« Paris c’est l’art libre, on n’y vend rien mais on y a sa libre manifestation et des gens qui cherchent, qui luttent, qui applaudissent » 1862 lettre a Edwards.
J’étais impatiente de découvrir Fantin-Latour au Musee du Luxembourg, où une exposition lui était dédiée. Depuis 1982 au Grand palais aucune rétrospective importante ne lui avait été consacrée.
J’arrive et je découvre les premières peintures de jeunesse, ses soeurs, Marie et Nathalie, son livre à la main, une série d’autoportraits découvrent l’ébauche de ce jeune artiste, passionné de son art. Un dessin attire mon regard, il dégage une force étonnante, les traits de son visage, hachés au crayon construisent les contours faisant ressortir les yeux dont on ne peut se détacher.
Ce grand romantique qui porte un nom si chevaleresque, passionné de musique, connu pour ses compositions florales de toute beauté m’intéressait surtout pour ses portraits qu’il nomme à très juste titre « études d’après nature »
La musique , la poésie et la peintures étaient ses muses.
De ses longues heures passées au Louvre, où il copie les grands maîtres , il en fait une activité très lucrative.
Il y retrouvera Berthe Morisot et sa sœur à qui il donnait ses conseils.
Au Musee d’Orsay, à chaque visite je m’arrête devant ses grandes peintures « Hommage à Delacroix « une célébration du romantisme dont le représentant était Delacroix. le peintre tenant sa palette entouré de Manet, Baudelaire, Bracquemond, Cordier , Alphonse Legros, du critique d’art Louis-Edmond Duranty,…des visages qui deviennent proches.
C’est aussi : « Un atelier aux Batignolles » 1870 à Orsay avec cette fois-ci le jeune Bazille élégant vêtu d’un superbe pantalon à carreaux , Renoir , Monet, Manet et Zola ainsi que le mécène musicien Edmond Maître et pour terminer le critique d’art Zacharias Astruc qui est assis confortablement et regarde attentivement le peintre travailler .
Et en 1871, c’est le fameux « Coin de table » toujours au musée d’Orsay, pendant littéraire de l’hommage à Delacroix cette fois-ci avec des écrivains , poètes, journalistes et surtout l’unique représentation connue de Verlaine et Rimbaud ! Cette représentation est contemporaine de l’amitié si orageuse des deux poètes : à quelques pas du Musée du Luxembourg a été créé le poème « Voyelles » de Rimbaud, aujourd’hui en épigraphie sur le mur de l’ancien séminaire de Saint-Suplice, devenu pour le coup le très rimbaldien centre des impôts des Germanopratins !
Surprenant, l’exposition dévoile le fonds photographique de Fantin-Latour largement inédit. Il s’agit d’un aspect inattendu du travail d’atelier de l’artiste : les modèles photographiques sont moins onéreux et plus aisés à reproduire ou à dupliquer.
Ce travail sur photographies de nus ou de sujets licencieux provoque chez l’observateur du XXIème siècle une impression de transgression aujourd’hui oublié. Ce sentiment n’est sans doute pas celui de l’artiste dans le clair-obscur de son atelier mais il conduit en revanche à être intrigué par la modernité du travail de l’artiste qui fait appel à la photographie, medium neuf et révolutionnaire.
J’avais envie d’en savoir plus sur sa personnalité et me tournai vers Laure Dalon, commissaire de cette exposition à qui je fis part de mes interrogations.
Qui était il vraiment ce jeune homme ambitieux et secret que nous apercevons dans cette série d’autoportraits ?
Laure Dalon : C’est un personnage tiraillé par des idées contradictoires, d’un milieu petit bourgeois, fils de peintre. Il dit qu’il est très bien enfermé dans son atelier et plus à l’aise devant une nature morte qu’à discuter avec n’importe quelle femme ! qu’il rendrait une femme très malheureuse, et en même temps c’est quelqu’un qui tisse des amitiés très fortes avec certains de ses contemporains, notamment avec le peintre américain Whistler, un de ses grands amis. Un tempérament entier , quand il se lie aux gens, c’est un sentiment très fort, et dans sa jeunesse, il a quelques déceptions, car chacun suit sa voie et pas forcément dans la même direction que lui.
