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Channel: THE GAZE OF A PARISIENNE
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Somaliland, nom d’un pays

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The Gaze of BENOIT GAUSSERON VOLET 3 – Troisième et dernier volet de l’exploration des arts et des cultures de la Corne de l’Afrique. Somaliland. Un nom qui évoque à lui seul une terre promise dans le golfe d’Aden, un lieu qui ne sera jamais commun avec cette côte sauvage d’encens et de myrrhe mêlés pour préfixe et ce suffixe improbable, tellement hollywoodien, qu’on le croirait de plastique. Plus simplement peut-être, un nom qui désigne une zone rouge écarlate sur la carte que les chancelleries, unanimes, déconseillent aux voyageurs.  En y arrivant, par un matin d’octobre, on se prend donc à entendre sonner le nom d’un pays à la façon que Marcel Proust avait d’écouter les siens dans Du côté de chez Swann : « Le nom de Parme, une des villes où je désirais le plus aller, depuis que j’avais lu la Chartreuse m’apparaissant compact, lisse, mauve et doux (…). Cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air (…). Quant à Balbec, c’était un de ces noms où comme sur une vieille poterie normande qui garde la couleur de la terre d’où elle fut tirée, on voit se peindre encore la représentation de quelque usage aboli, de quelque droit féodal, d’un état ancien de lieux, d’une manière désuète de prononcer qui en avait formé les syllabes hétéroclites. » Ni Wonder, ni Disney, ni Lego. Lonelyland plutôt. Indépendant depuis 1991, le Somaliland, coincé entre Djibouti, la Somalie et l’Ethiopie, n’est reconnu par personne. Seul Taïwan, également en quête de nouveaux amis diplomatiques, dispose d’une vraie représentation dans la capitale, Hargeisa. Passons trop vite sur la chronique des années de dictature que subirent ses cinq millions d’habitants, ses camps de réfugiés en banlieue d’Hargeisa, son économie qui repose sur un port – Berbera qui pourra offrir un second accès à la mer à l’Ethiopie (500 millions de dollars d’investissement des Émirats) – et son bétail quatre fois plus nombreux que les Somalilandais et qui représente la moitié de la richesse du pays (3,1 millions de chameaux, de chèvres et de moutons ont  été exportés en 2023). Souvenons-nous des morts de guerres civiles sans fin. Oublions la violence des Shebabs tout proches et les consignes de prudence qui, à les suivre à la lettre, condamnent l’Occident aux séries Netflix et aux déjeuners solitaires devant un téléphone portable. Les grottes de Laas Geel, des peintures rupestres au futur antérieur Prenons la direction de la mer Rouge, encore, à la découverte des peintures rupestres de Laas Geel.  Elles datent de – 3 000 ou – 2 500 avant JC – et se cachent dans des grottes sur la route de Berbera. Une équipe d’archéologues français, menée par Xavier Gutherz, a contribué à étudier et faire connaître les lieux en 2002 : « Avec le site de Laas Geel (…) le Somaliland fait une entrée spectaculaire sur la scène africaine de l’art des premiers éleveurs. »  Apprentissage des signes sur ces peintures qui marquent le premier âge de la domestication animale au Néolithique. L’homme devient l’ami des chiens. C’est leur leçon d’histoire. Elles provoquent aussi et surtout un choc précis et sensible à qui touche physiquement ces représentations premières-nées. Sensation d’autant plus vive que nous connaissons aujourd’hui la surenchère des images.  Jusqu’à l’agonie. C’est la leçon faite à l’Instagrameur : il faut l’imaginer saisi de stupeur à la vue du code source de ses selfies, stories égotistes et des photos de son chat. Il se croyait pionnier, il doit s’avouer copieur.  