Silent World. Cela pourrait être un titre de film, une idée évidemment très prémonitoire pour un projet réalisé en 2009 qui nous proposait déjà une réflexion sur notre civilisation, la vie et la mort, l’éternité.
Un monde silencieux, immobile où toute existence de vie semble avoir disparu, puis en observant de plus près ces photographies, apparait fortuitement une silhouette, que fait-elle solitaire parmi ces vestiges d’une civilisation volatilisée ?
Question existentielle ?
A quoi pensaient Simon et Lucie en réalisant cette série, pensaient-ils déjà au Monde d’après, pouvaient-ils croire qu’un jour ces quatre villes Beijing, Rome, Paris, New-York seraient englouties par un virus, des images qui prennent une autre dimension après ce que nous avons vécu entre le 17 mars et le 11 mai.
Réalité ou fiction ?
C’est si étrange d’avoir pu vivre en vrai ces deux derniers mois de confinement, la disparition humaine sur tous ces lieux visités par les photographes dix ans auparavant. Une atmosphère irréelle et tragique d’un film de science-fiction. Cela me fait penser à ce film Inception, je vois cette affiche où Leonardo di Caprio seul dans New-York, interprète un voleur de secrets en s’infiltrant dans notre subconscient. Quand je regarde ces images, j’ai l’impression d’être dans un rêve, une émanation d’une situation spéciale, déconcertante, une promeneuse solitaire dans ces villes emblématiques.
Brodbeck & deBarbuat -« A Silent World » for The Gaze of a Parisienne & Spirit Now London
Duo d’artistes
Simon Brodbeck et Lucie de Barbuat se rencontrent en 2004, le premier est assistant photographe, la seconde travaille dans un laboratoire argentique. Tous les deux commencent à développer d’abord chacun pour soi, des projets de paysages de nuit, puis ils partent ensemble, toujours de nuit, le jour, ils travaillent, pour des expéditions photo et naturellement le projet artistique à deux se concrétise. Dans la série Earth Vision, ce qui leur plaît c’est de révéler par la magie de l’appareil ce que nous ne pouvons apercevoir à l’oeil nu quand il fait noir.
Leurs références de l’histoire de l’art, allemande pour Simon, française et italienne pour Lucie se rejoignent. En 2010, ils reçoivent le prix de la photographie HSBC, un livre est édité à cette occasion chez Actes Sud Lucie & Simon Vertiges du quotidien. Leurs photos font très souvent référence à la peinture.
Suspense, cinéma
Les deux artistes sont des metteurs en scène d’histoires longues de 3 à 4 ans, le cadre : le Monde, les acteurs sont eux-mêmes ou leurs proches, des images mystérieuses parfois comme leur maître Alfred Hitchcock, qui les inspire. Leurs photos sont des beautés froides, étalées sous notre regard, inquiétantes, elles posent la question de la perception de la réalité, du futur. Cela pourrait être Les choses de la vie de Claude Sautet qui défilent une à une avec une envie de reconnaissance réconfortante qui s’empare de nous dans l’espoir d’effacer ce qui nous dérange. Scenes of life.
Solarisations, Opéra national de Paris I, 2014-2019 Brodbeck & de Barbuat Photographie inédite de la série « Silent World » réalisée et sélectionnée spécialement pour DILECTA.
Pensionnaires de la Villa Médicis
En 2016/2017, ils sont pensionnaires de la Villa Médicis. Ils entreprennent une nouvelle série In search of Eternity inspirée du film de Wim Wenders Les Ailes du désir, dans un Berlin encore divisé par le Mur, deux anges, Peter Falk et Bruno Ganz, aimeraient vivre la réalité avec en « toile de fond » le poème de Peter Handke. Lucie et Simon sont toujours en quête de l’invisible, aller au delà de ce que l’oeil peut voir. Au cours de leur voyage en Equateur, ils ont rencontré la tribu des Achuar de la forêt amazonienne qui croient à la vie intérieure de n’importe quel élément. Les deux photographes ont collecté sur place toutes sortes de fragments, cailloux, cheveux, feuilles, nourriture, les ont placés sous verre et ont cherché les traces de leur esprit.
Lors de leur passage à Rome, jour après jour, ils prélèvent des « vestiges » herbes, fleurs, trouvées sur place, constituant peu à peu un herbier présenté en parallèle du Silent World.
Memories of a Silent World -2008-2012 – 42 fleurs séchées
Vestiges poétiques
Voudraient-ils mettre le monde dans un classeur ? C’est cette impression qui semble sortir de leur objectif, un catalogue non exhaustif de références visibles et invisibles à la recherche de l’esprit des vestiges, du temps qui passe, des paysages, architectures… Leur vision poétique d’une civilisation.
« Durant toute la réalisation du projet Silent world, nous avons prélevé des objets abandonnés errants dans les villes. Ces Vestiges poétiques de notre Monde contemporain construisent une narration ayant pour but de garder une trace de ces univers inventés auxquels nous avons voulu donner vie en image. Des lieux n’ayant jamais existés autrement que dans notre esprit, mais dont nous souhaitions garder une trace, comme une archéologie imaginaire de notre monde et de notre temps. » Simon Brodbeck & Lucie de Barbuat – Extrait de Memories of a silent world. (livre en préparation)
Haute définition
La haute définition permet de voir très précisément les détails, le très long temps de pose, de longues heures, élimine tout mouvement, la présence humaine disparait, effaçant toute trace de vie. Cette méthode fait référence au daguerréotype, en hommage au premier procédé photographique de l’histoire, divulgué par Louis Daguerre le 19 août 1839 lors d’une séance officielle à l’Institut de France. Premier procédé photographique mis au point à partir des recherches de Nicéphore Niépce, surnommé le « daguerréotype », ce procédé impliquait de longs temps de pose. Loué pour sa fidélité dans la reproduction du réel, le procédé fut également critiqué par la lenteur des prises de vue, l’aspect statique des modèles et le miroitement de la plaque. Cette philosophie de la photographie inspire directement le travail de Simon Brodbeck et Lucie de Barbuat.
A cette image une autre prise d’une fraction de seconde est rajoutée où cette fois-ci un personnage rencontré sur place est présent.
Futur
De nombreux projets sont en cours dont : le Grand Paris, une exposition du Silent World au Mucem, : Civilization : The Way We Live Now, conçue sous l’égide de Todd Brandow (Foundation for the Exhibition of Photography, Minneapolis/Lausanne) et une autre de Bartomeu Mari au Museum of Modern and Contemporary Art, Seoul, Korea (MMCA) par les commissaires William A. Ewing et Holly Russel. L’exposition rassemble des photographies de Olivo Barbieri, Philippe Chancel, Taryn Simon, Thomas Struth, et d’autres.
Aux artistes, Simon et Lucie qui m’ont préparé ce minifilm
A Emmanuelle de L’Ecotais qui m’a permis cette rencontre
Cette présentation est une collaboration avec le Cercle de collectionneurs SPIRIT NOW LONDON. Fondé en 2015 et dirigé par Marie-Laure de Clermont-Tonnerre, Spirit Now London est une organisation philanthropique qui consacre tout ses revenus au financement d’institutions culturelles et au soutient de jeunes artistes. C’est un cercle privé et international de bienfaiteurs, collectionneurs et amis, à qui Spirit Now London offre l’opportunité de rencontrer des personnalités exceptionnelles de l’art contemporain, du design, de la culture et de la science.
Les réouvertures de galeries accompagnent peu à peu celles des Musées et Centres d’Art. Nous pouvons enfin accéder aux oeuvres, ailleurs que sur la toile. De belles retrouvailles en perspective!The Gaze vous emmène faire un petit tour/ découverte de quelques galeries choisies.
Devant la porte rouge de l’Espace Muraille
Art en Vieille Ville
L’Espace Muraille, Arik Levy
Arik Levy , LogFormationDependance 595
Passer cette porte rouge est toujours, pour moi, un moment exhaltant. Que de belles expositions Eric et Caroline Freymond présentent dans ce lieu unique! Grâce à eux, j’ ai découvert l’artiste Monique Frydman, retrouvé avec un immense plaisir Tomàs Saraceno et Olafur Eliasson, admiré les oeuvres tissées de la charmante Sheila Hicks et les céramiques si pures d’Edmund de Waal.
Arik Levy
Arik Levy
La réouverture « post-Covid » de l’Espace Muraille dévoile le travail d’Arik Levy. Ce créateur Israélien a fait ses armes en tant que designer puis a évolué vers une expression purement artistique. Il présente ici des sculptures monumentales qui viennent changer notre perception de l’espace. On sent la pâte du designer dans le travail de matière, parfois lisse comme du béton ou au contraire révélant la texture riche du bois. Ses oeuvres évoquent des forme primitives; à la manière des totems, il s’en dégage une force mystérieuse.
Espace Muraille , place des Casemates, Genève. A voir jusqu’au 30 Juin.
Galerie Gowen Contemporary, Ma Sibo
Gowen Contemporary présente le solo show, Stand in Silence, de l’artiste Chinois, Ma Sibo. Ses créations révèlent une double inspiration. L’influence Chinoise, bien sûr, par la poésie, la spiritualité, le silence qui s’en dégage et la touche Occidentale par le travail de la lumière inspirée du grand maitre Hollandais Vermeer et du « magicien » James Turrell. Ses oeuvres sont empreintes d’un mystère evanescent et onirique. Une très belle rencontre!
Ma Sibo, Showcase, 2019 , courtesy Gowen Contemporary
Gowen Contemporary, 4, rue Jean-Calvin, Genève. A voir jusqu’au 27 Juin.
Sonia Zannettacci présente, dans sa galerie, « Regards croisés« . Cette exposition très intéressante établit des dialogues thématiques et formels entre plus d’une vingtaine d’artistes. La sélection des oeuvres et l’accrochage judicieux permettent de créer des ponts entre différents mouvements majeurs de l’Histoire de l’Art des XX et XXI ème siècle.
Pierre Alechinsky • Erwin Blumenfeld • Mark Brusse • Charlemagne Palestine • César • Edward S. Curtis • Erik Dietman • Erró • Francky Boy • Maurice Henry • George Hurrell • Horst Janssen • Marcel Jean • Peter Klasen • Kosta Alex • Marc Le Mené• Alberto Magnelli • Jacques Monory • Bernard Rancillac • Antonio Seguí • Fan Shunzan • Fred Stein • Roland Topor • Jacques Villeglé • Weege
Galerie Rosa Turetsky, Ladina Gaudenz
C’est une ode au printemps, des bouquets de fleurs aux tentes délicates et fraiches, qui nous accueille à la galerie Rosa Turetsky. Inspirée par la célébration des cerisiers en fleurs du Japon, l’artiste Ladina Gaudenz, compose des peintures mettant en scène le gracieux « sakura »sous toutes ses formes.
Galerie Rosa Turetsky, Grand-Rue 25, Genève . Jusqu’au 20 Juin.
Quartier des bains
Dans ce quartier très vivant de galeries, l’ambiance est au dynamisme et aux couleurs vives… Show must go on!!
Galerie Laurence Bernard, Selina Baumann
Laurence Bernard devant les oeuvres de Selina Baumann
Le nouvel accrochage de la Galerie Laurence Bernard permet de découvrir l’univers très onirique de la jeune Bâloise Selina Baumann. Des céramiques non émaillées aux couleurs acidulée nous renvoient à l’imagerie de notre enfance (champignon, donuts, pieuvres, tabouret, montgolfière, etc..). Pas étonnant que chacune des ses oeuvres porte le nom d’une marque de jouet (Allemande). Une exposition bourrée de charme!
Selina Baumann
Skopia, Jean Luc Manz
Chez Skopia, les couleurs vives de Jean-Luc Manz envahissent les murs. Le propriétaire des lieux, Pierre-Henri Jaccaux, commente le parcours de cet artiste, issu de la mouvance d’abstraction géométrique Suisse des années 70. Au fil du temps, les oeuvres très structurées et rigoureuses voire systématiques de Jean-Luc Manz évoluent vers des champs formels nouveaux, plus libres, plus expressifs. Ainsi cette exposition regroupe des créations hautes en couleurs, où la règle se mêle aux jeux, le graphisme structuré laisse la place à l’imprévu, au mouvement de lignes courbes et ondulantes .
Pierre-Henri Jaccaux , fondateur de Skopia devant une oeuvre de Jean-Luc Manz
Galerie Skopia, Rue des Vieux-Grenadiers 9, Genève. Jusqu’au 3 Juillet.
Xippas, Uplift (exposition collective)
La galerie Xippas nous emmène dans un voyage étrange et fascinant en terres mystérieuses, habitées par des créatures extra-ordinaires semblant tout droit sorties de « l’île du Dr Moreau ». Ces « monstres » sont le fruit de la théorie d’évolution « Uplift », selon laquelle « une espèce vivante en améliore une autre », lui conférant des attributs nouveaux que la nature seule ne peut pas lui donner.
Joanna Vasconcelos , photo Julien Gremaud
David Zink Yi, Tintenfische, 2000, Ceramic of 8 parts, photo Julien Gremaud
13 artistes, grands noms et jeune talents, se trouvent réunis dans une mise en scène quelque peu surréaliste. J’ai particulièrement aimé l’immense Rhinocéros de Balthazar Burkhard, la tête de taureau entourée de dentelles au crochet de Joana Vasconcelos, les tentacules spectaculaires de David Zink Yi, les chiens blancs presqu’invisibles d’Alice Bouvy et la superbe photographie en Noir et Blanc de Vik Muniz (Couple Central Park Zoo, after Garry Winogrand) que j’avais déjà pu admirer au Musée de l’Elysée de Lausanne.
alfredo aceto | aline bouvy | balthasar burkhard | miriam cahn | ann craven | thomas liu le lann | xavier mary | vik muniz | jochen plogsties | éric poitevin | ugo rondinone | joana vasconcelos | david zink yi
Xippas, Rue des sablons 6, Genève. A voir jusqu’au 31 Juillet.
Galerie Mezzanine, Isabella Ducrot
La galerie Mezzanine consacre un solo show au travail délicat de l’artiste Italienne Isabella Ducrot. Cinq chapitres aux thèmes extrêmement variés, allant des paysages très poétiques à des théières tout à fait anglaises, en passant par des dessins érotiques, avec en fil rouge la répétition du sujet sous diverses formes.
Isabella Ducrot serie « Bella Tierra », photo Annick Wetter
Isabella Ducrot, photo Annick Wetter
Côté Musées et Centres d’Art
Centre d’Art Contemporain de Genève
SCRIVERE DISEGNANDO
Si vous ne l’avez pas vue avant le confinement, alors courez découvrir la magnifique exposition Scrivere Disegnando au Centre d’Art Contemporain de Genève.
Il a fallu trois ans, à Andrea Bellini, directeur du Centre Contemporain de Genève et à Sarah Lombardi, directrice de la Collection de l’Art Brut de Lausanne pour créer cette ambitieuse exposition. Elle réunit une centaine d’artistes. Beaucoup sont liés à l’Art Brut et ont conçu leurs oeuvres en asiles psychiatriques ou maisons de repos, d’autres sont des artistes du XXème siècle ou contemporains, qui ont inventé un nouveau langage. Une exposition exceptionnelle dont vous aurez un aperçu en lisant notre article publié durant le confinement « Scrivere Disegnando« .
CAC Genève, Rue des Vieux-Grenadiers 10, Genève. Jusqu’au 23 Aout 2020
Musée d’Art moderne et contemporain de Genève
OLIVIER MOSSET
Le MAMCO réouvre ses portes avec sa brillante rétrospective de l’artiste Suisse Olivier Mosset (né en 1944). Figure emblématique de la peinture abstraite d’après-guerre, son influence incontestable s’étend bien au delà des frontières helvétiques, jusqu’en Europe et aux Etats-Unis.
MAMco, exposition Olivier Mosset . Photo: Courtesy MAMCO de Genève
« D’abord associé à Daniel Buren, Michel Parmentier et Niele Toroni, au sein de l’éphémère constellation B.M.P.T., la série de cercles qu’Olivier Mosset peint inlassablement pendant les années 1960 compte parmi les œuvres les plus fréquemment commentées de cette époque. (…) Se déployant sur la quasi-totalité du musée, la rétrospective du MAMCO revient ainsi sur presque 60 ans de pratique, depuis les premières expérimentations des années 1960 jusqu’aux monumentaux travaux récents, en passant par les réflexions du peintre sur l’appropriation, le monochrome ou les shaped canvases. » MAMCO
Exposition organisée par Paul Bernard et Lionel Bovier.
MAMCO Genève, Rue des Vieux-Grenadiers 10, Genève. Jusqu’au 6 décembre 2020
Musée d’Art et d’Histoire
La Collection Beaux-Arts revisitée
Courtesy photo MAH Genève
Jusqu’au 31 décembre 2020, Le MAH dévoile la présentation remaniée des ses collections Beaux-Arts avec un renouvellement de près de la moitié des pièces exposées.
« Après deux premières étapes inaugurées en 2018 et 2019, la présentation entièrement renouvelée de la collection Beaux-Arts s’achève avec le réaménagement des salles allant du XIVe au XIXe siècle. »
MAH Rue Charles-Galland 2 , Genève . Jusqu’au 31 Decembre 2020
A partir du 30 Juin, le Musée de l’Ariana présente une exposition issue de ses collections contemporaines. Le public a été invité à choisir par votation 8 créations des collections autour desquelles se déclineront des ensembles de pièces.
L’avenir de l’art se jouerait-il sur la toile, « the world wide web » ?
Viewing rooms, zoom meeting, webinar ces nouveaux mots sont le résultat d’un confinement mondial.
Cela a entraîné une nouvelle façon d’acquérir des oeuvres convoitées par les collectionneurs. Le monde leur appartient, les frontières s’ouvrent, offrant un champ illimité de découvertes, de tendances.
Etel Adnan. Matin, 2019. 00 001 $ – Autres matériaux Céramique 160,0 x 200,0 (cm) Galerie Lelong & Co
Art Basel est une foire d’exception proposant le must de l’art contemporain, un évènement incontournable chaque année. Attendue par tous les amateurs d’art, au vue des circonstances actuelles, elle a joué le jeu online.
Ce qui est intéressant c’est la nouvelle perception des oeuvres vues hors échelle, sur l’écran, les peintures, sculptures défilent sans attache, on oublie les dimensions, les proportions disparaissent et parfois ce qu’on imagine petit est grand, même très grand. On intellectualise l’oeuvre.
Denise Vilgrain, 1 heure / 10 artistes Art Basel 2020
Ce qu’il faut savoir c’est que cette plateforme avait été conçue pour Hong Kong, indépendamment du confinement, pour permettre aux galeries d’élargir leurs propositions.
La question de la diversité a été posée. De plus en plus, les artistes soutiennent et cultivent ces différences, parties intégrantes de leur expression qui se traduit par l’utilisation d’éléments divers, techniques, écrits…
Nous avons demandé à Denise Vilgrain -Vice-Présidente des amis du Palais de Tokyo et représentante d’Art Basel vip pour la France, Grèce et Monaco – son ressenti sur les changements que l’actualité a imposés au monde de l’Art.
Collectionneuse, elle nous a fait part de ses choix, des artistes qui la touchent, des oeuvres qu’elle aime particulièrement dans cet Art Basel si singulier. Elle a accepté pour The Gaze, de participer à 1 heure / 10 artistes.
1 heure / 10 artistes
par Denise Vilgrain
1 Sheila Hicks (née en 1934)
Delicate Secret , 2019
45 000 $
Sculpture Lin, coton, fibres synthétiques 38,0 x 38,0 x 15,0 (cm)
Sheila Hicks est une artiste très importante, redécouverte en France, il y a quelques années, par Franck Elbaz. Son projet Apprentissage au Musée Carnavalet était magnifique. Ce qui est touchant dans son travail c’est l’utilisation d’un matériau unique : la laine, moyen d’expression premier de la femme. L’image de Pénélope qui tisse. C’est cette rigueur dans son travail qui la rend singulière unique et identifiable. Cette oeuvre, cette grosse pelote est pour moi très achevée à l’inverse d’une oeuvre en expansion, celle-ci est totalement en introspection.
2 Ulla von Brandenburg (née en 1974)
Isabelle Eberhardt , 2019
Travail sur papier aquarelle sur papier assemblé 120,0 x 60,0 (cm)
Ulla est une artiste de la théâtralité, ce qui est fascinant chez elle, c’est qu’elle arrive à créer des univers venant du monde du théâtre et de la performance. Il y a tout un process musical pour arriver ensuite à un résultat pictural. Ces aquarelles sont le résultat d’un autre travail, des oeuvres à part entière. Ses mélanges de couleurs, le traitement de l’aquarelle, tout est beau. Ses personnages semblent sortir de spectacles qui n’existent plus et ses aquarelles restent un témoignage.