Misanthrope ?
Laure Dalon : Il donne alors cette impression d’être un peu misanthrope, c’est ce que l’on voit à travers les portraits de groupe où il figure sur les premiers portraits, et ensuite il disparait des compositions. Il se met en retrait et devient finalement plus observateur qu’acteur. Pas sûr de lui, il essuie plusieurs échecs et se remet en question, déçu de la réception de certains de ses tableaux, il construit sa notoriété petit à petit et est rassuré par les réactions des uns et des autres. C’est un homme plutôt replié sur lui, sur son cercle familial dans sa jeunesse, et plus tard sur son foyer car il finit par se marier en 1876 avec Victoria Dubourg, elle aussi peintre. Il semble profondément indépendant et solitaire.
Serait-il misogyne ?
Laure Dalon : Pour lui les femmes sont liées aux mondanités qu’il déteste. Il avait préparé un tableau pour représenter un choeur de femmes, mais il n’est jamais allé au bout de cette idée, car faire poser des femmes est trop compliqué, cela lui demande des efforts pour être aimable, aussi préfère-t-il peindre des hommes.
Fantin Latour, peintre à part ?
Laure Dalon : Moins connu aujourd’hui, inclassable au delà de ses portraits de groupe, le public connaît moins ses autres tableaux, peut-être les fleurs mais avec une vision légèrement erronée, on minimise la radicalité, la force de ses natures mortes. Pour moi c’est un grand peintre et un peintre charnière de cette époque là, parce que justement il a suivi sa propre voie de manière très originale, tout en soutenant les bons combats car rendre hommage à Delacroix, soutenir Manet, les musiciens Berlioz, Schumann, Wagner, peindre Rimbaud et Verlaine… A chaque fois il choisit des combats justes et d’une certaine manière visionnaire, il ne choisit pas des choses évidentes.
Une certaine rigidité ?
Laure Dalon : Peut-être, une forme de rigidité qui l’aurait empêché d’être dans la démonstration, la mondanité et l’a sûrement desservi pour sa postérité. C’est aussi le fait d’avoir été un peintre de la fin du XIXe siècle sans avoir été impressionniste, courant que l’on connaît le mieux. Etre en marge de ce courant là l’éclipse un peu.
Période symboliste ?
Laure Dalon : Là encore il est très visionnaire, ce goût pour l’imagination qui rejoint à la toute fin de sa vie le goût de ses contemporains de la toute fin du XIXe siècle. Il est d’une certaine manière précurseur des symbolistes, ce qui est rarement dit. Il ne surfe pas sur la mode, depuis très longtemps il avait envie de faire ces compositions d’imagination, mais n’était pas forcément compris, un peu tôt pour être vraiment regardé, pris avec sérieux et du coup il avait mis ce sujet de côté. Mais pour lui c’est un accomplissement. Il se fait plaisir, il va au bout de sa démarche à lui. Sans être cependant le plus symboliste de tous.

Laura Dalon commissaire d’exposition devant « Coin de table » 1872
Musée d’Orsay
©Thegazeofaparisienne
Une belle exposition à voir en cette période de rentrée, et je vous laisse ce bonheur de découvrir cet univers si peu conformiste de Fantin Latour .
En quittant ce lieu je ne sais pas si j’ai percé le mystère de Fantin Latour, mais je garde le souvenir de ce raffinement, de cette délicatesse et aussi la virtuosité d’exécution
« En dehors de mon art, je ne peux rien faire , rien dire car l’art demande tous les sacrifices, car l’art est en dehors de la vie… » 1861
Florence Briat Soulie
Commissariat : Laure Dalon, Xavier Rey et Guy Tosatto
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard – 75006 Paris
Fantin Latour à Fleur de peau
Du 14 septembre 2016 au 12 février 2017.
