grand velin marouflé sur toile 337 X 710 cm

Qui est ce mystérieux artiste invité au moment de la Fiac ?

L’artiste ne va pas dialoguer avec des œuvres du musée mais avec le bâtiment lui-même. Après tout, je pense que c’était le moment puisque l’œuvre la plus connue du Petit Palais c’est le monument lui- même, L’artiste va prendre en main le bâtiment, cela se verra de l’extérieur, de l’intérieur, dans les jardins, mais pour l’instant ce n’est qu’un teaser! ce sera une belle rentrée parisienne.


En septembre on sera très heureux de présenter à la fois Ilya Repine, le grand peintre russe du XIXe siècle, et puis en parallèle cette belle fête pour l’art contemporain.

F.B.S. : Tous ces musées fermés, comment gardez-vous cette envie de concevoir de nouveaux projets avec toutes ces expositions qui ne voient pas le jour ? Avez-vous une idée du musée du futur ?

Les effets de la Covid sur les musées et sur le Petit Palais sont des expositions fermées. Actuellement nous avons l’exposition sur Ambroise Vollard, éditeur d’estampes et de livres qui est en attente, elle a été installée et on a éteint la lumière… Soyons patient et raisonnable, le jour où on pourra l’ouvrir, le compte à rebours des 3 mois commencera.

Mais cela ne nous empêche pas d’avoir beaucoup de projets. Par ailleurs, nous avons déjà les expositions que nous avons dû annuler et reporter : on ne supprime rien, ce qui devait avoir lieu en 2020/2021 aura lieu en 2022 et ainsi de suite.

A quand les retrouvailles avec les originaux dans les musées ?

Il y a une multitudes d’initiatives vivantes en ligne qui ont eu un succès fou, mais cela manifeste surtout un désir de maintenir ce contact avec l’art :  rien ne remplacera les retrouvailles avec les originaux. On a tous hâte d’accueillir de nouveau du public et de lui offrir, dès que possible, une belle rentrée avec plein de nouveautés.

Propos recueillis par Florence Briat Soulié le 25 mars 2021

Dernière minute : acquisition par le Petit Palais à la vente Christie’s de la collection privée, « De Caillebotte à Calder »du 30 mars 2021 : une toile d’Eva Gonzalès (1849-1883) La Servante ou À la barrière, adjugée 80000 € –

Eva Gonzalès (1849-1883) La Servante ou À la barrière, avec le cachet ‘Eva Gonzalès’ (en bas à gauche) huile sur toile 41 x 32.5 cm. Peint vers 1865-70
Petit palais - Exposition Universelle 1900
Petit Palais © The Gaze of a Parisienne

Informations :

https://www.petitpalais.paris.fr/

Expositions en cours et à venir :

Laurence Aëgerter – Ici mieux qu’en face – 06 octobre 2020 au 09 mai 2021 (cf article précédent)

Edition Limitée – Vollard, Petiet et l’estampe de maîtres –  mai /juillet 2021

Augustin Rouart – La peinture en héritage – 29 mai 2021 au 03 octobre 2021

Jardin de Paris - Paris Musées - Petit Palais - Peinture
Plafond de la galerie extérieure © The Gaze of a Parisienne

Lectures d’avril

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PAR SEVERINE LE GRIX DE LA SALLE

©Mariegraph

LE VICOMTE DE BRAGELONNE

Tomes I, II et III 

Alexandre Dumas

J’ai passé l’été dans les bras d’un charmant jeune homme, aussi beau et romantique que malheureux en amour. Louis XIV lui ayant piqué sa fiancée, la pauvre Lavallière, le Vicomte de Bragelonne se bagarre et court le monde pour noyer son chagrin, sous la protection de ses pères adoptifs, nos Mousquetaires. Corrompus ou vénaux, politiques ou définitivement naïfs, se tirant une balle dans le pied ou plus réfléchis… avec l’âge, ces quatre-là sont devenus beaucoup plus intéressants, complexes et drôles Ils tirent – enfin- leur révérence à la fin de cette œuvre titanesque, qui couvre un siècle d’histoire de France (Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, le Vicomte de Bragelonne)

C’est long (trois tomes, près de 3 000 pages … n’oublions pas que Dumas était payé au feuillet et il gérait bien sa fortune !  Mais ça galope dans tous les sens, avec des rebondissements à chaque chapitre (dont le mystère du Masque de fer, enfin révélé !), on ne s’ennuie pas une seconde :  c’est mieux que Netflix et on peut l’emporter à la plage ! 