Des figures animales par centaines, d’autres humaines et moins nombreuses, mais mixtes, couvrent les parois. Vaches et antilopes sont stylisées à l’extrême par cet art dit corniforme : quelques traits suffisent à dire le bestiaire. Le thème est fréquent dans l’art rupestre des premiers éleveurs en Europe comme, ici, dans la Corne de l’Afrique. Avec une sorte de bonheur imprévu, écrit Georges Bataille au sujet d’œuvres pariétales plus anciennes encore (dans Lascaux ou la naissance de l’art), ces hommes rendirent sensible « le fait qu’étant des hommes ils nous ressemblent, mais ils l’ont fait en nous laissant l’image de l’animalité qu’ils quittaient. » Suivre ces lignes, à demi accroupi, les yeux fixés sur les voûtes des grottes : on hésite entre un chien et une chèvre, on déchiffre des figures d’hommes et de femmes, bras ouverts, qui tantôt chassent, tantôt surveillent les bêtes. Puis soudain, des dessins géométriques apparaissent sur la roche. Signes solaires ? Sigles tribaux ? Sans doute. Abstractions, certainement. Lesquelles demeurent mystérieuses comme l’indique l’équipe d’archéologues française : « On ne possède aucune indication précise pour les dater. » La polychromie surprend. Ces rouge, ocre, noir, blanc, jaune ont résisté aux millénaires et demeurent préservés des doigts des touristes. C’est heureux car les représentations sont plus qu’attentives à leur support, la roche de ce massif du Maroni Jeh : elles s’y appareillent à la manière d’une installation de Land Art lovée dans son paysage. Les œuvres du Grand bassin et des Plateaux du Colorado trouvent ici leurs jumeaux miniatures.  Le face à face de la peinture pariétale et de l’art contemporain est connu. Que l’on songe à Brassaï, Giacometti, Klee, Kandinsky et bien d’autres à commencer par Picasso comme en a témoigné l’exposition du Musée de l’homme à Paris l’année dernière, Picassso et la préhistoire. La correspondance est encore plus directe avec les artistes qui revendiquent une approche charnelle, brute, organique. Leurs didascalies, souvent obscures qui appellent à rompre avec le passé, trouvent leur éclairage dans la simplicité des grottes de Laas Geel : c’est moins la rupture que cette continuité venue jusqu’à nous, intacte, qui fait ici notre émerveillement. Correspondances donc, et patient lignage. On pense tout particulièrement aux œuvres de cire et de terre de la plasticienne française Juliette Minchin que nous avions rencontrée en 2022. Certaines des peintures rupestres du Somaliland partagent avec son travail les tons et la texture, le drapé minéral, vous donnant ce  sentiment très particulier de l’œuvre qui enveloppe et étreint. Travail sur la peau et la chair de l’une (Juliette Minchin), travail sur la pierre pour faire chair des autres (les pâtres sans noms du Somaliland). Étrange détour pour un semblable exercice à plus de 5 000 années d’écart.  Le Somaliland compte 176 autres sites aussi remarquables que Laas Geel. Certains seraient plus spectaculaires encore. Afin d’éviter les trafics et les dégradations, leur carte précise est tenue secrète, même si les villageois et les semi-nomades du pays les connaissent. Quelques personnes seulement ont pu voir en photos ces sites pariétaux aussi remarquables qu’inconnus. « Il faut vous figurer de vraies galeries d’art dans les rochers, nous dit une Somalilandaise qui a regardé les clichés. Ces trésors archéologiques deviendront accessibles dès que des mesures de protection seront en place sur les sites et après l’adoption d’un très attendu Heritage Protection Act par l’Etat. » Pass culture au musée d’Hargeisa  Retour au centre ville d’Hargeisa. Le futur musée national est encore en chantier et aucune boutique n’est prévue pour commercialiser des produits dérivés parce qu’il n’y en aura pas. Engagé en 2020, ce projet de musée consacré à la culture et l’histoire du Somaliland est à l’image du pays, singulier, jeune, presque pop.  Au premier étage, la galerie dédiée à la vie nomade est encore sous bâches. Une sélection est en cours parmi plus de 500 pièces avec l’appui d’une équipe d’archéologues espagnols. Sans compter le soutien de la France qui contribuera à la mise en valeur du site de Laas Geel et aux futurs programmes de formations de ce nouveau de lieu de mémoire. Notre ambassadeur en poste à Nairobi, en charge du Somaliland, vient d’ailleurs de visiter la ville et le musée. Une première depuis 2017 perçue comme un signal. Non de reconnaissance encore – il faudra attendre – mais de coopération à l’évidence.  