Ce portrait est celui de l’écrivain suisse Isabelle Eberhardt, une aventurière, convertie à l’Islam, on a dit d’elle qu’elle était Rimbaud au féminin.
Harold Ancart est un artiste belge, il a fait l’école de La Cambre à Bruxelles où on lui avait dit « la peinture et la sculpture c’est mort ». Après un passage aux Etats-Unis, il revient à la peinture mais par des biais détournés. Il a commencé à faire des installations murales de peinture libre. Ces tableaux sont presque comme des dessins préparatoires, des carnets de dessins. Nouvelle évolution vers l’abstraction dans son travail. Il part d’un point d’horizon très précis qu’il met à grande échelle, lui donnant une autre dimension. Ses oeuvres de taille importante me semblent être les petits formats de grands formats.
Sarah Hughes. J »aime son côté classique, un tableau comme mal fini, résurgence du XIXe siècle. A l’opposé des artistes, qui, il y a quelques années, déclaraient que la peinture était morte, on en revient à une peinture très classique, très XIXe siècle qu’on trouvait dans les salons à Paris.
Donna Huanca. Ses peintures sont toujours issues de performances, les corps créent les bases de la peinture laissant la mémoire du corps sur la toile. Body painting, qu’elle retravaille laissant un témoignage de sa performance. J’aime que l’oeuvre n’existe pas seule qu’il y ait ce lien, qu’on parte d’une autre chose et qu’on arrive à ce résultat, j’avais assisté à une de ses performances à Shanghaï.
6 Brent Wadden (né en 1979)
Sans titre , 2016
Peinture Fibres tissées à la main, laine, coton et acrylique sur toile 118,0 x 100,0 (cm)
Brent Wadden. Après avoir utilisé la peinture, il s’est mis à faire du tissage, ce qui est intéressant de la part d’un homme, par opposition à l’idée qu’on se fait d’un savoir faire utilisé par les femmes.
Miriam Cahn est née en 1949, est connue pour ses portraits désincarnés, fantomatiques. Cette fois ci ce sont des arbres traités comme des têtes qui font penser aux portraits sans visage qu’elle fait. Au départ elle travaille le fusain et la craie et ensuite elle utilise la peinture à l’huile d’une manière très particulière comme une aquarelle.
Matthew Lutz-Kinoy. Je trouve très beau ce côté classique qui fait référence à Delacroix mais avec une échelle surdimensionnée. Le cheval, personnage unique et principal du tableau devient le héros, contrairement aux sujets classiques, où le cheval fait partie d’une scène . Il est aussi important d’imaginer la taille réelle de l’oeuvre qui mesure plus de 2 mètres.
Alicja Kwade est une artiste polonaise qui est dans la perception et l’illusion des objets qu’elle détourne et qu’elle met en scène en leur donnant une autre dimension. En utilisant le reflet du miroir, elle perturbe l’observation. Elle crée un monde parallèle. Le constructiviste des pays de l’Est inspire l’artiste.
Christina Quarles est née en 1985, artiste américaine vivant à Los Angeles. Double sens pour son titre Innocence Lost / In a Sense, Lost. Elle a créé l’oeuvre en réaction à la mort de George Floyd. Une vraie découverte pour moi. Une oeuvre immédiate, peinture de l’actualité, elle vit un évènement et crée un tableau.
Pour finir quelques oeuvres en images
Antony Gormley. Arrestation, 2019. Sculpture. 186,1 x 41,7 x 38,3 (cm) 73,3 x 16,4 x 15,1 (pouces) 67,6 kg ? 400.000 £ Galerie Thaddaeus Ropac
Daniel Buren – Carré encadré F, 1989. Vinyle autocollant noir sous Plexiglas sur mur noir 270,0 x 270,0 (cm) Kamel Mennour
Yayoi Kusama. Cirouille, 1995. Peinture acrylique sur toile 22,0 x 27,3 (cm) Victoria Miro
Pascale Marthine Tayou. CHALK CH , 2015. Médias mixtes craies 170,0 x 220,0 x 7,0 (cm) 110000$ -Galleria Continua
Etel Adnan. Matin, 2019. 00 001 $ – 250 000 $ Autres matériaux Céramique 160,0 x 200,0 (cm) Galerie Lelong & Co
Alex Katz- Tulipes violettes 2, 2019. Huile sur lin 182,9 x 121,9 (cm) 500 001 $ – 1 000 000 $ L’entreprise de Gavin Brown
Michelangelo Pistoletto – Vortice-dittico , 2019 360 000 $ Médias mixtes miroir noir et argent, bois doré 201,0 x 282,0 (cm) Galleria Continua
Mona Hatoum – Orbital II , 2018. 360 000 $ Sculpture Barres d’armature en béton et acier 140,0 x 140,0 x 140,0 (cm). Galerie Chantal Crousel.png
Danh Vo. Sans titre, 2014 – 285 000 $ Sculpture Or sur carton (620 g), tapis en laine teinte cochenille 38,0 x 100,0 x 169,0 (cm) Galerie Chantal Crousel
Amadeo Luciano Lorenzato. Sans titre, 1988. Huile sur panneau. 39,0 x 29,0 (cm) 32000$ Mendes Wood DM
Latifa Echakhch Wind Wall Icon, 2020 Peinture sur toile, 200.0 x 150.0 (cm) $115,000
Kamel Mennour
Matthew Lutz-Kinoy- Vue du torrent du Valentin dans le parc des Buttes Chaumont au sud , 2020 Peinture 210,0 x 142,0 (cm) 20000$ Mendes Wood DM
Dans la suite de nos visites d’ateliers, Florence et moi avons eu la chance d’investir celui d’un artiste qui m’est cher Rencontré il y a quelques années, Damien Deroubaix n’est plus à présenter ; son travail fait désormais partie de nombreuses collections de musées nationaux, ainsi que de collections privées.
Installé dans le bâtiment art nouveau classé « la Ruche », construit par Gustave Eiffel puis sauvé et reconstruit par Boucher pour les artistes de l’Est « sans le sou » dans les années 1910, parmi eux : Marc Chagall, Ossip Zadkine, Chaïm Soutine, Modigliani et aussi Fernand Léger, Marie Laurencin. Plus tard, dans les années 70, c’est au tour de Gilles Aillaud et Eduardo Arroyo et Ernest Pignon Ernest.
« Baum 6 », huile et collage sur toile, 200 x 150 cm, 2020 – en cours de réalisation
Ce lieu abrite aujourd’hui entre autre André Barelier, le bronzier de César, Arman et Balthus ; ainsi que Léonard Léonardi, le mozaïste de Chagall et Léger. La Ruche appartient aujourd’hui à la Fondation Seydoux et abrite une quarantaine d’ateliers. Damien a été coopté par Ernest Pignon-Ernest et occupe l’atelier/loft de Eduardo Arroyo.
L’une des particularités de l’artiste est qu’il est venu à la peinture tardivement. Jeune il ne savait pas que l’art existait. A 18 ans, au cours d’un voyage organisé à Arles à l’occasion d’une exposition Picasso, il a une révélation devant une tapisserie de Guernica. Il s’inscrit alors dans une école d’art et fait l’école des Beaux-Arts de Saint Etienne. Damien revendique le fait qu’il s’est fait tout seul en apprenant l’art dans les musées.
Destructeur : tel un boulimique, il « mange», digère et ressort tout de façon personnelle. Manet disait « lorsque j’ai les mains dans les poches, je croise les doigts de milliers de peintres ». Il n’a de cesse d’avoir des discussions de peintre. Il fréquente les musées, « déconstruit » les tableaux des grands maîtres pour mieux comprendre leurs techniques. Il travaille le dessin, la gravure, le verre, des matériaux qui le ramènent à la peinture.
Damien Deroubaix for The Gaze of a Parisienne & Spirit Now London
Un temps germanophile, il a expose depuis, au Musée des Sable d’Olonnes, à la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence. Il a récemment investi le Musée d’art moderne de Saint Etienne, ainsi que celui de Strasbourg et celui de Nottingham. Il a été choisi pour exposer quasi en solo en novembre prochain à l’occasion de la réouverture du Musée de la Chasse. Le thème choisi « la valise d’Orphée » intégrera dans son travail une collection d’amulettes d’un collectionneur antiquaire libanais.
« La façon de s’exprimer du peintre, ce n’est pas la parole mais la peinture. La peinture est un langage. » Damien Deroubaix
A gauche : Wunder der Natur 28.II.20 huile et collage sur toile 24 x 33 cm 2020
Constructeur et Inventeur : les grands thèmes de Damien sont la vie et la mort, le déjeuner sur l’herbe, la muse, la guerre, la maternité inspirée notamment de la plus vieille sculpture du monde appelée la Vénus de Hohle Fels en ivoire de mammouth. On retrouve dans son travail d’autoportraits les obsessions de l’artiste représentées par des animaux et scènes inspirées notamment de Goya et le tigre de Delacroix. On semble identifier dans sa série de nus de femmes et hommes inventés, les corps de Moore et Rodin. Il s’inspire de l’histoire de la peinture mais aussi des images, vidéos, photos traquées et prises sur le net, telle la sèche symbolique de la coloriste.
« les Damnés 1 », 2017 Eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur papier Hahnemüle – Édition à 35 exemplaires Signée, datée et numérotée par l’artiste – 77 x 113 cm – Réalisée à l’atelier René Tazé par Bérengère Lipreau, Paris
Assembleur : l’arbre découvert dans « la pisseuse » de Rembrandt, auréolé des couleurs bleue et verte si extraordinairement composées devient un élément central de ses œuvres. Damien travaille en parallèle une série intitulée « les merveilles de la nature ». Il reprend jusqu’à l’épuisement certains motifs, tels que le serpent, le champignon, le crapaud, l’œil, le feu. Ces éléments sont gravés sur bois ; il les imprime sur du papier japonais, puis il compose et les intègre par un procédé de collage au tableau.
En dehors de la peinture à l’huile, Damien a la particularité de peindre des grandes aquarelles sur papier.
Damien Deroubaix est installé depuis 1999 à Paris. Fabienne Leclerc de la Galerie In Situ s’occupe de lui. Ils sont installés depuis peu dans un nouveau complexe dédié à l’art à Romainville. Damien y fait la première exposition personnelle de la galerie. Allez le voir, il expose jusqu’u 21 mars prochain.
Allez voir également les 7 vitraux qu’il a créés grâce à un long travail intellectuel et une formation dans l’atelier du vitrail de Limoges et qui sont installés dans l’Eglise romane de St Eloy-les-Tuileries dans le Limousin.
Damien exposera également au Printemps 2023 à la Bibliothèque Nationale de France (BNF) à Paris et au Fonds pour la culture Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau.
Oui j’étais emballée par l’artiste, par le couple qu’il formait avec Jeanne-Claude. Tous les deux nous offraient l’irréalisable, les rêves devenaient réalité et c’était beau. Mon premier contact, visuel et sensoriel avec Christo et Jeanne-Claude, fut en 2016 la rétrospective à la fondation Maeght, avec le Mastaba installé dans la cour Giacometti : assemblage impressionnant de barils de pétrole de toute les couleurs, visant à préfigurer son projet de grand Mastaba dans le désert, à Abu Dhabi, projet initié dans les années 70, et qui poursuit le travail créatif sur les barils de pétrole de la rue Visconti.
2020, une année forte, hasard du destin, la disparition de l’artiste au moment où Paris s’offrait à lui à nouveau : pour une exposition au Centre Pompidou et dans un an l’empaquetage de l’Arc de Triomphe.Sa disparition ne pouvait être que plus troublante car elle intervenait au moment où la planète était elle-même « empaquetée », confinée, emballée sur elle-même. Voilà un sujet d’interrogation artistique pour un créateur dont l’un des premiers gestes a été aussi un manifeste politique et architectural, avec les barils de la rue Visconti, en juin 1962, aussi baptisé le « rideau de fer ».
Barils de pétrole empaquetés 1958-1961
Depuis le Pont Neuf (1985), le souvenir de cette œuvre éphémère de 15 jours est ancré éternellement dans le cœur des Parisiens, ce serait comme si Christo nous appartenait un peu et que le destin avait décidé que ses premiers et derniers projets se feraient à Paris.
Christo et Jeanne-Claude ne resteront que quelques années à Paris, qu’ils quitteront en 1964 pour New-York où ils s’installeront définitivement. Mais ces années parisiennes sont fondamentales dans leur carrière.
Une vie, un roman
1958 – Arrivée de Christo à Paris
« Paris est la ville où toute la beauté du monde s’est rassemblée » lettre de Christo à ses parents , 17 avril 1958. Archives Christo , New-York – Catalogue de l’exposition p. 153
Après avoir terminé les Beaux-Arts à Sofia en Bulgarie, où il apprend le dessin, la peinture, l’architecture , Christo fuit le régime communiste de son pays, il se retrouve à Vienne où il s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts puis il fait un séjour en Suisse, et arrive enfin à Paris. Il y fait des rencontres décisives, celle du coiffeur Jacques Dessange, qui lui prête une chambre de bonne avec vue sur l’Arc de Triomphe et lui présente des clients potentiels comme la mère de Jeanne-Claude, la très belle Précilda de Guillebon qui lui demande de faire son portrait. Très drôle et toujours vive et enjouée dans le film-documentaire d’Albert et David Maysles consacré au projet du Pont-Neuf, Precilda de Guillebon fait le récit de sa première rencontre avec l’artiste, qui a un peu le physique et l’allure du héros de Cabu, le Grand Duduche.
« Ce n’est pas une faveur que je vous demande (pour mon portait) mais un rendez-vous ». Précilda de Guillebon
Le dialogue, savoureux, souligne déjà toute l’élégance de Christo sans sa volonté farouche et ombrageuse d’indépendance, qu’il conservera toute sa vie.
Jeanne-Claude, une rousse flamboyante comme empaquetée
En venant livrer le portrait de la femme du général de Guillebon, directeur de l’école Polytechnique, à l’époque au flanc de la montage Sainte-Geneviève, dans le quartier latin, Christo fait la connaissance de Jeanne-Claude « rousse flamboyante comme empaquetée d’un film plastique » qui deviendra sa femme et à partir de ce moment là ils seront Christo et Jeanne-Claude, un couple dans l’art. Le spectateur devine dans ce tableau la sensualité de Jeanne-Claude, magnifiée par le voile plastique qui l’entoure et suggère comme le drapé d’un péplos antique. La charge érotique est évidente et transgressive mais reste tout en nuance : c’est l’art du peintre de suggérer dans l’oeil de celui qui regarde. Bien sûr, chaque spectateur apporte son expérience et la subjectivité de son époque, de sa mémoire mais ce portrait ne peut qu’évoquer à l’auteur le beau film de Ridley Scott, « Blade Runner », et l’apparition sublime de Sean Young dans le rôle de l’androïde répliquante. Regardez : la gemellité est saisissante.
Portrait empaqueté de Jeanne Claude, 1963. polyethylène, codeau, huile sur toile signée Javacheff, monté sur panneau de bois peint. 78,5 x 51,1 x 51,1 cm. Collection Museum of contemporary Art San Diego. Gift of David C. CopleyFoundation, 2013.50
Tous leurs rêves , ils les projetteront, les fabriqueront ensemble plus de 50 années durant.
Une exposition au Centre Pompidou
Sophie Duplaix, commissaire de l’exposition a conçu une exposition axée sur les années parisiennes du couple Christo et Jeanne-Claude Paris ! – Même si Christo et Jeanne-Claude n’ont vécu à Paris qu’entre 1958 et 1964, Paris a été au coeur de leur travail créatif. Il est assez ironique de penser que Paris, ayant été détrôné par New York comme capitale mondiale de l’art (en 1964, Robert Rauschenberg est consacré par la Biennale de Venise), conserve auprès de Christo sa puissance artistique. ll faut savoir que 11 projets à Paris ont été imaginés, 6 seront réalisés. Des années essentielles dans la genèse de l’artiste, on découvre dans la première salle des oeuvres jamais vues, restées dans son atelier parisien, Christo aimait beaucoup Dubuffet et on ressent cette inspiration dans ces Cratères des années 59-60 qui font également penser au travail de Fontana (une photo le présente d’ailleurs dans le catalogue avec Raymond Hains et Lucio Fontana en 1964). Une de ces oeuvres fait désormais partie des collections du musées, un don de l’artiste en 2019.
Une exposition émouvante, non seulement par la découverte de ces premières oeuvres mais aussi par la scénographie qui nous invite dans sa ‘galaxie », je pense à ce happening de 1964 Métamorphoses, l’aventure de l’objet place du Trocadéro filmé par Jean Antoine, une véritable chorégraphie, Christo tout jeune, apparait et emballe la sculpture avec dextérité. Un peu plus loin, dans les derniers mois de sa vie, un film très émouvant le montre en octobre 2019, très affaibli dans son studio à New-York, dessinant sans relâche, avec cette force qui le caractérise, toujours seul, sans assistant, fabriquant même le cadre.
Sophie Duplaix a articulé cette exposition en trois temps, les premières oeuvres de l’atelier en parallèle du rideau de fer de la rue Visconti, les empaquetages d’objets, les visages dont celui de Brigitte Bardot (cliente de Jacques Dessange), suivent pour terminer par le projet du Pont Neuf.
1963, iI utilise le petit cheval de son fils Cyril pour l’empaqueter, celui-ci sert de modèle à un plus grand qui devait être exposé sur l’esplanade du Palais de Tokyo et dont la réalisation est confiée à Hains, il sera finalement exposé à l’intérieur du musée d’art moderne de la ville de Paris et décevra Christo, absent, sur un autre projet à cette époque là.
Le cheval devait être une réponse au Dada « l’emballage de neo-dada en bois de palissade » Voir la réponse de Raymond Hains « le néon dada emballé ou l’art de se tailler en palissade«
Il est important de savoir que Jeanne-Claude et Christo n’hésitent pas à déléguer, cela fait partie du processus, dès les premières années de leur carrière, ils ont souvent plusieurs projets en cours en même temps.
Indépendance à tout prix
Un premier geste fort le 27 juin 1962 est celui à Paris dans le 6e rue Visconti, une réponse au mur de Berlin, une installation éphémère sans autorisation : le Rideau de fer . un empilement de barils formant barrage qui ne restera que quelques heures en place, Christo embarqué par la police promet de ne surtout pas recommencer !
En Mai 68 drôle de coïncidence, Christo expose une pyramide de barils au Musée d’art moderne de la ville de Paris pour le salon des artistes de mai 68, cette installation sera vandalisée par un groupuscule d’extrême-droite. Il est intéressant de souligner l’interaction entre l’art et la société, cette interaction et la contestation étant finalement consubstantielles à l’art vivant. Chaque époque a finalement la mémoire courte et oublieuse, et nous aurions tort de penser que l’art des années 60 ne provoquait pas, ne dérangeait pas, ne transgressait pas : la preuve en est donnée par le vandalisme dont l’oeuvre de Christo a été victime. Cette virulence dans les réactions se répète à 20 ans d’écart avec le Pont-Neuf empaqueté (1985).
Indépendant, il ne voulait appartenir à aucun mouvement.
L’indépendance économique des Christo est le garant de leur liberté artistique
L’oeuvre de Christo se divise en deux temps : la partie atelier avec les dessins et sur place, et les installations temporaires. Comme il le dit lui-même dans le documentaire des frères Masyles, il y a le software (la préparation) et le hardware (l’installation) : c’est ce processus continu qui est la marque créatrice de Christo.
Jeanne-Claude : « Christo dépense pour ses projets l’argent qui est à lui et qu’il pourrait dépenser à n’importe quoi d’autre, il pourrait acheter des diamants à sa femme. Christo fait des dessins qui sont très beaux et qui ont une valeur marchande beaucoup plus élevée aujourd’hui qu’il y a 25 ans, bien sûr. Il vend ses dessins à des musées, à des galeries et à des collectionneurs privés. Et avec l’argent nous le dépensons pour notre plaisir et notre plaisir c’est de faire les projets de Christo »
Les projets sont financés par les vente des oeuvres originales préparatoires (dessins, collages, maquettes) et des lithographies. Au moment ou l’oeuvre d’art se transforme petit à petit en actif financier, ce modèle est une force car il préserve la liberté de l’artiste. Vous pouvez être propriétaire d’une étape, d’une esquisse mais jamais de sa réalisation,dont vous n’avez que les traces.