IL EST DES HOMMES QUI SE PERDRONT TOUJOURS

Rebecca Lighieri

Déjà, ce titre. 

Rebecca Lighieri – Il est des hommes qui se perdront toujours. Editions P.O.L..PNG https://www.maupetitlibraire.fr

Puis le livre. Tout y est brûlant : la violence de l’amour, l’intensité de la haine, la beauté des enfants, l’horreur des coups. Mais c’est aussi un livre d’espoir, une ode à l’amour fraternel : trois enfants nés dans une misère affective absolue, trois enfants cabossés, trois destins lumineux. Et ces mots pour conclure, de cette écriture au scalpel qui vous empêche presque de respirer pendant 370 pages :

« Qui sait pourquoi un cœur s’arrête ? Il n’a succombé ni à la maladie ni à l’abus de stupéfiants. Il est mort d’avoir mis toutes ses forces dans un combat perdu d’avance. Il est mort bien avant sa naissance, dans les proférations et les vitupérations de son père. Il est mort d’avoir essayé d’être un fils. Il est mort d’avoir aimé en vain. »

C’est à Marseille, c’est universel et c’est poignant.

Le livre que j’ai le plus offert ou recommandé cette année. 

Vente en ligne : https://www.maupetitlibraire.fr

Librairie Maupetit -142 La Canebière, 13001 Marseille

HERITAGE

Miguel Bonnefoy

Si Garcia Marquez avait un fils caché en France, ce serait lui !

Merveilleuse saga d’une famille d’origine française, rebaptisé Lonsonnier par incompréhension linguistique, dont l’ancêtre quitte le Jura, « ce pays de calcaire et de céréales, de morilles et de noix », pour la Californie et prend souche par hasard au Chili. Une écriture rapide, gaie, et onirique et l’on s’attache à trois générations de personnages un peu dingo. Lazare, Margot et Ilario Dia. Entre le retour des tranchées et avant de percuter les temps sanglants de Pinochet, ils nous emmènent écouter les condors, parler avec les hiboux, faire l’amour avec un fantôme, suivre les conseils d’un mage charlatan, prendre des décisions familiales importantes dans une baignoire à pied de lion, avant de survoler la cordillère des Andes dans un avion fait maison.

Un voyage parmi les mots, les morts et les rêves, un petit bijou littéraire.

Livres glanés et recommandés chez Alice, auto proclamé en ces temps de confinement

« le libraire qui vend le plus de vin, le caviste qui vend le plus de livres ! « 


3 rue de la Forestière 33970 Cap Ferret.

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ROMANS GRAPHIQUES (nom chic pour les BD)

Librairie Bulles en tête – 42 Rue Le Peletier, 75009 Paris

« Œuvre écrite, dans la mesure où elle porte la marque de préoccupations esthétiques ». La définition « Petit Robert » de la littérature est particulièrement appropriée aux ouvrages ci-dessous : esthétisme de l’écriture associée à celle du dessin, plaisir démultiplié garanti.

CHRONIQUES DE JERUSALEM, DE BIRMANIE, DE JEUNESSE …de Guy Delisle

D’un trait extrêmement épuré, très simple, Guy Delisle nous narre sa vie quotidienne, façon autobiographie avec beaucoup d’autodérision. Dans chacun de ses livres, donc dans sa vie j’imagine, il se retrouve en position d’observateur, soit jeune stagiaire ou bien s’occupant du foyer, suivant sa femme dans ses missions humanitaires à l’étranger. Avec une sorte d’humilité et de naïveté, il voit tout et décortique les absurdités des systèmes qui l’entourent, politiques, sociaux, familiaux ou religieux…l’air de rien. Avec la force d’un point bien placé sur un visage ou à la fin d’une phrase.

Une justesse remarquable, du dessin et du propos.

Guy Delisle – Chroniques de Jerusalem – Chroniques Birmanes – Pyonlang.

