THE GAZE OF AUDE LANGLOIS-MEURINNE CHARQUET C’est une exposition foisonnante et trépidante, au rythme de la modernité qui caractérise Paris, de la Belle Epoque aux Années Folles. De 1905 à 1925, des Fauves à l’Art Déco, ‘Paris est une fête‘, a écrit l’écrivain américain Ernest Hemingway. Très nombreux sont les artistes du monde entier, vivant alors dans la capitale, dont l’effervescence culturelle est à son comble, ce même durant la Grande Guerre. L’innovation scientifique et artistique, le brassage de nationalités et de cultures, la mixité sociale et la place centrale des femmes sur la scène artistique y sont des vecteurs de modernité. Pour la première fois, est donnée à voir et à vivre dans cette magnifique exposition la simultanéité des innovations dans tous les champs artistiques : la peinture, la sculpture, le dessin, mais aussi la mode, la danse, le cinéma, la photographie, la musique, la littérature, l’architecture, le design, ainsi que l’industrie. Tous ceux-ci cohabitent audacieusement, actuellement au Petit Palais. Un quartier au cœur de la modernité : les Champs Elysées L’exposition se concentre sur le quartier des Champs Elysées qui compte les Grand et Petit Palais, les salons artistiques et industriels, les ateliers (la Ruche ou la rue de la Boétie), les galeries qui jouent un rôle croissant (Kahnweiler), les cafés et cabarets, lieux d’échange et d’émulation (du Lapin agile au célèbre Bœuf sur le toit avec Cocteau). Les ateliers, pépinières de l’art neuf et bastions de résistance et d’énergie Les avant-gardes s’établissent à Montmartre, puis à Montparnasse. Picasso et son entourage se réunissent au Bateau-Lavoir, laboratoire exigeant de la forme, de la couleur et de la figure… En 1907, il peint les Demoiselles d’Avignon, qui seront exposées en 1916. Max Jacob, poète excentrique, y anime les soirées par ses bons mots. Le combat y est esthétique, poétique et politique. Jusque dans les Années Folles, Montparnasse attire une société cosmopolite et ouverte, pour ceux qui ont fui chez eux la révolution (les Russes), la prohibition ou la ségrégation raciale aux Etats-Unis (Joséphine Baker). C’est un creuset jovial et débridé où s’échangent idées et concepts. De nombreux artistes d’Europe de l’Est (Chaïm Soutine, Ossip Zadkine…), beaucoup d’origine juive, habitent la Ruche. Parmi eux, Marie Vassiliev peint Scipion l’Africain qui renverse les codes du portrait et s’inspire des déconstructions formelles de Picasso. En effet, le modèle est noir et masculin. Les salons jouent eux-aussi un rôle essentiel, montrant aussi bien les artistes officiels que les indépendants. Le Salon d’automne abrite d’abord le scandale des œuvres fauves en 1905 puis les néo-impressionistes et les cubistes, accompagnant ainsi la naissance de l’art moderne. Ne manquez pas la très belle tête épurée, d’un grand lyrisme, d’Amedeo Modigliani, qui illustre l’influence des arts premiers dans les créations de l’époque. Les scandales rythment la vie artistique Création rime avec rébellion et anti-conformisme. En 1910, au Salon des indépendants, animé d’un humour potache, Dorgelès expose un tableau peint par un mystérieux artiste qui est en réalité un âne. Kees van Dongen, ci-dessous, provoque volontiers pour accéder à la reconnaissance ; les teintes y sont stridentes et les contrastes violents. Plusieurs ballets font scandale dans la période. Le Sacre du Printemps avec Nijinski à la sensualité androgyne, en 1913. Parade, créé en 1917 par Cocteau, avec la musique d’Erik Satie qui intègre des bruits de machine à écrire, et des costumes de Picasso…La littérature choque elle aussi, tels Le Diable au corps de Raymond Radiguet et Corydon d’André Gide, qui font l’apologie de l’homosexualité masculine, moins tolérée à l’époque que le lesbianisme. Après la guerre, dadaïstes et surréalistes aiment à bousculer la société bourgeoise. Ils sont peu présents dans l’exposition, mais on y voit une oeuvre séminale, Élevage de poussière, l’énigmatique photo prise par Man Ray en 1920 d’une sculpture de Marcel Duchamp. Les avancées technologiques inspirent les artistes Les innovations que sont la bicyclette, la voiture et l’avion ont bientôt leur propre salon, en 1908 et 1912, où se précipitent une centaine de milliers de visiteurs. Des peintres futuristes à Robert Delaunay, le progrès, le mouvement et la vitesse fascinent les artistes. Marcel Duchamp, au retour du Salon de l’aéronautique