Christo est un conquérant , cela lui plaît de demander l’impossible et de le rendre possible, même si chaque conquête est un vrai parcours du combattant. A chaque projet se met en place une nouvelle structure, la création d’une société et une équipe.Sa persévérance et son opiniâtreté sont légendaires : l’instant suffit, comme pour le jaillissement de la rue Visconti, mais parfois il faut 10 ans comme pour le Pont-Neuf. Comme les oeuvres s’installent dans l’environnement urbain ou naturel, Christo doit vaincre les multiples embûches bureaucratiques et politiques. Tel le narrateur de Kafka dans le Château, il doit ouvrir les multiples portes des autorités pour obtenir les autorisations. Pour le Pont-Neuf, c’est la méthode de la persuasion par les habitants qui a été retenue : l’adhésion de la population du quartier, des commerçants et des associations a été fondamentale pour obtenir les feux verts politiques, de la Marie de Paris comme de la Préfecture de Police. Les équipes de Christo ont accompli un travail de médiation, sur le terrain, dès 1979-1980, pour convaincre les habitants : c’est une belle leçon d’actualité, pour notre époque qui ne jure que par la démocratie participative !
Du rêve à la concrétisation.
Rien ne les arrête, tout devient possible, même marcher sur l’eau, ce sera The Floating Piers en Italie, sur le lac d’Iseo en 2016 ( voir le très beau documentaire visible en replay sur Arte)
Le Pont Neuf 1975-1985
Un nouveau chapitre de l’histoire de l’art
Le Pont Neuf – Archives
Selon Christo : Paris n’est ni une place militaire, économique ou encore religieuse mais c’est un centre culturel !
Le Pont-Neuf est pour moi le projet le plus romanesque si évocateur de l’histoire de Paris, un sujet de cinéma .
Projet du Pont-Neuf : Tissu (archives)
Il faudra plus de 10 ans pour que le projet puisse voir le jour le 22 septembre 1985 , ce qui n’est pas si long comparé à d’autres projets comme le Reichstag où il aura fallu 25 ans de tractations.
C’est aussi comme à chaque fois la constitution d’une équipe rejointe par une certaine étudiante en histoire de l’art : Laure Martin-Poulet. La rencontre se fait le 13 mai 1981, donc immédiatement après l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981, lors d’un colloque à l’Ecole polytechnique. A la fin de l’intervention, Laure propose à Christo d’être médiatrice bénévole sur le projet du Pont Neuf, offre acceptée ! Et au moment de la réalisation, en 1985, elle deviendra responsable du bureau de presse
Laure Martin Poulet – Maurice Renand met à disposition les ateliers de la Samaritaine pour construire la maquette du Pont Neuf réalisée par les étudiants en architecture ou aux Beaux-Arts et exposée dans les vitrines de la Samaritaine pour la montrer aux parisiens
Très amusant de retrouver les rendez-vous avec la garde rapprochée dans l’agenda de Jeanne-Claude où sont consignés scrupuleusement tous les rendez-vous, réunions, déjeuners.. avec très souvent les mêmes noms qui reviennent dont celui de Laure qui prend les rênes du bureau de presse . Tous n’hésitent pas à faire du porte à porte pour convaincre les Parisiens.
« L’Art doit contester ! » Georges Pompidou
Une amie de Jeanne-Claude, Carole Weisweller met en relation le couple avec Claude Pompidou qui possédait déjà une oeuvre de Christo, qui se trouvait dans le bureau de Georges Pompidou, à l’Elysée. Le même Georges Pompidou dont la phrase est inscrite au fronton du centre Pompidou, « L’Art doit contester ! »
1,2 million de francs sera le prix de l’opération du Pont Neuf, évidemment autofinancée par la vente des dessins.
Un film des frères Maysles : « Christo in Paris » (1979-1990)
Il ne s’agit pas de Midnight in Paris mais du film est à voir absolument, celui des frères David et Albert Maysles Christo in Paris sur le projet du Pont Neuf. Il est projeté dans une des salles de l’exposition, on suit le couple à la Mairie de Paris, les rencontres avec Jacques Chirac, alors maire de Paris, une autre époque où on fumait des cigarettes en discutant au coin du feu, le couple est accompagné du père de Jeanne-Claude, le général de Guillebon, on aperçoit la jeune Françoise de Panafieu, alors au cabinet du maire, ainsi que le directeur des affaires culturelles de la ville, Michel Boutinard-Rouelle, et le chef de projet, Johannes Schaub. S’agissant du directeur des affaires culturelles de la ville de Paris, point de passage obligé pour tout accès au Maire de Paris, le film s’ouvre par une saynète délicieuse où la secrétaire de Michel Boutinard-Rouelle explique qu’il ne faut pas surtout pas dénaturer ou défigurer le Pont-Neuf par un geste artistique alors que, dans son bureau, Michel Boutinard-Rouelle apporte son soutien au projet.
Un dialogue savoureux se noue entre l’artiste et Jacques Chirac, le saltimbanque et le politique, dont le spectateur sent la tension entre le soutien au projet et les risques électoralistes. A la question-clé de tout édile, « combien cela va-t-il coûter au contribuable ? », Christo se l lève, et de manière théâtrale, déclame devant un Jacques Chirac mi-amusé, mi -médusé : « RIEN DU TOUT , MONSIEUR LE MAIRE ! »
Les frères Maysles sont les auteurs du documentaire sur la tournée des Rolling Stones « Gimme Shelter » en 1969 et celui étonnant des deux sœurs Bouvier, la tante et la nièce de Jacky Kennedy et de Lee Radziwill datant de 1976 « The Beales of Grey Gardens »
« Ping-pong » politique
Très amusants ces allers retours des politiques, qualifiés de jeu de ping-pong par Jeanne-Claude, celui de Chirac est excellent , un oui puis un non non officiel et finalement, il s’autoproclame le jour de l’inauguration :
Jacques Chirac, le jour de l’inauguration. : « C’est vraiment une réussite. J’ai donné le premier mon autorisation » il continue en précisant que pour des raisons juridiques il a fallu l’intervention de Jack Lang .
Le Pont Neuf est un sujet qui a beaucoup inspiré les artistes
Pour convaincre et obtenir les autorisations nécessaires, il explique que contrairement à une peinture de Marquet et Derain où le Pont Neuf est transformé sur un support, il s’agira d’une œuvre d’art in situ où le Pont Neuf change aussi d’apparence mais seulement pour un temps. Comme l’indique Christo dans le documentaire, l’oeuvre évolue dans le temps et l’espace, elle n’est pas figée comme un tableau ou une installation. L’empaquetage la rehausse de ses voiles et de son tissu, les jeux de lumière et du vent modifient son aspect. C’est toujours le Pont-Neuf sujet de prédilection des artistes mais l’architecture se modifie avec son oeuvre, avec sa représentation, tout en étant de l’ordre de l’éphémère : elle est ainsi appelée à disparaître avec le temps. L’oeuvre est ainsi dynamique : elle s’inscrit dans un processus créatif (le « software » puis le « hardware ») mais elle interagit avec son environnement et avec le spectateur, qui devient aussi un acteur, un participant, le Pont-Neuf étant resté ouvert à la circulation piétonne et automobile. C’est d’ailleurs le propre des oeuvres de Christo que de s’offrir ainsi dans l’environnement à la circulation de toutes et de tous.
1985 Le Pont Neuf qui était devenu le plus vieux pont de Paris s’habille de modernité grâce à Christo et Jeanne Claude, les promeneurs investissent la place, s’installent dans les alcôves, passent et redécouvrent son architecture, ce lieu de vie de plus de 400 ans sur la Seine en passant par l’Ile de la Cité.
Une exposition à ne pas manquer qui ouvre enfin ses portes et qui nous fait rentrer dans la vie du créateur, qui était aussi un couple, Christo et Jeanne-Claude. Pour ceux qui aiment les anecdotes ou la prédestination, la symbolique les a fait naître le même jour, le 13 juin 1935 : ils étaient donc fait pour se rencontrer. Christo et Jeanne-Claude se poursuivent avec l’empaquetage de l’Arc de Triomphe. L’oeuvre devait être visible à la fois lors des Journées du Patrimoine et de la Nuit Blanche, avec le concours du centre Pompidou et du centre des monuments nationaux. Finalement en raison de la crise sanitaire, l’opération est reportée à l’automne 2021, belle suite pour l’exposition Christo et Jeanne-Claude du Centre Pompidou.
A Sophie Duplaix, commissaire de l’exposition, pour ses explications et son aide précieuse.
A mon amie Laure Martin, présidente du projet de l’Arc de Triomphe en 2021
A Vladimir Yavachev, neveu de Christo et directeur du projet de L’Arc de Triomphe empaqueté.
Tous les trois ont accepté de participer à un webinar exceptionnel sur Christo et Jeanne-Claude en collaboration avec Spirit Now London en septembre prochain
À découvrir de midi à 21h, tous les jours sauf le mardi.
Après une merveilleuse visite en chair et os —pour ne pas dire « en présentiel »— de l’exposition James Tissot, l’ambigu moderne (cf mon article sur l’exposition confinée que l’on peut découvrir à Orsay depuis le 23 juin); lundi matin donc, nous nous sommes allées, Florence et moi, au Palais de Tokyo.
Quelques rares visiteurs, les skaters retrouvant leur endroit favori —entre les deux musées— un soleil radieux et Paris d’un calme olympien… Les conditions idéales étaient réunies pour déambuler dans les vastes installations de l’artiste allemande Ulla von Brandenburg.
L’artiste, née à Karlsruhe en 1974 et vivant à Paris, a investi le musée de grandes toiles colorées, a installé des cirques imaginaires et déposé çà et là des objets poétiques : cerceaux, rubans enroulées, cannes de bambou multicolores, grandes poupées de chiffons. C’est une exposition en mouvement puisqu’elle est mise en scène et peut être animée par l’intervention de performeurs : chaque samedi, des hommes et femmes manipulent les rubans, cerceaux, cannes à pêche… pour danser et jouer comme dans un théâtre de foire ou sur la piste d’un cirque.
Premier espace
Ulla von Brandenburg
Ulla von Brandenburg a reçu une formation de scénographe et elle a envisagé cette exposition comme un rituel collectif, une manière d’explorer les relations entre l’individu et le groupe : une recherche qui est donc terriblement d’actualité en ces temps de « distanciation sociale ». Elle n’avait pas imaginé que ses visiteurs porteraient des masques, sortes de petits écrans individuels qui s’invitent dans l’espace !
Masqué donc, l’on traverse d’abord de grands cercles découpés dans des cloisons de tissus peints, orange, bleu, jaune, ce qui, dès l’entrée, produit un jeu d’apparitions et de disparitions… On entre littéralement dans la couleur, dans un univers très dynamisant qui donne envie de tourner, virevolter au son de la musique étrange et lancinante d’un harmonium indien, s’arrêter, rebrousser chemin en suivant au sol les traits de la lumière du soleil projetée par la verrière.
« Dans un décor de théâtre, on a une perspective fixe – de façon exagérée dans le théâtre baroque, où tout est organisé pour le roi. Ici, les perspectives changent en permanence, tout peut être vu à 360 degrés. Peut-être même qu’on entre par l’envers et sort par l’endroit » dit l’artiste.
Changement de sens et changement d’échelle aussi. Après les portes rondes, une « salle » tendue d’un rouge théâtral garde la mémoire de tableaux disparus (des rectangles d’un rouge plus saturé comme les empreintes du passage du soleil), et sur le sol, éparses, des craies surdimensionnées….Une meule de foin, de grandes cabanes en nasses de pêche aux gros poissons, puis, au centre, un cirque encerclé de bleu…
C’est un parcours très joyeux sans doute grâce à ses références au monde improvisé de l’enfance : cabanes, tipis, craies, et au monde paysan : meule, nasses et cannes de pêcheurs, coupes en terre… La couleur surtout nous entoure, nous enveloppe, nous porte. C’est un peu comme si, dans de grands hamacs on regardait le bleu du ciel, « Le milieu est bleu » (titre de l’exposition) et « la Terre est bleue comme une orange » (Paul Eluard).
C’était très intéressant de voir cette exposition à la suite de celle de James Tissot. A deux siècles d’écart, les deux artistes ont un génie particulier des textiles, de leurs coloris et de leurs textures. Chez Tissot, une attention ténue au détail, un goût immodéré pour les gammes de couleurs et les combinaisons de motifs (avec un art des mélanges de rayures, carreaux, écossais, damiers : un mix and match que ne renierait aucun créateur de mode); chez Ulla von Brandenburg, un sens de la couleur et de la lumière, des toiles avec une matérialité rendue par des patines colorées, des traces de pinceau ou la présence de grandes voiles de bateaux couturées de surpiqûres graphiques (autre point commun avec Tissot qui a aimé peindre les voiles, mâts et drisses des navires français ou britanniques).
Les deux derniers espaces sont consacrés à des vidéos : un film tourné en pellicule couleur au Théâtre du Peuple de Bussang, incroyable théâtre en bois érigé à flanc de montagne dans les Vosges où les comédiens chantent un texte inspiré de la pièce Le Poisson des grands fonds (Der Tiefseefisch, 1930) de Marieluise Fleisser (1901-1974). Puis une série de vidéos projetées sur des tissus bleus délavés qui nous font suivre les chorégraphies aléatoires et muettes d’objets évoluant sous l’eau, plongeant, dérivant, sombrant…
L’artiste qui nous a fait traverser les écrans, entrevoir l’avant-scène et l’envers du décor, poursuit sa réflexion sur le flou, l’illusion :
« C’est une sorte de lâcher-prise : on n’a pas tout dans les mains, ça glisse et ce n’est pas fini. Il y a peut-être une mélancolie, un côté inquiétant, mais pour moi, c’est aussi une grande curiosité, la mer profonde, ces choses qu’on en voit pas. Plonger dans l’invisible comme dans notre inconscient. »
Si vous aimez les couleurs, la magie du théâtre et du cirque, allez voir l’exposition d’Ulla von Brandenburg. Si vous pouvez franchir la Seine et relier le musée d’Orsay au Palais de Tokyo, vous découvrirez deux mondes de textiles, drapés, plis ondoyants et deux manières, évidemment très différentes, d’utiliser les tissus et les couleurs comme éléments narratifs pour nous projeter dans l’imaginaire de deux artistes ancrés dans leur temps.
Entrer dans l’atelier de l’artiste Français Nicolas Lefebvre, au Château de Fleury-en-Bièvre, c’est ouvrir les portes d’un monde à part, qui se joue du temps et des lieux, mêlant époques et cultures en un véritable cabinet de curiosités.
Nicolas Lefebvre, oeuvres de pied et objets-sculptures posés sur podiums et meubles dans son atelier. Photo: :Thegazeofaparisienne
L’artiste aime les mises-en-scène. Ses oeuvres totémiques se découvrent dans un décor totalement fait pour elles. Dans les pièces comme pour ses créations, Nicolas Lefebvre assemblent des objets disparates, venus des quatre coins du monde, d’origines et d’âges divers. Le seul lien qui compte pour l’artiste est la relation purement formelle qu’il imagine entre eux. Le résultat est enchanteur, d’une poésie infinie.
Inspirations éclectiques
En regardant ses oeuvres, je suis frappée par la diversité des évocations et références artistiques qui s’en dégagent. Nicolas Lefebvre puise ses sources d’inspiration de ses voyages; sans cesse, il visite le monde et s’en imprègne. Un artiste-aventurier en somme. Depuis l’enfance déjà, ses parents lui ont transmis cette soif de découvrir d’autres cultures.
avec Nicolas Lefebvre entourant une de ses superbes sculptures
oeuvre murale , Nicolas Lefebvre, photo: Thegazeofaparisienne
Et puis, il y a aussi son goût prononcé pour les arts premiers, qui saute au yeux. Il s’est passionné pour eux pendant sa jeunesse, lorsqu’il travaillait avec des marchands d’Art et des galeristes. Tel Jacques Lacoste, qui l’envoie au Pérou pour rechercher des objets des année 50 de Jean Royère et lui permet par la même occasion de découvrir les arts traditionnels d’Amérique Latine, ou encore Maître Binoche qu’il assiste dans une grande vente aux enchères d’Art Précolombien. C’est aussi la nature, les matières végétales et animales, et des objets trouvés au hasard des rencontres, quelle que soit leur époque, qui appartiennent à l’histoire de nos civilisations.
Nicolas Lefebvre, ensemble d’oeuvres soclées, photo: Thegazeofaparisienne
Sculptures-Totems énigmatiques et sacrées
« Assembler des objets pour leur sculpter une nouvelle histoire et célébrer nos racines communes ». Nicolas Lefebvre
Nicolas Lefebvre collecte donc des objets dans ses « tours du monde » , en chinant aux puces, dans les salles de vente ou chez les antiquaires. Son rapport à eux est instinctif, il choisit des objets qui « ont une âme », et noue entre eux une relation de l’ordre du sacré. Entre ses mains, s’acoquinent toutes sortes d’éléments hétéroclites, anciens ou actuels, précieux, rares ou banals, fonctionnels, en fer , en textile, en plumes ou en os…L’artiste établit un dialogue inépuisable entre les époques. Les antiquités et les arts primitifs se mélangent à des éléments du XIXème, de la modernité ou de notre temps, sans gène aucune, comme un hommage à l’histoire du monde et à la riche variété de l’humanité.
Nicoals Lefèbvres et Marie-laure de Clermont -Tonnerre, fondatrice de Spirit NowLondon*
Dans la variété de ses oeuvres, apparait un motif commun, comme une obsession, celui du cercle et de la croix. La « Croix de vie » Egyptienne, figure de la déesse Mère créatrice et nourricière, symbole de l’amour et de la bienveillance, ne cesse d’inspirer son travail artistique.
Monumentale Déesse, photo courtesy: Studio Nicolas Lefebvre
Une très belle découverte d’un artiste singulier et enchanteur, initiée par Marie-Laure de Clermont -Tonnerre, fondatrice de Spirit Now London et la galerie Lucas Ratton.
Aimant tellement Modigliani, il fait l’acquisition d’une vingtaine de toiles, il en est de même pour Picasso, il en possèdera une trentaine, idem pour Braque et tant d’autres. Le marchand Daniel-Henry Kahnweiler, découvreur du cubisme, réussit à le captiver, il devient ainsi le premier collectionneur de ce mouvement . Les oeuvres de Fernand Léger sont aussi un autre point fort de sa collection. Roger Dutilleul était un perfectionniste qui ne s’arrêtait pas à l’acquisition d’une seule oeuvre et suivait de près la carrière des artistes qu’il aimait.
Pour que cette collection lui survive il forme son neveu Jean Masurel (1908-1991). Celui-ci l’enrichit d’oeuvres de Joan Miró, Paul Klee, Nicolas de Staël… Quelques années plus tard il fera don d’une partie de cette collection à la ville de Lille qui construit alors ce musée à Villeneuve d’Asq en faisant appel à l’architecte Roland Simounet qui imagine ce bâtiment en briques rouges. En 2010, nouvelle étape pour ce musée, une nouvelle aile pour abriter la collection de 30000 oeuvres d’art brut est créée par l’architecte Manuelle Gautrand qui a conçu un bâtiment orné d’une résille de béton en harmonie avec l’ancienne construction et s’intégrant parfaitement dans le paysage du parc embelli de sculptures de Calder.
Ce musée s’articule sur trois axes : l’art moderne, l’art brut et l’art contemporain, c’est un musée vivant qui continue d’enrichir ses collections.
Je rencontre Sébastien Delot, directeur passionné et passionnant du musée, depuis 2017. Ce dernier avait en tête, d’exposer l’artiste William Kentridge, ce n’était pas une mince affaire, l’artiste est très demandé dans les quatre coins du Monde. Cette exposition est une première en France de cette ampleur et c’est un monde à part mêlé de poésie, actualité, cinéma, questions sociétales qui s’offre à nous. J’avais déjà eu l’occasion de voir ses oeuvres à Paris à la Fondation Louis Vuitton, il ya quelque mois , mon associée, Caroline d’Esneval a écrit un article sur la rétrospective du MOOCA en Afrique du Sud. https://thegazeofaparisienne.com/2020/01/06/william-kentridge/
Cette exposition est une coproduction avec le Kunstmuseum de Bâle, tout en étant très différentes l’une de l’autre, dans les oeuvres, la scénographie, c’est en quelque sorte, une façon de partager les frais de production.
Un poème qui n’est pas le notre pourquoi ce titre donné à cette exposition ?
