The Gaze of SEVERINE LE GRIX DE LA SALLE Marguerite YOURCENAR – Mémoires d’Hadrien Un chef d’œuvre est un mille-feuille qui se déplie à chaque lecture et relecture, avance avec nous, révélant des secrets différents à chaque âge de la vie. Si beau qu’il est difficile d’en parler, le seul hommage possible, ce sont les mots de Marguerite Yourcenar eux-mêmes. Les Mémoires d’Hadrien, c’est d’abord une immersion dans notre mémoire perdue : « La Grèce appauvrie continuait dans une atmosphère de grâce pensive, de subtilité claire, de volupté sage (…), la seule culture qui se soit un jour séparée du monstrueux, de l’informe, de l’immobile, qui ait inventé une définition de la méthode, une théorie de la politique et de la beauté. Puis un voyage à Rome : « Rome : le creuset, mais aussi la fournaise et le métal qui bout, le marteau, mais aussi l’enclume, la preuve visible des changements et des recommencements de l’histoire, l’un des lieux au monde où l’homme aura le plus tumultueusement vécu. » Puis un voyage intérieur : « Quand on aura allégé le plus possible les servitudes inutiles, évité les malheurs non nécessaires, il restera toujours pour tenir en haleine les vertus héroïques de l’homme la longue série des maux véritables, la mort, la vieillesse, les maladies non guérissables, l’amour non partagé, l’amitié rejetée ou trahie, la médiocrité d’une vie moins vaste que nos projets et plus ternes que nos songes. » Et enfin un testament : « Il suffirait de quelques guerres, de la misère qui suit celle-ci, d’une période de grossièreté et de sauvagerie sous quelque mauvais prince pour que périssent à jamais les pensées venues chez nous à l’aide des livres, ces frêles objets de fibre et d’encre ». La dernière page refermée, écoutez le bruit des guerres qui précèdent les silences. Et quand le bruit se fait trop fort, le relire. Marguerite Yourcenar Mémoires d’Hadrien Folio Annie ERNAUX- Une femme. Moi aussi j’ai perdu ma mère. Je n’arrive d’ailleurs toujours pas à prononcer, tout comme Annie Ernaux n’arrive pas facilement à écrire : « ma mère est morte ». La comparaison s’arrête là : j’aurais aimé avoir une once de son talent pour rendre hommage à la mienne, lui dédier un livre, et comme Annie Ernaux le dit si joliment : « (…) j’écris sur ma mère pour, à mon tour, la mettre au monde ». Ce livre est aussi beau que difficile, parce qu’il est clinique, descriptif, sans paraphrase ni pitié. Mais c’est aussi le témoignage d’un respect absolu, d’une admiration qui ne dit pas son nom, de cet amour filial qui ne s’efface jamais, si complexe entre une mère et sa fille. Et c’est un livre qui guérit de cette tristesse sur laquelle on peut enfin poser les mots : « Je n’entendrai plus sa voix. C’est elle et ses paroles, ses mains, ses gestes, sa manière de rire et de marcher, qui unissaient la femme que je suis à l’enfant que j’ai été. J’ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue. » Quel que soit le monde dont nous sommes issus. Annie Ernaux Une femme Folio Maria LARREA – Les enfants de Bilbao naissent où ils veulent Quête d’identité, racines flottantes, douleur de l’exil, ce roman – manifestement autobiographique- est d’une vitalité puissante. Un voyage dans l’Espagne hors les murs, moquée à Paris. Un voyage dans l’Espagne basque, pluvieuse, pauvre et verte. Un voyage dans l’Espagne franquiste et ses sombres secrets sordides. Une déclaration d’amour qui se moque de la génétique, et un proverbe magnifique en guise de titre, qui claque comme une revendication. Magnifiquement construit, haletant du début à la fin, viva España ! Maria Larrea Les enfants de Bilbao naissent où ils veulent Grasset Sabyl GHOUSSOUBB – Beyrouth-sur- Seine Un récit d’enfance. Un récit d’exil. Un récit de métissage. « Tu veux que je te raconte ma vie en arabe ou en français ? » L’auteur entreprend de comprendre ses racines en interrogeant ses parents libanais exilés à Paris. Et avec lui, nous entrons dans ce kaléidoscope géant et incompréhensible qu’est le Liban, ces familles dispersées, traversées de violence et de tendresse, mais toujours unies dans un tentaculaire Whatsapp. La famille, au nom de laquelle il serait possible de tout expliquer, tout pardonner et qui permet si peu de s’émanciper. Un livre triste et joyeux comme le Liban, à la fois tragédie grecque et chaleureux déjeuner dominical. Un livre traversé par une mère courage, envahissante et hilarante, qui assène avant le point final : « De toute façon, si c’était à refaire, je ne referais rien, enfin si, j’épouserais ton père ». Sabyl Ghoussoub Beyrouth-sur- Seine Stock
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