DANS LA COMBI DE THOMAS PESQUET de Marion Montaigne

Jamais autant ri en lisant un livre, je gloussais à chaque page. Et rarement autant appris et compris quelques notions d’astrophysique, mêlées au quotidien de l’apprenti puis brillant astronaute Thomas Pesquet (fierté nationale tout de même). Des planches d’anthologie comme la description des concepteurs de tests ou le briefing « aller aux toilettes « dans l’espace…J’aurais adoré être une petite souris pour assister aux réunions d’écriture entre notre sympathique astronaute et Marion Montaigne, vulgarisatrice scientifique de génie, qui nous fait tout comprendre à coup de crayon, de flèches et de croquis. Ce livre respire l’entente désopilante entre ces deux immenses talents.

A mettre entre toutes les mains de 7 à 77 ans.

Marion Montaigne – Dans la combi de Thomas Pesquet Dargaud

QUARTIER LOINTAIN de Jiro Taniguchi 

Vertigineux. S’il n’y avait qu’un manga à lire, ce serait celui-ci. Vertige de notre logique :  inverser la lecture est en soi une expérience, qui nous rend perméable à d’autres types d’abandons et d’émotions. Vertige du scenario : un « salaryman » prend le train à Tokyo pour rendre visite à sa mère. Il s’y endort. A son arrivée, il se réveille avec toute sa tête mais dans le corps et à l’époque de ses 14 ans. Double retour arrière pour nous occidentaux. Et l’on plonge alors dans la poésie retenue et la violence délicate du Japon d’après-guerre. Le vieux jeune homme va-t-il faire basculer le destin ? 

Tournez les pages dans le bon sens et prenez le train avec lui, le voyage est intense.

La découverte de Jiro Taniguchi, extraordinaire conteur-dessinateur, ouvre des portes merveilleuses : la perfection graphique et sensorielle du SOMMET DES DIEUX (5 tomes magnifiques) feront de vous un alpiniste chevronné au bout de sa vie au sommet de l’Everest, et que dire de la rêverie nostalgique du JOURNAL DE MON PERE…

Une seule solution : faire comme les ados : s’asseoir au rayon BD et y passer l’après-midi ! 

LES INDES FOURBES. Scénario Alain Ayroles, dessin Juanjo Guarnido

D’abord, chaque planche est une merveille d’aquarelliste. On peut passer de longues minutes à admirer ces dessins, humoristiques, justes et surtout très beaux, je n’ai pas d’autre mots. Et on tombe aussi en amour de ce noble castillan, Don Pablos de Ségovie, un peu ridicule, super attachant, gaffeur sympathique qui nous emmène à la recherche de l’Eldorado. Des personnages bien troussés, des vrais méchants, de l’or, des tavernes, la neige des Andes et c’est parti pour 160 pages, avec quelques arrêts sur images, soufflés par ce dessin. 

Et si l’Eldorado était l’album lui-même ? 

A visage découvert

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Une exposition dans les vitrines de la rue des Beaux-Arts

Par Stéphanie Dulout

Jeudi des Beaux Arts

Les galeries parisiennes ont à nouveau été contraintes de fermer ? Qu’à cela ne tienne : les vitrines restent visibles, et ne sont pas obstruées ! Contrairement aux expositions morts-nées des musées – accrochées, décrochées et remballées1 ou condamnées à être « kraftées » 2 en attendant désespérément la réouverture espérée… –, il n’y a pas ici d’obstruction faite aux regards !… 

Galerie Arnaud Lefebvre
Galerie Arnaud Lefebvre – Robert Huot , 4 CAROLS, 2005 acrylique et fusain sur toile, 4 fois 173 x 56 cm

Ici, c’est-à-dire à Saint-Germain-des-Prés, dans le périmètre traversé par la rue des Beaux-Arts, de la rue Mazarine à l’école des Beaux-Arts, en passant par la rue de Seine, où les galeries, contrairement aux forteresses et autres hôtels sur cour du Marais, ont pignon sur rue…

De gauche à droite : Julien Flak, Odile Aittouares, Stéphane Corréard, Marie-Hélène de La Forest Divonne et Anthony Meyer. ©Galerie La Forest Divonne

C’est ainsi que les marchands de la rue des Beaux-Arts, à l’initiative de nombreuses manifestations ayant redonné, depuis quelques années, un regain de dynamisme au quartier 3, ont trouvé la parade pour contrer l’obligation de fermeture au public qui leur a été imposée le 19 mars dernier: dans l’attente de la décision du Conseil d’Etat auprès duquel le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) a déposé un recours pour concurrence déloyale envers les sociétés de vente aux enchères publiques 4, plus de vingt enseignes ont décidé de continuer de donner à voir des œuvres d’art par-delà les restrictions sanitaires en offrant aux passants « une exposition de qualité muséale, accessible tous les jours de la semaine » à travers leurs vitrines…  

Clin d’œil du créateur Jean-Charles de Castelbajac, invité par les galeries à investir les murs de la rue, un minotaure tracé à la craie tire Le Fil d’ArtRiane autour de la devanture de la galerie du Minotaure. Un tracé enlevé faisant écho au trait libre et léger de L’Enfant aux cerises d’André Masson (huile sur toile, 1943).