Sébastien Delot, directeur du LaM et co-commissaire de l’exposition : « J’ai souhaité que cette exposition puisse aussi s’enraciner dans les liens avec la culture française et au delà de ça, ses racines européennes parce que ce qui est intéressant et on le sait tous, est la question notamment liée à la colonisation. On ne peut pas nier l’histoire de l’esclavage et de l’Europe, comme le continent africain ne peut pas ne pas parler de l’histoire européenne pour comprendre là où nous en sommes. Les deux histoires sont liées et c’est pour cela que le titre poétique « Un poème qui n’est pas le nôtre » a été retenu c’est dire effectivement que cette histoire peut vous sembler éloignée , ne pas avoir d’enjeu pour vous mais vous êtes intimement liés à cette histoire, c’est cela le sous-titre de ce titre choisi. (…) Ce qui m’a particulièrement ému quand j’ai découvert l’oeuvre de William Kentridge à la fin des années 90, c’est à la fois une oeuvre qui je crois peut toucher un grand nombre de personnes mais en même temps il y a plein de niveaux de compréhension et d’articulation de cette oeuvre, il y a des références, il y a une poésie, quelque chose de burlesque, quelque chose de l’ordre de l’autodérision et il y a également une oeuvre qui reste très accessible. c’est tout cela qui fait le cocktail d’une oeuvre qui est une grande oeuvre. «
Une expérience immersive, suivre un parcours, comprendre le processus créatif de l’artiste qui utilise tous les outils possibles, théâtre, musique, cinéma, danse, dessin, sculpture. Chaque installation est une oeuvre d’art totale et un émerveillement mis en scène par Sabine Theunissen, cette architecte a rencontré l’artiste en 2002 au théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Depuis Kentridge et elle ne se quittent plus, Sabine Theunissen est devenue sa scénographe attitrée.
Cet évènement Kentridge au LaM est une véritable initiation pour moi et l’ entrée en matière dans cette première salle est fracassante, le son jazzy des trompettes, saxophones, les images d’un quartier disparu surgissent de ces grands dessins sur papier kraft.
Afrique du Sud – Apartheid
William Kentridge a grandi dans une famille très engagée politiquement, il est très marqué enfant par les événements, le massacre de Sharpeville, le procès « Treason Trial » de Nelson Mandela défendu par son père Sydney Kentridge qui vit toujours . Dans le mot « treason », il entend « tree » et c’est pour cela qu’il se met à dessiner des arbres. Sa grand-mère a été la première femme avocate d’Afrique du Sud .
« A 7 ans j’ai eu conscience de vivre dans un monde anormal » William Kentridge
Très tôt il est préoccupé par ce qu’il voit, Il ne comprend pas sa nounou qui se place au fond du bus. Cette grande injustice que représente l’Apartheid, son oeuvre est très marquée par cette situation effrayante et tellement à part de ce pays. L’oeuvre de William Kentridge est ainsi indissociable de l’histoire de l’Afrique du Sud qu’il éclaire de manière subtile. Cette histoire est méconnue en France, où elle se réduit souvent à l’icône de Nelson Mandela. L’Afrique du Sud contemporaine, qui se présente volontiers comme la nation « arc-en-ciel », se fissure petit à petit sous le poids de la pauvreté et des inégalités raciales. William Kentridgne n’ignore rien de ses tensions au sein de la société sud-africaine, où les questions raciales sont beaucoup plus complexes que la vision présentée par les médias internationaux. C’est aussi l’une des vertus de cette exposition que donner à réfléchir sur l’histoire contemporaine de l’Afrique du Sud et le miroir que nous renvoient les questions qui agitent aujourd’hui les sociétés européennes, autour de la colonisation et de l’ethnicisation de la question sociale.
L’exposition commence par ces grands dessins, un décor de théâtre rappelant Sophia Town, un monde disparu.
Fin des années 50, les lois racistes, entraînent la destruction du quartier Sophia Town de Johannesburg , la population est déplacée en 1958 vers ce qui devient le ghetto de Soweto. Ce lieu multiculturel pouvait être comparé à Harlem, animé par le théâtre, le jazz, la danse.
Très grand dessinateur, on peut voir ses premiers dessins au fusain. En 1990 il réalise Arc Procession un arc de 5 mètres à partir de feuilles de dessins qu’il assemble, exposé à la Tate Modern. Il a découvert les grands maîtres par les gravures et a commencé naturellement. par la gravure.
En rentrant de France il travaille pour la télévision, et produit des sujets de documentaires c’est pour cela que les images d’archives sont très présentes dans ses œuvres .
J’aime cet artiste, sa musique, ses dessins qui s’animent, ses décors, sa poésie révélant parfois une société dure, des drames, une certaine nostalgie. Toute cette beauté, cette élégance, dans un premier temps nous captivent, puis dans un second temps, plus sérieusement , les questions sont posées, le rôle de l’artiste, l’histoire, beaucoup d’autodérision, toutes ces références qui apparaissent au fur et à mesure. Il se met en scène, invente des alter ego qui apparaissent sur la toile.
» Je m’intéresse à la politique, c’est-à-dire à un art de l’ambiguïté, de la contradiction, de gestes simples et de fins incertaines »
Hommage à Méliès
William Kentridge est très imprégné du cinéma de Méliès, ses effets spéciaux, ses années de formation en France où il suit les cours de théâtre de l’Ecole Jacques Lecoq, lui ont fait découvrir ce cinéma. Il invente à partir de là une technique cinématographique « l’animation du pauvre » créée à partir de photographies, dessins au fusains et collages. Une de ces installations est un hommage au cinéaste. Fragments pour Georges Méliès, voyage dans la Lune
Sur mon tabouret j’attends, silencieusement, lorsque le métronome, le tic-tac des pendules, le big band se mettent en place, la chorégraphie est lancée, la drôle de machine centrale « l’éléphant » exécute ce « Swing Tricking » , les silhouettes noires gracieuses déambulent, une danseuse évolue rappelant la Loïe Fuller, la machine du temps est lancée. William kentridge a travaillé en accord avec le compositeur Phillip Miller et Peter Galison, historien des sciences de Harvard. C’est un enchantement, je suis envoutée par cet opéra, une ode au temps qui passe. The Refusal of Time. Cette oeuvre de 2012 a été présentée pour la première fois à la Documenta 13 de Kassel
Kentridge crée des tapisseries et travaille principalement avec un atelier de femmes. Elles sont à dominante de noir et blanc et représentent des cartes anciennes avec toujours ces silhouettes découpées.
« La tapisserie est un art numérique. Chaque ligne ou forme du dessin initial est transposée en fils qui se croisent, comme autant de ponts sur une carte. L’indécision de l’artiste, chaque bavure de la ligne, doit être résolue en « ça s’arrête ici, ça change là » . L’histoire se répète : le tissage à ouvert la voie au contrôle numérique. Les cartes perforées des premiers ordinateurs étaient baséees sur des cartes perforées utilisées pour contrôler les lisses des métiers à tisser du XVIIIe siècle « William Kentridge
William Kentridge voulait devenir acteur, finalement il est tout à la fois, maîtrisant les arts avec une dextérité incroyable, piquant notre sensibilité, nous ne pouvons que ressortir émus de ce musée après avoir vécu cette immersion sensorielle, dans ce vaste décor qui laisse découvrir la part intime de l’oeuvre.
Florence Briat Soulié
Commissariat : Marie-Laure Bernadac et Sébastien Delot
Scénographie : Sabine Theunissen
Informations pratiques :
William Kentridge, un poème qui n’est pas le nôtre
Enki Bilal, Raoul Dufy, Corneille & Karl Blossfeldt
Gustave Flaubert nous accompagne par les « champs et par les grèves » : c’est le titre de l’ouvrage vagabond publié avec son ami Maxime du Camp et qui fait le récit de leur périple picaresque en Bretagne en 1847, à pied. Récit à la Jack Kerouac, « On the Road » avant la lettre : le jeune Flaubert, qui n’est pas encore le Flaubert de Mme Bovary, cherche sa vocation d’écrivain à travers la pointe celtique déjà célébrée par Michelet dans son « Tableau de la France ». Comme Flaubert, notre été culturel breton va suivre le même itinéraire, par Pont-Aven puis Quimper, Trévarez et enfin Landerneau
Commençons par Trévarez. Une folie architecturale au début du XXème siècle. James de Kerjégu affirme sa puissance terrienne, nobiliaire et républicaine par la construction d’un château néo-gothique et néo-renaissance, au parement de briques sur une architecture métallique d‘Eiffel. L’architecte Walter-André Destailleur, le créateur des hôtels parisiens décrits par Proust, réalise ainsi une lubie éclectique, meublée Art nouveau par Siegried Bing et dotée de toute la pointe de la modernité (centrale électrique, ascenseurs, piscines, automobiles dans les écuries).
Un parc exceptionnel d’hortensias, rhododendrons, camélias…
Le domaine paysager est exceptionnel, avec rhododendrons, hortensias, plantations exotiques, palmiers, et créations rocailles italianisantes, comme le bassin de la chasse, aux écrevisses et tritons en cuivre ou la « nymphée » recréée par Eva Jospin lors de sa résidence en 2018. Le château de Trévarez, douloureusement mutilé lors d’un bombardement anglais en juillet 1944, revit avec l’appui du conseil départemental et des Chemins du Patrimoine du Finistère, établissement public de coopération culturelle qui anime le site (et les quatre autres sites remarquables du Département, le manoir de Kernault, l’abbaye de Daoulas, château de Kerjean et l’abbaye du Relec).
Résidences d’artistes
Chaque saison, un artiste est invité en résidence pour faire vivre le lieu par son inspiration : Eva Jospin en 2018, dont la création (la « grotte ») s’inscrit dans le thème des folies aristocratiques du XVIIIème siècle et des « nymphées », Marc Didou en 2019, avec les grands troncs calcinés comme en rappel du bombardement subi par le château, et Félicio Varini en 2015 inspiré par l’architecture du « château rose ».
La nature pour modèle, Karl Blossfeldt
Karl Blossfeldt (1865-1932)- Autoportrait
En toiles permanentes, le jardin paysager est illustré par de grandes reproductions des photographies de Karl Blossfeldt. Ce scientifique allemand a photographié les fleurs comme de véritables sculptures de pierre gothiques. Les étamines, les pistils, les fleurs apparaissent comme les trilobes d’un arc ou d’une crosse épiscopale. Elles confient aussi à l’abstraction géométrique. Le résultat est fascinant. D’abord inspiré par une démarche scientifique, Karl Blossfeldt en vient à une démarche purement artistique qui sublime la forme végétale pour en extraire l’essence. Sa démarche l’associe d’ailleurs au mouvement de la Nouvelle Objectivité de la République de Weimar, dans les années 20, à l’instar de son compatriote August Sander, qui magnifie les archétypes sociaux par ses portraits en pied de toutes les classes sociales de l’Allemagne troublée des années 20.
Karl Blossfeldt (1865-1932) Erynglum bourgatil – Chardon bleu des pyrénées.
Karl Blossfeldt (1865-1932) Chrysanthenum carinatum
Karl Blossfeldt (1865-1932) Blumenbachia hieronyml (fruit ouvert)
Karl Blossfeldt (1865-1932)
Karl Blossfeldt (1865-1932)
Karl Blossfeldt (1865-1932) Blumenbachia hieronyml (fruit fermé)
Domaine de Trévarez
« La nature pour modèle » Exposition de photographies de Karl Blossfeldt
Nous poussons une pointe vers Quimper où le musée des Beaux-Arts de la ville expose Raoul Dufy et la mode des années folles. Quel rapport entre les bretonnismes et Raoul Dufy ? La couleur, les soieries, les mondanités et la mer (il est né au Havre en 1877 et la mer remplit ses compositions) le relient à la Bretagne, même s’il semble n’y avoir pas séjourné. L’exposition permet de découvrir le travail de Raoul Dufy au service de la modernité de l’entre-deux guerres. Par son travail pour la mode, Paul Poiret et les soyeux lyonnais Biancchini-Ferrier, Raoul Dufy a été happé par la modernité. Il y a bien sûr la couleur, les motifs floraux et animaliers qui illustrent la poésie de Guillaume Apollinaire ou de Jean Cocteau, les ballets russes.
Raoul Dufy – Croquis de mode pour Paul Poiret, soieries Bianchini Férier – Gazette du Bon ton, n°1, 1920
Raoul Dufy – Croquis de mode pour Paul Poiret, soieries Bianchini Férier – Gazette du Bon ton, n°1, 1920
Raoul Dufy / Bianchini Férier
Raoul Dufy / Bianchini Férier
Raoul Dufy / Bianchini Férier
Raoul Dufy / Bianchini Férier
Raoul Dufy, haute-couture, collaboration avec le soyeux lyonnais Bianchini Férier
Mais il y a aussi la géométrie et parfois des motifs répétitifs qui frisent l’abstraction. Raoul Dufy est un artiste qui se joue des frontières entre les arts, papier, gouache, tableau, dessins, impressions sur soies, gravures. C’est également un artiste stimulé par les mondanités. Illustrateur de la vie sociale des années 20 et 30, avec de riches commanditaires qui mécènent les artistes, comme Etienne de Beaumont, qui finance les ballets russes, Marie-Laure et Charles de Noailles, Jean-Louis et Baba de Faucigny-Lucinge ou Arthur Weisweiller (pour sa villa d’Antibes, L’Atalanta), la vie mondaine est, pour lui à l’instar de Proust, un miroir, un univers en soi qui nous parle de nous-mêmes et du monde tel qu’il est.. En écho à la scénographie de l’exposition nous revient la chronique du carnet mondain du Figaro, avec ses soirées, ses bals à thèmes, les régates, les courses ou les villégiatures sur la côte d’Azur ou au pays Basque. Cette modernité, qui s’allie avec la vie sociale la plus intense (au sens du « Café Society »), fait de Raoul Dufy l’artiste de la French Line, le « Normandie » fleuron de la compagnie générale transatlantique dans les années 1930. C’est aussi l’artiste-phare de l’exposition universelle de 1937 de Paris, avec la « Fée électricité », le plus vaste tableau du monde (600 m² dans l’aile Est du Palais de Tokyo devenue maintenant le musée d’art moderne de la ville de Paris). Les compositions créées par Dufy pour les soyeux lyonnais Biacchini-Ferrier sont délicates, vives, animées et modernes. Une phrase, un vers de Colette le résume pour l’édition de ses aquarelles, « Pour un herbier » (1950 , édition Mermod) : « Déjà, j’ai du doigt offensé tendrement le contour pareil aux seins irrités, à la veine battante, au vallon voluptueux…. Reconnaissez-la, c’est elle, la Rose de Dufy. »
Commissariat de l’exposition : Sophie Kervran, conservatrice au musée des beaux-arts de Quimper Guillaume Ambroise, conservateur en chef, directeur du musée des beaux-arts de Quimper
Pont Aven, Gauguin, Sérusier, Bernard…
Nous poursuivons par Pont-Aven. Nous pensons au film de Joël Séria, les « Galettes de Pont-Aven », où un Jean-Pierre Marielle truculent, se dépouille de ses oripeaux de VRP de parapluies pour embrasser sa passion de peintre. Film picaresque et tout en chair s’il en est, où Jean-Pierre Marielle s’essaie de retrouver le « feu sacré » des peintres de l’école du même nom. Dans une ville où le port du masque est de rigueur, nous retrouvons Alain Séchas et Katia, proches voisins, qui visitent le musée et l’exposition consacrée au peintre Corneille.
Paul Gauguin (1848-1903) « Deux têtes de bretonnes » 1894
Paul Serusier (1864-1927) « les porcelets » 1889 (detail)
Paul Serusier « Portrait de Marie Lagadu » 1889
Carl Moser (1873-1939) « Jeune bretonne « 1904
Émile Bernard (1868-1941) « Étude pour le blé noir » 1888
Installé dans l’hôtel Julia où séjournaient Gauguin, Sérusier, Emile Bernard, Maurice Denis, les « Nabis », nous découvrons le parcours de l’exposition Corneille, plus précisément Guillaume Cornelis van Beverloo. Belge, né à Liège de parents hollandais en 1922 (et décédé à Auvers-sur-Oise en 2010, un symbole dans la ville où meurt Van Gogh), il est avec Asger Jorn, Karel Appel et Christian Dotremont, l’un des trois mousquetaire de « CoBrA » (pour Copenhague, Bruxelles, Amsterdam), ces peintres du Nord qui font scandale dans l’Europe d’après 1945 en s’affranchissant de l’abstraction et du surréalisme pour renouveler la couleur et l’expression picturale.
Corneille (1922-2010) au Musée de Pont Aven – Un Cobra dans le sillage de Gauguin
Corneille s’inscrit dans le sillage de Gauguin et de Van Gogh. C’est le peintre de la couleur, du mouvement, de l’exotisme. Sa filiation avec Gauguin explique l’hommage qui lui est consacré par le musée de Pont-Aven où il est venu dès 1950.
Mais l’exposition offre aussi une large rétrospective du parcours du peintre, dont la maturité lui confère une originalité et une expression propres. C’est l’exposition anniversaire des 10 ans de la mort du peintre, qui renouvelle en profondeur le regard porté sur son travail. Corneille est un artiste de la couleur et son histoire illustre une large palette de son caractère protéiforme et évolutif. Trop souvent résumé au mouvement CoBrA, qui a inauguré son parcours artistique comme un manifeste porte-flambeau, Corneille a réinventé son langage et sa pratique, où il revisite les tensions entre l’abstraction et la figuration, décline sa passion pour les voyages, l’exotisme et les cultures dites « primitives », qu’il considèrent comme l’expression de l’art universel. Son travail est très contemporain, interdisciplinaire (gravure, céramique, poésie) et collectif, comme la participation, sous l’égide de Wifredo Lam qui en est l’inspirateur et le coordonnateur, à l’oeuvre collective « Cuba Collectiva », gigantesque mural représentant un jeu de l’oie participatif avec plus de 100 artistes pour le pavillon cubain de La Havane (mai 1967), un « group show ». Il s’agit d’un geste artistique mais aussi politique : comme l’a écrit Wifredo Lam, cette démarche vise à démontrer la créativité artistique dans un pays socialiste comme Cuba et à sublimer dans le collectif l’individualité si farouchement affirmée des artistes. L’exposition, très vivante et dynamique, montre à quel point Corneille résonne d’une actualité particulière à nos oreilles et à nos regards du XXIème siècle.
Corneille au Musée de Pont Aven – Un Cobra dans le sillage de Gauguin
Jusqu’au 20 septembre 2020
Musée de Pont-Aven – Place Julia, 29930 Pont-Aven
Landerneau, Enki Bilal au Fonds Hélène & Edouard Leclerc
Le circuit de notre été 2020 si particulier s’achève par l’exposition Enki Bilal à la FHELde Landerneau. Là aussi, distanciation et respect des gestes barrières sont de rigueur. Michel-Edouard Leclerc est un amoureux de la bande dessinée, du « 9ème art », et de l’estampe avec la maison d’édition MEL Publishers qui fait collaborer les artistes. Après l’exposition « Metal Hurlant », « Mattioti » et « Jacques Monory », à l’expression si cinématographique, Enki Bilal est consacré à Landerneau.
Enki Bilal – Fonds Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau
Un Serbe, bien que né de parents bulgares à Belgrade, en 1951 mais très vite installé en France, à Paris, qui prend le suite de Velickovic, également Serbe. La filiation et l’esprit s’imposent entre ces deux grands artistes, sombres, torturés mais à la beauté si irréelle et toujours inquiétante. Enki Bilal nous révèle son monde dystopique, à la « Blade Runner » qui s’est largement inspiré de l’iconographie d’Enki Bilal. Les univers d’Enki Bilal sont la symbiose entre l’humain et l’animalité. Là où l’heroïc fantasy, comme l’épopée Star Wars, joue sur le messianisme et le message d’espoir, Enki Bilal nous projette dans un futur proche, où la technologie a brouillé les frontières entre les espèces, entre la technique et l’humain, mais l’humanité ne semble pas y avoir gagné.
Bleu Sang 1994 (détail)
Enki Bilal – Les fantômes du Louvre
Charlotte Rampling
Enki Bilal –
Enki Bilal
Enki Bilal nous décrit un monde d’une dure réalité, plus antagoniste et plus balkanisé que jamais. Le vouloir vivre ensemble s’est évanoui au profit des archipels, des intérêts particuliers, de l’égoïsme, des inégalités sociales, de la détention de signes matériels et du pouvoir au dépens de l’esprit. Ce monde a sa beauté mais une beauté dure. Le visiteur pense aux romans de la tendance « Cyber Punk », bien sûr à Philip K. Dick mais aussi à « Tous à Zanzibar » de John Brunner (1969), avec son super-ordinateur Shalmanassar, dispensateur des bienfaits. Enki Bilal serait-il trahi par ses origines ? L’exposition nous offre un retour vers Sarajevo, en 1998, après la guerre civile yougoslave (1992-1995), où l’artiste revient sur sa terre, pour comprendre, sans juger. Qualité rare qui est également celle d’un artiste visionnaire qui nous annonce notre monde contemporain (le Covid-19 au nom si prédestiné pourrait être le produit fatal d’une mauvaise manipulation de laboratoire d’une intrigue digne d’Enki Bilal). La boucle est en quelque sorte bouclée car l’histoire est aussi une sinistre répétition (« la première fois, comme une tragédie, et la seconde fois, comme une farce » écrivait Marx à propos du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte). Le circuit de l’exposition s’ouvre par les planches des « Phalanges de l’ordre noir », bande-dessinée qui a lancé Enki Bilal avec le scénario de Pierre Christin, ou comment le fascisme des années 30 se répète à la fin du XXème siècle, dans un monde inconscient et amnésique de ce qu’il doit aux combattants de la liberté.