en 1912, pose une roue de bicyclette sur un tabouret, créant le premier ready-made. Cette même bicyclette qu’utilisent alors les Poilus sur le front de la Première Guerre Mondiale. Pendant la guerre, la vie reprend le dessus à l’arrière De nombreux artistes s’engagent en 1914. Ce sont Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Ossip Zadkine,… Les Nabis Maurice Denis et Pierre Valloton sont peintres aux armées. Tous témoignent dans leur art de l’horreur de la guerre. Celle-ci est couverte pour la première fois par la photographie—qui montre les gueules cassées et contredit les images de propagande- et le cinéma. Dès lors, le cinéma, synthèse des arts, avec Marcel Duchamp et Man Ray, devient un terrain d’expérimentations et un divertissement prisé. Charlot, artiste de génie, s’y produit régulièrement à partir de 1914. Paris, d’abord bombardé en 1914, renaît dès la fin de l’année 1915. Toutes les terrasses de cafés et théâtres sont pleins à nouveau ; ce qui ne manque pas de choquer le soldat Fernand Léger en permission. Le temps de la guerre est aussi celui d’innovations artistiques majeures. Fin 1916, se tient la première exposition française d’art africain et océanien qui y associe art premier de la collection du marchand Paul Guillaume à des tableaux de Pablo Picasso et d’Amedeo Modigliani. Nouveau scandale en 1917, lorsque Modigliani expose ses nus exhibant quelques poils pubiens. Les femmes sont omniprésentes dans la modernité Elles sont muses ou modèles (Fernande Ollivier, Aïcha Goblet), artistes (la peintre Marie Vassilieff) ou mécènes (Gertrude Stein) ou encore des personnalités de la mode (les créatrices Madeleine Vionnet et Jeanne Lanvin). A Paris, les femmes sont libres : la chanteuse et modèle Kiki de Montparnasse pose pour Man Ray ; ils fréquentent les surréalistes. Les corps des femmes sont libérés du corset par le couturier Poiret en 1906, qui les pare de tissus plus souples et fluides, aux couleurs pâles. Dans les années 1920, la garçonne émerge, à l’allure sportive, tel le portrait de la peintre bisexuelle Tamara de Lempicka. Cette « femme nouvelle » aux mœurs libres, aux robes courtes et cheveux courts fascine et dérange. Elle se diffuse dans la publicité. La maison Cartier taille pour elle des bijoux modernes, à la forme simplifiée, tels de longs sautoirs qui soulignent la verticalité des silhouettes longilignes. Les créations raffinées et inventives du bijoutier rythment l’exposition. Paris vit la nuit dans l’insouciance et l’exaltation La paix retrouvée, la génération qui a connu la guerre cherche l’oubli dans l’exaltation, l’alcool et la débauche. Cette soif de vivre se vit au Bal colonial ou « Bal nègre » aux biguines martiniquaises, ou bien au rythme trépidant du charleston et du jazz (au Bœuf sur le toit, avec Jean Cocteau) importés par les nombreux Américains, artistes et touristes (le collectionneur Albert Barnes) venus vivre à Paris. Joséphine Baker étourdit les Parisiens, bousculant les consciences et se jouant des stéréotypes dans un métissage croissant de la société. Dans ce Paris frivole à l’intense vie mondaine, l’arbitre des élégances est le couturier Paul Poiret. Il habille les chanteuses de music-hall (Mistinguett) et les mondaines, réalisant une synthèse entre tous les arts : haute couture, danse, photographie et cinéma. Ses créations reflètent l’exubérance de l’époque. L’Art Déco célèbre le raffinement et le luxe Inauguré en 1913, le Théâtre des Champs Elysées est à la pointe de la modernité, alliant matériaux innovants à une esthétique épurée, magnifique, qui annonce l’Art Déco. C’est le lieu de toutes les audaces artistiques. Enfin, pour clôre cette vaste et magnifique présentation, l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 célèbre le luxe, l’élégance et le raffinement. La création française y est à l’honneur et se diffusera sur plusieurs continents. Architecture et meubles précieux de Jacques-Emile Ruhlmann côtoient les meubles et parfums créés conjointement par Armand-Albert Rateau et Jeanne Lanvin, les robes de Madeleine Vionnet, les sculptures de François Pompon. « Le soleil de l’art ne brillait alors qu’à Paris, et il me semblait et il me semble jusqu’à présent qu’il n’y a pas de plus grande révolution de l’œil que celle que j’ai rencontrée (…) à mon arrivée à Paris. » Marc Chagall. par Aude Langlois-Meurinne Charquet
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