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Oublier Rimbaud à Djibouti

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The Gaze of Benoit Gausseron Après l’Irak et sa paix fragile, l’Ukraine et sa guerre sanglante, Benoît Gausseron poursuit sa quête des arts hors des sentiers battus pour The Gaze of a Parisienne. Dans la corne de l’Afrique, escale à Djibouti sur les pas d’Arthur Rimbaud et découverte des peintures rupestres exceptionnelles et encore méconnues d’Abourma.  Djibouti c’est un peu Hollywood boulevard. Il y a des stars littéraires plein les rues : Arthur Rimbaud, Henry de Monfreid, Albert Londres, Jean d’Esme, Victor Segalen, Joseph Kessel, Paul Nizan, Michel Leiris, André Malraux, Jean-François Deniau enfin. Ils sont tous venus dans cette corne de l’Afrique, carrefour de plaques continentales et d’espions en tous genres, ultime colonie française jusqu’en 1977 devenue vigie occidentale sur la mer Rouge et l’océan Indien. Djibouti écrasé de soleil qui importe tout, ses vivres et même une partie de son eau potable qui provient d’Ethiopie dans une canalisation le long de la nationale 1. Eternel passage pour aller ailleurs, à Suez, en Arabie ou aux Indes, Djibouti, créé en 1888, est un grand routeur de mondes. Un pays qui va jusqu’à s’effacer sous le poids des fictions romantiques et des grands noms propres venus d’Europe.  À commencer par celui d’Arthur Rimbaud. Nous partons sur ses traces en quittant Djibouti ville un matin de septembre avec pour guide, Idriss, un Afar du Nord. « Vous voyez les camions qui viennent d’Éthiopie ? » Deux, trois… ils sont déjà six. Six par jour, chargés de Khat, ce stupéfiant d’herbe fraîche qui offre à 80% des hommes djiboutiens une drogue qui les ensommeillent. Un peuple s’endort en mastiquant des feuilles. Le Fentanyl a bien envahi Los Angeles, note Idriss. 300 francs de Djibouti la dose par jour, soit 1,5 euro pour brouter et oublier.  À Tadjoura Arthur Rimbaud ne se droguait pas. De lui, il ne reste rien. Sa maison sur la rue principale est rasée. Les souvenirs de l’homme qui fit étape  ici par intermittence entre 1880 et 1891 s’effacent. Confetti d’un empire poétique oublié, son épitaphe coloniale ne dit rien aux plus jeunes qui ont arraché la seule plaque à son nom de la ville. Victor Segalen, dans le Double Rimbaud, écrit que l’homme avait tourné le dos à la poésie pour choisir la contrebande, l’exil et l’échec. Sans se retourner. « Tant de gens, même sincères, sont à l’affût du moindre des échos suscités par leur nom que l’on s’étonne d’une attitude exactement opposée. » Victor Segalen – Le Double Rimbaud Celle du refus brutal de la poésie et de la vie d’avant. René Char, dans sa préface lumineuse et cryptique de 1956 à Une saison en enfer, va plus loin : « Son œuvre, si rapidement constituée, Rimbaud l’a, à la lettre, oubliée, n’en a vraisemblablement rien souffert, ne l’a même pas détestée, n’en a plus senti à son poignet basané la verte cicatrice. De l’adolescence extrême à l’homme extrême, l’écart ne se mesure pas. » René Char, Une saison en enfer. Pas même un ouvrage de Rimbaud dans la petite bibliothèque publique de Tadjoura près de l’hôpital que les Chinois viennent de construire. Et les autres alors, Henry de Monfreid et ses Secrets de la mer Rouge ? Un semblable effacement pour destin. Aucun de leurs livres ne figure dans les rayons et la bibliothécaire avoue un faible pour Stendhal et Danielle Steel. « Venez, je vais vous montrer la maison d’un autre Français qu’on aimait bien. » Il faut emprunter la piste de Rai Sali, laisser en contrebas la plage des sables blancs où des soldats français (le pays en compte 1 700) plongent dans les coraux et boivent des bières éthiopiennes sous des paillotes. Leurs 4 000 frères d’arme américains ne les rejoindront pas, ils ne quittent pas leur immense complexe de l’aéroport de Djibouti ville dans lequel ils ont même installé un Pizza Hut. Encore un virage et la maison de Jean-François