Les amateurs d’art contemporain seraient heureux ici. Certes, ils redoutent l’artisanat comme le bourgeois le déclassement. Pour eux le folklore est aux beaux arts ce qu’un pavillon de grande banlieue est à la résidence secondaire classée à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Le futur musée d’Hargeisa leur donne tort. Qu’ils imaginent seulement un magasin d’artisanat local dans lequel tout serait premier, unique, très beau. Cloches de chameau, jarres d’eau, ustensiles de cuisine, têtes de lit, plats. Les objets rares – car un foyer nomade s’encombre de moins de bagages à main qu’un voyageur en avion – sont exposés comme autant d’ancres fixes dans une existence errante. Hommage donc au less is more et au nomad design.  Et le musée fera en sorte de permettre aux Somalilandais d’apprendre ou de réapprendre leur savoir-faire et de protéger leur patrimoine, à commencer par la culture de l’encens et de la myrrhe.  Sur You Tube, a d’ailleurs été créé un podcast. Chaque vendredi depuis un an, vous y retrouvez des vieux et des histoires : les aînés racontent à 3 000 abonnés les traditions et les arts somalilandais. Un étage mettra en scène des photos : certaines, historiques datant du protectorat britannique, d’autres plus récentes illustrant la guerre et la vie nomade. Un homme, Hamish Wilson, a offert au musée ses propres photos et celles de son grand-père qui servit dans l’armée britannique. Du protectorat aux nomades encore en chemin, le pays a trouvé son imagerie, son bestiaire et son imaginaire. Wilson – sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de la culture Somali – entreprend également de digitaliser les pièces sur un site Internet. Reste le plus frappant : les archives. Elles proviennent de la maison du gouverneur du protectorat britannique, couvrant 70 années d’occupation et même au-delà. « Nous disposons également de pièces des années 80 et 90, indique Jama Yousef, directeur adjoint du musée, et épluchons des milliers de documents. Après sélection, nous les scannons et les exposerons dans les galeries. » Les plus drôles ? Les retranscriptions policières des auditions de couples qui se brouillent et que commentent des fonctionnaires britanniques apathiques. Les plus émouvantes ? Pas de doute pour les documentaristes locaux, ce sont les déclarations du gouverneur qui se refuse à parler de colonie : « Nous sommes là pour vous protéger des Français, des Italiens, des Allemands, ecrivait-il ». Les formulations sont simples, parfois justes, souvent cliniques. Les plus politiques ? Les télégrammes, qui documentent les cinq jours au cours desquels le Somaliland fut une première fois indépendant en mai 1960 avant de fusionner avec la Somalie.   Hibak Adam ne cède pas à la nostalgie. La directrice des collections en appelle plutôt aux habitants pour qu’ils donnent des objets, transmettent leurs histoires au musée, et témoignent. « Nous avons une culture à la fois orale et nomade. Il nous faut la documenter et l’archiver. » Sinon quoi ? « Eh bien tout partira. » Devant les vitrines du musée, sur la place dite publique (c’est son nom), les Hargesiens sont nombreux à vendre sur leurs étals des objets de tous les jours ou simplement à parler et attendre la prière du milieu du jour qui va commencer. Hibak Adam les salue et nous confie : « Nous espérons des touristes étrangers qui verront ce dont un petit pays est capable mais, et c’est peut être plus important, nous espérons les Somalilandais. Ils étaient curieux, ils sont maintenant intéressés, demain ils seront fiers. » Ce n’est qu’un commencement pour la directrice des collections qui prévoit des ateliers et des formations dans les écoles comme dans les universités. Sans oublier la création d’aujourd’hui. Artistes locaux et internationaux sont attendus. Mustapha Saeed, un photographe installé sur la route de l’aéroport, pourrait être parmi les premiers à y exposer.  L’ouverture du musée est prevue à la fin de l’année 2024. « Si Dieu le veut », lance  Ali, qui tient une échoppe de montres neuves – parfois fausses – et d’occasion devant le musée. Il semble plus impatient que les institutions culturelles occidentales : aucune, privée ou publique, n’a encore noué de partenariat avec le musée national du Somaliland. Qu’ils n’hésitent, surtout pas à appeler le + 252 637848758. Culture française à Hargeisa  La France n’a que deux tombes à entretenir dans le cimetière de l’ancienne colonie britannique. Deux prénoms sans noms de famille de supplétifs de passage. Elle n’en est pas moins présente ici sous l’impulsion de notre...

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