Aux chalands masqués – et doublement masqués puisque cela fait un an que l’on butte sur les reflets de nos visages barrés d’un rectangle de papier ou de tissu… –, le joyeux clan des marchands de la rue des Beaux-Arts a eu la bonne idée d’offrir un ensemble éclectique et inspiré de portraits. Des « visages découverts » dont la force expressive, en ces temps de mascarade hygiénique, se voit décupler… 

Portraits peints ou photographiés, visages sculptés ou dessinés, masques chamaniques…, de l’art moderne et contemporain aux arts primitifs, on va de surprise en surprise et l’on plonge avec délices dans la magie d’un genre condensant tous les mystères de la représentation par ses louvoiements dans les interstices insondables du visible et de l’invisible, de l’apparition et de la disparition, du vrai et du faux, de la forme et de l’informe.

Visages nés de l’informe ou surgis du noir

Galerie Berthet Aittouares. En bas à gauche : Robert Combas – Racine antropomorphe – bois polychrome, circa 1990 – 60 x 44 cm, signée en haut en vert. Au centre : Antoine Schneck – Nakama – 107 x 80 cm Tirage 6/8Photo de droite : Jean-Charles de Castelbajac, invité du Jeudi des Beaux-Arts et Odile Aittouares

De ces flottements et de cette indétermination dont le portrait contemporain a fait son terreau, la Racine anthropomorphe de Robert Combas exposée dans la vitrine de la Galerie Berthet Aittouares témoigne magnifiquement : simple sarment planté sur un socle agrémenté de deux grands yeux bleus et d’une bouche écarlate peints grossièrement, ce visage jailli de l’informe semble étrangement doté de vie… A ses côtés, le visage d’ébène enluminé de peintures guerrières photographié par Antoine Schneck fait mouche. Surgissant d’un fond noir, comme détaché de son corps, d’une définition parfaite et d’une impassibilité presque surréelle, cette figure toute sculpturale trouble par son ambivalence : elle a la force brute et expressive du masque mais recèle une présence bien humaine : troublant… 

Toujours chez Berthet Aittouares, dans l’autre vitrine, deux visages évanescents -– lambeaux de chair poudrée, aqueuse, d’une délicatesse infinie – nous regarde, contrits, avec une tendresse poignante portée par la douceur vacillante de l’aquarelle et du lavis : deux visages fantômes peints en 1948 par Henri Michaux.  

Visage-cri 

A quelques mètres, presque en face, chez Applicat-Prazan, rue de Seine, c’est un autre visage fantôme qui surgit, comme un cri : l’un de ces terribles morts-vivants des camps peints par Zoran Music (Nous ne sommes pas les derniers, 1974) : la forme ici rejoint l’informe dans l’effacement et l’épurement qui se font hurlants… On ne peut ici passer son chemin sans pleurer ou prier…

galerie Raymond Dreyfus. Wang Keping
Le fascinant visage sans visage de Wang Keping (né à Pékin en 1949) exposé dans la vitrine de la galerie Raymond Dreyfus.

En repartant vers la rue des Beaux-Arts, on trouvera de quoi s’apaiser et méditer dans le visage-paysage d’un bois sculpté de Wang Keping à la galerie Raymond Dreyfus. Sans yeux, sans nez, sans bouche, ce visage sans visage, tel un miroir sans tain – miroir de l’âme ? –, saura prendre au piège du vide et mettre à nu bien des passants : blotti dans un corps stylisé, sa surface lisse et luisante, semble nous renvoyer à notre propre néant et pouvoir nous plonger dans les abîmes du moi ou nous faire entrevoir l’au-delà… Miracle de la figuration abstraite… 

Visage-masque

C’est aussi « du visible à l’invisible » que nous invite à voyager la Galerie Flak (8, rue des Beaux-Arts) au travers d’un cortège haut en couleurs de masques et autres « faux-visages » anciens d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique du Nord, avec deux pièces muséales en vitrine : un masque double de chamane Eskimo incarnant l’Esprit inua de l’homme-phoque et enserrant dans sa gueule animale un visage humain (stylisé), et un masque-portrait Tsimshian du Grand Nord (Canada, Colombie britannique), chef-d’œuvre de l’art amérindien ancien ayant appartenu à André Breton, recelant un « masque caché » aux traits plus animaliers en son envers (à découvrir dans le catalogue en ligne).  