Antoine Bourdelle (1861-1029) « Pénélope » 1912 et « Tête d’Apollon » 1900-1909, bronze – Collection Musée Bourdelle.
L’exposition nous offre une rétrospective très complète d’un artiste qui a créé ses univers dans la bande-dessinée, pour évoluer, sans se renier, vers les dessins, les estampes, les décors de films puis la mise en scène de son monde onirique. L’univers d’Enki Bilal est protéiforme par essence et se prête aisément à la dramaturgie du cinéma ou du théâtre.
En voiture, à pied ou à vélo, comme chaque été, j’ai parcouru la Provence, ma bien-aimée. Voici quelques moments forts de découvertes qui m’ont chamboulée par la singularité et la force des œuvres, en dehors des sentiers battus par la foule estivale. Un régal !
Hôtel d’Agar Cavaillon – Eva Jospin à Montmajour – Galerie Régala, Arles – Jorge Guillen, musée Chillida-Leku
Nathalie Guiot – Le premier jour de l’étincelle. Editions Ishtar.
Vendredi 21 juillet, visite de l’hôtel d’Agar, Cavaillon
Libre comme l’air du temps
Farouche dans sa course
Réincarné dans le vertige
De ton souffle
« Un monde suspendu » – Le premier jour de l’étincelle – Nathalie Guiot
Hôtel d’Agar à Cavaillon
Je pensais visiter une petite collection d’amateurs passionnés à Cavaillon et me retrouve dans un cabinet de curiosités exceptionnel, présentant une foultitude de pièces d’archéologie et d’ethnographie, peintures anciennes, textiles, céramiques contemporaines de la manufacture de Sèvres et commissions d’œuvres d’artistes contemporains comme Fabrice Hyber, à qui le propriétaire, Christian Morand, ophtalmologiste de profession, a demandé d’imaginer la vie sulfureuse de Caravage (beaucoup de sexe car que des dessins de phallus !). Christian Morand est un personnage érudit et passionné par son sujet, qui au fil de 27 ans d’activité de collectionneur, est devenu un conservateur et historien d’art hors pair. Une passion telle, qu’il est parvenu à transmettre le virus à son fils Olivier Morand.
Un régal que de l’écouter nous raconter le dessin caché d’un Carrache, la vie de Finson, acolyte de Caravage qui l’aurait assisté dans la réalisation de certains de ses tableaux ou encore celle de Monsieur Peiresc, grand mécène et collectionneur. Un voyage dans le temps insoupçonnable de l’extérieur et de multiples trésors à découvrir. La famille Morand continue d’explorer l’histoire de cet hôtel particulier classé monument historique et de ses illustres prédécesseurs dont cette illustre famille d’Agar de Cavaillon. Des fouilles archéologiques ont même permis la découverte d’un temple romain sous les fondations de la maison !
Hôtel d’Agar à Cavaillon
La visite commence au rez-de-chaussée par une exposition sur la peste avec des documents d’époque. C’est une puce qui aurait transmis le virus, transportée par bateau et les cargaisons de tissus provenant du Levant. Aux étages, coup de projecteur sur les fabuleux portraits de la marquise de Gange par Nicolas Mignard devant les très belles coupes en porcelaine de Sèvres de Marie-Ange Guilleminot, et les portraits d’Artemisia Gentileschi au destin tragique, le suicide de Lucrèce ou encore Omphale prenant les attributs de puissance et de gloire d’Hercule. L’ultime de la visite se situe au tout dernier étage, il s’agit de l’épée de Caravage et de deux peintures authentifiées de la main du maître. Incroyablement vrai ! Des experts du monde entier viennent admirer et écouter l’histoire rocambolesque de la provenance de ces deux tableaux. Un voyage dans l’histoire, au temps de la République des Lettres, où des mécènes soutenaient les artistes de l’époque, où la Provence représentait le Comtat Venaissin et où les papes y régnaient encore.
Réplique – Le premier jour de l’étincelle – Nathalie Guiot
C’est à Arles dans une toute nouvelle galerie, celle de deux personnalités, Veronique Pieyre de Mandiargues et Florence Reckinger Taddei que je suis tombée en arrêt devant le travail de Pascal Monteil. Une œuvre textile qui prône la lenteur et le geste et où l’aiguille a remplacé le pinceau. Cet enfant du Gard a un talent fou pour raconter des histoires. Son goût des voyages lui donne l’envie de brasser les cultures, comme celle des juifs Marranes ; une histoire terrible. Ce peuple fût persécuté pendant trois siècles par l’inquisition Espagnole. Y est représenté leur exil sur la toile panoramique ainsi qu’une foultitude d’autres personnages. On y croise Nostradamus dont le musée est à Saint Remy de Provence ou encore un pape sur la route d’Avignon et Pascal lui-même au milieu des paysages de cyprès en forme de pains de sucre et des vignes échevelées.
Pascal Monteil Summer tapestry, 2019 Laines brodées sur toile de chanvre 133 x 146 cm Galerie Régala, Arles
Pascal aime les histoires abracadabrantes qui mélangent les genres et les époques, il les consigne dans son journal. Sous des airs colorés et joyeux, il y est beaucoup question d’exil et de persécutions. Rimbaud agonisant à son retour d’Abyssinie fait aussi partie de la galerie de portraits. Ce qui donne à son travail une touche politique et engagée, bien au de-là de la catégorie des Arts Appliqués. Pascal a vécu à Calcutta puis s’est passionné pour l’Iran où il a séjourné à Tabriz, par amour de l’écriture de Nicolas Bouvier. Quant à la technique de l’aiguille, cet ancien élève de la villa Arson, proche de Christian Lacroix, confie aimer la lenteur dans l’ouvrage. Très à-propos en ces temps post-confinés. Merci Pascal Monteil pour cette belle rencontre sur la route provençale… et le soleil qui cogne toujours…
Alors Eva est apparue au beau milieu de l’été. Une révélation, dans la fraîcheur des murs épais du monastère. Trônant en majesté sous la croisée de transept de l’Abbaye de Montmajour, près d’Arles où je passe chaque été, le Cénotaphe d’Eva Jospin se dresse, massif et droit. Un appel au silence et au recueillement. Ça tombait bien. J’avais besoin de digérer l’actualité nauséeuse de nos politiques face à la crise sanitaire. Et ce Cénotaphe m’intriguait. Cette acropole chrétienne de dix mètres de hauteur a pour fonction de rendre hommage aux morts. Troublant. Cette oeuvre a été commissionnée par le Centre des Monuments Historiques pour habiter l’abbaye durant cet été singulier de post COVID. Façonné par les mains de l’artiste en un millefeuille de lamelles de carton, son médium, ce Cénotaphe rend hommage aux morts et à notre triste actualité passée, nos anciens disparus dans la solitude et l’isolement, pensais-je.
Reste l’amour, la poésie et l’art bien sûr. Avec son visage de Madone, Eva a découpé, sculpté, assemblé cette oeuvre monumentale en totale adéquation avec la symbolique du lieu, une abbaye bénédictine fondée en 948, qui a accueilli des milliers de pélerins jusqu’au XVIIIème siècle et est classée monument historique depuis 1840. Je me suis sentie comme un grain de sable, toute petite face à l’immensité de cette œuvre.
On y retrouve la thématique de la grotte, chère à l’artiste. Ses fondations accueillent des creux et des pleins et une force vibrante invite à la méditation. Seule une légère brise vient perturber ce silence intérieur. Au dehors, sur le rocher cerné de marécages, c’est aussi une nécropole, celle des comtes de Provence inhumés ici. Un lieu mystique qui nous transcende, invite le divin dans cette architecture témoin de la foi et de l’engagement de l’homme face à l’adversité. Merci Eva Jospin pour cette traversée dans l’histoire et cette beauté de l’art qui rend visible l’invisible
Changement de culture et de décor, ici les vagues de l’océan viennent frapper les corps hâlés des surfeurs et les Pyrénées à perte de vue illuminent nos regards ébahis. Prodigieusement tonique !
Eduardo Chillida
A San Sebastian, je rencontre pour la première fois sur ses terres, l’œuvre d’Eduardo Chillida. Ce sculpteur né à San Sebastian en 1924, disparu en 2002, est un constructeur d’espaces, un architecte du plein et du vide. Une reconnaissance fulgurante grâce à la rencontre d’Andre Maeght et à la complicité de son épouse Pilar Belzunce avec qui l’artiste a eu 8 enfants et qui l’accompagne toute sa carrière.
Eduardo Chillida
Eduardo Chillida
C’est dans cette bergerie datant du XVIème siècle, cernée par 11 hectares de terrain, et aujourd’hui fondation, que le couple s’installe dans les années 80. Retour aux racines où le sculpteur travaille le fer, un ensemble de pièces puissant pour leur jeu de spatialité. Au premier étage de la bâtisse devenue lieu d’exposition, une œuvre ancrée dans les éléments, profonde. Gaston Bachelard a d’ailleurs écrit un très beau texte (le cosmos du fer, derrière le miroir). Les eaux-fortes exposées questionnent, de manière graphique, la notion de volume et des lignes qui en découlent, comme des interstices…Les cubes en terre ou en bois vibrent et s’emboîtent et la quarantaine de sculptures en plein air, réalisées en acier Corten, sont en osmose totale avec la nature et l’espace. L’essence de l’œuvre se déploie avec harmonie et justesse au milieu des arbres centenaires. De l’intention de l’artiste à capter la lumière avec notamment cette pièce originale Buscando la luz (1997) ou bien ses sculptures d’albâtre d’une translucidité troublante. J’ai quitté Eduardo en ayant envie de dessiner et mettre les mains dans la terre. Un signe que ce lieu irradie d’énergies créatives.
Eduardo Chillida
Eduardo Chillida
Eduardo Chillida
Eduardo Chillida
Eduardo Chillida
L’âme revient au corps,
Avance vers les yeux
Et bute. Ola lumière
Étourdissant mon être !
Jorge Guillen – Poème qui accompagne les eaux-fortes de l’artiste, œuvre gravé, Maeght diteur
Merci Nathalie, pour cette ballade poétique dans le Sud, pour ton regard avisé sur l’art que nous aimons et partageons
Nathalie Guiot a créé la Fondation Thalie à Bruxelles, qu’elle anime depuis 2013.
S’y succèdent expositions d’art, lectures, débats culturels, rencontres littéraires…Mécène culturelle et collectionneuse d’art, Nathalie Guiot est membre du cercle international et du comité d’acquisition Design au Centre Pompidou ainsi que du comité scientifique de Kanal Pompidou à Bruxelles.
Elle est curatrice d’exposition, éditrice, auteure et poète. Elle fonde Anabet Éditions en 2000 et Ishtar Éditions en 2020.
Nathalie Guiot est l’auteure de Collectionneurs, les VIP de l’art contemporain (Anabet Éditions, 2008) et de Conversations, l’artiste et le collectionneur (BlackJack Éditions, 2013).
Nathalie Guiot – photo copyright @ Cici Olsson
En 2020, elle publie un premier recueil de poésiesLe premier jour de l’Étincelleet crée, à l’issue du confinement, Éditions Ishtar qui publie de la poésie contemporaine, organise des lectures dont Équinoxes, une plateforme en ligne de lectures poétiques sur le site de la fondation Thalie.
Disponible à la vente sur le site des éditions-ishtar.com
Tous masqués, on joue le jeu des retrouvailles, des oeuvres de qualité sont présentées, et c’est un vrai plaisir d’arpenter les allées de faire des découvertes.
En seconde partie les coups de coeur de la collectionneuse et philanthrope Sandra Hegedus – SAM Art Projects
Galerie A2Z, Antoine Le Clezio, me fait découvrir Rachid Koraichi qui a sculpté 7X7 statuettes en acier, représentant des hommes et des femmes priant. L’artiste est un grand Maître Soufi et ces silhouettes sont autant de symboles soufis. Il prépare actuellement l’exposition pour le Metropolitan Museum of Art (MET) de New York pour 2021. Il devrait investir le hall d’entrée du musée. Une première mondiale pour un artiste vivant !
Rachid Koraichi – Les prients/ The Prayers . 2007. Acier – A2Z Art Gallery
Des surprises, de l’art brut, comme ce temple en coquillages peints de Paul Amar, chauffeur de taxi qui passait son temps libre à ériger ses maquettes, celle-ci ne passe pas inaperçue.
Paul Amar (1919-2017) Le temple religieux, 1985 – Assemblage de coquillages et matériaux divers.
Je retrouve avec joie mon amie Marie-Hélène de La Forest Divonne, qui présente côté peinture : Guy de Malherbe, natures mortes aux huitres, côtelettes. Il y a aussi les oeuvres d’Arthur Aillaud (fils de Gilles et petit-fils de l’architecte Emile) et côté photo une nouvelle série d’Elsa & Johanna.
De la couleur, des fleurs sur le stand de Gilles Drouault avec le soloshow de Louis Granet, une installation totale, plus de limites pour ces compositions florales qui prennent possession du mur du stand mur peint par l’artiste.
Louis Granet – Gilles Drouault, galerie/multiples
Rendez-vous avec ma chère envoyée spéciale 2019 Sandra Hegedus, et c’est reparti pour un tour, 1 heure / 10 oeuvres, j’adore son énergie et son enthousiasme.
Sandra est à l’initiative d’une ‘exposition aux Grandes Serres de Pantin, studio Iván Argote Amanha Ha De Ser Outro Dia / Demain Sera Un Autre Jour , le vernissage aura lieu a semaine prochaine, mercredi 16 septembre. Un manifeste de 20 artistes brésiliens pour soutenir leur pays.
« J’ai voulu cette exposition pour donner la parole aux artistes brésiliens qui, comme moi, même s’ils vivent loin de leur pays, demeurent très impliqués et extrêmement préoccupés par la situation dramatique du Brésil. Notre engagement est total », explique Sandra Hegedüs qui a conçu l’exposition et mobilisé les artistes pour agir.
MC Mitout « J’aime tout » Galerie Claire Gastaud. Sandra Hegedus & moi
Pierre et Gilles – Jeanne la rebelle (Juliette Armanet) 2018. Photographie imprimée par jet d’encre sur toile et peinte. 148,5 X 113,5 cm – Galerie Templon
Luis Fernández – à droite : Plage de Niemandie. 1970 Huile sur toile – 50 x 72 cm- Galerie Claude Bernard
Galerie de l’Instant
Béatrice Casadesus Perlé or, 2020
Acrylique sur toile / Acrylic on canvas
270 x 180 cm
Galerie Dutko
Art d’Australie – A gauche : Taylor Cooper « Malara : WWanampi Tjukurpa » Acrylique sur toile. 196 x 184 cm, 2018. Stephane Jacob.
Art Paris 2020
Grand Palais Paris
Sébastien Prechoux – Galerie Wagner
A gauche : Jean-Pierre Pincemin Sans titre (carré-collé) 1973 279 x 371 cm
A droite : Philippe Gronon – Versos, sans titre 1979, Jean-Pierre Pincemin. 2016. Photographie analogique couleur, épreuve numérique pigmentaire. 174 x 142 cm
Galerie Patrice Trigano
Rachid Koraichi – Les prients/ The Prayers . 2007. Acier – Au fond : Shiori Eda – Unnatural is in nature I, II et III.3 huiles sur toile. Chacune 150 x 100
A2Z Art Gallery
« Les Ruines, ce n’est pas le passé, c’est l’avenir.
Tout, autour de nous, un jour, sera en ruines »Josef Koudelka
Odyssée de l’espace
C’est une véritable odyssée qu’a accompli Joseph Kudelka, 30 années autour de 20 pays du pourtour méditerranéen. L’aventure de celui qui aimait photographier les ruines, l’occasion aujourd’hui et pendant 3 mois d’une exposition à la BNF permettant de découvrir à notre tour tous ces sites immortalisés par le photographe.
Josef Koudelka – BNF
Je suis les pas de Josef Kudelka qui vient de faire son entrée dans cette grande salle noire de la BNF. J’ai l’impression de voir ces images noir et blanc en lévitation sous un ciel étoilé, une suite de panoramas apparaissant tour à tour. Une exposition silencieuse, des paysages de ruines isolées de toutes formes de vie défilent sous mes yeux faisant apparaître la beauté spectaculaire de ces sites construits par nos ancêtres.
Sur une image, des marches d’escalier usées par le temps me semblent si proches de ce que nous ressentons en parcourant les chemins qui nous mènent à telle merveille du passé, elles sont là dans la verticalité du format, symboles de cette vision de l’artiste. Une quête de la vie et de l’éternité, la main de l’homme sur la nature et inversement. L’usage de la verticale qui donne cette impression de regarder à travers une meurtrière.
Josef Koudelka, son arrivée dans l’exposition
La ruine comme quelque chose de commun à l’humanité
Une leçon du paysage, par celui qui considère les grecs et les romains comme de véritables paysagistes qui ont mis en scène l’espace, les temples, maisons, théâtres, cirques, routes, ponts… La main de l’homme sur le paysage et c’est cela que l’artiste cherche à conquérir, des années de quête de l’absolu, de la beauté d’un détail, le visage d’un dieu grec, la main du colosse, ou simplement une pierre dans une flaque d’eau, qui apparaissent sur ces panoramas. Des fragments d’histoire et de présent, contrairement à l’archéologue qui découvre la photographie comme un outil efficace, témoignage de ses recherches.
« …Le mariage de la beauté et du temps. « Josef Koudelka, extrait de Rencontre, texte de Bernard Latarjet dans le catalogue de l’exposition Ruines.
Sur les conseils d’un ami Josef Koudelka se rend sur le site de Delphes et c’est cette première photo du sanctuaire d’Athéna qui amorce le projet, il est fasciné, et c’est à partir de ce moment qu’il systématise le panoramique, devenant sa signature.
Le sujet
La ruine n’est pas un motif mais un sujet qui l’anime en fonction du paysage modifié par l’homme, qui rappelle le dialogue entre homme et la nature. Avec cette idée de l’intemporalité, la ruine ce n’est pas le passé mais le présent . Il s’attache à la répétition pour obtenir le maximum de son sujet.
Josef Koudelka propose une vision différente, à la fois très minérale et intime. Le détail prend toute son importance.
Cette exposition se termine par une dernière photo, une vue de Pétra en Jordanie.
« Le grand jeu »
Koudelka a fait don de 168 tirages à la BNF qui a également fait l’acquisition de 3 tirages
La BNF conservera ainsi le grand jeu tel que le signifiait son ami Henri Cartier Bresson
Dans cette exposition sont montrés 110 tirages panoramiques, un cinquantaine de petits formats sur les cimaises et 10 formats verticaux, il s’agit de tirages numériques Picto.
Ruines : 30 ans de travail qui n’ont bénéficié pratiquement d’aucune aide.
Florence Briat Soulié
Exposition Ruines – Josef Koudelka – Bibliothèque Nationale – François Mitterrand
Informations : Josef Koudelka – Ruines 15 septembre – 16 décembre 2020
Galerie 2 BnF I François-Mitterrand – Quai François Mauriac, Paris XIIIe Du mardi au samedi 10h > 19h. Dimanche 13h > 19h Fermeture les lundis et jours fériés
Commissariat :
Héloïse Conésa, conservatrice au département des Estampes et de la photographie, BnF Bernard Latarjet, administrateur culturel
J’avance d’un pas rapide vers le Musée de l’Elysée de Lausanne, impatiente de découvrir la sélection des jeunes talents de la photographie présentés. Miroir de notre époque, leurs travaux portent sur les thèmes qui nous concernent tous: l’engagement politique, économique ou éthique, l’écologie, le sujet de l’égalité et des genres, le challenge de la culture du digital et de la virtualité. Ce qui me frappe dans cette 4ème édition de reGeneration, c’est l’attention portée à la beauté des images. Quelle que soit la dureté des messages délivrés, ces jeunes photographes s’appliquent à les exprimer avec une esthétique extrêmement soignée. Ne dit-on pas que la Beauté sauvera le Monde* ?
Yaquine Lefèvre a été adoptée par un couple Belge. Son travail, « The Land of promises », est une recherche sur ses origines. Elle retrace le fil de son histoire à travers des photographies prises par son père en Chine, lors de leur première rencontre, en 1994, ainsi que des images de 2017, lorsqu’à son tour elle découvre sa terre natale. S’y ajoute un éclairage sociologique. Yaquine Lefèvre tente de comprendre le contexte et les raison des fréquents abandons de petites filles en Chine. Devant ces photos, on ressent toute son émotion dans cette quête intime.
