Musée d’art Moderne, collections nationales Pierre et Denise Lévy. Troyes Un soir en 1978, le musée de l’Orangerie, Place de la Concorde, avant de fermer ses portes pour travaux et accueillir la collection Walter Guillaume, inaugure une dernière exposition celle de la donation Pierre et Denise Lévy, environ 2000 oeuvres. Cette collection éclectique Arts premiers, noms prestigieux, Modigliani, Vuillard, Matisse, Vallotton, Degas, Delaunay, Balthus, Buffet, Courbet, de Staël. … et bien sûr une des collections les plus importantes au monde de Derain et de Marinot. Elle est l’oeuvre d’un couple et le résultat de 40 années de passion pour les arts et les artistes. Très souvent, en regardant les provenances dans les expositions d’art moderne, on retrouve cette mention « Collection Pierre et Denise Lévy ». Pierre Lévy était un industriel de Troyes dans le textile, toutes ces oeuvres sont restées dans sa ville et installées dans le Palais de l’Archevêché qui devient le musée d’art moderne de Troyes et est inauguré en 1982. Depuis, plus de 40 ans d’existence, le musée avait besoin d’un grand rafraîchissement et c’est chose faite, la scénographie a été entièrement repensée, des salles supplémentaires, des travaux d’ouverture, la charpente magnifique est découverte, les couleurs soulignent les oeuvres… Tout d’abord le jardin, dessiné selon les plans de l’ancien potager des Evêques de Troyes, il est conçu comme un écrin pour les sculptures qui y sont installées, j’y retrouve la belle Spirale de Germaine Richier (prêt du Centre Pompidou), le Baldaquin d’Alain Séchas (prêt du CNAP), Anna et l’Homme des Bois de Martine Martine (cf article précédent), fille de Pierre Lévy, elle avait une destinée toute tracée, entourée d’artistes toute son enfance, elle me racontait que pendant la guerre, réfugiés à Valençay, ils s’étaient retrouvés avec des oeuvres du Louvre mises à l’abri et les soirées étaient propices pour de grandes discussions avec les conservateurs présents. Mais revenons au jardin, ses parfums, ses couleurs choisies sont d’une grande délicatesse, on y trouve des plantes inattendues, des artichauts, de la rhubarbe, un vrai bonheur de s’y promener. Derrière les belles portes en bois sculpté de Parvine Curie réalisées pour l’ouverture du musée en 1982 grâce au 1% artistique, (le musée lui rend hommage en ce moment en exposant quelques-unes de ses oeuvres dans la première salle), se trouvent les 2000 oeuvres données à l’Etat par Pierre et Denise Lévy, des collections qui s’enrichissent au cours des années, le musée accueille également des expositions temporaires dans l’esprit des lieux, et, depuis le 22 juin, une sélection d’oeuvres appartenant aux collectionneurs italiens, Massimo e Sonia Cirulli est présentée dans cette exposition qui se termine le 20 octobre ITALIA VELOCE : arts et design au 20e siècle. Le musée invite le visiteur à une visite chronologique des collections avec une entrée en matière, des portraits de la famille Lévy par les deux principaux acteurs Maurice Marinot et André Derain. Un couple de collectionneurs Pierre et Denise Lévy Une collection humaine choisie avec beaucoup de sensibilité, elle retrace l’histoire de la modernité dans l’art, avec cependant peu d’abstraction, à l’exception de deux toiles de Nicolas de Staël, jouant sur cette ambiguïté de la figuration ou de l’abstraction ? Pierre et Denise Lévy, ne semblaient pas très touchés par l’abstraction, mais dans leurs choix, on retient quelques signaux et comme le souligne la conservatrice, ce paysage de neige de Courbet pourrait presque être une peinture abstraite si il n’y avait pas cette petite biche perdue dans cette immensité. « Je n’ai jamais vu d’anges ni de déesses. Voilà pourquoi je n’en peins pas » Gustave Courbet Beaucoup d’acquisitions se sont faites sous le feu des enchères et parfois il y eut certaines découvertes, cette toile de Degas, un double portrait d’homme, énigmatique, fut attribuée au célèbre artiste après l’achat. La surprise révélée du tableau de Robert Delaunay Pendant les travaux, certaines toiles ont été restaurées et celle de Robert Delaunay révèle une merveilleuse surprise avec au dos un portrait qui est apparu après une restauration de Bella Chagall, j’apprends que les deux peintres étaient amis et se retrouvaient et peignaient ensemble parfois les mêmes modèles. Juliette Faivre Préda, conservatrice du musée raconte la découverte du tableau de Robert Delaunay (1885-1941). Les coureurs. vers 1924. Huile sur toile. MNPL Deux oeuvres marquantes de Vuillard, intérieurs d’usine se font face et symbolisent l’effort de guerre. Plus loin Les Arts Premiers, arts africains avec des provenances illustres des collections Paul Guillaume, Fénéon… Dans la dernière salle, une merveilleuse tapisserie des Gobelins d’après les papiers découpés de Matisse Polynésie, le ciel, 1946, qui ornait le bureau de Pierre Lévy. Henri Matisse, artiste génial qui âgé de 71 ans découpe une hirondelle dans un papier qu’il a peint, il l’épingle sur son mur et recommence l’opération . Se souvenant de son voyage à