Galerie Flak - Masque portrait chamanique -André Breton
Pièce muséale exposée à la galerie Flak : Masque portrait chamanique Peuple Tsimshian Northwest Coast, Canada Skeena River, Colombie Britannique Bois, pigments, liens en cuir XIXème siècle vers 1850, hauteur : 23.5 cm  Provenance :  Ex collection William O. Oldman, Londres, avant 1928 Ex collection André Breton, Paris

C’est avec une bonne dose d’humour qu’à la galerie La Forest Divonne on cache pour mieux montrer ou révéler sous le factice et les clichés l’intimité blessée : virtuoses du simulacre et de la mise en abyme, Elsa & Johanna (duo de photographes de choc) s’exhibe en robes de chambre et pieds en éventail, le visage enduit d’un masque d’argile, dans un faux remake glaçant… 

Galerie La Forest DivonneGalerie La Forest Divonne - Elsa Johanna
Galerie La Forest Divonne –
Elsa & Johanna “Their type of thing”, Beyond the shadows, 2018
Impression jet d’encre semi-mate – 5 ex + 2 EA – 80 x 120 cm

Dans un registre plus trash, à la galerie Le Minotaure, la femme, délestée de tout oripeau, s’exhibe nue et en pied. Le visage et le corps ne font plus qu’un pour détruire la forme archétypale du nu féminin et donner à la nudité la force d’un manifeste. Arborant une étoile taillée à la lame de rasoir sur son ventre au cours d’une performance, Marina Abramović fait du portrait une arme hautement transgressive. 

galerie Le Minotaure - Marina Abramović
A la galerie Le Minotaure, le visage et le corps ne font qu’un. Marina Abramović (Lips of Thomas, 1975, impression chromogène marouflé sur aluminium) y côtoie Louise Bourgeois et Martial Raysse.

  1. Ainsi de Matisse, comme un roman au Centre Pompidou ou de Noir & Blanc, une esthétique de la photographie au Grand-Palais.
  2. Le Corps et l’Ame au Louvre, L’Heure bleue de Krøyer au musée Marmottan, Auguste Biard à la Maison Victor Hugo, Vollard, édition limitée et Laurence Aëgerter au Petit Palais et tant d’autres… 
  3. Rendez-vous, les Jeudis des Beaux-Arts, Photos Saint-Germain, Un dimanche à la galerie
  4. Le CPGA a déposé, en date du jeudi 25 mars, un recours en Référé-Liberté auprès du Conseil d’État en réaction aux dispositions du décret n°2021-296 du 19 mars 2021, afin que, d’une part les galeries d’art figurent parmi les établissements autorisés à accueillir du public – au même titre que les sociétés de ventes volontaires – et d’autre part, que leur activité relève de celles permettant l’accueil du public au même titre que les librairies et les disquaires.

« Après les musées, nos galeries sont désormais fermées, mais nous ne pouvions nous résoudre à laisser Paris devenir un désert culturel ! Une grande solidarité règne entre les marchands de la rue. C’est donc spontanément que, dans l’urgence, nous avons décidé d’offrir aux promeneurs, une exposition de haut niveau, représentative de la diversité et de la qualité des enseignes de notre quartier, uniques au monde ! » Stéphane Corréard et Hervé Loevenbruck 

«Les galeries sont des lieux essentiels d’évasion. Même fermées nous souhaitons que nos vitrines restent des fenêtres ouvertes sur l’art et la création. La rue des Beaux-Arts est depuis toujours un musée à ciel ouvert.» Marie-Hélène de La Forest Divonne 

 Galeries participantes 

Applicat-Prazan Rive Gauche / Galerie J-B Bacquart / Galerie Bayart Galerie Berthet-Aittouares / Galerie Claude Bernard /Galerie Raymond Dreyfus / Galerie Entwistle / Esquisse / Galerie Flak / JSC gallery / Galerie La Forest Divonne / Galerie Abla et Alain Lecomte / Galerie Arnaud Lefebvre / Galerie Le Minotaure / Galerie Loft / Galerie Loeve&Co / Love&Collect / Galerie Meyer / Galerie Olivier Nouvellet / Galerie Ratton / Galerie Patrice Trigano… 

Avec la participation del’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et de Jean-Charles de Castelbajac. 

