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À la cour du Prince Genji, 1000 ans d’imaginaire japonais

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THE GAZE OF AUDE LANGLOIS-MEURINNE CHARQUET « Le cerisier En vérité nous enseignePar sa floraisonEt par son rouge feuillageQue ce monde est éphémère. «  Le musée Guimet nous emmène à la cour infiniment raffinée du prince Genji, à l’époque Heian (794-1185) par le prisme du roman éponyme Le Dit du Genji. Ecrit vers l’an 1000 par la dame d’honneur à la cour et poétesse, Murasaki Shikibu, il décrit la vie fastueuse et l’effervescence artistique de la cour de l’époque, les intrigues amoureuses de ce prince qui n’était pas destiné à régner, les passions, ambitions et luttes de pouvoir qui s’y jouent… Ce roman-fleuve, foisonnant de personnages et de péripéties, a inspiré depuis dix siècles d’innombrables œuvres d’art rassemblées par le musée Guimet. Il est considéré comme un ouvrage majeur, le premier roman psychologique et salué par Marguerite Yourcenar comme « le Marcel Proust du Moyen-Age nippon ». Une littérature féminine unique dans l’histoire du Japon Les deux derniers siècles de l’époque Heian (XI-XIIème siècles) voient s’épanouir une littérature féminine unique dans l’histoire du Japon. Le Dit du Genji est l’œuvre de Murasaki Shikibu (973 ? – 1014 ?), dame d’honneur à la cour. Les femmes étaient alors écartées de la vie politique et en revanche des témoins privilégiés de la vie de cour et de ses intrigues. Leurs vies sont comblées par les arts, l’étude, la religion, la vie de cour, les relations galantes. Leur liberté s’exprime dans l’écriture. Shikibu est une des trois grandes écrivains de l’époque, aux côtés de Ono no Komachi et Sei Shonagon, dont la reconnaissance demeure depuis. Shikibu descend d’une lignée de poètes et a reçu la même éducation exigeante en lettres chinoises et japonaises que son frère. Les femmes développent au Xème siècle une littérature en kana, forme d’écriture cursive émancipée des caractères chinois dont l’usage était réservé aux hommes…. Le Dit du Genji se distingue par une prose en langage vernaculaire mêlée de brefs poèmes en cinq vers, les waka. À une époque où il est trop familier et franc de s’exprimer directement, les huit cent waka du texte expriment les pensées profondes des personnages. La calligraphie joue également un rôle majeur dans la présentation de l’histoire. Dans le faste de l’époque de Heian, l’actuelle Kyoto, les nobles, affranchis de l’emprise de la Chine et vivant une ère de paix, profondément imprégnés du bouddhisme, développent leur propre culture, une culture aux mœurs sensibles et à l’étiquette sévère, entièrement tournée vers les arts. Un roman détaillant les différents arts de cour La cour repliée sur elle-même, et ignorante du sort du peuple, cultivait un raffinement extrême. Le Dit du Genji se veut un récit véridique (monogatari), racontant la vie d’un de ces princes impériaux, d’une beauté extraordinaire, poète accompli et charmeur de femmes. Le roman évoque précisément les distractions et usages de la cour à l’époque classique. Les aristocrates pratiquaient la musique, des concours de peinture, la composition collective et l’improvisation de poèmes, une pratique assidue de la calligraphie. Mais aussi un jeu subtil par lequel on devait associer chaque parfum à une image, lesquels parfums disposés dans l’exposition étaient créés par les aristocrates, dont c’était une compétence impérative. L’étiquette était très contraignante et le raffinement sans limite. Il fallait se vêtir avec subtilité en accordant entre eux les couleurs et les tissus, en liaison avec les saisons, son rang, son âge… Enfin, les aristocrates s’adonnaient à la contemplation de la naturedes jardins, de la lune, des saisons, telle qu’en témoigne cette table qui représente Uji, un lieu de pèlerinage bien connu où se déroulent les derniers chapitres du roman. L’un des premiers romans psychologiques L’auteur, Murasaki Shikibu, livre certes une critique incisive et complète des mœurs décadentes de la cour de Heian, depuis l’intérieur. Mais l’acuité de l’analyse psychologique fait vite oublier la distance dans le temps et dans l’espace. L’auteur dépeint les mouvements les plus délicats de l’âme, exalte les passions et explore les sentiments complexes des héros dans leur quête amoureuse et leur recherche du bonheur, éphémère, évanescent. Les tourments amoureux et passions humaines décrites -la femme bafouée, le mari jaloux, la courtisane, le séducteur impénitent, la fascination du pouvoir, les différentes classes sociales, l’argent- résonnent encore aujourd’hui avec subtilité et modernité. Cette vaste fresque qui tient de vérité humaine universelle n’aura guère d’équivalent en Occident avant le XIXe siècle. Une source d’inspiration continue au fil des siècles Mis en image dès le début du XIème siècle, sous la forme de luxueux petits livres illustrés, notamment pour les jeunes filles de l’aristocratie impériale, Le Dit du Genji reçut ultérieurement les supports les plus variés : peintures en forme d’éventail, sur feuilles de papier de format carré, montées sur rouleaux verticaux (kakémonos), paravents et cloisons coulissantes.  La majeure partie des œuvres subsistantes est postérieure au XVI ème siècle, comme le reflète l’exposition.   « Dès le XII ème siècle, les artistes trouvent dans Le Dit du Genji une source d’inspiration où s’affirment les caractéristiques de la peinture proprement japonaise. », explique l’éditrice Diane de Selliers qui a publié Le Dit du Genji en 2008, dans une magnifique édition somptueusement illustrée en trois volumes. « Essentiellement évocatrice, la peinture japonaise accorde une place prépondérante à la nature, à l’expression ténue des sentiments, aux tensions entre les personnages suggérées par des lignes de force, des chevelures lourdes et ondoyantes, des couleurs saturées. Sur les rouleaux, alternent calligraphies et peintures, l’encre rejoint l’or ; le vent, la mer, la lune, les montagnes, les oiseaux, les fleurs sont omniprésents… » De superbes laques figurent cette nature stylisée, jalonnant l’exposition. Précieuses, incrustées de poudre d’or et d’argent, elles étaient collectionnées par la reine Marie-Antoinette.  Ces boîtes comme l’ensemble des genji-e évoquent les saisons. Fleurs et arbres y ont une valeur métaphorique. Les végétaux, les cours d’eau et les rochers qui introduisent des lignes courbes, des arabesques et des motifs irréguliers, forment un contrepoint à la rigueur des architectures.  Sur le paravent La tempête de Novaki , ors, brumes et nuages lient les différentes parties de la scène. Le dessin y est plus simple que sur un petit format. On ne les regarde pas de la même façon.  Face à un paravent, le spectateur est invité à contempler de loin la scène, émerveillé par l’éclat de l’or et des couleurs; puis à se rapprocher pour parcourir une à une les trouées nuageuses et y trouver les personnages du roman. Une même composition caractérise les peintures du Genji. Elles se déroulent dans des résidences aristocratiques composées de pavillons abritant les personnages principaux et donnant sur un jardin arboré et fleuri. Le procédé du « toit enlevé » permet au spectateur de s’introduire dans l’intimité des résidences, comme dans le paravent ci-dessus. Les personnages principaux sont déportés sur un côté, contrairement à la peinture occidentale. La position des personnages dans l’espace et leur représentation obéit à « une dialectique du vil et du noble, de l’exposé et du caché. Une femme bien née siège nécessairement à l’intérieur d’une pièce», explique Estelle Legger-Bauer, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales. La femme aristocrate est cachée des regards masculins, loin du promenoir ou du jardin et magnifiée par un rideau portatif ou un paravent, symbole de sa supériorité.  Chez les nobles, les visages sont impassibles, les particularités physiques sont bannies, contrairement aux visages des subalternes, marqués et soumis au passage du temps : nez proéminents, ridules, bouches entrouvertes… Nombreuses sont les estampes dans l’exposition, par Utagawa Hiroshige (1797-1858) notamment. Cet artiste individualise davantage les protagonistes. Spécialiste dans l’art du paysage, il est célèbre en Occident pour avoir influencé les impressionnistes. Plus belles encore sont les estampes sur bois, datant du XIXème siècle, par Utagawa Kunisada dit Toyokuni III. Elles  transposent les personnages à l’époque Edo, avec une profusion de détails. Au XXème siècle, enfin, les mangas sont nombreux à s’être emparé du Dit du Genji ; ils en donnent une version renouvelée par la simplification narrative et leur style nerveux… De spectaculaires rouleaux de soie Enfin, somptueux sont les rouleaux de tissu de soie inspirés du Dit du Genji en fin de parcours.  Leur contemplation est aisée, nécessitant une intimité qui fait malheureusement défaut dans la première partie de l’exposition. Ils ont été réalisés avec virtuosité sur un métier Jacquart d’inspiration lyonnaise–que s’approprient les Japonais vers 1870. Le maître japonais Itaro Yamaguchi (1901-2007) les a offerts à la France à l’issue de trente-sept ans de travail et de perfectionnement des techniques du tissage sur soie. Il les présente comme « une création originale », à juste titre. Il s’inspira de la Dame à la licorne pour les effets de transparence, des tissus notamment, dévoilant la blancheur du teint selon la mode de l’époque. La palette de couleurs très large et leur vivacité rehaussent subtilement les scènes d’intérieur illustrées, le noir des cheveux….  Au livre 45, la lune et la brume sont représentées avec d’éclatants fils d’or, atmosphère propice à la naissance d’une histoire d’amour. Un travail infiniment subtil et magnifique. Les Jouvencelles du pont Pari difficile, mais réussi, d’illustrer au musée la postérité d’un roman, de surcroît si ancien. Ne manquez pas de vous référer à l’édition illustrée du Dit du Genji par Diane de Selliers. Elle a parcouru le monde pendant sept ans afin de retrouver les œuvres disséminées dans des collections privées, des musées, des temples pour, dit-elle, livrer une méditation sur « la beauté poignante des choses fragiles » éprouvée par le Genji. Aude Langlois-Meurinne Charquet À la Cour du Prince Gengi, 1000 ans d’imaginaire Japonais Jusqu’au 25 Mars 2024 Musée national des arts asiatiques -Guimet Yannick Lintz, présidente / Commissariat scientifique : Aurélie Samuel

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