Yuan Jin (née,1988) efface les inégalités avec poésie
Grand coup de coeur! Au départ, je suis séduite par ces visages-fleurs ou cactus, colorés et joyeux, donnant un air « pop » à ces images formelles. Mais la démarche de l’artiste ne s’arrête pas là. Yuan Jin travaille sur des photos du début du XXème siècle, achetées aux Puces, qui révèlent les contrastes de la société Chinoise. D’un côté, posant pieds nus en vêtements usés, les paysans, d’un autre, richement apprêtée, la société bourgeoise. Les motifs floraux ou végétaux, peints par l’artiste, cachent les visages, effaçant toute distinction entre les uns et les autres. Yuan Jin rétablit ainsi une forme d’égalité entre enfants et adultes, hommes et femmes, riches et pauvres. Magnifique!
Nathaniel White (né,1992) : la beauté de la nature pour évoquer la tragédie des migrants
Ces images pourraient évoquer les lignes d’horizon du grand Sugimoto. Nathaniel White y a peut- être pensé. Cependant, le propos du jeune artiste Britannique est tout autre. Il a longuement répertorié, en consultant les registres de l’organisation internationale pour les migrants, chaque lieu où des migrants ont perdu la vie. Ces horizons de mer Egée, Méditerranée et mer du Nord, sont les lieux précis des nombreuses tragédies individuelles, où des hommes sont morts, à la recherche d’une existence meilleure.
Plus loin, des immenses rubans bleus ressemblant à des pellicules de photos géantes déroulées, tombent sur le sol. Cette installation est en réalité un collage, composé de 17967 images satellites prises le long des 3 grandes routes migratoires européennes. Chaque image montre l’endroit où une personne a été signalée disparue, entre 2014 et 2020.
Abd Doumany : ne pas oublier les victimes de notre histoire
Abd Doumany, The layered cemetery of Douma, 2015-19,
Ces photos frappent et émeuvent. Elles sont le témoignage d’un Syrien qui veut montrer, au monde, la réalité meurtrière de la guerre dans son pays. Cette vérité que le gouvernement en place tente de dissimuler, en faisant disparaitre tous les documents ou photos y référant. Pour lutter contre l’oubli de ces victimes et rétablir la vérité historique, Doumany a fait ses propres recherches. Il nous livre les images de la douleur de ces familles qui enterrent leurs enfants. Un voile de tissus de linceul recouvre pudiquement les images des corps. Infiniment touchant.
Erik Berglin – Magie de la sérendipité! Lorsque le hasard et la technique ouvrent de nouvelles expressions artistiques
On ne voit qu’elle! Cette photo très séduisante avec ses lignes verticales de couleurs vives partant d’un champs de tulipes, est en fait le résultat magique d’un accident d’impression! L’artiste a, par erreur, ôté la clé USB pendant l’impression d’un fichier et la machine a repris, la même ligne de pixel jusqu’au bout de l’image. Fasciné, Berglin a décidé d’explorer ce champ d’expression. Il investigue de nouveaux processus de création où l’homme, l’appareil photographique et l’imprimante jouent chacun leur part. Le résultat donne une image unique, impossible à répliquer à l’identique.
Emile Sadria (né,1986) , une magnifique fleur…de métal usé!
Comment un cable électrique usé devient une vraie image d’Art! L’artiste Danois présente le cordon hors service comme s’il s’agissait d’un publicité pour un magnifique objet de luxe. Il dénonce ainsi « l’obsolescence programmée » des biens de consommation dans le système capitaliste et renvoie à la précarité de nos propres vies. Pour ma part, je trouve que cette « fleur » de métal est une très belle façon d’immortaliser ce cordon « obsolète!
Zhibin Zhang (1991) recycle des outils abandonnés en créations artistiques
Sur ce même thème de l’obsolescence, je suis captivée par les natures mortes de Zhibin Zhang. Je trouve à ces sculptures de rebus mécaniques un air de ready-made à la Duchamp. L’artiste Chinois a récupéré les outils, machines, rouages, etc dans des usines manufacturières désaffectées. Ce qui me touche particulièrement est l’introduction subtile de la vie dans ses « natures mortes ». Telle la petite plante apparaissant dans cette image, défiant l’obsolescence définitive.
C’est toujours passionnant de découvrir les talents émergents qui façonneront la scène photographique de demain. Pleins de spontanéité, d’énergie et de sensibilité, les 35 artistes sélectionnés pour reGeneration4 montrent un fort engagement dans les enjeux de notre époque et une remarquable créativité. Bravo au musée de l’Elysée de Lausanne et à toute son équipe, dirigée par sa brillante directrice Tatyana Franck, pour avoir magnifiquement perpétué ce rendez-vous quinquennal.
Cette exposition accompagne la fermeture provisoire du Musée de l’Elysée de Lausanne, Dimanche27 Septembre, en préparation de son déménagement au sein du nouveau quartier des Arts, Platforme10, où il jouira d’un magnifique espace.
Caroline d’Esneval
Commissaires de l’exposition reGénération4 : Pauline Martin et Lydia Dorner
Musée de l’Orangerie – Giorgio de Chirico – La peinture métaphysique. 16 septembre – 14 décembre 2020
« Paul Guillaume, l’un des premiers touchés par la révélation moderne. » André Breton, 1923
Giorgio de Chirico (1888-1978) est le grand absent de la collection du musée de l’Orangerie et c’est une heureuse coÏncidence que ses oeuvres soient présentées aujourd’hui et ceci pour une durée de trois mois dans ce musée. Là où se trouve la collection de son grand marchand Paul Guillaume, le peintre lui avait été présenté très tôt par le poète Apollinaire et sur pratiquement tous les cartels on peut lire : ancienne collection Paul Guillaume. Que s’est il passé avec le marchand, encore un mystère !
A gauche : « Le retour du poète » 1914. Huile sur toile. Genève, Aga Khan Foundation, ancienne collection Paul Guillaume. A droite : « La sérénité du savant » 1914. New York, The museum of Modern Art, ancienne collection Paul Guillaume
« Être compris, ou ne l’être pas, est un problème d’aujourd’hui. Dans nos œuvres également mourra, un jour, l’apparence de la folie pour les hommes, cette folie qu’ils y voient, car la grande folie, qui est celle qui n’apparaît pas à tout le monde, existera à jamais et continuera de gesticuler et de faire des signes derrière l’écran inexorable de la matière « Giorgio de Chirico, 1919
Giorgio de Chirico est né en Grèce en 1888, il a un jeune frère qui deviendra écrivain et connu sous le nom de Alberto Savinio (1891-1952).
Son père ingénieur ferroviaire, meurt brutalement. Dans l’œuvre de son fils, le train à une place importante et si vous regardez bien les toiles, une locomotive en marche apparait très souvent. Son grand-père, lui, est diplomate. Chirico a ce côté apatride, ni grec ni vraiment italien.
A gauche : « Le revenant » (le cerveau de l’enfant), 1914. Huile sur toile. Stockholm, moerna Museet. Anciennes collections Paul Guillaume et André Breton. A droite : »Portrait [prémonitoire] de Guillaume Apollinaire » 1914 Huile et fusain sur toile 81,5 x 65 cm – Centre Pompidou – Ancienne collection Apollinaire.
Très vite, il s’intéresse aux philosophes et lit Bocklin, Schopenhauer et Nietzsche.
Été 1909 à Rome et Florence il a ses premières « révélations « qui sont des visions de tableaux. Sur ses premières œuvres, on retrouve les récits de la mythologie, qu’il écoutait enfant.
Apollinaire qualifie sa peinture de « métaphysique »
J’ai toujours aimé l’idée de l’importance du rêve dans la création artistique. Cette rétrospective de Chirico, l’artiste qui a lancé le mouvement de la peinture métaphysique est un voyage dans une autre dimension. Il comprend que ce qu’on voyait n’était pas forcément la réalité. Mais une chose est sûre impossible de voir l’actualité avec ces grosses lunettes noires !
Chirico est un Peintre qui ne regarde pas mais qui rêve, il ne peut voir le présent avec ses lunettes noires, comme Tobias il est aveugle, Mais il rêve il rêve du passé et du futur les antiques, les signes archéologiques, le train qui passe dans un nuage de fumée. Une peinture qui ressemble à un puzzle dont on essaierait de recoller les fragments pour déchiffrer l’énigme qu’elle recèle.
Une œuvre spéciale où les signes s’imposent à nous.
On connaît si bien ce portrait d’Apollinaire, lunettes noires posées sur le nez de la sculpture, où sur un fond vert se dessine le profil du poète . L’artiste l’avait offert à son ami.
Modernité et antiquité
Le poète devient un mannequin, métaphore de l’aède incapable de voir le présent mais pouvant voir passé et futur, une genèse de la poésie
Ariane personnage de la mythologie lui est proche par sa propre histoire et la lecture du philosophe Nietzsche.
(Cf la recompense du devin, 1915 ancienne coll Paul Guillaume)
Artichauts, régimes de bananes ornent ses peintures ,
« Deux artichauts de fer me regardent …» Giorgio de Chirico, Mélancolie 1913
Les rôles s’inversent, les personnages se transforment en simples silhouettes, les sculptures sont au premier plan et les légumes s’animent, les ombres désobéissantes, le temps qui passe à sa guise , le train en marche
A chacun ce qui lui plait
C’est la « Solitude des signes »
« La nostalgie de l’infini » 1911. Huile sur toile. New York, The Museum of Modern Art. Ancienne collection Paul Guillaume (détail)
Chirico a découvert la poésie de Rimbaud
« Le Revenant » est rebaptisé par Aragon Le cerveau de l’enfant » cette oeuvre date de 1914, son thème est repris un an après par Picasso un hommage à Chirico, L’Homme au chapeau melon assis dans un fauteuil,. André Breton à un coup de foudre pour cette peinture, il en fait l’acquisition et la gardera jusqu’à sa mort. Le thème de l’artiste voyant, l’homme à les yeux clos, le livre jaune posé sur une table est fermé, une colonne dorique longe le côté gauche de la peinture . Je retrouve ce revenant à la fin de l’exposition (le retour de Napoléon III) , le personnage a les traits de son père et est habillé de la colonne, un mannequin désarticulé en bois sans tête assis sur une chaise, la porte ouverte et un plafond bleu, un ciel ?
A gauche : « Il ritornante » (le revenant) 1017-1918. Huile sur toile. Centre Pompidou. Anciennes collections Paul Guillaume, Jacques Doucet. A droite : « Il trovatore » (le troubadour) 1917. Huile sur toile. Coll. particulière
Première guerre mondiale
Pendant les années de guerre, il se trouve en Italie à Ferrare, il est confiné chez lui et peint de petits tableaux qui révèlent les atrocités, l’absurdité des situations. Il peint les objets qui l’entourent . Vers la fin de la guerre, réfugié dans un hôpital militaire il peint les prothèses des mutilés.
1917 « le rêve de Tobias » ce tableau Aidel, le thermomètre et l’espace délimité par ces formes géométriques, les arcades,
« Le rêve de Tobie » 1917 – Huile sur toile – The Bluff collection. Ancienne collection Paul Eluard.
L’artiste est obsédé par ce poisson de Tobias, toujours l’allusion à l’homme aveugle dans l’impossibilité de voir les choses , cette allusion est d’autant plus forte , que nous sommes en temps de guerre , une guerre interminable, effrayante Un symbole fort qui a dû fortement impressionner Paul Eluard propriétaire de cette œuvre et qui appartient aujourd’hui à The Bluff collection, je ne sais qu’en penser !
Commissariat Commissariat général : Paolo Baldacci, président de l’Archivio dell’Arte Metafisica Commissariat de l’exposition à Paris : Cécile Girardeau, conservatrice au musée de l’Orangerie Commissariat de l’exposition à Hambourg : Dr. Annabelle Görgen-Lammers, conservatrice à la Hamburger Kunsthalle
Georges Pompidou, disait « L’art doit contester, discuter, protester ». Sandra Hegedus conteste, discute, proteste et entre en rébellion.
LUCAS KROEFF
Impeachment, 2020
Installation, technique mixte
Dimensions variées
Samedi dernier, je me rendais à nouveau pour un rendez-vous aux Grandes Serres de Pantin, je garde un très bon souvenir de ce lieu où j’avais pu découvrir l’exposition « Jardinons les possibles » d’Isabelle de Maison Rouge et la regrettée Ingrid Pux. Cet endroit, gigantesque, au nom si improbable de « Pouchard Tubes » lié à son histoire industrielle, abrite de nombreux ateliers d’artistes.
Vue d’ensemble
Cette fois-ci c’est l’exposition de Sandra Hegedus qui m’intéresse, Amanha Ha De Ser Outro Dia / Demain Sera Un Autre Jour.
La situation politique est très préoccupante au Brésil depuis l’élection du président Jair Bolsonaro (en octobre 2018). Faisant suite à l’action contestataire de l’artiste Julio Villani, Sandra a voulu donner la parole à une vingtaine d’artistes brésiliens, engagés et militants. L’exposition ne peut se comprendre que par le contexte actuel du Brésil, le pays d’Amérique latine le plus touché par le virus Covid-19, où sévit un Donald Trump dans une version tropicale. Passionnée et militante, Sandra Hegedus Mulliez apporte son énergie en soutien de ces jeunes artistes, interdits de retour dans leur pays en raison de la crise sanitaire.
Questions / Réponses :
Sandra Hegedus, fondatrice de SAM Art Projects
TGP : Qu’est ce qui t’a fait réagir et participer à ce manifeste Impeachment ?
Sandra Hegedus : Depuis l’élection du président Bolsonaro, il y a une chape de plomb qui s’abat sur le Brésil. On ne peut plus s’exprimer, il y a la censure, chaque mouvement est observé, les artistes , les intellectuels, les professeurs dans les universités ne sont plus libres d’agir. La pensée s’éteint. A part cela, il y a la gestion du Covid, comment le gouvernement gère cette crise. D’autre part, il y a l’Amazonie, les feux qui ravagent le pays. Il y a tellement de questions, qu’on sent une angoisse énorme. Moi j’ai de la chance d’être en France et je peux encore mobiliser et parler. Les gens au Brésil ne peuvent pas.
TGP : Que veux-tu provoquer avec cette manifestation de résistance contre le gouvernement Bolsonaro, quelle aide penses-tu apporter aux artistes qui vivent au Brésil ?
SH : Plus on fait du bruit sur ce qui se passe au Brésil, plus les gens voient et écoutent ce que nous avons à dire. Nous avons organisé avec l’exposition, toute une série de rencontres et de tables rondes pour expliquer et plus les gens voient, plus ils prennent conscience de la situation et mieux c’est.
Les Grandes Serres de Pantin
TGP : As-tu eu déjà des retombées sur votre action collective ?
SH : Bien sûr, j’ai été interviewée sur RFI (en langue portugaise) qui est retransmis sur une centaine de radios locales car RFI a un partenariat pour des diffusions dans tout le pays.
TGP : Est-ce que c’est une action qui va perdurer après la fin de l’exposition ?
SH : Je ne sais pas, on a le sentiment que l’expo n’est qu’un début et qu’on est en train de lancer un vrai mouvement. Mais on verra, on a tous envie de crier haut et fort ce que nous pensons. Mais il faut trouver les moyens et comment allons nous faire d’autres actions. Comment aller plus loin.
TGP : Votre action a-t-elle eu des retombées presse, mais pas seulement artistiques ?
SH : Il y a eu beaucoup de presse dans les journaux français, mais ceux liés à l’art, pas de journaux politiques et plus généraux malheureusement. J’aurais aimé que des journaux comme le Monde ou le Figaro se rendent compte de cela, car cette exposition c’est de l’art politique, c’est un vrai manifeste. Dans le texte qui est distribué, la commissaire Sofía Lanusse explique notre action.
Julio Villani
TGP : Quelle est ton implication dans les actions devant l’ambassade avec Julio Villani ?
SH : J’ai participé à ces actions, celle de mai c’est moi qui ai fait les photos, je suis très proche de ce que fait Julio, j’étais là, présente à la manifestation. Pour la deuxième manifestation, cette fois-ci avec Ivan Argote, c’est moi qui ai allumé la fumée. On fait ce qu’on peut dans ces moments difficiles. Bien évidemment, j’ai eu l’idée de faire cette expo pour donner la voix à plus d’artistes. Ils sont tous isolés les uns des autres, l’idée c’est de se dire l’union fait la force, et on agit tous ensemble. Je ne connaissais pas certains artistes présents qui avaient envie de parler.
Visite en images
Julio Villani est très impliqué dans la scène artistique française, mais pas seulement, New-York, Madrid, Londres et Saò Paolo, il est un peu le fil conducteur de ce manifeste et son message est sans équivoque, en français et brésilien.
JULIO VILLANI
Desfaçatez/ Desfaça | Dégâts / Dégage,2020
Fils de laine sur drap en lin et chanvre
294 x 92 cm
Culture, écologie et économie, sont les points forts, alarmants pour l’avenir du Brésil, qui réunissent ces artistes.
Un vrai manifeste pour la place de la culture dans leur pays, où Sandra m’apprend qu’il est plus facile d’acheter des armes que de s’exprimer artistiquement. Le Gouvernement Bolsonaro mène une véritable offensive anti-intellectuelle et anti-culturelle : la Cinémathèque du Brésil (Cinemateca brasileira) est menacée de fermeture, alors qu’elle est la dépositaire d’un siècle de mémoire cinématographique du Brésil, en particulier de Glauber Rocha, le père du Cinéma Novo contemporain de la Nouvelle Vague ; le ministère de la culture a été rétrogradée en secrétariat d’Etat, la maison-bibliothèque de Ruy Barbosa, diplomate, homme politique et écrivain brésilien est en péril. Le Musée national de Rio, le plus grand musée d’histoire naturelle et d’anthropologie d’Amérique latine, le plus ancien également (créé en 1818), a été victime d’un incendie : tout un symbole qui résume la situation de crise de la culture au Brésil.
ISADORA SOARES BELLETTI
Amanhã não leia as notícias (Demain, ne lisez pas les nouvelles)
Vidéo 8 minutes, HD
Ivan Argote, qui a son studio sur place, a reçu tous ces artistes, j’en reconnais certains que j’ai pu voir à Montrouge, au Houloc… tous ont pris la parole et s’expriment par vidéo, peintures, sculptures, dessin, tapisseries (arte povera). Chacun a son mot à dire, le lavage de cerveaux, la censure, la destruction des forêts, l’écosystème qui est détruit à la grande échelle du pays. Isadora Belletti se met en scène dans une vidéo, qui illustre le lavage des cerveaux par la presse pro Bolsonaro. Symboliquement installée dans une laverie bleu électrique, à la Hopper, elle désigne les unes de presse lors de la victoire électorale de Jair Bolsonaro qu’elle passe au lavomatic. La régurgitation est exposée au pied de la vidéo, une sorte de bouilli informe, un résidu indistinct et monstrueux comme un cerveau en liquéfaction : sans doute le sous-produit des fake news, qui circulent maintenant sur les médias et les réseaux sociaux. On marche sur un tapis qui est une vue satellite de Bianca Dacosta, qui représente le damier de la forêt amazonienne dont la végétation brunit sous l’effet des incendies : le sol est mis à nu et détrempé. La richesse de la biodiversité de ce conservatoire végétal est en train de disparaître.
BIANCA DACOSTA
Jour du feu (Dia do Fogo), 2020
Images satellites imprimées sur moquette
220 x 200 cm
La sculpture en acier de Liz Parayzo pourrait ressembler à un oiseau mais on découvre un Brésil brisé, divisé, torturé, posé comme un étendard à terre.
LYZ PARAYZO
B Bandeira #2 (Drapeau #2), 2020
Aluminium découpé au laser
1,50 x 100 x 100 cm
Randolpho Lamonier, présente une vidéo présentant l’horreur de l’actualité qui a été commandée pour la 15e Biennale de Lyon, l’artiste utilise divers média pour s’exprimer, comme le textile, on peut voir deux bannières en patchwork de débris de vêtements arte povera.
RANDOLPHO LAMONIER
Florescer na Pedra (Fleurir sur la Pierre), 2020
Textile
150 x 160 cm
Certaines oeuvres sont sans équivoque, c’est le cas des « coup de poing » de Rodrigo Braga., pastels et vidéo sans son.
RODRIGO BRAGA
Coup de poing (diptyque), 2020
Pastel sec et fusain sur papier
70 x 100 cm chaque
La gauche la droite le noir le blanc, 2018
Vidéo 1’ 55”, HD, couleur, sans son
Romain Vicari, lui utilise un slogan publicitaire très répandu pendant la dictature Ame-o ou deixe-o (Aime-le ou quitte-le), en détournant la phrase fétiche de l’extrême droite, le mot d’ordre du trumpisme autoritaire et populiste, devenu le porte-drapeau du de Jair Bolsonaro. Sa sculpture , menaçante et monstrueuse, qui brandit un revolver, devient le symbole de la culture du pays qui doit résister.