  • L'Hôtel - Oscar Wilde - Castelbajac
  • André Masson - Patrice Trigano
  • rue des Beaux Arts - Paris 6

ADRESSES DES NOMS CITES :

L’Hôtel – 13 rue des Beaux-Arts – 75006 Paris https://www.l-hotel.com/fr/

Entwistle Gallery – 5 rue des Beaux-Arts – 75006 Paris https://www.entwistlegallery.com/

Galerie Patrice Trigano – 4 bis rue des Beaux-Arts – 75006 Paris http://galeriepatricetrigano.com/fr/

Esquisse Fournitures pour Artistes – 3 rue des Beaux-Arts – 75006 Paris https://esquisseparis.fr/

JSC Modernart Gallery – 3 rue des Beaux-Arts – 75006 Paris – https://www.jsc-gallery.com/

Galerie Monbrison – 2 rue des Beaux Arts, 75006 Paris – https://www.monbrison.com/fr/

Galerie Le Minotaure – 2 rue des Beaux Arts, 75006 Paris- https://galerieleminotaure.net/fr/

Galerie Laforest Divonne – 12 rue des Beaux Arts, 75006 Paris – https://www.galerielaforestdivonne.com/fr/accueil/

Galerie Arnaud Lefebvre10 rue des Beaux Arts, 75006 Paris – https://www.galeriearnaudlefebvre.com/

Galerie Raymond Dreyfus – 3 rue des Beaux Arts, 75006 Paris – Raymond Dreyfus

Galerie Flak – 8 rue des Beaux Arts, 75006 Paris – https://www.galerieflak.com/

Galerie Berthet-Aittouares – 14 et 29 rue de Seine 75006 Paris – https://www.galerie-ba.com/

LEMANIANA, Reflets d’autres scènes

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Une fois de plus, Andrea Bellini, directeur du CAC de Genève, crée la surprise et casse les codes traditionnels avec une exposition hors du commun. Le pitch était, dès le départ, très alléchant. Ecartées, les habituelles invitations d’artistes par un curateur autour d’un thème prédéfini! Pour mettre en valeur la scène artistique actuelle locale, il voit plus loin et plus large. La participation à l’exposition Lemaniana s’est faite via un appel direct à candidatures, ouvert à tout artiste habitant la région du lac Léman (Cantons de Vaud et de Genève pour la Suisse et Haute-Savoie Française), quel que soit son parcours, sa pratique artistique, son âge, ses thèmes de prédilection. Avec plus 830 dossiers reçus- qu’il a fallu ensuite étudier pour en retenir une soixantaine-, l’expérience devient une véritable étude de la production artistique contemporaine autour du bassin Lémanique.

Johanna Odersky -peinture à l’huile sur toile pliée

Révéler des talents méconnus

Andréa Bellini dresse un bilan très positif sur cette nouvelle scène artistique, dynamique, intergénérationnelle et internationale. Et surtout extrêmement éclectique! Pour la sélection des candidatures, le directeur a été rejoint par Mohamed Almusibli, Jill Gasparina et Stéphanie Moisdon. Au final, 56 lauréats, de 22 à 89 ans, ont été choisis pour occuper les cimaises de trois étages du Centre d’Art. Tout l’enjeu pour Andréa Bellini était d’offrir à ces artistes, jamais ou peu montrés jusqu’alors, une exposition « professionnelle » de qualité muséale . L’exercice a du être périlleux, vu l’hétérogénéité frappante de ce qui est présenté, mais le résultat est là, avec une mise en scène très réussie. Chaque artiste peut se targuer d’être impeccablement mis en valeur. Pluridisciplinaire, et très variée Lémaniana regroupe photos, peintures à l’huile, dessins, maquettes, videos, oeuvres sonores ou olfactives etc..on y joue toute la gamme des styles imaginables du plus poétique au provocateur, du traditionnel à l’insolite, du réaliste au conceptuel. Chacun se laissera porter par sa sensibilité pour y trouver ce qui le touche.