Deniau, le ministre-écrivain-voyageur qui n’a eu de cesse d’enlacer de traits d’union ses vies improbables, apparaît dans l’anse au bout de la piste ravinée par la tempête du 31 septembre dernier. Le désert et la mer bord à bord, la montagne à l’eau sans même un palmier pour dire que l’on est arrivé. Des volets verts, un bougainvillier et puis rien d’autre que la mer émeraude sous le soleil brutal. Le chef de la tribu Afar de Garaissas a donné son autorisation à cette construction ainsi qu’à celle, de l’autre côté de l’anse, d’un notable juriste à Djibouti ville. N’étaient les gardiens, Gaucher et son frère Hassan, qui pêchent avec leurs enfants, on se croirait au bout du monde et même un peu après. Ici, on compte « 44 degrés à l’ombre. Qu’est-ce que cela peut faire puisqu’il n’y a pas d’ombre » écrivait Albert Londres dans Pêcheurs de perles. Les deux gardiens de la maison Deniau ne pêchent  plus de perles dans la mer qui brule. Seulement du thon, des mérous ou des barracudas quand il y en a.  Route au Nord, direction l’Érythrée. Obock, sa préfecture à machicoulis, son armée de migrants sur la jetée du port qui attendent les passeurs. Idriss, en agent immobilier qui n’a rien à vendre, désigne cette autre maison qu’occupa Rimbaud. La principale, la plus connue. Quatre murs, des restes de peinture bleue au mur, des excréments humains et animaux au sol. « N’entrez pas, ça pue. » Sans doute mais à travers la porte, nous voyons la mer Rouge et, déjà, les premières embarcations de migrants qui s’apprêtent à rejoindre le Yémen. La terre de la Reine de Saba n’est plus celle de l’Arabie heureuse depuis longtemps et Paul Nizan a quitté Aden. Assis à nos côtés devant la mosquée, un Éthiopien regarde le détroit de Bab-el-Mandeb au Nord, large de 27 kilomètres, il n’est pas inquiet : « J’ai appris à nager et la guerre n’est pas partout là-bas. » Une embarcation l’emportera ce soir ou la nuit suivante sur un esquif surchargé. 20 000 francs djiboutiens, quelque 100 euros. Il fera fi du panneau du port siglé Office des réfugiés de l’ONU qui lui intime pourtant : « Ne partez pas, choisissez la vie. » Ils sont nombreux les candidats au départ à attendre devant la mosquée qui se vide. La prière du vendredi, celle de 12h 10 prend fin. L’Imam a appelé les parents à être responsables de leurs enfants. Les joints et le Khat c’est fini à t-il répété. Ne laissez pas vos enfants se prendre la tête. Et vous les passeurs, arrêtez vos trafics. Il a prononcé ces mots ou à peu près, nous raconte l’Éthiopien anglophone qui demeure assis en attendant la nuit. Nous visitons la maison d’un Breton converti à l’Islam, Henry de Monfreid, le héros de la mer Rouge que Joseph Kessel a convaincu de devenir écrivain à 55 ans et qu’il a si bien décrit dans Fortune carrée. Deux sœurs en mission de la congrégation de la Consolation l’occupent désormais. Elles font classe à 66 enfants dont 15 réfugiés du Yémen, d’Érythrée et d’Ethiopie. Pas une trace de Monfreid. Dans leur petite chapelle sans clocher, les deux religieuses se contentent d’enseigner et de témoigner. Témoigner seulement car « c’est Dieu qui évangélise, pas nous. Personne ne nous jette des mots ou des pierres dans le quartier. » Comme elles, Monfreid a regardé d’ici la mer de ses yeux que Joseph Kessel disait violets et les montagnes du Danakil au loin. L’aventurier Monfreid qui avait essayé en vain de pêcher des perles ou de planter du café a laissé place à deux femmes convaincues tout autant que lui que les voyageurs sans bagage du port d’Obock – si, ils tiennent un ou deux sacs de plastique pour tout effet au bout d’un bâton – sont nos prochains de la mer Rouge. Les esclaves que Monfreid avaient vu embarquer, ce sont les migrants avec lesquels nous attendons ce soir : « Tous ces êtres humains humains s’entassent au fond du zaroug et une voile est étendue sur eux. Quel patrouilleur pourrait jamais arraisonner ce rapide esquif qui file perdu dans la nuit, sur