ROMAIN VICARI
Ame-o ou deixe-o (Aime-le ou quitte-le), 2020
Technique mixte
200 x 140 x 40 cm
Les faux portraits sont fascinants, fabriqués de toutes pièces par l’algorithme d’une application, l’artiste Juliano Caldeira, crée une population semblant normale au premier abord , mais lorsque je prends connaissance du procédé, ces figures deviennent alors inquiétantes. Serait-ce les visages d’une humanité déshumanisée, insensible, standardisée et fabriquée par les fake news et les chatbots ? Le mural suggère implicitement que la réalité peut être dévoyée et que nous sommes entrés dans l’univers des faits alternatifs.
JULIANO CALDEIRA
Série Ghosts, 2020
Huile sur papier calque
35 x 29 cm chaque
Elian Almeida dénonce les prises de position du président Jair Bolsonaro pendant le confinement et aussi ce gouvernement blanc dans un pays à 50% noir. Il désigne ainsi l’occultation de la question raciale au Brésil, pays qui s’est construit sur le métissage mais aussi l’esclavage. Pourquoi les footballeurs sont-ils noirs et le hommes politiques ou les stars des médias sont-ils blancs ? L’artiste déconstruit ainsi le mythe du Brésil métissé, multiculturel et multiracial, où les victimes des violences policières sont les populations noires des favelas.
L’exposition est aussi un manifeste écrit par Sofia Lanusse : « Afin de répondre collectivement au pouvoir imposé au Brésil représenté par le président Jair Bolsonaro et pour exprimer leur insatisfaction face aux politiques appliquées contre la culture, contre les droits de l’homme et contre la nature, les artistes ont décidé de manifester au travers de leurs pratiques comme la peinture, la sculpture, le dessin, la musique et la performance. »
Florence Briat Soulié
ELIAN ALMEIDA
O que é melhor, a gente discutir acordos políticos ou
a cor dos políticos ?
(Vaut-il mieux discuter les accords politiques ou la
couleur des politiciens ?), 2020
Acrylique et pastel sur toile
170 x 130 cmGABRIEL MORAES AQUINO
Parada Crua, (Parade crue), 2020
200 x 200 cm
Installation (vidéo et technique mixte)JOANA ZIMMERMANN
Mostra a tua cara (Montre ton visage), 2020
Béton, pigment minéral
Exposition :
Amanhã há de ser outro dia (Demain sera un autre jour)
Du 17 au 30 septembre 2020
Studio Iván Argote, Les Grandes-Serres 15, rue du Cheval Blanc, 93500 Pantin
Invitation de Sandra Hegedüs, fondatrice de SAM Art Projects, avec la complicité de Iván Argote qui accueille l’exposition dans son atelier. Commissariat d’exposition : Sofía Lanusse
Images Vevey, une des rares biennales maintenues en cette période étrange. Période incertaine certes, qui cependant ne semble pas un frein à la création (contrairement à la diffusion). L’édition de cette année s’intitule: “Unexpected, le hasard des choses”. Pendant plus de 20 jours, la ville de Vevey accueille une cinquantaine d’oeuvres visuelles, parsemées à divers endroits (parcs, théâtre, bibliothèque, musées, station de transports publics, galeries …et lieux insolites ). Une vraie chasse aux trésors dans ce Musée à ciel ouvert.
Refik Anadol, Melting Memories, photo: Emilie Renault
Cinq oeuvres qui nous ont marquées, en quelques mots et images.
Christian Boltanski , Chance
Boltansky N3, Chance photo Emilie Julie Renault
Cette idée du hasard, est parfaitement illustrée par la première installation « Chance » de Christian Boltanski. Une salle monumentale abrite un échafaudage gigantesque sur lequel une énorme pellicule photo est en constant mouvement. Sur cette pellicule des portraits de nouveau- nés défilent. Cette installation traite principalement du hasard de la vie, celui lié à la naissance et à notre environnement propre qui va nous conditionner toute notre existence. Analyse sociologique passionnante, l’artiste met en image une question déjà largement débattue. Cette illustration en mouvement est prenante. Des chiffres défilent en continu, recensent le nombre de naissances et de décès par minute dans le monde. Ce panneau frappe et concrétise une réalité qui peut souvent s’avérer abstraite. Le bruit de cette installation accentue l’immersion du public dans cette oeuvre vivante et monumentale.
Christian Boltanski , installation N3 Chance, video Emilie Renault
Refik Anadol, Melting Memories
Le hasard, “Cas, évènement fortuit ; concours de circonstances inattendu et inexplicable”, est un élément fondamental de notre quotidien. Ce hasard peut être celui de la nature, mais aussi de l’humain. L’incroyable installation de Refik Anadol dans l’Eglise Sainte-Claire illustre cet aspect.
Refik Anadol, Melting Memories, photo: Emilie Julie Renault
En effet, cette installation vidéo, qui me fait penser à de la neige poussée par le vent, est en fait une magnifique mise en images de la mémoire humaine.
Melting Memories fusionne l’art contemporain et les technologies de pointe. Pour réaliser cette oeuvre, l’artiste a étroitement collaboré avec Neuroscape, le laboratoire de neuroscience de l’Université de Californie à San Francisco. L’oeuvre de Refik Anadol propose de “donner une forme visuelle aux souvenirs”(développement d’algorithmes à partir des informations fournies par des électro-encéphalogrammes). Ainsi l’artiste nous offre une “interprétation esthétique de l’activité électrique générée par le cerveau humain”. Le résultat est fascinant, hypnotique.
Et quelle audace de présenter une oeuvre, ayant pour origine une étude de neuroscience dans une église!
Un très beau titre, illustrant parfaitement l’impression étrange de paix, de sérénité et de solitude que je ressens devant leurs images de grandes capitales (Paris, New-York, Rome et Pékin), habituellement grouillantes, tout à coup désertées et silencieuses. Le duo de photographes utilise un temps de pose long, une ancienne pratique photographique, aujourd’hui disparue. Ainsi tous les mouvements rapides, notamment le déplacement des personnes, ne sont pas capturés par la prise de vue. Avec ce procédé, Brodbeck & de Barbuat présentent des clichés de places vidées de leur frénésie quotidienne. Seul demeure un personnage, inséré numériquement. Ces photos réalisées il y a une dizaine d’années, prennent, au regard de notre actualité, une dimension prémonitoire.
Alain Bublex s’est passionné pour les décors et les mouvements de caméra de la série Américaine « Rambo« . Ces environnements mythiques sont autant de symboles de la culture des Etats-Unis. Il les a re-dessinés un à un, incluant chaque plan et mouvement tout en retirant les scènes d’action et les présences humaines. De ces dessins, il a fait un film d’animation, version contemplative du légendaire film d’action. Comme un élément de décor cinématographique, le « Mountain View Café »sert de lieu pour découvrir le film « Rambo »revu par Bublex, ainsi que des tirages de certains plans. Un vrai voyage en Amérique!!
Qui n’a rêvé, un jour, de pouvoir marcher sur les nuages et contempler de là-haut la terre? L’aventurier et artiste, Poincheval l’a fait! Accroché pendant plusieurs jours à une montgolfière, il a navigué dans les nuages, au dessus du Gabon. Présentée initialement à la biennale de Lyon de 2019, l’installation video « Walk on Clouds » nous emmène dans un voyage étonnant entre rêve et réalité.
« Le temps court dans mon dos et crie au voleur » se répétait en boucle, tel le refrain d’une comptine, une jeune fille de 15 ans. Elle s’appelait Marielle Sarah Warin. Née en 1941, à Vernon dans l’Eure, elle était partie pendant la guerre avec sa famille trouver refuge en Angleterre pour fuir les persécutions contre les juifs. Elle n’avait pas encore choisi le nom de Sarah Moon sous lequel elle est devenue célèbre dans le monde entier.
Dans le livre 1,2,3,4,5 réunissant les cinq cahiers de sa monographie éditée par Robert Delpire en 2008, la photographe écrit ne pas se souvenir de l’auteur de cette phrase. Douze ans plus tard, cette ritournelle sur la course folle du temps résume parfaitement le propos de l’exposition PasséPrésent que lui consacre le Musée d’Art Moderne de Paris.
Initialement prévue en avril 2020, elle a été reportée à l’automne et inaugurée le 18 septembre dernier. Vous pourrez la voir jusqu’au 10 janvier 2021.
Au pays des merveilles
Comme sortie d’un conte ou de la bouche de l’héroïne de Lewis Carroll, cette petite phrase illustre en effet autant l’allure d’éternelle adolescente de la photographe française que le rapport de son travail à l’enfance et au temps qui passe, à l’instant fixé sur la pellicule qui déjà n’est plus, qui se brouille, aux souvenirs qui reviennent à tire-d’aile.
Dès la première salle, elle avertit le visiteur :
« Vous avez dit chronologie ?
Je n’ai pas de repères; mes jalons ne sont ni des jours, ni des mois, ni des années. Ce sont des avant – pendant – après. »
PasséPrésent n’est pas une exposition de photographies classique, encore moins une rétrospective chronologique. Elle déroute par ses télescopages et sa densité : beaucoup d’images en noir et blanc, peu de tirages en couleur (j’en aurais aimé plus), quelques petits formats. L’installation voulue par Sarah Moon prend des chemins de traverse, elle s’écoute comme une histoire car « l’œil écoute » (Paul Claudel).
« D’aussi loin que je me souvienne, faire un film a toujours été un désir que je croyais impossible, comme si c’était trop demander, comme si c’était rêver… »
La résonance du cinéma dans le travail de Sarah Moon vient de sa fascination pour les films muets de Pabst, Dreyer, Von Stroheim dans lesquels le langage de l’image remplace la parole. Sarah Moon invente des histoires, revendique la fiction qui vient de l’association des photographies entre elles. Deux photos associées en donnent une troisième et s’animent en séquence, le visiteur doit renouer le fil de la narration. Le parcours de l’exposition s’articule autour des cinq films que Sarah Moon a réalisés entre 2002 et 2013 : Circuss (2002) d’après La Petite fille aux allumettes de Hans Christian Andersen, Le Fil rouge (2005) d’après le conte Barbe Bleue de Charles Perrault, Le Petit Chaperon noir (2010), sœur jumelle du Petit Chaperon rouge, Perrault encore -faut-il vraiment le préciser ? – L’Effraie (2004) inspiré du Stoïque soldat de plomb d’Andersen et enfin, Où va le blanc ? (2013), un projet éditorial inachevé sur l’effacement.
Des petites salles où sont projetées ses vidéos, ses « home movies » qu’il faut prendre le temps de regarder, sort la voix mélodieuse et mélancolique de la photographe-conteuse et tout autour, les images, comme échappées de la boîte, se serrent les unes contre les autres. Le visiteur ne sait plus si le perroquet, les ombellifères, le paon, les pins parasol de la villa Médicis, la grande roue, les baigneuses, les enfants sont venus d’abord ou après… Sarah Moon aime le flou – pas ce qui est figé, l’ombre et l’heure du loup – pas la lumière crue, l’évanescence, les chimères… Il a bien fallu mettre une date sous le titre des images explique-t-elle sur les ondes de France Inter à Augustin Trapenard, dans l’émission Boomerang du 28 août, puisque le musée me l’a demandé. Aucune autre indication, ni technique, ni de conservation.
« Je crois aussi que photographier, c’est dramatiser un fragment de seconde (…) il y a la preuve et la disparition dans la photographie. » (Sarah Moon, 1,2,3,4,5 n°1)
Une date compte pourtant, celle de la disparition de son assistant et ami Mike Yavel, en 1985, année endeuillée à partir de laquelle elle débute un travail personnel axé sur les possibilités techniques qu’offre le négatif Polaroïd, encouragée par son tireur, Patrick Toussaint. Le Polaroïd lui révèle une matière très vivante en permettant les accidents de surface, les arrachements, les tâches. Quinze ans après ses débuts, tout en continuant à répondre à de nombreuses commandes émanant de la presse de mode et des couturiers et créateurs, elle construit librement son univers.
Comme elle le dit joliment, tout avait commencé par un concours de circonstances : elle débute une carrière de mannequin en 1960, bien que n’ayant pas la taille idéale selon ses propres mots, elle qui est si fine, si belle. Dans les temps morts que lui laisse son métier, elle photographie ses amies. Elle passe de l’autre côté du miroir par hasard et par chance lorsqu’en 1967, elle remplace le photographe Jean-Régis Roustan qui, alors malade, la recommande à la rédaction du magazine l’Express : ses photos sont publiées sous le pseudonyme lunaire qu’elle se choisit pour l’occasion. L’année suivante, son amie Corinne Sarrut, styliste pour Jean Bousquet, fondateur de la marque Cacharel, lui propose de réaliser des photos de sa collection femme. Les deux amies initient une collaboration fructueuse qui définira l’image de la marque jusqu’en 1990. Dans ce projet, elles sont appuyées par Robert Delpire, l’homme qui partagera la vie de Sarah et accompagnera son œuvre pendant 48 années.
Une salle, la 14bis située au sein des collections permanentes, est dédiée à ce génial éditeur, publicitaire, commissaire d’exposition, créateur du Centre national de la photographie, disparu en 2017. Sarah Moon a choisi d’y présenter des livres, affiches, herbiers, photographies, devant une reproduction en grandeur nature des murs du bureau de la maison qu’ils ont habitée ensemble.
« Combien de fois il faut faire semblant que ça ait l’air vrai » (Sarah Moon, 1,2,3,4,5 n°1)
Lui demandait impatiente, Lorraine, 6 ans, en poussant un mannequin figurant une Barbie géante, au bord d’une piscine pour Vogue Bambini. Dès ses premières photographies, Sarah Moon prend ses distances avec la réalité et distille sa poésie : l’atmosphère brumeuse de la littérature anglaise qui l’inspire, les silhouettes bougées, l’illusion, les mondes intérieurs, le temps suspendu, « l’instant retrouvé »….
Si vous êtes nostalgiques de ses photos de mode des décennies soixante-dix, quatre-vingts, celles des campagnes de Cacharel, celles réalisées pour 20 ans, Vogue, ELLE, Harper’s Bazaar, entre autres magazines fameux, vous vous attarderez dans la première salle. C’est ma préférée et j’ai clôturé l’exposition par la fin, en y retournant savourer ma petite madeleine. Petite fille, j’ai collectionné les sacs en papier glacé des habits Cacharel pour les photos de Sarah Moon qui y étaient imprimées en grand et ai longtemps conservé, comme un trésor, un catalogue Cacharel. Ses images furent le déclencheur de mon admiration pour la photographie et la mode. Plus tard, je n’ai pas pu imaginer écrire mon livre sur la mode enfantine sans qu’elle y figure : elle a gentiment acceptée que certaines de ses photos pour Cacharel y soient reproduites, sans y adjoindre de conditions ou de réticence, généreuse et confiante. Je lui dois donc énormément. Comme beaucoup.
L’exposition PasséPrésent est l’occasion de retrouver un regard d’enfant, celui que Fanny Schulmann, commissaire de l’exposition, attribue aux images de Sarah Moon, cet œil qui dé-réalise le monde et l’enchante.
Sarah Moon
PasséPrésent
Musée d’Art Moderne de Paris
Du 18 septembre 2020 au 10 janvier 2021
Commissaire : Fanny Schulmann
SAMEDI 3 OCTOBRE -NUIT BLANCHE
Au programme :
Sheila Hicks investit le péristyle du musée.
Sur le bassin entre les 2 musées MAM et Palais de Tokyo, Ian Kiaer aréalisé une forme qui flottera au dessus du bassin.
Bibliographie :
Dvd Contacts Sarah Moon, co-production Centre National de la photographie, La Sept/KS Vision, 1994
Sarah Moon, Paris, collection Photo Poche, éditions Nathan, 1998
Marie Simon, la Mode enfantine, Paris, éditions du Chêne, 1999
Coïncidences, Sarah Moon, Claude Eveno, Paris, éditions Delpire, 2001
Sarah Moon, 1,2,3,4,5 Paris, éditions Delpire, 2008
Interview Sarah Moon par Caroline Broué, en 2013 sur France culture, à l’occasion de l’explosion Alchimies au Museum d’Histoire naturelle, La Grande Table, France Culture, 11 novembre 2013
Interview Sarah Moon par Augustin Trapenard, Boomerang, France Inter, 28 août 2020
Le catalogue de l’exposition PAsséPrésent est publié aux Editions Paris Musées.
Il était une fois le rêve d’un Palais Idéal, image d’Epinal ou conte de fées, l’histoire d’un facteur qui construisait son éternité. Mais pourtant tout cela est très réel, il faut aller à Hauterives dans la Drôme où pendant 30 années, Ferdinand Cheval (1836-1924) a construit pierre par pierre, ce palais extravagant, classé monument historique par André Malraux il y a 50 ans en 1969.
Tenue du Facteur
Portrait du Facteur Cheval
Un siècle plus tôt, en 1869, Ferdinand Cheval arrive à Hauterives, pour son travail.
Et ainsi débute cette histoire insensée, tous les jours, parcourant des dizaines de kilomètres avec sa fidèle compagne, sa brouette, il ramasse ses pierres qui s’empilent dans son jardin.
Façade Ouest du Palais
33 ans de construction, il commence par la façade Est qui au départ , pensait il serait sa tombe. Mais le maire d’Hauterives n’acceptera pas sa requête. Sans se démonter, le Facteur achète alors une concession et consacre ses dernières années de vie à construire un tombeau digne de lui et sa famille dans le cimetière du village.
André Breton, Pablo Picasso, Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely étaient fascinés par le facteur. Un autre artiste, cependant, plus discrètement, s’était pris de passion pour lui, il s’agissait de Robert Doisneau (1912-1994).
A gauche : Simone Fattal « Warrior » I,II, III- 2011 – Grès tiré dans un four à bois. 129 x 60 x 40 ; 132 X 60 X 40 ; 114 x 60 x 40. A droite : Robert Doisneau – Sans titre (les 3 géants du Palais Idéal du Facteur Cheval) années 70. Courtesy atelier Robert Doisneau
Robert Doisneau / Simone Fattal
Le photographe aimait beaucoup ceux qui étaient en dehors des clous. Tout s’est joué il y a quelques mois, pendant le confinement propice aux rangements, archivages de toutes sortes, le directeur du lieu, Frédéric Legros, fait la découverte d’images noir et blanc. ces tirages datent des années 50, le format moyen signe la commande de presse mais de qui ?
Parallèlement, les enfants du photographe, au mois de mai retrouvent des planches couleurs 24×36, clichés pris dans le palais avec un regard sur les visiteurs . Ses enfants reconnaissent leur mère, une amie, il s’agissait sans doute tout simplement de photos de vacances. Restées ainsi pendant de longues années cachées dans des boîtes, elles enthousiasment le directeur du musée qui décide alors d’une exposition.
Deux faces différentes sont montrées dans l’exposition, les images en noir et blanc exprimant « l’icône architecturale » et celles en couleurs montrant l’admiration du public pour le Palais idéal.
En regard de ces photographies, Frédéric Legros présente les oeuvres de l’artiste syrienne Simone Fattal (née en 1942) qui travaille sur la mémoire. Ses sculptures en terre cuite, titrées “la femme qui attend” sont un hommage à l’épouse du Facteur Cheval., l’artiste façonne des personnages étranges, intemporels, faisant écho à ceux du Palais, ses géants sont très similaires à un personnage se trouvant à l’intérieur de l’édifice. Elle a sculpté un lion gardien du Temple comme le rappelle la photo de l’entrée du Palais par Doisneau. Photos et sculptures sont en symbiose dans cet espace de l’exposition, et, naturellement, l’oeil s’acclimate aux oeuvres, pénétrant l’histoire du lieu.
Pierre d’achoppement
La dernière pierre – la pieuvre.
Jurisprudence Facteur Cheval !
Au fur et à mesure de ma visite, je découvre un Facteur Cheval, très malin et prévoyant, très tôt, dès 1905 (le palais est achevé en 1912) il ouvre son monument à la visite avec mise en place d’une billetterie, d’un livre d’or, il pense à construire un belvédère pour le point de vue (très pratique aujourd’hui encore pour les selfies) Le comble, lorsqu’il s’aperçoit de l’existence de cartes postales représentant le palais, il se lance dans un procès et obtient leur destruction, cela fait jurisprudence pour les architectes sur les droits de reproduction.
Le facteur apprend le Monde par les livres, il veut transmettre ses connaissances et inscrit les noms des animaux qu’il sculpte, il grave des phrases. Sur son cadran de la vie : « Chaque fois que tu me regardes tu vois ta vie qui s’en va ». Il est très ouvert aux différentes civilisations, toutes les religions sont représentées.
« Amis de la nature – Mais de naissance obscure – Ce qui rend souvent la vie dure – Je l’ai subi sans murmure » Inscription du Facteur Cheval
Les 3 géants
Détail
Intérieur
Détail du Palais
Représentations du Facteur Cheval
La façade sud joue un rôle essentiel, il organise une sorte de prison pour mettre à l’abri ses pierres contre les villageois qui les dérobaient.