Tahiti, il décide alors de s’en inspirer dans ses découpages de la faune et la flore qui l’ont marqué et c’est le thème que nous retrouvons sur cette tapisserie. André Derain « André Derain est mort mercredi à neuf heures du soir dans une clinique de Garches. J’étais auprès de lui. Il avait été gravement malade au printemps et nous nous réjouissions de l’avoir vu complètement guéri, lorsqu’un accident stupide remit tout en question.Il se savait perdu, et quelques jours avant sa mort, il a eu cette parole : » Tout ce qu’on peut dire sur moi n’est rien, il n’y a que la peinture. « Je ne dirai donc rien sinon qu’il était, à mon avis, le plus grand peintre de notre époque et, pour moi, un ami mer-veilleux. C’était un homme universel et comme les gens de la Renaissance, il pouvait parler de littérature, de musique, d’agri-culture, de machines textiles, et ses idées sur toutes choses étaient originales et fécondes. Nous ressentons durement la mort d’André Derain, mais son œuvre gardera toujours le même rayonnement. Je m’honore d’avoir pu, grâce à son amitié, garder en France une partie de son œuvre. » p.19 extrait du livre Pierre Lévy – des artistes et un collectionneur. André Derain était vraiment un ami très proche et le couple, très fidèle à l’artiste, a constitué une collection de ses oeuvres d’une grande importance comme Big Ben, Hyde Park, peintes à Londres où l’artiste se trouvait à la demande de Vollard, pour qu’il fasse aussi sa série anglaise. De Derain le musée conserve jusqu’aux dernières toiles inspirées des grands maîtres hollandais, italiens… Les Lévy furent ses mécènes et aidèrent à la fonte en bronze des 74 sculptures modelées en terre par Derain avant sa mort, le musée possède la série complète. « Au cours de l’automne 1938, un violent orage ayant déraciné un magnifique sapin dans notré propriété de Chambourcy, André eut la consolation de trouver dans l’excavation provoquée par le déracinement, une terre dont la nature lui parut propice à la réalisation d’un désir qu’il caressait depuis longtemps : faire du modelage; de surcroît, il allait pouvoir travailler avec sa propre terre. » Alice Derain Maurice Marinot, verrier et peintre de Troyes Un autre artiste Maurice Marinot, surtout célébré pour son oeuvre en verre, il est aussi peintre. Très présent dans l’entourage du couple de collectionneurs, il vit à Troyes. « Marinot avait, en plus de ses dons, une puissance de travail extraordinaire. A l’époque des verreries (1911-1937), son œuvre de peintre et de dessinateur se continuait comme avant : paysages le dimanche, portraits et natures mortes à la lumière du gaz et toujours des dessins, encore des dessins.Il dut abandonner l’atelier de verrerie qui avait fermé ses portes (sa santé, de toute façon, l’y aurait obligé) et cela avait créé en lui une sorte de désarroi, un vide que la peinture et le dessin ne suffisaient plus à remplir. Il en souffrait encore lorsque nous l’avons rencontré au début de la « drôle de guerre ». C’est sans doute pour cela que la sympathie immédiate entre nous est devenue très vite une profonde amitié. » p. 86 extrait Pierre Lévy – des artistes, un collectionneur. De 1911 à 1937, il a son atelier de verrerie et réalisera des chefs-d’oeuvre, au départ il peint sur verre, applique des émaux, réalise les vases pour la Maison Cubiste construite par Duchamp-Villon décorée par des artistes sous la direction d’André Mare en 1913, mais cela ne lui suffit pas et il apprend à souffler le verre, ses vases, flacons, verres sont de toute beauté on s’émerveille devant les couleurs, leur transparence, la matière épaisse… La collection du musée est unique et se compose de plus de 1000 dessins, 46 toiles et 149 verreries. «… Travailler le verre, c’est donc le souffler en le tournant, c’est le modeler tandis qu’il est vivant de la vie que lui donne le feu. C’est tantôt par une liberté accordée et mesurée le laisser s’allonger ou s’élargir, tantôt l’agrandir en le gonflant par le souffle, tantôt le contraindre par les instruments qui l’etreignent et l’etirent… » Maurice Marinot (Extrait de en L’amour de l’Art, sept. 1920, n° 5). Je pourrais continuer ainsi et vous décrire ma visite, ce très beau portrait de femme noire par Vallotton, donnant cette impression si réelle, photographique, une Jeanne d’Arc par Roger de La Fresnaye… un tableau cubiste d’André Mare très figuratif, la dernière commande artistique commandée à Aliénor Welschbillig, une oeuvre délicate et monumentale qui s’intègre harmonieusement dans le grand escalier du Palais épiscopal… Mais je vous laisse le plaisir de découvrir vous-mêmes, chers lecteurs cette collection. INFORMATIONS : Musée d’Art moderneCollections nationales Pierre et Denise Lévy14 Place Saint-PierreTél. 03 25 76 26 81 Exposition temporaire : ITALIA VELOCE : arts et design au 20e siècle – Sélection d’oeuvres de la Fondazione Massimo e Sonia Cirulli Jusqu’au 20 octobre 2024. Merci à Juliette Faivre Préda, conservatrice du musée, pour cette visite passionnante. Musées de Troyes
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