Stefania Carlotti, I want a Reckless life, courtesy à l’artiste

Ma sélection en quelques mots et images

Comme des fleurs colorées accrochées aux murs, les volutes des oeuvres en toile pliée de Johanna Ordersky sont empreintes d’une rondeur toute mélodique. La jeune Allemande s’adonne à deux disciplines artistiques, les arts plastiques et la musique, ses deux pratiques interférant l’une avec l’autre. Ses rondes peintes reflètent avec poésie le rythme et les cycles de la vie.

https://www.johannaodersky.com/

Architecturales, les oeuvres de Sarah Watson allient des ensembles graphiques structurés à des couleurs sensuelles et des effets de transparence et de matière qui les animent.

Sarah Watson , Purple Cross, 2020, Acrylique et graphite sur panneau de bois.

https://fr.sarahwatson.ch/

Aphrodisiaque! Olfactive, cette belle sculpture de céramique émaillée de Lou Masduraud, diffuse, sortant de son nombril, une précieuse concoction aux vertus, parait-il, stimulantes. Au dernier étage , sa sculpture fontaine propose, elle, un remède anxiolytique. J’aime beaucoup ces oeuvres pour leur esthétique et… leurs effets!

Lou Masduraud, Aphrodisiac cabinet,
photo TheGazeofa Parisienne

http://www.loumasduraud.com/

Les oeuvres de Stefania Carlotti attirent l’oeil. Elles nous rappellent nos maisons de poupées…mais ce sont, en fait, des maquettes de bars un peu déglingués! Ces « baraques » miniatures séduisent. Leur surface de carton peint est lisse et brillante comme du métal laqué. En regardant à l’intérieur,on trouve un mobilier de bar très réaliste, à moitié renversés, comme si les buveurs éméchés venaient de le quitter. J’adore cet esprit vivant et décalé.

Stefania Carlotti, Untitled, courtesy à l’artiste

Révélation...J’adore l’histoire de Marco Walpen. Typiquement un artiste révélé par Lémaniana. Walpen est dans sa vie professionnelle maçon et bénévolement guérisseur. Pour évacuer le stress et les douleurs de ses séances avec ses patients, il se met à peindre chez lui . Les visages angoissés de ses oeuvres sont autant d’exutoires pour lui. Une oeuvre instinctive et saisissante.

Marco Walpen, Errance, huile sur toile, ©TheGazeofaparisienne

Le voyage autour du monde d’un tournesol dans sa fleur…. Sur tout un pan de mur du 3 ème étage, s’étend une grande fresque faite de motifs en grès peints et collés sur une peinture murale de la même teinte. Adrien Chevalley a créé cette oeuvre,s’inspirant de ses dessins conçus sur des routes de campagne.

Adrien Chevalley, Via Rohna Sun, Grès noir sur peinture murale

https://chevalleyadrien.com/about/

Ce n’est pas un morphing digital, mais bien un travail de dessinateur qui étonne par la précision et la virtuosité du trait. Felix Gagliardi s’intéresse, ici, aux visages. Il compose de nouvelles figures à partir de juxtapositions de parties de visage, répétées ou prises sous différents angles. Le résultat est une galerie de portraits étonnants, qui me font penser à des héros, sortis tout droit d’un film de science fiction.

Felix Gagliardi, Serie 10, Papier et crayons de couleurs . photo:©TheGazeofaparisienne

https://www.artmajeur.com/felixgagliardi

Un peu de Poésie… légèreté et délicatesse dans cette création de Luc Joly, le doyen de l’exposition. Un joli sourire dans cette oeuvre portant le nom inspirant de Aveugle tenant un soleil..

Luc Joly , Aveugle tenant un soleil , photo ©TheGazeofaparisienne

Caroline d’Esneval

LEMANIANA, Reflets d’autres scènes

jusqu’au 15 Aout 2021

Centre d’Art Contemporain de Genève

Augusto Giacometti (1877-1947), le grand maître de la couleur

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C’est un Giacometti. Et il a un talent fou. Peintre avant-gardiste Suisse, Augusto Giacometti a fait de l’exploration de la couleur l’expression mais aussi le sujet premier de son travail artistique. S’écartant des courants existants, il invente une forme de peinture totalement novatrice, originale, audacieuse . Au même titre que Kandinsky, Mondrian ou encore Malevitch, il apparait comme un des précurseurs d’une nouvelle ère dans l’histoire de l’Art: celle de l’Abstraction.