Des milliers de coquillages donnés par les visiteurs ainsi que les coquilles d’huîtres du restaurant du Relais décorent les sculptures qui étaient peintes en partie.
Cote ouest 7 colonnes, une terrasse où se trouve la fameuse première pierre d’achoppement sur laquelle il avait trébuché et qui a été le point de départ de cette aventure. Sur cette même façade est également posée la dernière pierre qui représente une pieuvre ce qui explique peut-être pourquoi Laure Prouvost s’est intéressée entre autres au Facteur. Dans son film présenté à la Biennale de Venise, en 2019, Deep See Blue Surrounding You / Vois Ce Bleu profond Te Fondre, 12 jeunes partent en voyage initiatique de Paris jusqu’à Venise en passant par Hauterives.
«On est arrivé chez le Facteur Cheval de nuit, certains étaient venus à cheval au galop, d’autres sur les petites roues modernes, tous dans des modes de transport différents. La nuit, autour de nous, c’était soudain se retrouver dans les profondeurs humaines. Ce palais du facteur Cheval, c’est le désir pur de créer, c’est l’humain qui vit et veut être reconnu. Je connaissais déjà ce lieu incroyable, j’aime beaucoup ces personnages qui existent dans les extrémités de la société, qui sont un peu en dehors d’un système, qui ont des choses à dire. On flottait dans ce palais du facteur Cheval. » Laure Prouvost – Biennale de Venise 2019 – Valérie Duponchelle – Le Figaro 7 mai 2019
Sarah Pucci
Ferdinand Cheval s’est marié à deux reprises, la deuxième épouse l’a aidé financièrement. Cette construction de plus de 20 mètres de long est aussi une ode à sa fille Alice qui meurt prématurément, il baptise sa maison Villa Alicius. Le musée accueille en ce moment l’exposition de Sarah Pucci (1902-1996) Made with love for Dorothy, expression d’une tendresse infinie pour sa fille Dorothy Lannone, éloignée d’elle. Sarah Pucci se met à créer des petits objets ravissants avec des perles, épingles, paillettes, des boîtes… une petite joaillerie qu’elle expédie par la poste à sa fille aux Etats-Unis.
Frédéric Legros, a l’intention de revenir sur les personnages clés qui rendent hommage au Facteur, l’année dernière c’était Picasso et Fabrice Hyber, puis ce fut le tour d’Agnés Varda dont expo s’est terminée le 6 septembre, à présent c’est Simone Fattal qui prend le relais et l’année prochaine ce sera Jean-Michel Othoniel.
Frédéric Legros, directeur du Palais idéal du Facteur Cheval
Il perpétue ainsi l’esprit du Palais qui a tant inspiré les artistes et qui grâce à eux a été restauré et reste toujours accessible au public.
Une dernière chose : grâce aux nombreux votes des visiteurs, le Palais idéal s’est vu attribuer la 2e place au classement du Monument préféré des français, l’émission présentée ce 18 septembre 2020 par Stéphane Bern.
C’est à vous, si ce n’est déjà fait, de faire l’expérience de la visite du Palais du Facteur.
Florence Briat Soulié
INFORMATIONS
Palais idéal du Facteur Cheval
8 rue du Palais – 26390 Hauterives
Tel : + 33 4 75 68 8119
contact@facteurcheval.com
Expositions :
Bâtisseurs chimériques – Robert Doisneau / Simone Fattal
Jusqu’au 17 janvier 2021
« Made with love for Dorothy » Sarah Pucci
Jusqu’au 17 janvier 2021
Ouvert tous les jours, dimanches et jours fériés inclus sauf les 25/12 et 01/01 et du 15 au 31/01 inclus.
Un Barbare! Ce mot qualifiait autrefois celui qui était « étranger », une personne « non civilisée », »inculte ». Le titre de l’exposition, au MEG de Genève, interpelle et sied parfaitement à la pratique artistique de Jean Dubuffet (1901-1985). Provocateur, polémique, il cherche à s’extraire de tout héritage culturel artistique, à « se libérer de tout ce que l’on a appris« , pour atteindre l’essence même de la nature humaine.
Alors il faut inventer! Innover tout le temps, ne jamais tomber dans un système, laisser libre cours à un art instinctif, un « art sauvage ». Dubuffet se passionne pour des sources d’inspirations multiples: anthropologie, psychiatrie, mais aussi dessins d’enfants, artisanat populaire etc… Il « cherche l’Art où on ne l’attend pas« ! Père de l’Art Brut, ce « Barbare » investit le MEG de sa force créatrice fantasque, nourrie de liberté.
Cette remarquable exposition de Jean Dubuffet met en lumière la grande diversité de son travail ainsi que son cheminement artistique vers l’Art Brut, qui en fait un artiste majeur du XX ème siècle.
« L’homme du commun »
« Ce n’est pas être homme d’exception qui est merveilleux. C’est d’être un homme. » Jean Dubuffet
Dès 1944, Jean Dubuffet se lance dans une célébration de l’homme simple, banal, l’homme commun. Il appelle à l’humilité et représente une figure générique, à l’opposé des héros. Ses personnages, semblant sortir d’un même moule, s’agitent comme des marionnettes dans un environnement déformé. L’exposition s’ouvre sur Dramatisation, une grande oeuvre qui s’attache au quotidien des hommes communs, proposant un patchwork de scènes de vie. Je suis frappée par son style »graffiti », emprunté aux tags et autre dessins qu’il a remarqués sur les murs des villes.
Les représentations de l’homme commun sont très simplifiées, infantiles même. Parfois elles prennent la forme de visages de clowns à la fois grotesques et inquiétants. Dans la construction de ses tableaux, Dubuffet met tout sur un même plan, aucune perspective et une multiplication d’angles et de points de vue disparates qui rappelle les dessins d’enfants.
La Suisse, en particulier le Musée d’ethnographie de Genève, a joué un rôle décisif dans le cheminement artistique amenant Dubuffet à concevoir l’expression de l’Art Brut.
En 1945, l’artiste s’y rend, accompagné de Le Corbusier et de l’écrivain Jean Paulhan. Il y rencontre Eugène Pittard, le fondateur du MEG, ainsi que le psychiatre Genevois Charles Ladame. Ce dernier lui fait découvrir son « Musée de la Folie », regroupant les créations des patients d’asiles psychiatriques. De ces rencontres nait l’Art Brut. Une pratique qui s’intéresse aux « irréguliers« , à ce qui est « en marge« , très loin de l’Art officiel. Dubuffet met en lumière la création des « fous », mais il s’inspire aussi d’objets artisanaux traditionnels d’Océanie, de ses voyages en Afrique ou encore, comme dans Dramatisation, des graffitis ornant les murs des capitales.
J’ai adoré cette partie de l’exposition, où l’on découvre des sculptures, des dessins, des objets plus surprenants les uns que les autres. En particulier, j’ai été fascinée par les sculptures primitives, les étonnants masques de la vallée de Lötschental- une région de Suisse-, les belles aquarelles du congolais Albert Lubaki, et que dire de cette reine de coquillages?
Pour se couper de toute influence de la culture Occidentale sur son travail, Jean Dubuffet part en voyage (entre 1947 et 1949), avec son femme Lili, dans le désert du Sahara . Il en aime la minéralité brute, la vie des Bédouins tellement loin de nos existences. Il se plonge littéralement dans la vie et la culture indigène, apprend l’arabe et les dialectes touaregs, découvre la musique locale et réalise de nombreux dessins. Il gardera une forte impression de ces voyages.
C’est cette partie de son oeuvre, l’Hourloupe, qui propulse l’art de Jean Dubuffet vers la célébrité.
Jean Dubuffet et Augustin Dumage (photographe), La seringue et le pavillon à deux étages, vue sur le pont de la Tournelle, Paris, 1977
Agé alors de 60 ans, Jean Dubuffet, en pleine conversation téléphonique, griffonnait distraitement sur un bout de papier. Il est saisi en découvrant le résultat. C’est une création spontanée, libre, comme celles des artistes qu’il admire! Il décline alors L’Hourloupe – mot inventé à partir des mots hurler, hululer, loup, Riquet à la houppe et « le Horla » – sous toutes ses formes, sculptures, peintures, dessins.
Une exposition passionnante qui nous fait voyager au coeur du parcours créatif foisonnant de Dubuffet et des multiples inspirations qui ont suscité la genèse de l’Art Brut. Bravo au commissaire d’exposition, Baptiste Brun, pour cette brillante mise en scène.
Une rétrospective, a-t-on pris soin de préciser dans le titre de cette nouvelle présentation de l’œuvre de la grande photographe américaine Cindy Sherman (depuis ses débuts en 1975 jusqu’à ses toutes dernières séries). Précision d’importance au regard de la diplomatie, car, outre des rétrospectives plus anciennes (citons celles du Jeu de Paume en 2006 et du MoMA en 2012), une confrontation de ses premiers autoportraits fictionnels avec leurs derniers avatars (de 2016) avait pris place au Palazzo Grassi, au sein de la Pinault Collection à Venise, en 2018…
Une précision éloquente aussi, au regard de l’œuvre, dont elle évoque l’infinie multiplicité et toute la duplicité : loin d’être anodin, l’emploi de l’article indéfini fait résonner dans l’ « une » toutes les autres possibilités, toutes les autres façons de voir, de montrer et d’appréhender l’œuvre, à l’instar des innombrables « autres » que l’artiste, de déguisement en travestissement, fait apparaître dans son « je » insondable et insaisissable. Car, loin du « je est un autre » de Rimbaud, dévoilant la part d’ombre du Poète-Voyant, le « je » que nous donne à voir, depuis plus de quarante-cinq ans, Cindy Sherman, à travers ses « vrais-faux » autoportraits, est une succession d’autres « moi » : toujours et jamais la même, tour à tour grimée, masquée, déguisée, travestie…, parfois même réduite à un simple reflet, apparaissant et disparaissant sous ses masques ou derrière ses prothèses…, toujours, elle nous échappe.
”…] je ne vois pas ces personnages comme moi ”, rétorque-t-elle lorsque l’on parle de ses photographies comme des autoportraits.
Autoportraits fictionnels
Tantôt ménagère vintage, tantôt héroïne de films d’horreur, bourgeoise à bijoux ou travesti à fourrure, star décatie ou clown pop et toc…, endossant, les uns après les autres, depuis près de cinquante ans, les rôles des personnages fictifs qu’elle s’invente et qu’elle met en scène dans des décors factices d’une force plastique et d’une beauté picturale troublantes, Cindy Sherman n’a de cesse de nous perdre dans le labyrinthe de ses métamorphoses.
Réapparaissant (parfois plusieurs fois !) dans chacune des cent-soixante-dix œuvres exposées, son visage protéiforme acquiert, au fil de ses duplications et de ses métamorphoses, une sorte de densité mystérieuse et intangible, semblable à celle, à a fois visible et impalpable, des hologrammes ; une sorte de présence à la fois familière, étrange et envoûtante, obsessionnelle (comme un cauchemar) et entêtante (comme un parfum)… Indéfiniment démultiplié, de cimaise en cimaise, ce « masque aux mille visages » nous conduit non pas à une sensation d’overdose, mais à une sensation de vertige et d’enlisement, de perte de repères et de flottements. Et c’est sans doute là la grande force de cette exposition : donner à voir, et même à sentir, la puissance vertigineuse de l’œuvre de Cindy Sherman pris dans son ensemble, dans sa globalité, tel qu’il a été composé et fabriqué, et tel qu’il doit s’offrir au regard, soit, une vaste mascarade sans fin, une sorte de Comédie humaine post-moderne, donnant à voir les failles (derrière la puissance illusoire de l’image) et, non pas la vérité, mais les fragilités, sous les masques…
Cindy Sherman n’a de cesse de nous perdre dans le labyrinthe de ses métamorphoses
Etait-il nécessaire, cependant, de singer cette errance, ce dédale tout intérieur par un décor scénographié ? Le processus de transformation et de simulation au fondement même de l’œuvre, de « la fabrique de l’image » (trompeuse), ne se suffisait-il pas à lui-même ? Fallait-il l’illustrer, le plagier par les oscillations et les furtives apparitions des surfaces miroitantes ponctuant les méandres du labyrinthe des cimaises ? Destinées à « jouer sur le flottement identitaire » (on l’aura compris…), ces miroirs dispersés prennent au piège de leur propre image les visiteurs, déjà fort éprouvés par les couleurs acidulées des murs inspirées par la palette de maquillage des personnages grimés les plus clownesques et les plus outranciers de Cindy Sherman…
Signée de l’architecte Marco Palmieri, la scénographie – omniprésente, donc (c’est la mode…) –, à la lisière du kitsch et du clinquant, évite de peu le mauvais goût, mais est péniblement redondante.
Passons outre – la force des images, et du propos, nous le permettent…
« La photographie sait très bien mentir. » 2
Voilà le propos. Et c’est Cindy Sherman elle-même, dans l’une des rares interviews qu’elle accorde, qui nous le dit. Le mensonge de l’image est au cœur de sa recherche qui, comme l’expliquaient Marie-Laure Bernadac, co-commissaire de l’exposition, au micro d’Olivia Gesbert sur France Culture 1, procède d’une « véritable fascination pour l’image ».
”On voit dans ses photographies, et notamment dans ses derniers tirages, la présence de la matérialité même de la fabrication de l’image dans l’image. On voit le maquillage de façon extrêmement précise, on voit comment c’est fait, on voit le faux, on voit la parodie […] Cindy Sherman est fascinée par l’image avant d’être fascinée par le masque ou le stéréotype”, disait très justement Valérie Belin (dont on connait le travail photographique sur le masque et les mannequins de vitrine) à ce même micro.
Cette fascination pour l’image, notamment l’image cinématographique – « qui est une sorte d’image-fantôme » –, apparaît dès les débuts, explique Marie-Laure Bernadac. Dans les séries iconiques des Untitled Film Stills (1977-1980) ou des Rear Screen Projections (1980), la photographe s’approprie les techniques et les trucages cinématographiques (faux décors de plateau, images de paysages projetées…) pour créer une « cinématographie imaginaire » troublante de vérité.
Jouant, avec une audace et une dextérité sans pareille, des faux-semblants, elle ira jusqu’à utiliser en fond fixe les faux paysages en mouvement des rear projections (projections de fond) qu’affectionnait tant Alfred Hitchcock.
De l’exhibition délibérée du trucage (afin de produire un effet cinématographique décuplé) au maquillage outrancier (révélant les pores et les imperfections de la peau montrés en gros plans), Cindy Sherman triche avec l’image en jouant de sa plastique avec la minutie obsessionnelle d’un peintre flamand. Toujours à la lisière (de la peinture et de la photographie, de la fiction et de l’allégorie, du stéréotype et de la parodie, de l’hyperréalisme et de l’artifice, du conte de fées et du film d’horreur, de l’apparition et de la disparition…), elle grossit le trait, accentue les détails incongrus, met en valeur « tout ce qui peut être potentiellement bizarre » (ce sont ses propres mots) et parodie le réel jusqu’à y faire surgir une sorte d’irréalité, cette « inquiétante étrangeté » si propice au fantasme prônée par les Surréalistes, et admirablement exploitée par « le maître du suspense » et de la distorsion de l’image (Alfred Hitchcock, pour ne pas le nommer), dont l’ombre plane sur tous les premiers travaux de l’artiste.
”Je crois que les films sont ma plus grande source d’information. Et la plupart de mes films préférés sont des films d’horreur”, l’entend-t-on dire lors d’une conférence de presse retransmise en partie dans La Grande Table sur France Culture. Un aveu qui en dit long sur la démarche et l’optique de l’artiste, bien plus que toutes les théories élaborées sur son œuvre. Et l’on remercie Olivia Gesbert de nous l’avoir fait partager…
Par-delà l’image
L’on comprend mieux ainsi l’importance que revêt la manipulation de l’image pour Cindy Sherman. Utilisée autant pour ce qu’elle montre que pour ce qu’elle cache, l’image est pour elle le lieu, le cadre – évoquant souvent un décor de studio ou une scène de théâtre – d’un perpétuel jeu sur le faux et le vrai, le réel et l’artificiel ; le lieu d’une rencontre prêtant à confusion entre deux mondes, deux registres, et où le décalage entre les deux finit par opérer une distorsion du réel, un déplacement du réel vers l’artificiel (de même que s’opérera, à partir du milieu des années 80, un déplacement du beau vers le laid)
”Ce qui m’intéresse c’est le choc qui découle de l’association de l’artificialité et de ce qu’elle représente ”, explique Cindy Sherman. Et d’ajouter : ”Avec une photographie vous pouvez faire croire n’importe quoi aux gens. […] Certains l’utilisent de manière littérale et documentent exactement ce qu’ils voient. Je pense qu’il est plus intéressant de montrer ce que peut-être on ne verra jamais. ”
L’on voit ici la filiation de Cindy Sherman qui, comme le rappelait Marie-Laure Bernadac, « pense comme Duchamp que c’est le regardeur qui fait le tableau, que tout peut être interprété et qu’il faut laisser à chacun sa libre interprétation. » ”Il s’agit de montrer ce qu’il y a dans l’imagination de quelqu’un ”, disait encore Cindy Sherman.
De la transgression…
En établissant un pont entre l’artifice (de la représentation) et le réel (représenté), Cindy Sherman nous donne les clefs de la transgression des images, et d’une certaine manière nous rend complices de cette transgression. Mais si elle cherche à nous terrifier, ce n’est pas par ce qu’elle représente (qui peut parfois être vraiment terrifiant, pour ne pas dire répugnant), mais par l’artificialité de la représentation, l’esthétique du factice et du bizarre, propre à susciter le malaise.
Jouant, avec une virtuosité glaçante, de la frontière ténue séparant la fascination et la répulsion, la parodie et la transgression, l’outrance et le monstrueux, le naturalisme et l’abjection, l’artifice et la vulgarité…, sans cesse sur le fil du rasoir, à la lisière de la beauté et de la morbidité, du grotesque et du monstrueux…, elle fait de nous des voyeurs. A la fois fascinés et révulsés par son esthétique de l’extrême, nous devenons ses complices dans la contemplation de l’horreur.
Une virtuosité glaçante
Au fil des tirages déclinant, d’avatar en avatar, les mille visages de « l’artiste / actrice », depuis les premières séries très cinématographiques jusqu’aux dernières expérimentations numériques, des Contes de fée (Fairy tales, 1985) aux mascarades clownesques (2003-2004), l’on voit cependant la matérialité, et même, la plasticité de l’image prendre de plus en plus d’importance, jusqu’à se substituer aux récits ou aux parodies mises en scène. On voit le soin apporté à la fabrication de l’image, sa sophistication prendre le pas sur la fiction, l’anecdotique disparaître au profit de l’allégorie, voire de l’abstraction.
Très visible dans la série des mannequins, où, à l’aide de prothèses médicales, elle recrée des scènes érotiques, quasi pornographiques, ainsi que dans la très éprouvante série des Fairy tales, décuplant l’impact visuel en mêlant l’horreur et le grotesque, la fabrication de l’image, tout aussi horrifique, prend dans la série Disasters (1986-1987) une dimension véritablement picturale : dans ces compositions chaotiques savamment agencées, mi-paysages, mi-natures mortes, où s’agglutinent des matières organiques et inorganiques en état de putréfaction, des morceaux de corps disparaissant sous la terre ou les détritus, l’artiste « pousse à son paroxysme l’exploration de l’abject et de l’informe » ; ensevelie, la figure se dissout dans une sorte de paysage informe. On a rarement approché d’aussi prêt la peinture en photographie…
” Son objet, c’est l’image, donc c’est la peinture. Pour moi c’est un peintre ”, affirmait Valérie Belin sur France Culture 1.
Avatars, simulacres et mises en abîme
Dans l’une de ses dernières œuvres (de la série Men où elle se travestit en homme), l’artiste fait apparaître l’un de ses visages iconiques de la série des Rear Screen Projections en surimpression sur le tee-shirt porté par son avatar masculin, dans une virtuose et audacieuse mise en abyme. Au-delà du prolongement du questionnement sur l’identité, les identités multiples, la confusion des genres, etc., la photographe semble ici vouloir mettre en scène son culte de l’image et déclarer sa flamme à l’art pour l’art…
La Grande Table du 29 septembre 2020, « Cindy Sherman, bas les masques ! », à podcaster sur franceculture.fr
Phrase extraite de l’entretien accordé par Cindy Sherman à Philippe Dagen le 25 février dernier, publié, à l’occasion de l’ouverture de l’exposition à la Fondation Louis Vuitton, dans « Le Monde » du 23 septembre.
Fondation Louis Vuitton
8, av. du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, Paris, XVIe