la mer échevelée ? Beaucoup d’escalves, emmenés à l’intérieur de l’Arabie, ne se rappellent pas avoir vu la mer. » Par la mer, nous faisons route maintenant vers le Goubet, la baie de Djibouti au courant violent dans laquelle Rimbaud faisait étape sur l’île du Diable avec son butin : 2 000 fusils et 60 000 cartouches. Là qu’il entreprit, avec 30 Afars et 80 chameaux sa vaste opération de contrebande au profit du roi Menelik d’Ethiopie. Idriss qui nous conduit est formel : « Les gens d’ici en voyant à l’époque sur la petite plage de l’île du Goubet les feux de camp et les lanternes des trafiquants l’ont vite appelée l’île du Diable. » Elle est ronde, sa plage est minuscule, à peine de quoi accueillir un boutre à fond plat. C’est  Koma en langue Afar, le cœur de la cuvette « pourrie » qui sent le commencement de la terre sous le basalt.  Rimbaud serait remonté plein Est vers le lac Assal. Des volcans éteints l’ont salué tandis qu’aujourd’hui des éoliennes Siemens de 60 Mégawatts nous font signe. Elles soulageront les groupes électrogènes qui alimentent en électricité Djibouti ville. Elles battent sous un vent qui sent ce même souffre  échappé des cratères effondrés et du rift qui tranche le basalt au couteau. Un mince filet de fumée et des sources chaudes rappellent que la croûte terrestre est moins épaisse au point précis où tout a commencé. À peine 5 000 mètres avant le magma qui attend son heure. En 1978 le volcan Ardoukoba s’est réveillé et a vomi sa lave jusqu’au lac. Rimbaud aurait contourné le lac Assal, le plus salé du monde (340 grammes de sel par litre) sur cette même rive occidentale qu’une caravane de sel emprunte lentement devant nous ce matin. Tout ça pour vendre un sac de sel 4 dollars, se lamente Idriss. Les dromadaires bâtés de sacs blancs pourraient rejoindre Daoudoyya puis Galafi et le royaume abyssin. Non, ils se rendent à Leyta pour les revendre sur le bord de la route aux passants ou à des grossistes de Djibouti. À peine quelques kilomètres. Fin de la fiction orientaliste et du folklore, place aux nouveaux colons. Sur la route nationale 9, des 4X4 conduits par des Chinois ne s’arrêtent pas pour acheter du sel. « Eux vous ont remplacés, vous les Francais. On ne sait pas trop ce qu’ils font. » Le gouvernement chinois vient d’installer une usine ultra moderne d’exploitation de sel ou de lithium, verrue industrielle sur l’étendue blanche du lac Assal. Idriss ne sait pas ce qu’ils transforment, les Chinois, dans cette usine du diable. Il est en revanche certain qu’au bout de la piste de pierres noires, sur ce lac en dessous du niveau de la mer (-155 mètres), les Chinois ignorent le poète français venu ici avant de rejoindre Ankober (en Éthiopie actuelle) le 16 février 1887. « Vous aimez le poète, nous avons connu le trafiquant, alors il n’en reste pas grand-chose. On peut faire semblant de le suivre si vous voulez toujours continuer ? » Sur la banquise de sel étincelant de 15 kilomètres de long et profonde de près de 60 mètres, les travaux chinois laissent des traces brunes, premiers nuages d’orage sur ce ciel d’azur à même le sol.  A quoi bon remonter sur les pas de Rimbaud vers un Negus imaginaire, passer par l’Oued Kalou et ses gorges que Kessel estimait sculptées par le diable, suivre des défilés de pierres, traverser des forêts primaires, gagner Agna et son oasis verte aux palmiers Doum que les femmes utilisent pour la vannerie ? Notre ambassadrice de France à Djibouti nous invite à lâcher l’affaire. Cherchez ailleurs, dissipez d’autres ombres. Sur cette terre aux confins des plaques tectoniques d’Afrique et d’Arabie, vous avez, nous dit-elle, la création de la terre à ciel ouvert. Partez à la découverte de mirages 100% djiboutiens. Et il en est un que les artistes de rue des villes d’Occident seraient bien inspirés de visiter pour leurs expositions de street art et de graphs.  Au petit matin, après une nuit...

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