Augusto Giacometti, Azalées, 1912 ,© Erbengemeinschaft Nachlass Augusto Giacometti

C’est en visitant la très belle exposition dédiée aux peintres Suisses à la Fondation Gianadda, que j’ai découvert cet artiste fascinant. Je suis tombée en arrêt devant un de ses auto-portraits, qui ne ressemblait à aucun des autres tableaux qui partageaient sa cimaise. Surtout, j’ai été frappée par la modernité qui s’en dégageait… difficile d’imaginer qu’un siècle nous sépare!!

Augusto Giacometti , autoportrait , 1910, photo@Thegazeofaparisienne, vu à la fondation Pierre Gianadda en octobre 2021

Stampa, le fief des Giacometti

Augusto Giacometti

C’est dans un petit village Suisse nommé Stampa, au coeur du val de Bregaglia (région des Grisons), que se sont établis les Giacometti. Un prodige étrange semble avoir touché cette famille, conférant à ses membres un pouvoir de création exceptionnel. Chacun dans son domaine. Pour Augusto et Giovanni (son cousin) la peinture, et pour les trois fils de Giovanni, Alberto, Diego et Bruno, respectivement la sculpture (bien sur!), le mobilier d’Art et l’architecture. A l’âge de vingt ans, Augusto Giacometti quitte son village natal pour étudier à l’école des arts appliqués de Zurich. En 1897, il part à Paris pour quatre ans où il s’imprègne de l’art nouveau, puis s’en va vivre à Florence où il étudie la Renaissance Italienne, avant de revenir s’installer définitivement à Zurich en 1915. Mais dans sa vie comme dans son oeuvre, Stampa gardera toujours une place particulière.

Augusto Giacometti, Montagnes, 1904, ©Kunstmuseum Basel

La Couleur avant Tout

Augusto Giacometti, Fantaisie Chromatiques, 1914, ©©Erbengemeinschaft Nachlass Augusto Giacometti

« C’est assurément dans les coloris que réside l’âme du peintre et du tableau » Augusto Giacometti (1936)

Dès ses oeuvres de jeunesse – ses premiers pastels Parisiens et ses premières peintures- teintées de style Art nouveau, son talent de coloriste apparait avec évidence. Ce sont ses explorations chromatiques incessantes et passionnées qui l’amènent, à partir de 1910, à se détacher de toutes références et à créer une expression picturale totalement nouvelle, radicale. Ses paysages et ses portraits se décomposent en puissantes mosaïques de couleurs. Il est à l’apogée de son Art. Progressivement, il abandonne même toute idée de forme, pour se concentrer uniquement sur le vocabulaire coloriel, dans des créations totalement abstraites, notamment ses « fantaisies chromatiques » ( de 1910 à 1920).

Augusto Giacometti, autoportrait, 1910,
© Bündner Kunstmuseum Chur / Erbengemeinschaft Nachlass Augusto Giacometti

Les Somptueuses fresques « Blüemlihalle » (entrée du Poste de Police City de Zurich)

Augusto Giacometti, Bluemlihall, 1923-25, Fresque Poste régional City de la police de Zurich

En 1922, la ville de Zurich lance un concours pour décorer et embellir la cave voutée, transformée en hall d’entrée du poste de police de Zurich. Augusto Giacometti le remporte largement et investit le lieu avec des fresques aux rouges et ocres flamboyants, conçues de 1923 à 1925. Ornements de fleurs et de motifs géométriques pour les plafonds, représentations de personnages à leurs occupations (artisants, magiciens, et astronomes) sur les murs. Surnommée « Blüemlihalle », « Salle des petites fleurs » , cette oeuvre monumentale est considérée comme un trésors national.

 Un artiste lié à l’avant-garde artistique de son temps

Avide de nouveautés et de découvertes, Augusto Giacometti a noué des relations avec les mouvements artistiques naissants de son époque. Aussi a-t-il échangé avec les Futuristes en Italie et les Dadaïstes à Zurich, tels Tristan Tzara ou Jean Arp.

Augusto Giaconetti, Kinderfries, 1916,©Erbengemeinschaft Nachlass Augusto Giacometti

A sa mort en 1947, une épitaphe sur sa tombe, rend hommage à son talent :

 » Que repose en paix le maître de la couleur ».

Caroline d’Esneval

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